« La douleur »
Noir. Il fait noir. Tout noir. Où suis-je ? J’ai mal. Mon corps me fait mal. Ma tête me fait mal. Mais où suis-je ? Pourquoi je ne peux pas bouger ? Suis-je morte ? Mais… les morts peuvent-ils penser ? Peut-on encore souffrir une fois que l’on est mort ? Suis-je en train de rêver ? Mais, alors… peut-on rêver tout en étant conscient ? Tout en ayant mal ? Peut-on rêver que l’on rêve et que l’on ne peut pas bouger ? Des voix se rapprochent. On entre. On me soulève une paupière, on prend ma température. Alors ? Rien. Toujours rien. Pareil qu’hier, qu’avant-hier, que la semaine dernière. J’essaie désespérément de faire un signe, d’ouvrir un œil, de bouger un orteil. Ça ne m’étonne pas. Combien de temps va-t-on encore la garder, docteur ? Vous savez que nous manquons de place, que les lits se font rares ? Oh, plus très longtemps. Rien n’indique qu’elle se réveillera un jour. Regardez ! Il prend mon mamelon, le pince de toutes ses forces puis le retourne. Je hurle de douleur. Il serre encore plus fort. On ne m’entend pas. J’ai mal, horriblement mal. Vous voyez ? Pas la moindre réaction ! D’après vous, une femme peut-elle supporter une chose pareille sans même sourciller ? Il rit. L’infirmière aussi. Aucune chance. Elle n’a aucune chance de se réveiller. Et d’ailleurs, le mari ne semble pas trop s’en inquiéter. Il ne s’opposera pas à ce qu’on accélère les choses. Et les organes ? Je frémis. Ils fonctionnent bien, même très bien. Elle avait donné son accord ? Oui, le mari a affirmé que c’est ce qu’elle aurait voulu. Alors, quand ? Comme je vous l’ai dit, docteur, les places manquent et les patients en attente de greffe, eux, ne manquent pas ! Bientôt, ne vous en faites pas. L’horreur me saisit. Je tremble. De toute façon, les organes sont bien au chaud, et il y a peu de chances pour qu’elle se réveille. Ou qu’elle meure. Puis, pas besoin d’anesthésie, ni de précautions particulières. Les choses iront vite. Je vais voir ça avec le mari. Ça ne devrait pas poser de problème. Ils rient. Leurs pas s’éloignent. Un filet de sueur froide coule tout au long de ma colonne vertébrale. Alors, ce sera ça, ma mort ? Attendre patiemment que l’on me découpe comme un vulgaire morceau de viande, en espérant que l’on commence par me retirer le cœur, les poumons, le pancréas, le foie, n’importe quel organe vital ? Combien de temps met-on à mourir lorsqu’on vous arrache le cœur ? La douleur nous fait-elle perdre connaissance ? Peut-on perdre connaissance quand on est déjà dans le coma ? Oh, j’ai mal, tellement mal. J’ai peur, tellement peur. Il fait noir, si noir…
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