« Dialogue avec mon chat »
— Bonjour, installe-toi sur le canapé.
— Je prends mon verre d’eau, j’y vais.
— Vas-y. Comment ça va aujourd’hui ?
— Ça va…
— C’est un petit « ça va ». « Ça va ! » ou « Ça va… » ?
— Bah… Ça va…
— Je vois. On va commencer par un petit exercice. Tu vas te concentrer très fort sur un objet auquel tu tiens beaucoup. Tu en as choisi un ?
— J’y suis.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Mon oreiller.
— Très bien. Maintenant, tu vas le visualiser dans ta tête, comme si tu le tournais dans tous les sens pour mieux le voir. Tu vas imaginer la vie qu’il a eue, comment il a été fabriqué, par qui, comment est-il parvenu jusqu’à toi, où est-ce qu’il a voyagé, par quelles mains il est passé, et tu repenses à tout ce que tu as vécu avec lui, pourquoi il est important, qu’est-ce qu’il est pour toi, est-ce qu’il représente une figure plutôt maternelle ou paternelle. Le nombre de fois où tu l’as étreint, où tu t’es reposée sur lui, est-ce que cela t’a émue, calmée, est-ce qu’il a été un soutien dans tes moments les plus difficiles, et pourquoi tu y tiens tant, est-ce que…
— Oooh ! J’ai dit que j’avais choisi mon OREILLER ! Je l’ai choisi parce que j’aime dormir, point.
— C’est pourtant toi qui l’as élu, parmi tous tes objets. Cela veut dire que tu lui accordes une grande place. Si nous avançons dans l’exercice, tu pourras aussi te demander si, par hasard, tu n’as pas déjà ressenti du désir pour lui, voire construit des fantasmes. Est-ce que, au fond, tu n’as pas la sensation qu’il compte pour toi plus que tout au monde, et est-ce que l’image qu’il te renvoie t’angoisse ou au contraire te rassure ? Est-ce que dans l’amour que vous avez établi, il n’y a pas des non-dits, des regrets, des contrariétés qui sont restées sous silence, est-ce qu’au fond, tu ne reportes pas sur lui tous tes traumatismes d’enfance, ceux que tu as voulu enterrer loin, très loin dans ta mémoire, mais qui te blessent encore aujourd’hui ? Est-ce qu’il n’est pas, sexuellement parlant…
— Ça suffit ! Mais t’es complètement cinglé ! Je te parle de mon oreiller, du truc sur lequel j’aime bien poser ma tête tous les soirs, parce que ça me repose, que je suis crevée de ma journée pourrie, que je suis FATIGUÉE, et toi tu viens me prendre la tête avec tes histoires de relations, de fantasmes cachés ? Tu penses vraiment que je suis capable d’inventer des trucs pareils ? Espèce de crétin, tu crois en plus que je vais t’écouter et faire ton exercice ? Après, ce sera quoi, j’ai une relation œdipienne avec mon oreiller, ou je sais pas quoi ? Mais tu me prends vraiment pour une folle ?
— Ce n’est pas moi qui suis en train de faire ma psychanalyse en m’entretenant avec mon chat, en tous cas…
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