Debo advertir, antes de expresar lo que toleré y sufrí de trabajos y penalidades en tantos años, el que sólo en el condestable Niepat y en Dick, cuartomaestre del capitán Bel, hallé algunas conmiseración y consuelo en mis continuas fatigas, así socorriéndome sin que sus compañeros lo viesen en casi extremas necesidades, como en buenas palabras con que me exhortaba a la paciencia. Persuádome a que era el condestable cátolico sin duda alguna.
Juntándose a consejo en este paraje y no se trató otra cosa sino qué se haría de mí y de siete compañeros míos que habían quedado.
Votaron unos (y fueron los más) que nos degollasen, y otros, no tan crueles, que nos dejasen en tierra. A unos y a otros se opusieron el condestable Niepat, el cuartomaestre Dick y el capitán Donkin con los de su séquito, afeando acción tan indigna a la generosidad de la iglesia.
— Bástanos – decía éste – haber degenerado de quienes somos, robando lo mejor del Oriente con circunstancias tan impías. ¿ Por ventura no están clamando al cielo tantos inocentes a quienes les llevamos lo que a costa de sudores poseían, a quienes les quitamos la vida ? Qué es lo que hizo este pobre español ahora para que la pierda ? Habernos servido como un esclavo en agradecimiento de lo que con él se ha hecho desde que lo cogimos. Dejarlo en este río, donde juzgo no hay otra cosa que indios bárbaros, es ingratitud. Degollarlo, como otros decís, es más que impiedad ; y, porque no dé voces que oigan por todo el mundo su inocente sangre, yo soy, y los míos, quien los patrocina.
Llegó a tanto la controversia que estando ya para tomar las armas para decirla, se convinieron en que me diesen la fragata que apresaron en el estrecho de Syncapura y con ella la libertad para que dispusiese de mí y de mis compañeros como mejor me estuviese.
Presuponiendo el que a todo ello me hallé presente, póngase en mi lugar quien aquí llegare y discurra de qué tamaño sería el susto y la congoja con que yo estuve.
Carlos de Sigüenza y Góngora, Infortunios de Alonso Ramírez (1690) [ed. de Lucercio Pérez Blanco, Madrid, Historia 16, p. 99]
Juntándose a consejo en este paraje y no se trató otra cosa sino qué se haría de mí y de siete compañeros míos que habían quedado.
Votaron unos (y fueron los más) que nos degollasen, y otros, no tan crueles, que nos dejasen en tierra. A unos y a otros se opusieron el condestable Niepat, el cuartomaestre Dick y el capitán Donkin con los de su séquito, afeando acción tan indigna a la generosidad de la iglesia.
— Bástanos – decía éste – haber degenerado de quienes somos, robando lo mejor del Oriente con circunstancias tan impías. ¿ Por ventura no están clamando al cielo tantos inocentes a quienes les llevamos lo que a costa de sudores poseían, a quienes les quitamos la vida ? Qué es lo que hizo este pobre español ahora para que la pierda ? Habernos servido como un esclavo en agradecimiento de lo que con él se ha hecho desde que lo cogimos. Dejarlo en este río, donde juzgo no hay otra cosa que indios bárbaros, es ingratitud. Degollarlo, como otros decís, es más que impiedad ; y, porque no dé voces que oigan por todo el mundo su inocente sangre, yo soy, y los míos, quien los patrocina.
Llegó a tanto la controversia que estando ya para tomar las armas para decirla, se convinieron en que me diesen la fragata que apresaron en el estrecho de Syncapura y con ella la libertad para que dispusiese de mí y de mis compañeros como mejor me estuviese.
Presuponiendo el que a todo ello me hallé presente, póngase en mi lugar quien aquí llegare y discurra de qué tamaño sería el susto y la congoja con que yo estuve.
Carlos de Sigüenza y Góngora, Infortunios de Alonso Ramírez (1690) [ed. de Lucercio Pérez Blanco, Madrid, Historia 16, p. 99]
***
Jacqueline nous propose sa traduction :
Je me dois d’avertir, avant de dépeindre toutes les épreuves et les souffrances que j’ai pu endurer et supporter au cours de si nombreuses années, que c’est seulement chez le connétable Niepat et chez Dick, le quartier-maître du capitaine Bel, que j’ai rencontré quelque commisération et quelque consolation à mes tourments continuels, dès que, dans un état de nécessité aussi extrême, il m’a secouru, loin du regard de ses compagnons, par les bonnes paroles avec lesquelles il m’a exhorté à la patience, me prouvant ainsi sans aucun doute qu’il était bien ce fameux connétable catholique.
Dans cette situation, il prit conseil – et il ne s’agissait pas moins que de savoir ce qu’on allait faire de moi et de mes sept compagnons qui avaient survécu-. Les uns prirent le parti de nous décapiter, d’autres, moins cruels, de nous laisser sur cette terre. Aux uns et aux autres, s’opposèrent le connétable Niepat, le quartier-maître Dick et le capitaine Donkin ainsi que leurs troupes, en blâmant une attitude si peu digne de la générosité de l’église.
— Il nous suffit –disait-il- de nous être déconsidérés, en volant à l’Orient ce qu’il a de meilleur, et de manière aussi impie. N’imploreraient-ils pas maintenant les cieux, tous ces innocents à qui nous avons dérobé les biens qu’ils avaient amassés à la sueur de leur front, à qui nous avons ôté la vie ? Pour l’heure, qu’a donc fait ce pauvre espagnol pour perdre la sienne ? Il nous a servi comme un esclave en remerciement de ce qu’il a subi depuis qu’il a été capturé. L’abandonner dans cet endroit où je pense qu’il n’existe que des indiens sauvages, c’est pure ingratitude. Le décapiter, comme vous l’avez dit, c’est pire qu’acte impie ; et si n’ai pas poussé de cris pour qu’on entende sur toute la terre crier leur sang innocent, c’est moi et les miens qui allons le protéger.
— La controverse en arriva au point qu’ils allaient l’exprimer en prenant les armes ; ils s’accordèrent alors à me laisser la frégate qu’ils avaient arraisonnée dans le détroit de Singapour et avec elle, la liberté d’en user à ma guise, de moi et de mes compagnons.
— Considérant que j’ai assisté à tout cela en personne, que se mette à ma place qui veuille et que celui-ci médite sur l’importance de la frayeur et de l’affliction qui furent miennes.
Je me dois d’avertir, avant de dépeindre toutes les épreuves et les souffrances que j’ai pu endurer et supporter au cours de si nombreuses années, que c’est seulement chez le connétable Niepat et chez Dick, le quartier-maître du capitaine Bel, que j’ai rencontré quelque commisération et quelque consolation à mes tourments continuels, dès que, dans un état de nécessité aussi extrême, il m’a secouru, loin du regard de ses compagnons, par les bonnes paroles avec lesquelles il m’a exhorté à la patience, me prouvant ainsi sans aucun doute qu’il était bien ce fameux connétable catholique.
Dans cette situation, il prit conseil – et il ne s’agissait pas moins que de savoir ce qu’on allait faire de moi et de mes sept compagnons qui avaient survécu-. Les uns prirent le parti de nous décapiter, d’autres, moins cruels, de nous laisser sur cette terre. Aux uns et aux autres, s’opposèrent le connétable Niepat, le quartier-maître Dick et le capitaine Donkin ainsi que leurs troupes, en blâmant une attitude si peu digne de la générosité de l’église.
— Il nous suffit –disait-il- de nous être déconsidérés, en volant à l’Orient ce qu’il a de meilleur, et de manière aussi impie. N’imploreraient-ils pas maintenant les cieux, tous ces innocents à qui nous avons dérobé les biens qu’ils avaient amassés à la sueur de leur front, à qui nous avons ôté la vie ? Pour l’heure, qu’a donc fait ce pauvre espagnol pour perdre la sienne ? Il nous a servi comme un esclave en remerciement de ce qu’il a subi depuis qu’il a été capturé. L’abandonner dans cet endroit où je pense qu’il n’existe que des indiens sauvages, c’est pure ingratitude. Le décapiter, comme vous l’avez dit, c’est pire qu’acte impie ; et si n’ai pas poussé de cris pour qu’on entende sur toute la terre crier leur sang innocent, c’est moi et les miens qui allons le protéger.
— La controverse en arriva au point qu’ils allaient l’exprimer en prenant les armes ; ils s’accordèrent alors à me laisser la frégate qu’ils avaient arraisonnée dans le détroit de Singapour et avec elle, la liberté d’en user à ma guise, de moi et de mes compagnons.
— Considérant que j’ai assisté à tout cela en personne, que se mette à ma place qui veuille et que celui-ci médite sur l’importance de la frayeur et de l’affliction qui furent miennes.
***
Brigitte nous propose sa traduction :
Il me faut signaler, avant de décrire combien de peines et de tâches j’ai dues supporter et endurer pendant tant d’années, que ce n’est qu’en la personne du connétable Niepat et de Dick, quartier-maître du capitaine Bel, que j’ai pu trouver quelque compassion et quelque réconfort au cours de mes continuelles épreuves, me venant en aide, sans être vu de ses compagnons, alors que je me trouvais dans des circonstances presque désespérées, et en m’exhortant à la patience par ses paroles amènes. Ce qui me persuada, sans l’ombre d’un doute, que le connétable était un bon catholique.
Un conseil se réunit en cette contrée et il ne fut question que de savoir ce qu’on ferait de moi et de sept de mes compagnons restés là. Certains réclamèrent (et ce furent les plus nombreux) qu’on nous tranche la gorge, et d’autres, moins cruels, qu’on nous laisse à terre. Aux uns comme aux autres, le connétable Niepat, le quartier-maître Dick et le capitaine Donkin et sa suite, objectèrent qu’un acte si barbare déshonorerait la générosité de l’église.
- Il nous suffit bien – disait ce dernier – de nous être bassement détournés de ce que nous sommes, en pillant, dans des circonstances aussi sacrilèges, ce qu’il y a de meilleur en Orient. Et ces innombrables innocents, n’implorent-ils pas le ciel, tous ceux à qui nous avons dérobé les biens acquis à la sueur de leur front, à qui nous avons pris la vie ? Et qu’a donc fait ce malheureux espagnol pour à présent perdre la sienne ? Si ce n’est nous servir comme un esclave en reconnaissance de ce que nous avons fait de lui depuis qu’il a été pris. Le laisser sur ce fleuve, où j’estime qu’il n’y a rien d’autre que des indiens barbares, ne serait qu’ingratitude. Lui trancher la gorge, comme vous autres le dîtes, est plus qu’impiété ; et, pour que ne courre point, de par le monde, la rumeur d’un sang innocent répandu, je suis, moi et les miens, leur défenseur.
La controverse fit rage à un tel point que nous étions proches d’en découdre par les armes et ils s’accordèrent finalement à me donner la frégate arraisonnée dans le détroit de Syncapora et avec elle, la liberté, afin que je puisse, moi et mes compagnons, en disposer à ma guise.
Etant entendu que j’assistai en personne à tout ceci, que quiconque vienne en ce lieu et prenne donc ma place, et qu’il veuille bien imaginer dans quel état de peur et de colère je me suis senti alors.
Il me faut signaler, avant de décrire combien de peines et de tâches j’ai dues supporter et endurer pendant tant d’années, que ce n’est qu’en la personne du connétable Niepat et de Dick, quartier-maître du capitaine Bel, que j’ai pu trouver quelque compassion et quelque réconfort au cours de mes continuelles épreuves, me venant en aide, sans être vu de ses compagnons, alors que je me trouvais dans des circonstances presque désespérées, et en m’exhortant à la patience par ses paroles amènes. Ce qui me persuada, sans l’ombre d’un doute, que le connétable était un bon catholique.
Un conseil se réunit en cette contrée et il ne fut question que de savoir ce qu’on ferait de moi et de sept de mes compagnons restés là. Certains réclamèrent (et ce furent les plus nombreux) qu’on nous tranche la gorge, et d’autres, moins cruels, qu’on nous laisse à terre. Aux uns comme aux autres, le connétable Niepat, le quartier-maître Dick et le capitaine Donkin et sa suite, objectèrent qu’un acte si barbare déshonorerait la générosité de l’église.
- Il nous suffit bien – disait ce dernier – de nous être bassement détournés de ce que nous sommes, en pillant, dans des circonstances aussi sacrilèges, ce qu’il y a de meilleur en Orient. Et ces innombrables innocents, n’implorent-ils pas le ciel, tous ceux à qui nous avons dérobé les biens acquis à la sueur de leur front, à qui nous avons pris la vie ? Et qu’a donc fait ce malheureux espagnol pour à présent perdre la sienne ? Si ce n’est nous servir comme un esclave en reconnaissance de ce que nous avons fait de lui depuis qu’il a été pris. Le laisser sur ce fleuve, où j’estime qu’il n’y a rien d’autre que des indiens barbares, ne serait qu’ingratitude. Lui trancher la gorge, comme vous autres le dîtes, est plus qu’impiété ; et, pour que ne courre point, de par le monde, la rumeur d’un sang innocent répandu, je suis, moi et les miens, leur défenseur.
La controverse fit rage à un tel point que nous étions proches d’en découdre par les armes et ils s’accordèrent finalement à me donner la frégate arraisonnée dans le détroit de Syncapora et avec elle, la liberté, afin que je puisse, moi et mes compagnons, en disposer à ma guise.
Etant entendu que j’assistai en personne à tout ceci, que quiconque vienne en ce lieu et prenne donc ma place, et qu’il veuille bien imaginer dans quel état de peur et de colère je me suis senti alors.
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