Myriam Chirousse est traductrice littéraire et écrivain depuis son retour en France en 2005. Auparavant, elle était traductrice free-lance pour des agences en Espagne.
Elle a notamment traduit Historia del rey transparente de Rosa Montero et écrit le roman Miel et Vin.
C’est par mails que nous nous sommes entretenues et qu’elle m’a fait part de son expérience et de ses conseils…
1) Je me demandais d'abord comment vous en étiez venue à la traduction ?
J’en suis venue à la traduction par la langue espagnole, et à l’espagnol par l’Espagne. Je suis partie vivre à Madrid il y a une dizaine d’années et c’est là-bas que j’ai fait mes gammes en travaillant pour des agences. Avant, j’avais fait de la philo et du chinois à Langues’O. Mon parcours est donc assez bizarre, mais je me dis que la cohérence viendra avec le temps ! Comme j’écrivais depuis longtemps, j’ai su dès mes débuts de traductrice que mon « truc » serait la littérature, plus que le technique ou le juridique. Cette spécialisation s’est faite en quatre ou cinq ans.
2) Quelle était votre première traduction et quelle image en avez-vous gardée aujourd'hui ?
Ma première traduction littéraire était Historia del rey transparente, de Rosa Montero, un beau roman historique qui renferme aussi un conte sur le sens de la vie. Je garde une vraie tendresse pour ce texte : pendant plusieurs mois, j’ai eu l’impression de voyager dedans, d’y vivre, et je me suis souvent reconnue en Léola, son héroïne. Même si la traduction présente sûrement des erreurs et des choses que je ne tournerais pas de la même façon aujourd’hui, j’en suis assez fière. Ca a été une belle étape.
3) J'ai pu voir que vous aviez traduit aussi bien des romans écrits par des femmes que par des hommes. Quelle est votre préférence ? (si vous en avez une !).
Ah ! Cette question renvoie au débat récurrent sur le sexe des textes… En gros deux écoles s’opposent, l’une disant qu’un texte porte inévitablement la marque distinctive du sexe de son auteur, et l’autre disant bien évidemment que non (je schématise). En fait, je trouve que ce n’est pas un débat qui nous amène bien loin dans la compréhension de la littérature : il relève plus de l’idéologie sociale et en dit davantage sur une vision de l’être humain. Dans ma courte expérience de traduction (trois romans de Rosa Montero et un roman d’Alberto Torres Blandina), je n’ai pas senti cette différence. Traduire un Espagnol des années 1950 ou un Argentin du XIXème siècle ou encore un Cubain contemporain impliquerait à mon sens un écart bien plus marqué. Quant à ma préférence, elle repose sur autre chose : affinités avec la voix narrative, les personnages, l’univers qui se déploie dans les pages du livre…
4) Comment choisissez-vous les textes que vous traduisez ?
Pour le moment, je ne les choisis pas ! C’est vrai, on dit toujours à un jeune traducteur qu’il faut qu’il choisisse scrupuleusement ses contrats (et je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire), mais il y a aussi une réalité matérielle qui est qu’il faut travailler ! Jusqu’à présent, j’ai été gâtée car Anne Marie Métailié, l’éditrice avec laquelle je collabore depuis 2006, connait mes capacités, mes goûts, ma plume, et a le flair, je crois, pour former des couples auteur-traducteur. A chaque fois que j’ai traduit un livre, c’était un livre que j’aurais eu envie d’écrire ou qui avait des liens avec ma sensibilité et mes inquiétudes du moment.
5) Je me demandais aussi quels rapports vous entreteniez avec les auteurs ? Prenez vous parfois contact avec eux ?
Je parlais justement de couple à la question précédente ! Rosa Montero est une amie et Alberto Torres Blandina m’a dit dans un gentil mail que nous allions être « les heureux parents d’un joli roman ». Il a bien résumé la chose ! Je trouve ça formidable de pouvoir prendre contact avec l’auteur et je le fais et le ferai aussi souvent que possible, d’abord pour tous les doutes concernant le texte, mais aussi pour rentrer davantage dans la petite cuisine littéraire de l’auteur. Comprendre comment il a écrit le roman (pourquoi, quand, dans quelles circonstances, avec quoi en tête) aide à le traduire. Pour l’anecdote, je me souviens d’un chapitre dont je n’arrivais pas à trouver le ton : j’ai écrit à Rosa en espérant qu’elle me donnerait quelques indications magiques, et elle m’a répondu qu’elle aussi s’était arraché les cheveux sur ce chapitre et qu’il lui avait fallu plusieurs semaines et des versions successives pour en venir à bout. Je me suis donc dit que la traductrice suivait les pas de la romancière !
Je peux aussi ajouter qu’en tant qu’auteur, j’ai adoré travailler avec mon traducteur espagnol. Il m’a beaucoup appris sur mon roman. Donc, pourquoi se priver d’établir ce contact ?
6) Et au niveau de l'édition, quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
De très bons rapports. Les éditeurs sont de grands connaisseurs de littérature, et ceux qui font traduire des écrivains étrangers prennent souvent des risques pour faire découvrir leurs coups de cœur aux lecteurs francophones. Ils y croient, et j’y crois aussi en tant que traductrice. Nous œuvrons dans le même sens, avec beaucoup de respect mutuel. Ca se passe très bien.
7) Vous êtes écrivain vous aussi. Pensez-vous qu'un bon traducteur doit être un bon écrivain ?
Je ne sais pas… J’en suis encore à me demander ce qui fait qu’on est un bon écrivain, et ce qui fait qu’on est un bon traducteur. Alors le rapport entre les deux, vous pensez bien que j’en suis loin… En plus, pour être honnête, je ne suis pas trop pressée de me forger des réponses. Je les aurai peut-être plus tard, quand j’aurai écrit beaucoup de romans et traduit beaucoup d’autres. En attendant, aussi bien comme traductrice que comme romancière, je marche plus à l’instinct qu’à la théorie. Néanmoins, oui, j’ai souvent entendu dire qu’un bon traducteur était aussi un bon écrivain.
8) Traduire a t-il fait de vous une lectrice différente ?
Oui, ça a fait de moi une lectrice frustrée de ne pas pouvoir lire dans toutes les langues ! L’autre jour par exemple, je lisais Anna Karénine : une très agréable traduction, et pourtant je n’ai pas pu m’empêcher de me dire « alors qu’est-ce que ça doit être en russe ! » Pareil quand je lis des Japonais, des Islandais…
Je crois que les lecteurs qui ne pratiquent pas la traduction ont moins conscience, voire pas du tout, qu’ils n’ont pas l’œuvre originale entre les mains. Mais quand on traduit, on le sait. On ne peut plus l’oublier.
9) Quel est votre meilleur souvenir en tant que traductrice ?
C’est lorsque je traduisais le Roi transparent de Rosa Montero. Vers la fin, il y a un chapitre, et surtout un paragraphe précis, qui m’a tout le temps fait pleurer ! Quand j’ai lu le texte pour la première fois, j’ai pleuré. Quand je l’ai relu pour me rafraîchir la mémoire avant la traduction, j’ai pleuré. Quand j’ai attaqué ce passage phrase par phrase, pour faire ma première traduction brute de décoffrage, j’ai pleuré. En relisant, j’ai pleuré. En corrigeant, j’ai pleuré. En peaufinant, j’ai pleuré. En relisant les épreuves, j’ai pleuré. Et maintenant encore, quand j’ouvre la traduction à cette page, vous savez quoi ? Je pleure et j’en ris en même temps.
10) Enfin, quel conseil donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
De travailler à l’oreille, comme un musicien. Même s’il y a de la technique en traduction, c’est avant tout un art. Travailler à l’oreille, je veux dire savoir bien écouter la petite voix qui chante dans le texte original, sans le reflexe (quasi automatique) de traduction, car c’est cette mélodie, cette petite voix qui chante dans le texte, qui constitue ce que le traducteur doit attraper et qu’il devra restituer avec l’instrument d’une autre langue. Et puis, les dictionnaires, nous avons tous les mêmes : c’est l’oreille qui nous distingue.
Elle a notamment traduit Historia del rey transparente de Rosa Montero et écrit le roman Miel et Vin.
C’est par mails que nous nous sommes entretenues et qu’elle m’a fait part de son expérience et de ses conseils…
1) Je me demandais d'abord comment vous en étiez venue à la traduction ?
J’en suis venue à la traduction par la langue espagnole, et à l’espagnol par l’Espagne. Je suis partie vivre à Madrid il y a une dizaine d’années et c’est là-bas que j’ai fait mes gammes en travaillant pour des agences. Avant, j’avais fait de la philo et du chinois à Langues’O. Mon parcours est donc assez bizarre, mais je me dis que la cohérence viendra avec le temps ! Comme j’écrivais depuis longtemps, j’ai su dès mes débuts de traductrice que mon « truc » serait la littérature, plus que le technique ou le juridique. Cette spécialisation s’est faite en quatre ou cinq ans.
2) Quelle était votre première traduction et quelle image en avez-vous gardée aujourd'hui ?
Ma première traduction littéraire était Historia del rey transparente, de Rosa Montero, un beau roman historique qui renferme aussi un conte sur le sens de la vie. Je garde une vraie tendresse pour ce texte : pendant plusieurs mois, j’ai eu l’impression de voyager dedans, d’y vivre, et je me suis souvent reconnue en Léola, son héroïne. Même si la traduction présente sûrement des erreurs et des choses que je ne tournerais pas de la même façon aujourd’hui, j’en suis assez fière. Ca a été une belle étape.
3) J'ai pu voir que vous aviez traduit aussi bien des romans écrits par des femmes que par des hommes. Quelle est votre préférence ? (si vous en avez une !).
Ah ! Cette question renvoie au débat récurrent sur le sexe des textes… En gros deux écoles s’opposent, l’une disant qu’un texte porte inévitablement la marque distinctive du sexe de son auteur, et l’autre disant bien évidemment que non (je schématise). En fait, je trouve que ce n’est pas un débat qui nous amène bien loin dans la compréhension de la littérature : il relève plus de l’idéologie sociale et en dit davantage sur une vision de l’être humain. Dans ma courte expérience de traduction (trois romans de Rosa Montero et un roman d’Alberto Torres Blandina), je n’ai pas senti cette différence. Traduire un Espagnol des années 1950 ou un Argentin du XIXème siècle ou encore un Cubain contemporain impliquerait à mon sens un écart bien plus marqué. Quant à ma préférence, elle repose sur autre chose : affinités avec la voix narrative, les personnages, l’univers qui se déploie dans les pages du livre…
4) Comment choisissez-vous les textes que vous traduisez ?
Pour le moment, je ne les choisis pas ! C’est vrai, on dit toujours à un jeune traducteur qu’il faut qu’il choisisse scrupuleusement ses contrats (et je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire), mais il y a aussi une réalité matérielle qui est qu’il faut travailler ! Jusqu’à présent, j’ai été gâtée car Anne Marie Métailié, l’éditrice avec laquelle je collabore depuis 2006, connait mes capacités, mes goûts, ma plume, et a le flair, je crois, pour former des couples auteur-traducteur. A chaque fois que j’ai traduit un livre, c’était un livre que j’aurais eu envie d’écrire ou qui avait des liens avec ma sensibilité et mes inquiétudes du moment.
5) Je me demandais aussi quels rapports vous entreteniez avec les auteurs ? Prenez vous parfois contact avec eux ?
Je parlais justement de couple à la question précédente ! Rosa Montero est une amie et Alberto Torres Blandina m’a dit dans un gentil mail que nous allions être « les heureux parents d’un joli roman ». Il a bien résumé la chose ! Je trouve ça formidable de pouvoir prendre contact avec l’auteur et je le fais et le ferai aussi souvent que possible, d’abord pour tous les doutes concernant le texte, mais aussi pour rentrer davantage dans la petite cuisine littéraire de l’auteur. Comprendre comment il a écrit le roman (pourquoi, quand, dans quelles circonstances, avec quoi en tête) aide à le traduire. Pour l’anecdote, je me souviens d’un chapitre dont je n’arrivais pas à trouver le ton : j’ai écrit à Rosa en espérant qu’elle me donnerait quelques indications magiques, et elle m’a répondu qu’elle aussi s’était arraché les cheveux sur ce chapitre et qu’il lui avait fallu plusieurs semaines et des versions successives pour en venir à bout. Je me suis donc dit que la traductrice suivait les pas de la romancière !
Je peux aussi ajouter qu’en tant qu’auteur, j’ai adoré travailler avec mon traducteur espagnol. Il m’a beaucoup appris sur mon roman. Donc, pourquoi se priver d’établir ce contact ?
6) Et au niveau de l'édition, quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
De très bons rapports. Les éditeurs sont de grands connaisseurs de littérature, et ceux qui font traduire des écrivains étrangers prennent souvent des risques pour faire découvrir leurs coups de cœur aux lecteurs francophones. Ils y croient, et j’y crois aussi en tant que traductrice. Nous œuvrons dans le même sens, avec beaucoup de respect mutuel. Ca se passe très bien.
7) Vous êtes écrivain vous aussi. Pensez-vous qu'un bon traducteur doit être un bon écrivain ?
Je ne sais pas… J’en suis encore à me demander ce qui fait qu’on est un bon écrivain, et ce qui fait qu’on est un bon traducteur. Alors le rapport entre les deux, vous pensez bien que j’en suis loin… En plus, pour être honnête, je ne suis pas trop pressée de me forger des réponses. Je les aurai peut-être plus tard, quand j’aurai écrit beaucoup de romans et traduit beaucoup d’autres. En attendant, aussi bien comme traductrice que comme romancière, je marche plus à l’instinct qu’à la théorie. Néanmoins, oui, j’ai souvent entendu dire qu’un bon traducteur était aussi un bon écrivain.
8) Traduire a t-il fait de vous une lectrice différente ?
Oui, ça a fait de moi une lectrice frustrée de ne pas pouvoir lire dans toutes les langues ! L’autre jour par exemple, je lisais Anna Karénine : une très agréable traduction, et pourtant je n’ai pas pu m’empêcher de me dire « alors qu’est-ce que ça doit être en russe ! » Pareil quand je lis des Japonais, des Islandais…
Je crois que les lecteurs qui ne pratiquent pas la traduction ont moins conscience, voire pas du tout, qu’ils n’ont pas l’œuvre originale entre les mains. Mais quand on traduit, on le sait. On ne peut plus l’oublier.
9) Quel est votre meilleur souvenir en tant que traductrice ?
C’est lorsque je traduisais le Roi transparent de Rosa Montero. Vers la fin, il y a un chapitre, et surtout un paragraphe précis, qui m’a tout le temps fait pleurer ! Quand j’ai lu le texte pour la première fois, j’ai pleuré. Quand je l’ai relu pour me rafraîchir la mémoire avant la traduction, j’ai pleuré. Quand j’ai attaqué ce passage phrase par phrase, pour faire ma première traduction brute de décoffrage, j’ai pleuré. En relisant, j’ai pleuré. En corrigeant, j’ai pleuré. En peaufinant, j’ai pleuré. En relisant les épreuves, j’ai pleuré. Et maintenant encore, quand j’ouvre la traduction à cette page, vous savez quoi ? Je pleure et j’en ris en même temps.
10) Enfin, quel conseil donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
De travailler à l’oreille, comme un musicien. Même s’il y a de la technique en traduction, c’est avant tout un art. Travailler à l’oreille, je veux dire savoir bien écouter la petite voix qui chante dans le texte original, sans le reflexe (quasi automatique) de traduction, car c’est cette mélodie, cette petite voix qui chante dans le texte, qui constitue ce que le traducteur doit attraper et qu’il devra restituer avec l’instrument d’une autre langue. Et puis, les dictionnaires, nous avons tous les mêmes : c’est l’oreille qui nous distingue.
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