Directeur du Collège International des Traducteurs Littéraires d'Arles, Claude Bleton a, depuis quarante ans, traduit les grands noms de la littérature espagnole et sud-américaine, comme Leopoldo Alas, dit Clarín, Alvaro Cunqueiro,José Manuel Fajardo,Antonio Muñoz Molina Fernando Savater, Juan José Saer, Gonzalo Torrente Ballester ou encore Manuel Vázquez Montalbán... Il publie son premier roman, à 62 ans, en 2004, chez Anne-Marie Métailié : «Les nègres du traducteur».
Comment en êtes-vous arrivé à devenir traducteur ? Quel parcours avez-vous suivi pour en arriver là ?
Bah, c'est-à-dire que j'ai fait des études supérieures, passé le CAPES, enseignant, mais bon, ça m'a toujours plu de, de traduire, dès que j'étais étudiant je traduisais tout ce que j'avais au programme. Enfin, c'était, c'est un goût perso quoi, très fort. Et puis donc, j'ai enseigné ensuite pendant 20 ans, et puis au bout de 20 ans, je me suis dis « c'est bon, j'ai fait ça, j'veux pas arriver jusqu'à la retraite sans avoir connu la vie active ». Donc, j'arrête l'enseignement et j'ai basculé dans la traduction, après avoir fait un mi-temps d'enseignant pour tâter le terrain.
Le passage a été assez facile ou c'est quelque chose qui a demandé beaucoup d'efforts ?
Non, non, c'était plus facile d'être traducteur que d'être enseignant. (rires)
Une autre question : quelle a été la première œuvre que vous avez traduite, et que pensez-vous de votre traduction aujourd'hui ?
Ah oui. Alors là, j'suis hyper bien placé pour vous répondre parce qu'il arrive une drôle d'histoire. Mon, mon premier, ma première traduction s'appelle El lugar de un hombre de Sender, qu'a été publié en 85 chez Actes Sud. Et il se trouve qu'il y a une maison d'éditions actuellement qui a décidé de reprendre en charge toute l'œuvre de Sender, et donc de republier cette traduction, entre autre. Donc, je me suis dit «mais c'est une catastrophe», donc j'ai commencé à la relire, et puis contrairement à d'autre traduction que j'ai jamais voulu relire, j'ai trouvé que c'était pas mal, que ça tenait à peu près le coup. J'peux pas vous dire que je la hais.
Vous y avez apporté quelques modifications néanmoins ?
Non, pas grand-chose.
Pas grand-chose. Vous auriez pas fait mieux maintenant ?
J'aurais sûrement fait autrement. Euh, forcément quoi. 25 ans de traduction, ça laisse pas indemne. Mais j'ai trouvé que ça tenait le coup.
D'accord. Et c'est quoi justement votre meilleur souvenir par rapport à une œuvre ou à une rencontre en tant que traducteur ?
Ah, mon meilleur souvenir, c'est Torrente Ballester. Sans aucun doute. D'abord, parce que j'étais absolument fasciné par son œuvre, ensuite par le bonhomme, qu'était un bon bonhomme quand je l'ai connu dans les années 80, fin des années 80, début des années 90. Et vraiment, ça a été un belle rencontre.
Et justement par rapport à ça, quels rapports vous entretenez avec les auteurs que vous traduisez ?
Aussi étroits que possible. C'est à dire que je les, je les, sauf si ils veulent pas, euh, c' qu'est arrivé une ou deux fois dans mon existence, où l'auteur était terrorisé par le traducteur et il voulait pas en entendre parler. Mais enfin, c'était des gens qui, en général, était terrorisé par tout, donc...
Il n'y avait rien de personnel...
Sinon, non, on a des relations qui sont vraiment très, très chouettes, très bien. Il m'est arrivé quelquefois d'avoir des petites, des petites difficultés avec certains auteurs, ce dont je leur sais gré parce que ça m'a aidé à mieux définir ce qu'était le champ de compétences de l'auteur et celui du traducteur, et d'arriver à créer une limite entre les deux pour que le langage soit possible.
D'accord. Et enfin, voilà j'ai vu que vous étiez écrivain vous aussi, vos œuvres ont-elles été traduites ?
Oui, alors le, «Les nègres du traducteurs» ont été traduit en espagnol, et en italien.
Est ce que vous avez eu des rapports avec ces traducteurs là en tant qu'écrivain ?
Oui oui, oui oui, c'était très rigolo. Ils me posaient des questions, peu de questions, c'était des traducteurs hyper chevronnés, ils s'étaient mis à 5 pour traduire les pauvres 150 pages. Histoire de s'amuser quoi ! C'était une espèce de clin d'œil au traducteur étranger. C'était, non, c'était très bien. C'était des gens hyper compétents.
Encore une question sur les rapports qu'entretient le traducteur. Avec les éditeurs, comment ça se passe en général de votre côté ?
Très bien. Très bien. Oh, y'a des brebis galeuses chez les traducteurs comme chez les éditeurs. Mais elles sont plutôt rares, et moi, j'ai d'excellentes relations avec les éditeurs. J'suis ravi. Et ceux avec qui j'suis pas ravi, j'travaille plus avec eux.
Aussi facilement que ça. Euh, une question, est ce que le fait de traduire ça a fait de vous un lecteur différent ? Est ce que ça a changé votre perception dans l'appréhension d'un texte ? J'imagine que oui, mais comment est ce que ça a pu modifié votre lecture ?
Euh... En réalité, ça a, j'aurai tendance à dire, c'est peut-être exagéré, mais j'aurai tendance à dire que ça a rien à voir. Euh, quand on lit un texte en tant que lecteur, on a un rapport de plaisir et on vagabonde sur les lignes qu'on, qu'on lit. Avec gourmandise, plaisir, puis quand ça plaît pas, bah, on saute le paragraphe, on saute la phrase, on saute la page éventuellement, et on continue. Or le traducteur lui, étant, étant dans un rapport professionnel avec le texte ne peut rien sauter donc... On peut pas dire que le premier rapport du traducteur avec le texte soit un rapport de plaisir. C'est vraiment un rapport professionnel, plein de soucis au sens de, de l'attention qu'on doit porter à ce texte. Je trouve que ces deux lectures ne sont pas les mêmes.
Il faut prendre ça comme un travail et pas comme quelque chose de passionné, de passionnant et …
L'un n'empêche pas l'autre, mais c'est avant tout un travail. Donc on peut pas lire de la même façon que quand on lit pour le loisir.
D'accord. Et est ce que la traduction a fait de vous un écrivain différent ? Est ce que le fait d'avoir eu des rapports avec des auteurs étrangers, des textes étrangers, ça a modifié votre façon d'écrire ?
Ah oui ça, le, certains auteurs que j'ai traduits m'ont beaucoup appris parce que dans la mesure où on a une lecture microscopique de leur texte, on, on voit comment c'est fabriqué, on voit comment c'est foutu et on est, on est dans la loupe. Donc là, on voit très bien la fabrique de l'écriture. Et ça, évidemment ça, ça apprend.
Et j'aurai une dernière petite question avant de vous laisser. Un petit conseil que vous pourriez donner à quelqu'un qui est en apprentissage de la traduction, qui a l'énergie du débutant mais l'inexpérience aussi ?
Un conseil. Bah, j'ai un seul conseil à donner à un traducteur quel qu'il soit c'est : méfiez-vous du texte original. Parce que c'est, c'est une prison, et il faut sortir de cette prison. Puisqu'on doit créer de toute pièce un, un autre texte qui n'a rien de commun avec le texte original, puisque c'est même pas les mêmes mots, c'est pas la même langue, c'est pas le même univers linguistique, ni, ni culturel, ni économique, ni etc quoi. Donc, méfiance avec le texte original.
Donc contrairement à ceux qui pensent qu'il faut vivre dans le texte et pour le texte, il vaut mieux, selon vous, s'en échapper un peu et s'en éloigner un peu ?
Ah non, non, j'suis plus radical que ça, il faut en sortir.
Complètement !
Carrément ! Parce que quand, quand on dit que, que le traducteur est un passeur, ça me fait rire. Le traducteur, il passe quoi ? D'un côté, d'un côté de la rivière, y'a un texte en espagnol et de l'autre côté, y'a un texte en français. Ça a plus rien à voir. Il a rien passé. En tout cas, c'est pas ça qu'il a passé. Il a passé autre chose. «Il a passé quoi?» dit l'enquêteur. Bah il a passé le, l'impact que ce texte a eu sur lui en tant que lecteur d'espagnol, et qu'il a donc essayé de restituer arrivé de l'autre côté, dans une autre langue, dans une autre matière.
Et faire en sorte que l'impact soit le même sur les futurs lecteurs...
Alors voilà, on, j'pense que c'est plus ou moins ça qu'on essaye de, de faire passer.
Pas faire passer de mots, mais faire passer une émotion de lecture ?
Oui, oui oui, de faire passer c'qui, c'qui a généré l'écriture. Souvent les auteurs ils disent « moi ce que j'écris c'est entre les mots » (rires) alors du coup, ce qui nous disent c'est autre chose. C'est des tricheurs les auteurs !
Comment en êtes-vous arrivé à devenir traducteur ? Quel parcours avez-vous suivi pour en arriver là ?
Bah, c'est-à-dire que j'ai fait des études supérieures, passé le CAPES, enseignant, mais bon, ça m'a toujours plu de, de traduire, dès que j'étais étudiant je traduisais tout ce que j'avais au programme. Enfin, c'était, c'est un goût perso quoi, très fort. Et puis donc, j'ai enseigné ensuite pendant 20 ans, et puis au bout de 20 ans, je me suis dis « c'est bon, j'ai fait ça, j'veux pas arriver jusqu'à la retraite sans avoir connu la vie active ». Donc, j'arrête l'enseignement et j'ai basculé dans la traduction, après avoir fait un mi-temps d'enseignant pour tâter le terrain.
Le passage a été assez facile ou c'est quelque chose qui a demandé beaucoup d'efforts ?
Non, non, c'était plus facile d'être traducteur que d'être enseignant. (rires)
Une autre question : quelle a été la première œuvre que vous avez traduite, et que pensez-vous de votre traduction aujourd'hui ?
Ah oui. Alors là, j'suis hyper bien placé pour vous répondre parce qu'il arrive une drôle d'histoire. Mon, mon premier, ma première traduction s'appelle El lugar de un hombre de Sender, qu'a été publié en 85 chez Actes Sud. Et il se trouve qu'il y a une maison d'éditions actuellement qui a décidé de reprendre en charge toute l'œuvre de Sender, et donc de republier cette traduction, entre autre. Donc, je me suis dit «mais c'est une catastrophe», donc j'ai commencé à la relire, et puis contrairement à d'autre traduction que j'ai jamais voulu relire, j'ai trouvé que c'était pas mal, que ça tenait à peu près le coup. J'peux pas vous dire que je la hais.
Vous y avez apporté quelques modifications néanmoins ?
Non, pas grand-chose.
Pas grand-chose. Vous auriez pas fait mieux maintenant ?
J'aurais sûrement fait autrement. Euh, forcément quoi. 25 ans de traduction, ça laisse pas indemne. Mais j'ai trouvé que ça tenait le coup.
D'accord. Et c'est quoi justement votre meilleur souvenir par rapport à une œuvre ou à une rencontre en tant que traducteur ?
Ah, mon meilleur souvenir, c'est Torrente Ballester. Sans aucun doute. D'abord, parce que j'étais absolument fasciné par son œuvre, ensuite par le bonhomme, qu'était un bon bonhomme quand je l'ai connu dans les années 80, fin des années 80, début des années 90. Et vraiment, ça a été un belle rencontre.
Et justement par rapport à ça, quels rapports vous entretenez avec les auteurs que vous traduisez ?
Aussi étroits que possible. C'est à dire que je les, je les, sauf si ils veulent pas, euh, c' qu'est arrivé une ou deux fois dans mon existence, où l'auteur était terrorisé par le traducteur et il voulait pas en entendre parler. Mais enfin, c'était des gens qui, en général, était terrorisé par tout, donc...
Il n'y avait rien de personnel...
Sinon, non, on a des relations qui sont vraiment très, très chouettes, très bien. Il m'est arrivé quelquefois d'avoir des petites, des petites difficultés avec certains auteurs, ce dont je leur sais gré parce que ça m'a aidé à mieux définir ce qu'était le champ de compétences de l'auteur et celui du traducteur, et d'arriver à créer une limite entre les deux pour que le langage soit possible.
D'accord. Et enfin, voilà j'ai vu que vous étiez écrivain vous aussi, vos œuvres ont-elles été traduites ?
Oui, alors le, «Les nègres du traducteurs» ont été traduit en espagnol, et en italien.
Est ce que vous avez eu des rapports avec ces traducteurs là en tant qu'écrivain ?
Oui oui, oui oui, c'était très rigolo. Ils me posaient des questions, peu de questions, c'était des traducteurs hyper chevronnés, ils s'étaient mis à 5 pour traduire les pauvres 150 pages. Histoire de s'amuser quoi ! C'était une espèce de clin d'œil au traducteur étranger. C'était, non, c'était très bien. C'était des gens hyper compétents.
Encore une question sur les rapports qu'entretient le traducteur. Avec les éditeurs, comment ça se passe en général de votre côté ?
Très bien. Très bien. Oh, y'a des brebis galeuses chez les traducteurs comme chez les éditeurs. Mais elles sont plutôt rares, et moi, j'ai d'excellentes relations avec les éditeurs. J'suis ravi. Et ceux avec qui j'suis pas ravi, j'travaille plus avec eux.
Aussi facilement que ça. Euh, une question, est ce que le fait de traduire ça a fait de vous un lecteur différent ? Est ce que ça a changé votre perception dans l'appréhension d'un texte ? J'imagine que oui, mais comment est ce que ça a pu modifié votre lecture ?
Euh... En réalité, ça a, j'aurai tendance à dire, c'est peut-être exagéré, mais j'aurai tendance à dire que ça a rien à voir. Euh, quand on lit un texte en tant que lecteur, on a un rapport de plaisir et on vagabonde sur les lignes qu'on, qu'on lit. Avec gourmandise, plaisir, puis quand ça plaît pas, bah, on saute le paragraphe, on saute la phrase, on saute la page éventuellement, et on continue. Or le traducteur lui, étant, étant dans un rapport professionnel avec le texte ne peut rien sauter donc... On peut pas dire que le premier rapport du traducteur avec le texte soit un rapport de plaisir. C'est vraiment un rapport professionnel, plein de soucis au sens de, de l'attention qu'on doit porter à ce texte. Je trouve que ces deux lectures ne sont pas les mêmes.
Il faut prendre ça comme un travail et pas comme quelque chose de passionné, de passionnant et …
L'un n'empêche pas l'autre, mais c'est avant tout un travail. Donc on peut pas lire de la même façon que quand on lit pour le loisir.
D'accord. Et est ce que la traduction a fait de vous un écrivain différent ? Est ce que le fait d'avoir eu des rapports avec des auteurs étrangers, des textes étrangers, ça a modifié votre façon d'écrire ?
Ah oui ça, le, certains auteurs que j'ai traduits m'ont beaucoup appris parce que dans la mesure où on a une lecture microscopique de leur texte, on, on voit comment c'est fabriqué, on voit comment c'est foutu et on est, on est dans la loupe. Donc là, on voit très bien la fabrique de l'écriture. Et ça, évidemment ça, ça apprend.
Et j'aurai une dernière petite question avant de vous laisser. Un petit conseil que vous pourriez donner à quelqu'un qui est en apprentissage de la traduction, qui a l'énergie du débutant mais l'inexpérience aussi ?
Un conseil. Bah, j'ai un seul conseil à donner à un traducteur quel qu'il soit c'est : méfiez-vous du texte original. Parce que c'est, c'est une prison, et il faut sortir de cette prison. Puisqu'on doit créer de toute pièce un, un autre texte qui n'a rien de commun avec le texte original, puisque c'est même pas les mêmes mots, c'est pas la même langue, c'est pas le même univers linguistique, ni, ni culturel, ni économique, ni etc quoi. Donc, méfiance avec le texte original.
Donc contrairement à ceux qui pensent qu'il faut vivre dans le texte et pour le texte, il vaut mieux, selon vous, s'en échapper un peu et s'en éloigner un peu ?
Ah non, non, j'suis plus radical que ça, il faut en sortir.
Complètement !
Carrément ! Parce que quand, quand on dit que, que le traducteur est un passeur, ça me fait rire. Le traducteur, il passe quoi ? D'un côté, d'un côté de la rivière, y'a un texte en espagnol et de l'autre côté, y'a un texte en français. Ça a plus rien à voir. Il a rien passé. En tout cas, c'est pas ça qu'il a passé. Il a passé autre chose. «Il a passé quoi?» dit l'enquêteur. Bah il a passé le, l'impact que ce texte a eu sur lui en tant que lecteur d'espagnol, et qu'il a donc essayé de restituer arrivé de l'autre côté, dans une autre langue, dans une autre matière.
Et faire en sorte que l'impact soit le même sur les futurs lecteurs...
Alors voilà, on, j'pense que c'est plus ou moins ça qu'on essaye de, de faire passer.
Pas faire passer de mots, mais faire passer une émotion de lecture ?
Oui, oui oui, de faire passer c'qui, c'qui a généré l'écriture. Souvent les auteurs ils disent « moi ce que j'écris c'est entre les mots » (rires) alors du coup, ce qui nous disent c'est autre chose. C'est des tricheurs les auteurs !
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