mercredi 22 septembre 2010

Version pour le 21 septembre

AMOR : UNA AFECCIÓN HEPÁTICA

Una interesante corresponsal me escribe una carta aguda, breve, inteligente. El nombre completo que suscribe sus veinte líneas ágiles y afirmativas; la cifra de la tarjeta postal que respalda su autenticidad y, sobre todo, ciertos matices caracterís­ticos de una definida personalidad femenina, aunque romántica y sentimental, un poco a lo siglo pasado, me colocan en la obligante y por otra parte agradabilísima circunstancia de referirme a ellas, aunque sea tan brevemente como me lo permite este espacio.
Si fuera indispensable clasificarla, yo diría que ésta es una carta con pretensiones filosóficas. Sin embargo, tiene aspectos mucho más interesantes, mucho más poé­ticos a la moderna -si ello es posible- que denuncian de hecho la sinceridad y la buena fe de su autora. En ningún caso he pretendido creer que doña Isabel -y mi distinguida corresponsal me perdone la reserva de su nombre personalísimo, en gracia de la discreción- escribió esta carta con el único y muy poco original pro­pósito de desconcertarme. Se trata, según entiendo, de una exposición sincera, en forma epistolar, del concepto que le merece a doña Isabel un sentimiento tan peli­groso y tan delicado como es el amor. Simplemente -creo-, doña Isabel ha que­rido saber qué opinión le merecen sus teorías amorosas al hombre de la calle, al ciudadano común y corriente, y resolvió presentárselas a este periodista, acaso por­que está segura de no conocerlo personalmente o por tener una dirección fácil. Es la única explicación que encuentro para esta sorpresiva y extraña deferencia.
He aquí el núcleo de las teorías expuestas por doña Isabel: «En mi concepto -dice la carta, textualmente-, el amor es una enfermedad del hígado, cuyas com­plicaciones pueden llegar a extremos fatales, como el suicidio». Más adelante agre­ga: «Todo enamorado, de cualquier sexo, es un producto de la alimentación defi­ciente o de una dieta cargada de proteínas.» Y finalmente, en una afirmación de­cepcionante, doña Isabel opina: «Lo peor de la enfermedad amorosa es que va siempre estrechamente vinculada a lo teatral, a lo ridículo y aparatoso, aunque sus manifestaciones externas puedan parecer sublimes a quienes padecen sus influencias morbosas».
Mi inteligente corresponsal no habla, sin embargo, de un detalle que resulta indispensable en estos problemas y que seguramente ya estará en el pensamiento de quienes vengan siguiendo esta nota: ¿Cuántos años tiene doña Isabel? Yo diría que tiene diecisiete o cuarenta y cinco. En ningún caso veintidós. Es decir, se trata de una adolescente que ya empezó a temerle al amor, o de una solterona que ya le perdió el miedo desde hace mucho tiempo y tiene suficiente valor para especular sobre él y para tomarse ciertas libertades, sin el menor peligro de caer en su cau­tiverio. Pero en ningún caso puede tratarse de una atractiva dama de veintidós años, en plena madurez espiritual para correr el riesgo con las mejores posibilidades de su parte.
Doña Isabel comprenderá -con esa inteligencia que tan protuberantemente aparece en su carta- que estoy manejando hipótesis; que seguramente estoy equi­vocado, y que acudo a toda mi sinceridad para acompañarla en su dolor en caso de que, realmente, sea una dama soltera de cuarenta y cinco otoños irremediables.
Ya me referiré, en otra ocasión, a los conceptos que me merecen las desapacibles teorías de mi inteligente corresponsal. Después de todo, no sería extraño que tu­viera razón en sus afirmaciones de que el amor es una enfermedad del hígado. En este caso, habría dado una solución científica a ese problema que tanto ha preocu­pado a la humanidad de todos los tiempos. Estar enamorado no sería ya nada grave y su remedio eficaz constituiría un verdadero poema de sencillez. Simplemente, bastaría con tomar una cucharadita de ruibarbo antes del desayuno. ¿No es así, doña Isabel?

Gabriel García Márquez

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Perrine nous propose sa traduction :

AMOUR : UNE AFFECTION HÉPATIQUE

Une intéressante correspondante m’écrit une lettre pleine d’esprit, brève, intelligente. Le nom entier que souscrit ses vingt lignes agiles et affirmatives ; le chiffre de la carte postale qui confirme son authenticité et, surtout, certaines nuances caractéristiques d’une personnalité féminine définie, bien que romantique et sentimentale, un peu du siècle dernier, me poussent d’une part à l’obligeante et d’autre part extrêmement agréable circonstance d’y faire allusion, même si c’est d’une manière tellement brève comme me le permet cet espace.
S’il était indispensable de la classer, moi je dirais que cette dernière est une lettre aux prétentions philosophiques. Cependant, elle a des aspects beaucoup plus intéressants, beaucoup plus poétiques de façon moderne - si cela est possible - qui dénoncent en effet la sincérité et la bonne foi de son auteur. En aucun cas j’ai prétendu croire que madame Isabelle - et que ma correspondante distinguée me pardonne la réserve de son prénom très personnel, en grâce de la discrétion - écrivit cette lettre dans l’unique et très peu original but de me déconcerter. Il s’agit, comme je l’ai compris, d’un exposé sincère, sous forme épistolaire, du concept de l’amour que madame Isabelle juge comme un sentiment si dangereux et délicat. Simplement - je pense -, madame Isabelle a voulu savoir quelle opinion donnent à ses théories amoureuses l’homme de la rue, le citadin commun et courant, et s’est décidée à les présenter à ce journaliste, peut-être parce qu’elle est sûre de ne pas le connaître personnellement ou parce qu’il a une adresse facile. C’est la seule explication que je trouve pour cette inattendue et étrange déférence.
Et voici le noyau des théories exposées par madame Isabelle : « Selon mon concept - dit la lettre, mot pour mot - l’amour est une maladie du foie, dont les complications peuvent amener à de fatals extrêmes, comme le suicide ». Plus loin elle ajoute : « Toute personne amoureuse, quel que soit le sexe, est un produit de l’alimentation déficiente ou d’un régime chargé de protéines. » Et enfin, dans une affirmation décevante, madame Isabelle donne son avis : « Le pire de la maladie amoureuse c’est qu’elle est toujours étroitement liée au théâtral, au ridicule et tape-à-l’œil, même si ses manifestations extérieures peuvent sembler sublimes à ceux qui subissent ses influences morbides ».
Mon intelligente correspondante ne pas parle pas, cependant, d’un détail qui demeure indispensable dans ces problèmes et qui sera déjà sûrement dans la pensée de ceux qui vont lire cette note : quel âge a madame Isabelle ? Moi je dirais qu’elle a dix-sept ans ou quarante-cinq ans. En aucun cas vingt-deux. C’est-à-dire, il s’agit d’une adolescente qui a déjà commencé à craindre l’amour, ou d’une vieille fille qui a déjà perdu cette peur depuis bien longtemps et qui a suffisamment de courage pour spéculer à son sujet et pour prendre certaines libertés, sans le moindre risque de tomber dans sa captivité. Mais en aucun cas il peut s’agir d’une dame attractive de vingt-deux ans, en pleine maturité spirituelle pour courir le risque avec les meilleures possibilités de son côté.
Madame Isabelle comprendra – avec cette intelligence qui apparaît d’une façon si protubérante dans sa lettre – que je suis en train de manier des hypothèses ; que je me trompe certainement, et que je fais appel à toute ma sincérité pour l’accompagner dans sa douleur au cas où, réellement, elle soit une dame célibataire de quarante-cinq printemps irrémédiables.
Plus tard je ferai référence, en d’autres occasions, aux concepts que ces désagréables théories de mon intelligente correspondante me valent. Après tout, il ne serait pas étonnant qu’elle ait raison lorsqu’elle affirme que l’amour est une maladie du foie. Dans ce cas, elle aurait donné une solution scientifique à ce problème qui a tant préoccupé l’humanité de tous les temps. Être amoureux ne serait plus quelque chose de grave et son remède efficace constituerait un véritable poème de simplicité. Simplement, il suffirait de prendre une petite cuillère de rhubarbe avant le petit-déjeuner. N’est-ce pas, madame Isabelle ?

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Alexis nous propose sa traduction :

L'AMOUR : UNE AFFECTION HEPATIQUE.

Une correspondante intéressante m'écrit une lettre aigüe, brève, intelligente. Le nom complet qui parafe ses vingt lignes agiles et affirmatives ; le chiffre du code postal qui garantit de son authenticité et, surtout, certains traits caractéristiques d'une personnalité féminine, bien que romantique et sentimentale, semblant porter des marques du siècle passé, me mettent dans l'obligeante et d'ailleurs très agréable circonstance de m'y référer, de manière aussi brève que me le permet cet espace.
S'il était indispensable de la classifier, je dirais qu'il s'agit d'une lettre aux prétentions philosophiques. Cependant, elle présente des aspects bien plus intéressants, bien plus poétiques à la manière moderne -si celle est possible- qui dénoncent de fait la sincérité et la bonne foi de son auteur. D'aucune manière je n'ai prétendu croire que doña Isabel (que ma distinguée correspondante me pardonne d'employer ici son prénom, en faveur de la discrétion) écrit cette lettre avec la seule intention bien peu originale de me déconcerter. Il s'agit, si je ne m'abuse, d'une exposition sincère, sous forme épistolaire, du concept que pense doña Isabel d'un sentiment aussi dangereux et aussi délicat que celui de l'amour. Je crois simplement que doña Isabel a voulu savoir que pensaient l'homme de la rue, le citoyen commun et courant de ses théories amoureuses, et se résolut à les présenter a ce journaliste, peut-être car elle est sûre de ne pas le connaître personnellement ou bien car du fait qu'il ait une adresse facile. C'est la seule explication que j'aie trouvé à cette surprenante et étrange différence.
Voilà le noyau des théories exposées par doña Isabel : « Selon mon concept -dit la lettre, textuellement- l'amour est une maladie du foie dont les complications peuvent conduire à des extrêmes fatals, tels que le suicide. » Un peu plus bas, elle ajoute : « Tout amoureux, quel que soit son sexe, est un produit de l'alimentation déficiente ou d'une diète chargée en protéine. » Et finalement, dans une affirmation décevante, doña Isabel expose : « Le pire de la maladie amoureuse est qu'elle s'accompagne toujours étroitement d'une mise en scène théâtrale, du ridicule et du spectaculaire, bien que ses manifestations externes puissent sembler sublimes pour ceux qui subissent ses influences morbides. »
Mon intelligente correspondante ne parle pas, cependant, d'un détail qui s'avère indispensable dans ces situations et auquel auront certainement pensé ceux qui suivent cette note : Quel âge a doña Isabel ? Moi je dirais qu'elle a dix sept ou quarante cinq ans. En aucun cas vingt deux. C'est-à-dire, il s'agit d'une adolescente qui commence à peine à craindre l'amour, ou d'une veille fille qui en a perdu la peur depuis longtemps déjà et a suffisamment de courage pour spéculer sur lui et pour prendre quelques libertés sans le moindre danger de tomber dans ses griffes. Mais en aucun cas il ne peut s'agir d'une attirante jeune femme de vingt deux ans, en pleine maturité spirituelle pour courir le risque avec les meilleures possibilités qu'elle propose.
Doña Isabel comprendra -avec cette intelligente qui apparaît de manière aussi protubérante dans cette lettre- que je ne fais que des hypothèses ; que je me trompe certainement ; et que je me presserais en toute sincérité pour l'accompagner dans sa douleur au cas où il s'agisse effectivement d'une dame célibataire de quarante cinq automnes irrémédiables.
Je me référerai, de temps à autre, aux concepts que m'évoquent les théories acerbes de mon intelligente correspondante. Après tout, il ne serait pas étrange qu'elle ait raison dans ses affirmation comme quoi l'amour est une maladie du fois. Dans ce cas, elle aurait donné une solution scientifique à ce problème qui a tant préoccupé l'humanité depuis toujours. Etre amoureux ne serait donc rien de grave et son remède efficace constituerait une véritable poème de simplicité. Il suffirait simplement de prendre une petite cuillerée de rhubarbe avec le petit déjeuner. N'est-pas doña Isabel ?

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Julie nous propose sa traduction :

AMOUR : UNE AFFECTION HÉPATIQUE.

Une charmante correspondante m’écrit une lettre pleine d’esprit, brève, intelligente. Le nom complet qui paraphe ses vingt lignes vives et catégoriques ; le numéro de la carte postale qui garantit son authenticité et surtout, certaines nuances caractéristiques d’une personnalité féminine déterminée, bien que romantique et sentimentale, un peu à l’ancienne, me mettent dans la situation obligée mais d’un autre côté fort agréable d’y faire référence, même si c’est aussi brièvement que me le permet cet espace.
S’il fallait absolument la classer, je dirais que c’est une lettre aux prétentions philosophiques.
Cependant, elle comporte des aspects bien plus intéressants, d’une poésie bien plus moderne -si ceci est possible- qui dénoncent de fait la sincérité et la bonne foi de leur auteur. En aucun cas je n’ai prétendu croire que doña Isabel -que mon illustre correspondante me pardonne la réserve de son prénom ô combien personnel, au nom de la discrétion- ait écrit cette lettre dans le but unique et vraiment banal de me confondre. Il s’agit, d’après ce que je comprends, d’un exposé sincère, sous forme épistolaire, du concept que fait naître chez doña Isabel un sentiment aussi dangereux et aussi délicat que l’amour. Simplement -je pense-, doña Isabel a voulu savoir quelle opinion se faisaient l’homme de la rue, le citoyen commun et ordinaire à propos de ses théories amoureuses. Elle a donc décidé de les présenter à ce journaliste, peut-être parce qu’elle est sûre de ne pas le connaître personnellement ou parce que celui-ci avait une adresse arrangeante. C’est l’unique explication que je trouve à cette étrange et surprenante déférence.
Voici l’essence des théories exposées par doña Isabel : « Dans mon idée -dit la lettre, textuellement-, l’amour est une maladie du foie, dont les complications peuvent conduire à des extrêmes funestes, tels que le suicide ». Elle ajoute plus loin : « Tout amoureux, quel que soit son sexe, est un produit de l’alimentation insuffisante ou d’un régime chargé en protéines. » Puis finalement, dans une affirmation décevante, doña Isabel estime : « Le pire de la maladie amoureuse est qu’elle est toujours étroitement liée au théâtral, au ridicule et au spectaculaire, même si ses manifestations externes peuvent paraître sublimes à ceux qui subissent ses influences morbides ».
Ma charmante correspondante ne parle pas, pourtant, d’un détail qui paraît indispensable au sein de ces questions et qui est déjà forcément venu à l’esprit de ceux qui suivent cette explication : Quel âge a doña Isabel ? Je dirais qu’elle a dix-sept ou quarante-cinq ans. Sûrement pas vingt-deux. C'est-à-dire qu’il s’agit d’une adolescente qui a déjà commencé à craindre l’amour, ou d’une vieille fille qui a déjà étouffé cette peur depuis un bout de temps et qui a assez de courage pour spéculer à propos de lui et s’autoriser certaines libertés, sans le moindre danger de tomber sous son joug. Mais il ne peut nullement s’agir d’une séduisante dame de vingt-deux ans, en pleine maturité spirituelle qui courrait ce risque avec les meilleures opportunités de son côté.
Doña Isabel comprendra -grâce à cette intelligence qui apparaît de façon si proéminente dans sa lettre- que je suis en train de faire des hypothèses ; que je me trompe certainement, et que j’en appelle à toute ma sincérité afin de l’accompagner dans sa douleur dans le cas où, réellement, elle serait une dame seule aux quarante-cinq printemps irrémédiables.
Je ferai référence, une prochaine fois, aux concepts que génèrent en moi les dérangeantes théories de ma charmante correspondante. Après tout, il ne serait pas curieux qu’elle ait raison dans ses assertions que l’amour est une maladie du foie. Dans ce cas, elle aurait donné une réponse scientifique à ce problème qui a tant préoccupé l’humanité en tout temps. Être amoureux ne serait plus du tout grave et son remède efficace serait un véritable poème de simplicité. Il suffirait tout bonnement de prendre une petite cuillerée de rhubarbe avant le petit-déjeuner. N’est-ce pas doña Isabel ?

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Olivier nous propose sa traduction :

AMOUR : UNE MALADIE HÉPATIQUE.

Une correspondante intéressante m'écrit une lettre mordante, intelligente et brève. Le nom complet qui conclut ses vingt lignes agiles et incisives, le code postal qui garantit l'authenticité de la lettre et surtout, ces quelques nuances caractéristiques relevant une singulière personnalité féminine, quelque peu romantique et sentimentale, comme du siècle dernier, m'obligent, sans que cela ne me soit aucunement désagréable, à évoquer cette lettre, aussi brièvement que me le permet l'espace qui suit.
Si je devais la classer, je dirais que c'est une lettre aux prétentions philosophiques. Néanmoins, elle possède des aspects beaucoup plus intéressants, plus poétiquement modernes – si toutefois cela est possible – qui, de fait, dénoncent la sincérité et la bonne foi de son auteur. En aucun cas je n'ai eu la prétention de croire que Dona Isabel – que ma délicate correspondante me pardonne, dans un souci de discrétion, le maquillage de son nom civil – m'ait écrit cette lettre dans le seul but de me déconcerter. Il s'agit, à mon avis, d'un exposé sincère, sous forme épistolaire, d'une image qui procure à Dona Isabel de dangereux et délicats sentiments : l'amour. Dona Isabel a simplement, me semble-t-il, voulu connaître l'opinion que réserve l'homme de la rue, le citoyen lambda à ses théories amoureuses, et a résolu de les présenter à ce journaliste, peut-être parce qu'elle est sûre de ne pas le connaître personnellement ou encore parce qu'il lui est plus facile de communiquer avec lui. C'est la seule explication que j'ai trouvée à cette surprenante et étrange déférence.
J'ai sous la main le noyau dur des théories exposées par Dona Isabel : «À mon avis – dit la lettre, mot pour mot – l'amour est une maladie du foie, dont les complications peuvent entraîner de fatales issues, comme le suicide». Un peu plus loin, elle affirme : «Tout amoureux, de quelque sexe qu'il soit, est le produit d'une sous-alimentation ou d'un régime trop riche en protéines». Enfin, dans une phrase décevante, elle conclut : «Le pire de cette maladie est le lien étroit qu'elle entretient avec le théâtral, le ridicule et l'ostentatoire, même si ses manifestations externes peuvent paraître enchanteresses à quiconque subit ses influences malsaines».
Mon intelligente correspondante n'évoque cependant nullement ce détail qui, dans ce genre de considérations, paraît essentiel et que ceux qui la liront auront en tête : quel âge a Dona Isabel ? Je dirai qu'elle à dix-sept ou quarante-cinq ans. En aucun cas, vingt-deux. C'est-à-dire qu'il ne peut s'agir que d'une adolescente qui commence tout juste à craindre l'amour, ou d'une pauvre célibataire qui n'en est plus effrayée depuis longtemps et qui a suffisamment de courage pour spéculer sur lui et prendre à son égard certaines libertés, sans courir le moindre risque d'en être de nouveau prisonnière. Mais, il ne peut nullement s'agir d'une charmante dame de vingt-deux ans, en pleine maturité spirituelle qui se compromettrait de la sorte vis à vis des meilleurs partis qui se présenteraient à elle.
Grâce à cette intelligence que sa lettre laisse si amplement transparaître, Dona Isabel comprendra que ce ne sont là que des hypothèses, que j'ai sûrement tort, et que, au cas où ce soit vraiment une femme célibataire aux quarante-cinq irrévocables automnes, ma plus profonde sincérité accompagnera sa douleur.
En une autre occasion, je ferai référence à ce que m'inspirent les déplaisantes théories de ma perspicace correspondante. Après tout, il ne serait pas étrange que, dans la vison de l'amour comme une maladie du foie, elle ait raison. En ce cas, elle aurait fourni une solution scientifique à ce problème qui a, de tous temps, tellement inquiété l'humanité. Être amoureux ne serait plus si grave et son remède efficace serait un véritable éloge de la simplicité. Il suffirait tout bonnement de prendre, avant le petit déjeuner, une cuillerée à café de rhubarbe. N'est-ce pas, Dona Isabel?

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Vanessa nous propose sa traduction :

Une correspondante fort intéressante m'a écrit une lettre fine, brève et intelligente. Le nom complet qui signe ses vingt lignes enlevées et affirmatives, le cachet de la carte postale qui renforce son authenticité et, surtout, certaines nuances caractéristiques d'une personnalité féminine bien définie, bien que romantique et sentimentale, un peu d'un autre siècle, me placent dans l'obligeante et par ailleurs très agréable situation d'aborder ses particularités ici, bien que brièvement, faute d'espace. S'il était nécessaire de la classer, je dirais que cette lettre-là est une lettre aux prétentions philosophiques. Pourtant, certains de ses aspects sont beaucoup plus intéressants, à la fois poétiques et modernes – si cela est possible – et dénoncent de fait la sincérité et la bonne foi de son auteur.
En aucun cas je n'ai prétendu croire que « doña Isabel » – que ma correspondante distinguée me pardonne, en vertu de la discrétion, l'usage d'un succédané – a écrit cette lettre avec l'unique et bien peu original dessein de me déconcerter. Selon moi il s'agit d'une exposition sincère, sur le mode épistolaire, de la conception que se fait doña Isabel d'un sentiment aussi dangereux et aussi délicat que celui de l'amour. Simplement, - je crois - doña Isabel a voulu savoir comment le quidam, le citoyen commun et courant, appréhende ces théories amoureuses. Et elle s'est résolue à les présenter à un journaliste, peut-être parce qu'elle est sûre de ne pas me connaître personnellement, ou par facilité. C'est la seule explication que je trouve à cette surprenante et étrange considération.
Voici le noyau des théories exposées par doña Isabel : « Selon mon concept, – dit la lettre, textuellement -, l'amour est une maladie du foie, dont les complications peuvent atteindre des extrêmes funestes, comme le suicide. » Plus loin elle ajoute : « Tout amoureux, peu importe le sexe, est un produit de l'alimentation déficiente ou d'un régime chargé en protéines. » Et finalement, dans une allégation décevante, doña Isabel prétend : « Le pire de la maladie amoureuse est qu'elle est toujours étroitement liée au théâtral, au ridicule et à l'ostentatoire, bien que ses manifestations externes puissent paraître sublimes pour qui souffre de ses morbides influences. »
Mon intelligente correspondante ne parle pas, en revanche, d'un détail qui est pourtant indispensable dans ce genre de problème, et qui était déjà sûrement venu à l'esprit de ceux qui lisent cette note : Quel âge a doña Isabel ? Moi, je dirais qu'elle a soit dix-sept ans, soit quarante-cinq ans. En aucun cas vingt-deux. Je veux dire qu'il s'agit soit d'une adolescente qui a déjà commencé à craindre l'amour, soit d'une célibataire endurcie qui a abandonné cette peur depuis bien longtemps, et qui a suffisamment de courage pour spéculer sur lui et pour prendre certaines libertés, sans le moindre danger de tomber dans ses filets. Mais en aucun cas il ne peut s'agir d'une attirante demoiselle de vingt-deux ans, en pleine maturité spirituelle, qui ne se risquerait pas à gâcher ses atouts.
Doña Isabel comprendra - avec toute l'intelligence qui gonfle sa lettre – que je ne suis qu'en train de formuler des hypothèses, que je suis sûrement dans l'erreur, et que je fais appel à toute ma sincérité pour l'accompagner dans sa douleur dans le cas où, réellement, ce serait une dame célibataire de quarante-cinq irrémédiables printemps.
Je ferais référence, en d'autres occasions, aux concepts que m'inspirent les désagréables théories de mon intelligente correspondante. Après tout, il ne serait pas étonnant qu'elle ait raison dans ses affirmations sur le fait que l'amour est une maladie du foie. Dans ce cas, elle aurait donné une solution scientifique à ce problème qui a tant préoccupé l'humanité de tout temps. Être amoureux ne serait alors rien de grave et son remède efficace serait insolent de facilité.
Simplement, il suffirait de prendre une cuillère de rhubarbe avant le petit déjeuner. Est-ce cela, doña Isabel ?

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