1) Les origines du Bord de l’eau
En 1993, Dominique-Emmanuel Blanchard crée la revue littéraire le Bord de l’eau. Le tirage est irrégulier, la revue paraît environ tous les deux mois.
En 1995, le premier roman est publié. À partir de là, le Bord de l’eau édite deux à trois livres par an. C’est à cette période que je lis un article sur la maison d’édition dans le journal Sud Ouest, je décide d’écrire pour la revue.
À la fin des années quatre-vingt-dix, le Bord de l’eau connaît de grosses difficultés financières, ses diffuseurs Diffolivre et Distique font faillite. De plus, le milieu bordelais est très cadenassé, la maison d’édition fait peu de ventes. Dans cette conjoncture défavorable, Dominique-Emmanuel Blanchard me propose du travail au sein de la maison d’édition.
2) Pourquoi les Sciences Humaines ?
L’aventure des sciences humaines débute avec la collaboration d’Antoine Spire1. Le choix de cette identité éditoriale découle plus des compétences de lecteur, des rencontres, de l’agrégat de collaborateurs que non d’un réel goût pour la matière bien qu’il existe évidemment. On peut aimer un domaine sans être compétent pour autant.
3) Comment êtes-vous devenu éditeur, est-ce par passion ?
Ce n’est pas par passion mais par goût du lecteur pour la réflexion, l’écriture, le rapport intellectuel. Pour moi, le Bord de l’eau est un engagement véritable, personnel, économique, familial. En tant qu’éditeur, je n’ai pas reçu de formation, je me suis moi-même formé sur le tas en ce qui concerne les outils de P.A.O. ou la gérance.
4) Combien de livres publiez-vous par an ?
Le Bord de l’eau édite 30 livres, 10 livres sous le sceau de l’INA, 12 sous celui de la Muette.
5) Comment choisissez-vous un livre parmi la quantité de manuscrits envoyés ?
Le choix des manuscrits répond à une dynamique de collection. Il faut donc voir si le manuscrit s’intègre dans une collection et surtout s’il apporte un regard neuf. Mais en réalité nous ne publions qu’une infime partie des manuscrits que nous recevons par courrier.
6) Quel est le travail de relecture et de réécriture effectué sur les textes afin de les rendre plus lisibles sans sacrifier au sens ?
Faire retravailler les textes repose sur la naïveté de la première lecture. Certains auteurs ont du style, d’autres non. Rendre les manuscrits accessibles consiste souvent à retirer les marques de méthodologie puisqu’il s’agit souvent de travaux universitaires.
7) Comment un éditeur subsiste-t-il sans être à Paris ?
Je ne vois pas l’utilité d’aller à Paris, à l’heure où les nouvelles technologies permettent de tout faire sur place. Notre imprimeur est en Bulgarie, nos directeurs de collection un peu partout en France, notre diffuseur à Paris et c’est d’ailleurs dans la capitale que nous sommes les plus présents.
8) Comment en êtes-vous arrivé à être diffusé par les Belles Lettres ?
Diffolivre, notre diffuseur fait faillite. Le Bord de l’eau passe alors chez Vilo qui emmène plusieurs éditeurs avec lui. Mais une mauvaise gestion et une affaire de fraude ruine le diffuseur. Marc Eisenberg revend Vilo. À ce moment-là, le Bord de l’eau connaît un succès avec le livre sur Bertrand Cantat (2002). Dominique Stagliano (PDG Horizon) et Michel Scotto (San Marina) injectent de l’argent dans la société de diffusion.
En 2004, c’est le début de l’instabilité commerciale. Le Bord de l’eau est au bord de la faillite. Nous devons alors décider de rester ou partir. En 2009, Dominique-Emmanuel Blanchard quitte le Bord de l’eau. Il faut désormais payer les dettes. Le Bord de l’eau veut changer de diffuseur, sa candidature est acceptée par les Belles Lettres. Lorsque l’on change de diffuseur, il faut compter six mois sans pouvoir sortir de livres. Cette décision représentait donc un risque important.
9) Comment la collaboration avec l’INA s’est-elle faite ?
Antoine Spire participe à beaucoup de projets, il est membre du jury du prix de l’INA. Au Bord de l’eau, il dirige la collection Sociologie des médias (Penser les médias). À l’époque, cinq ou six éditeurs collaborent avec l’INA mais l’INA veut agir seul. Le Bord de l’eau et le directeur de l’INA entretiennent de bonnes relations. Des études sont faites sur la structure. L’INA cherche une structure capable de gérer l’amont (la réception du texte, son évaluation, la réécriture, les corrections, la mise en page, l’aspect juridique) et l’aval avec le programme de diffusion, la gestion de stock. L’INA choisit le Bord de l’eau.
10) Que pensez-vous du livre numérique ?
Le livre numérique est intéressant pour un usage universitaire, pour donner accès à des textes très anciens, rares ou à des revues. En ce qui me concerne, je pense que le rapport charnel au livre me manquerait, j’ai besoin de noter, de stabiloter... D’autre part, la question des droits d’auteur se pose.
11) Quels sont vos critères pour recruter vos stagiaires ? En avez-vous tout au long de l’année ?
Le Bord de l’eau devrait bientôt s’agrandir, il est vrai que l’accueil de stagiaires a permis de retarder l’embauche. Le recrutement des stagiaires se fait par lettre de motivation et CV. La lettre de motivation est particulièrement importante. Elle nous permet d’une part de cerner la personnalité et la motivation du candidat, d’autre part de voir s’il a bien ciblé sa recherche. Trop souvent, les étudiants envoient la même lettre à toutes les maisons d’édition sans même s’intéresser à l’identité éditoriale de chacune. Pourtant, l’édition est un métier de conviction où la personnalité est primordiale. L’entretien est décisif, il m’est arrivé de donner une réponse négative quand le candidat ne savait pas où il mettait les pieds et qu’il ne semblait pas prêt à s’impliquer.
12) Quelles sont vos relations avec les auteurs ? Comment les qualifieriez-vous ?
Dans l’ensemble, nous entretenons de bonnes relations avec nos auteurs. Certaines sont plus difficiles que d’autres malgré tout. Durant la collaboration, les relations sont intenses après elles deviennent inexistantes pour la plupart.
13) Ouverture sur des ouvrages à traduire... Qu’est-ce qui motiverait ce choix ?
Les auteurs deviennent rares dans les sciences humaines en France. Le Bord de l’eau va chercher des auteurs qui ont quelque chose à dire et qui correspondent à sa ligne éditoriale. Ces dernières années, nous avons effectivement publié des auteurs étrangers (italien, israélien) et nous comptons poursuivre dans cette voie. Il ne s’agit pas d’une stratégie commerciale, comme en littérature pour publier des auteurs à moindre risque, mais plutôt de combler une absence de réflexion sur certains créneaux. D’autre part, l’auteur en philosophie a besoin d’un plus gros bagage que celui qui écrit de la littérature. On trouve moins d’intellectuels de nos jours en France.
14) Quel regard portez-vous sur le monde de l’édition, dans quelle mesure a-t-il évolué ?
Il n’y a pas un monde de l’édition mais plusieurs mondes de l’édition suivant ce que l’on édite. L’édition est un milieu fermé, atomisé, il y a peu de relations entre confrères. Il faut faire face aujourd’hui à la raréfaction du lectorat mais le Bord de l’eau ne renonce pas. Les directeurs de collection sont décisifs dans cette lutte. La qualité des sujets, le dynamisme et un réseau de connaissance étendu permettent de gagner de nouveaux lecteurs.
En ce qui concerne l’évolution, il semble plus difficile aujourd’hui d’être éditeur, eu égard à la conjoncture économique et sociale, qu’il y a vingt ans. Il faut avant tout trouver un diffuseur ce qui dépend du catalogue qui doit être suffisamment fourni ainsi que de la situation bancaire de l’éditeur. Il faut monter des structures allégées. On assiste aujourd’hui à une concentration des maisons d’éditions qui ont du mal à subsister seules. Galia est rachetée par Paris, Climat n’est plus son seul décisionnaire.
Les Gros ne publient plus de sciences humaines. Un livre de plus de 200 pages ne se vend pas et génère un coût trop important. L’objectif est souvent de construire un auteur. Les Gros ont d’ailleurs besoin d’un retour sur investissement plus important.
15) Comment envisagez-vous l’évolution du Bord de l’eau ?
En 2005, le Bord de l’Eau s’agrandit et accueille Olivier Gomez comme responsable P.A.O. Aujourd’hui, le positionnement identitaire reste le même : les sciences humaines. L’évolution se fera au gré de la création de collections notamment sur le cinéma, l’économie « Mondes marchands ».
Le Bord de l’Eau ne connaît pas vraiment d’échec commercial, chaque livre est vendu en moyenne à 500 exemplaires. Du point de vue économique, la démarche consiste à diversifier les sources de financement, à développer les partenariats avec les universités (Rennes II, Le Mirail (Toulouse), Bordeaux II), à agir en charges fixes, à aller sur des champs où l’image de marque apporte une plus value pour sortir de l’assujettissement à la librairie : ERDP (Études Réalisations Diffusion Publicité), PUF, INA. Viser le marché belge en sous-développement avec ses livres à potentiel de traduction est aussi une bonne stratégie.
En 1993, Dominique-Emmanuel Blanchard crée la revue littéraire le Bord de l’eau. Le tirage est irrégulier, la revue paraît environ tous les deux mois.
En 1995, le premier roman est publié. À partir de là, le Bord de l’eau édite deux à trois livres par an. C’est à cette période que je lis un article sur la maison d’édition dans le journal Sud Ouest, je décide d’écrire pour la revue.
À la fin des années quatre-vingt-dix, le Bord de l’eau connaît de grosses difficultés financières, ses diffuseurs Diffolivre et Distique font faillite. De plus, le milieu bordelais est très cadenassé, la maison d’édition fait peu de ventes. Dans cette conjoncture défavorable, Dominique-Emmanuel Blanchard me propose du travail au sein de la maison d’édition.
2) Pourquoi les Sciences Humaines ?
L’aventure des sciences humaines débute avec la collaboration d’Antoine Spire1. Le choix de cette identité éditoriale découle plus des compétences de lecteur, des rencontres, de l’agrégat de collaborateurs que non d’un réel goût pour la matière bien qu’il existe évidemment. On peut aimer un domaine sans être compétent pour autant.
3) Comment êtes-vous devenu éditeur, est-ce par passion ?
Ce n’est pas par passion mais par goût du lecteur pour la réflexion, l’écriture, le rapport intellectuel. Pour moi, le Bord de l’eau est un engagement véritable, personnel, économique, familial. En tant qu’éditeur, je n’ai pas reçu de formation, je me suis moi-même formé sur le tas en ce qui concerne les outils de P.A.O. ou la gérance.
4) Combien de livres publiez-vous par an ?
Le Bord de l’eau édite 30 livres, 10 livres sous le sceau de l’INA, 12 sous celui de la Muette.
5) Comment choisissez-vous un livre parmi la quantité de manuscrits envoyés ?
Le choix des manuscrits répond à une dynamique de collection. Il faut donc voir si le manuscrit s’intègre dans une collection et surtout s’il apporte un regard neuf. Mais en réalité nous ne publions qu’une infime partie des manuscrits que nous recevons par courrier.
6) Quel est le travail de relecture et de réécriture effectué sur les textes afin de les rendre plus lisibles sans sacrifier au sens ?
Faire retravailler les textes repose sur la naïveté de la première lecture. Certains auteurs ont du style, d’autres non. Rendre les manuscrits accessibles consiste souvent à retirer les marques de méthodologie puisqu’il s’agit souvent de travaux universitaires.
7) Comment un éditeur subsiste-t-il sans être à Paris ?
Je ne vois pas l’utilité d’aller à Paris, à l’heure où les nouvelles technologies permettent de tout faire sur place. Notre imprimeur est en Bulgarie, nos directeurs de collection un peu partout en France, notre diffuseur à Paris et c’est d’ailleurs dans la capitale que nous sommes les plus présents.
8) Comment en êtes-vous arrivé à être diffusé par les Belles Lettres ?
Diffolivre, notre diffuseur fait faillite. Le Bord de l’eau passe alors chez Vilo qui emmène plusieurs éditeurs avec lui. Mais une mauvaise gestion et une affaire de fraude ruine le diffuseur. Marc Eisenberg revend Vilo. À ce moment-là, le Bord de l’eau connaît un succès avec le livre sur Bertrand Cantat (2002). Dominique Stagliano (PDG Horizon) et Michel Scotto (San Marina) injectent de l’argent dans la société de diffusion.
En 2004, c’est le début de l’instabilité commerciale. Le Bord de l’eau est au bord de la faillite. Nous devons alors décider de rester ou partir. En 2009, Dominique-Emmanuel Blanchard quitte le Bord de l’eau. Il faut désormais payer les dettes. Le Bord de l’eau veut changer de diffuseur, sa candidature est acceptée par les Belles Lettres. Lorsque l’on change de diffuseur, il faut compter six mois sans pouvoir sortir de livres. Cette décision représentait donc un risque important.
9) Comment la collaboration avec l’INA s’est-elle faite ?
Antoine Spire participe à beaucoup de projets, il est membre du jury du prix de l’INA. Au Bord de l’eau, il dirige la collection Sociologie des médias (Penser les médias). À l’époque, cinq ou six éditeurs collaborent avec l’INA mais l’INA veut agir seul. Le Bord de l’eau et le directeur de l’INA entretiennent de bonnes relations. Des études sont faites sur la structure. L’INA cherche une structure capable de gérer l’amont (la réception du texte, son évaluation, la réécriture, les corrections, la mise en page, l’aspect juridique) et l’aval avec le programme de diffusion, la gestion de stock. L’INA choisit le Bord de l’eau.
10) Que pensez-vous du livre numérique ?
Le livre numérique est intéressant pour un usage universitaire, pour donner accès à des textes très anciens, rares ou à des revues. En ce qui me concerne, je pense que le rapport charnel au livre me manquerait, j’ai besoin de noter, de stabiloter... D’autre part, la question des droits d’auteur se pose.
11) Quels sont vos critères pour recruter vos stagiaires ? En avez-vous tout au long de l’année ?
Le Bord de l’eau devrait bientôt s’agrandir, il est vrai que l’accueil de stagiaires a permis de retarder l’embauche. Le recrutement des stagiaires se fait par lettre de motivation et CV. La lettre de motivation est particulièrement importante. Elle nous permet d’une part de cerner la personnalité et la motivation du candidat, d’autre part de voir s’il a bien ciblé sa recherche. Trop souvent, les étudiants envoient la même lettre à toutes les maisons d’édition sans même s’intéresser à l’identité éditoriale de chacune. Pourtant, l’édition est un métier de conviction où la personnalité est primordiale. L’entretien est décisif, il m’est arrivé de donner une réponse négative quand le candidat ne savait pas où il mettait les pieds et qu’il ne semblait pas prêt à s’impliquer.
12) Quelles sont vos relations avec les auteurs ? Comment les qualifieriez-vous ?
Dans l’ensemble, nous entretenons de bonnes relations avec nos auteurs. Certaines sont plus difficiles que d’autres malgré tout. Durant la collaboration, les relations sont intenses après elles deviennent inexistantes pour la plupart.
13) Ouverture sur des ouvrages à traduire... Qu’est-ce qui motiverait ce choix ?
Les auteurs deviennent rares dans les sciences humaines en France. Le Bord de l’eau va chercher des auteurs qui ont quelque chose à dire et qui correspondent à sa ligne éditoriale. Ces dernières années, nous avons effectivement publié des auteurs étrangers (italien, israélien) et nous comptons poursuivre dans cette voie. Il ne s’agit pas d’une stratégie commerciale, comme en littérature pour publier des auteurs à moindre risque, mais plutôt de combler une absence de réflexion sur certains créneaux. D’autre part, l’auteur en philosophie a besoin d’un plus gros bagage que celui qui écrit de la littérature. On trouve moins d’intellectuels de nos jours en France.
14) Quel regard portez-vous sur le monde de l’édition, dans quelle mesure a-t-il évolué ?
Il n’y a pas un monde de l’édition mais plusieurs mondes de l’édition suivant ce que l’on édite. L’édition est un milieu fermé, atomisé, il y a peu de relations entre confrères. Il faut faire face aujourd’hui à la raréfaction du lectorat mais le Bord de l’eau ne renonce pas. Les directeurs de collection sont décisifs dans cette lutte. La qualité des sujets, le dynamisme et un réseau de connaissance étendu permettent de gagner de nouveaux lecteurs.
En ce qui concerne l’évolution, il semble plus difficile aujourd’hui d’être éditeur, eu égard à la conjoncture économique et sociale, qu’il y a vingt ans. Il faut avant tout trouver un diffuseur ce qui dépend du catalogue qui doit être suffisamment fourni ainsi que de la situation bancaire de l’éditeur. Il faut monter des structures allégées. On assiste aujourd’hui à une concentration des maisons d’éditions qui ont du mal à subsister seules. Galia est rachetée par Paris, Climat n’est plus son seul décisionnaire.
Les Gros ne publient plus de sciences humaines. Un livre de plus de 200 pages ne se vend pas et génère un coût trop important. L’objectif est souvent de construire un auteur. Les Gros ont d’ailleurs besoin d’un retour sur investissement plus important.
15) Comment envisagez-vous l’évolution du Bord de l’eau ?
En 2005, le Bord de l’Eau s’agrandit et accueille Olivier Gomez comme responsable P.A.O. Aujourd’hui, le positionnement identitaire reste le même : les sciences humaines. L’évolution se fera au gré de la création de collections notamment sur le cinéma, l’économie « Mondes marchands ».
Le Bord de l’Eau ne connaît pas vraiment d’échec commercial, chaque livre est vendu en moyenne à 500 exemplaires. Du point de vue économique, la démarche consiste à diversifier les sources de financement, à développer les partenariats avec les universités (Rennes II, Le Mirail (Toulouse), Bordeaux II), à agir en charges fixes, à aller sur des champs où l’image de marque apporte une plus value pour sortir de l’assujettissement à la librairie : ERDP (Études Réalisations Diffusion Publicité), PUF, INA. Viser le marché belge en sous-développement avec ses livres à potentiel de traduction est aussi une bonne stratégie.
1 commentaire:
Bonjour, j’adore votre blog et votre façon de raconter tout ça. Bravo bonne continuation.
Cv et lettre de motivation
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