vendredi 10 septembre 2010

Exercice d'écriture : « Maison d'hiver », par Stéphanie Maze

En photo : la maison d'hiver
par (clara)

Je rentrai d'une journée de ski intense, lessivée. J'aimais passer ces moments seule, loin des parents, me retrouver face à l'immensité de cette étendue blanche, la neige me fascinait. Je fonçai en direction de la douche, le deuxième instant privilégié de la journée, la sensation de l'eau chaude sur mon corps gelé. Ça me vivifiait, me donnait de l'énergie pour la suite du programme. La suite du programme ? La séance quotidienne de jeux de société avec mon père, ma mère et Julien, mon frère aîné. Dans ces moments-là, on sortait la panoplie de la famille parfaite, le fair-play, pas un mot au dessus de l'autre, les discussions superficielles pour ne pas risquer d'engueulades. Maman était la plus douée pour ça, elle parlait à tort et à travers et rabâchait presque tous les soirs cette même phrase : « Ce qu'on est bien dans cette maison d'hiver ! ». « Maison d'hiver », je trouvais cette expression ridicule. Je ne comprends pas pourquoi elle s'entêtait à la répéter. Elle ne pouvait pas parler de chalet comme tout le monde ? Après tout, qu'est-ce que c'était de plus qu'un vulgaire chalet. Mais, je ne peux le nier, un chalet dans toute sa splendeur. Je ne crois pas qu'on aurait réussi à faire plus cliché. Tout en bois, avec évidemment la peau de bête au milieu du salon et le feu qui crépite dans la cheminée. Non, elle persistait avec sa « maison d'hiver », ça lui offrait une petite touche bourgeoise lorsqu'elle en parlait aux voisines. Pourtant elle n'aurait pas toléré d'y vivre plus de 10 jours par an, il n'y avait que deux chambres, l'eau chaude n'était pas un fait acquis, et les trois pulls qu'elle devait enfiler tous les soirs dissimulaient sa taille de guêpe. Cependant lors de ces vacances, on parvenait à faire illusion, une vraie famille, parfois on atteignait le paroxysme quand arrivaient les éclats de rire... On se sentait presque unis, même moi je me laissais prendre au jeu. Ce fut le cas, ce soir-là. On avait opté pour le Trivial Pursuit, il n'y avait pas l'embarras du choix, ça se limitait à ça, au Scrabble, ou au jeu de sept familles. Le Trivial était mon préféré et vu que la décision reposait sur moi, je n'ai pas hésité une seconde. La nécessité de constituer une équipe renforçait les liens même futiles que l'on recréait au cours du jeu. Comme j'étais capitaine, j'avais choisi Julien. J'aimais ce semblant de lutte parents-enfants, la complicité qui ressortait de ces instants, la tension qui émanait du jeu et nos échanges de regards interrogatif, dubitatif ou foudroyant lorsque je sentais qu'en ouvrant la bouche, il était sur le point de bafouiller la mauvaise réponse. Lors de la dernière question, celle qui pouvait nous donner la victoire, je me souviens avoir vu ses lèvres se desserrer mais je savais que ce qu'il s'apprêtait à dire nous mènerait droit dans le mur alors je lui ai sauté dessus, collé mes mains sur sa bouche afin de le réduire au silence. Pour se dépêtrer, il s'est mis à me chatouiller, j'avais l'impression de retrouver une entente perdue, cette union fraternelle... Je serais finalement incapable de dire qui avait gagné cette partie, mon orgueil avancerait une victoire de mon équipe, mais j'ai perdu ce souvenir, j'ai sans doute voulu l'enterrer avec les autres. Le jeu s'est terminé, nous sommes montés nous coucher, et ensuite tout est flou, comme si j'avais refoulé certaines scènes pour ne plus voir ressurgir que cette image figée, lancinante. Le moment où, alors que je dormais dans le lit, j'ai ouvert les yeux et c'était Julien qui était au-dessus de moi cette fois, les mains collées sur ma bouche pour me réduire au silence.

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