par ruok4y2k
Les rayons du soleil transperçaient les parois vitrées de l'immense salle de l'aéroport, se mêlant au flot d'usagers qui déferlait par les portes coulissantes de l'entrée principale. Sur les pistes, les travailleurs, habitués à la fournaise des mois de juillet, ne songeaient qu'à alléger leur besogne, remuant le moins possible. Comme pour rappeler que le désert n'était pas loin, à la mi-journée, la température avoisinait les 51 ºC à Abou Dabi.
À la cinquième rangée de bancs, une famille nombreuse s'apprêtait à embarquer : les parents chargeaient un chariot avec les bagages, valises démesurées et paquets en tout genre, tandis que les enfants couraient dans les allées, bousculant les voyageurs, et que les plus jeunes voulaient grimper sur le caddie. Une jeune femme assise à côté, élégante dans son tailleur gris, une femme d'affaires sans doute, observait leur manège avec un certain amusement. Ce petit monde parti, elle tourna à nouveau la tête vers lui, un sourire toujours au coin des lèvres, et l'invita du regard, avenante, à venir prendre place sur le siège voisin resté libre. Merlin, qui patientait debout depuis de longues minutes, n'hésita pas un instant, quoiqu'un brin gauche au moment de s'asseoir. Il la remercia d'un hochement de tête hâtif, sans toutefois rencontrer ses yeux malicieux. Son ordinateur portable fermé installé sur ses genoux, il entreprit de tapoter consciencieusement l'accoudoir métallique qu'il ne partageait pas avec la demoiselle, quitte à sérieusement irriter le quidam d'en face. Elle lisait un magazine rédigé en anglais, comme il put en juger par la couverture, qu'il scrutait à la dérobée, ce qui lui donnait une mine sournoise inaccoutumée. De la même façon, sans qu'il s'en soit aperçu, ladite femme d'affaires, tout étonnée de son propre aplomb, épiait sa charmante proie ; et ce jeu entre eux dura quelque dix minutes. Enfin Merlin, finissant par se lasser, se mit à chercher une occupation plus sérieuse, même s'il brûlait d'envie d'adresser la parole à sa voisine. Au lieu de cela, il se tut, ouvrit l'ordinateur, et se plongea dans les données rébarbatives du site internet de la Bourse de Paris.
— Tenez, lança-t-elle.
Merlin fixa le magazine qu'elle lui tendait, puis la dévisagea pour la première fois : elle devait avoir vingt-cinq ans tout au plus, les traits fins, les cheveux foncés. « Et elle parle français, » remarqua-t-il pour lui-même.
— Vous vous ennuyez à mourir, ça crève les yeux. Et je l'ai déjà lu deux fois. Cet article-là, surtout. Vous allez à... ?
— Pékin...
— Évidemment.
Le titre intriguant de l'article, « Retour aux sources », attira l'attention de Merlin, non moins content de pouvoir raccrocher son regard à un support neutre. Il s'agissait du Journal Économique Indien, où un de ces journalistes à la plume acérée traitait, dans son énième article sur le sujet, de la chute de l'Europe. Après la grande récession qui avait frappé l'Union du vieux continent au début du siècle, les marchés grandissant, loin de sombrer dans la crise, s'étaient hissés au rang de puissances mondiales sans grande surprise, à une vitesse inattendue néanmoins. Mais rares étaient les spécialistes qui avaient pu prévenir le rebondissement survenu quelques années plus tard. Les plus âgés se souvenaient encore de ce lundi noir des années 30, où le président de la Banque Centrale Européenne avait annoncé la fin de l'euro. Esseulée, la France avait jeté toutes ses forces dans la bataille, s'agrippant à chaque bouée de sauvetage qu'on lui jetait. Placée sous la tutelle monétaire du Brésil, la Bourse de Paris fonctionnait toujours, dernier bastion d'un système suranné. Merlin travaillait pour cette institution, veillant à l'état du nouveau franc ; en revanche, et comme tous ses congénères résignés, il ne se rendait jamais dans le pays. Lire ce genre de papier le rendait nostalgique, mais la situation déjà fort originale le poussa à poursuivre. Ce sujet de discussion, quoique banal et stéréotypé, ne serait pas de trop à l'heure d'engager une conversation sérieuse avec la jeune femme.
À la cinquième rangée de bancs, une famille nombreuse s'apprêtait à embarquer : les parents chargeaient un chariot avec les bagages, valises démesurées et paquets en tout genre, tandis que les enfants couraient dans les allées, bousculant les voyageurs, et que les plus jeunes voulaient grimper sur le caddie. Une jeune femme assise à côté, élégante dans son tailleur gris, une femme d'affaires sans doute, observait leur manège avec un certain amusement. Ce petit monde parti, elle tourna à nouveau la tête vers lui, un sourire toujours au coin des lèvres, et l'invita du regard, avenante, à venir prendre place sur le siège voisin resté libre. Merlin, qui patientait debout depuis de longues minutes, n'hésita pas un instant, quoiqu'un brin gauche au moment de s'asseoir. Il la remercia d'un hochement de tête hâtif, sans toutefois rencontrer ses yeux malicieux. Son ordinateur portable fermé installé sur ses genoux, il entreprit de tapoter consciencieusement l'accoudoir métallique qu'il ne partageait pas avec la demoiselle, quitte à sérieusement irriter le quidam d'en face. Elle lisait un magazine rédigé en anglais, comme il put en juger par la couverture, qu'il scrutait à la dérobée, ce qui lui donnait une mine sournoise inaccoutumée. De la même façon, sans qu'il s'en soit aperçu, ladite femme d'affaires, tout étonnée de son propre aplomb, épiait sa charmante proie ; et ce jeu entre eux dura quelque dix minutes. Enfin Merlin, finissant par se lasser, se mit à chercher une occupation plus sérieuse, même s'il brûlait d'envie d'adresser la parole à sa voisine. Au lieu de cela, il se tut, ouvrit l'ordinateur, et se plongea dans les données rébarbatives du site internet de la Bourse de Paris.
— Tenez, lança-t-elle.
Merlin fixa le magazine qu'elle lui tendait, puis la dévisagea pour la première fois : elle devait avoir vingt-cinq ans tout au plus, les traits fins, les cheveux foncés. « Et elle parle français, » remarqua-t-il pour lui-même.
— Vous vous ennuyez à mourir, ça crève les yeux. Et je l'ai déjà lu deux fois. Cet article-là, surtout. Vous allez à... ?
— Pékin...
— Évidemment.
Le titre intriguant de l'article, « Retour aux sources », attira l'attention de Merlin, non moins content de pouvoir raccrocher son regard à un support neutre. Il s'agissait du Journal Économique Indien, où un de ces journalistes à la plume acérée traitait, dans son énième article sur le sujet, de la chute de l'Europe. Après la grande récession qui avait frappé l'Union du vieux continent au début du siècle, les marchés grandissant, loin de sombrer dans la crise, s'étaient hissés au rang de puissances mondiales sans grande surprise, à une vitesse inattendue néanmoins. Mais rares étaient les spécialistes qui avaient pu prévenir le rebondissement survenu quelques années plus tard. Les plus âgés se souvenaient encore de ce lundi noir des années 30, où le président de la Banque Centrale Européenne avait annoncé la fin de l'euro. Esseulée, la France avait jeté toutes ses forces dans la bataille, s'agrippant à chaque bouée de sauvetage qu'on lui jetait. Placée sous la tutelle monétaire du Brésil, la Bourse de Paris fonctionnait toujours, dernier bastion d'un système suranné. Merlin travaillait pour cette institution, veillant à l'état du nouveau franc ; en revanche, et comme tous ses congénères résignés, il ne se rendait jamais dans le pays. Lire ce genre de papier le rendait nostalgique, mais la situation déjà fort originale le poussa à poursuivre. Ce sujet de discussion, quoique banal et stéréotypé, ne serait pas de trop à l'heure d'engager une conversation sérieuse avec la jeune femme.
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