par Chabada
C'était une histoire étrange, de celles que l'on murmure au coin du feu les soirs d'hiver, et qui a toujours fait gentiment frémir d'horreur celle qui me la racontait. On rapportait qu'autrefois, dans un pays si chaud que toute végétation avait quasiment disparu, se trouvait un village aux habitants heureux et riches, forts de ce que leur offrait une plante extraordinaire : abondance de nourriture et profusion d'eau pour leur survie. Or, bien vite, les vertus de la plante miraculeuse s'évanouirent, aussi mystérieusement qu'elles étaient arrivées. Les villageois, naguère comblés et affables, se firent maussades et irascibles ; les commerces florissants quittèrent la ville, la famine gagna les chaumières les plus humbles, laissant une population égrotante, en proie au désespoir.
Un matin d'avril, un homme fit son apparition au village ; il avait la mine accorte, la jeunesse rayonnante. La rumeur se propagea rapidement parmi les passants : telle vieille avait appris de la bouche de telle autre que le maire l'avait rencontré en personne, que c'était un orpailleur descendu tout droit des pays du Nord, qu'il était à la tête d'une petite fortune, qu'il venait sauver le village. Pour quelles véritables raisons était-il venu se perdre dans cette contrée désertique ? On ne le sut jamais. Toujours est-il que le jeune homme résolut de choisir parmi les demoiselles nubiles du village celle qui aurait l'honneur de l'épouser et de vivre avec lui. On décida prestement, d'un commun accord, que ce serait la jeune fille de l'horloger, la plus belle et charmante personne à la ronde. Le chercheur d'or fit célébrer un mariage à la hâte : on ne prit pas le temps de rassembler costumes, robes et apparats ; le jeune homme conserva sa vieille houppelande, et la jeune femme fut sobrement parée d'un collier de perles. Après la cérémonie, l'air morne, le chercheur d'or offrit au maire du village, en seul gage de sa gratitude, un misérable réticule où semblaient toutefois tinter quelques pièces de cuivre. Le maire, vexé d'être passé sous les fourches caudines, mit fin à la noce, chassa le fallacieux bienfaiteur et son épouse trompée, et décréta amèrement que ces deux-là étaient l'opprobre du village. De dépit, il céda la maigre bourse au premier nécessiteux qu'il rencontra.
Longtemps après, alors que cette désastreuse histoire avait été oubliée, un petit garçon de complexion famélique, à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent, musardait à travers les sentiers d'une petite colline surplombant le village. Il s'arrêta un instant, intrigué par une forme curieuse au milieu d'immondices ; il se trouvait en réalité sur les ruines du champ qui avait jadis abrité les racines de la plante prodigieuse. Relégué au rang de terrain destiné à recevoir les ordures, le champ n'avait ni de près ni de loin l'aspect de la terre fertile d'autrefois. C'est là, parmi la fange, qu'il repéra le valétudinaire réticule qui avait causé tant de malheurs à ses aïeux. Le gringalet s'empressa de déverser le contenu de la bourse sur le sol, la ballotant avec force. De minuscules miettes s'en échappèrent. Pas une seule pièce de cuivre. Au lieu de miettes, c'était des paillettes d'or, et à la place de la boue, reposaient les racines de la plante fabuleuse. Cependant le garçonnet, bredouille et innocent, était retourné au village.
Alors, on vit s'élever au loin, oiseau de mauvais augure, l'ombre d'impressionnantes tiges vertes. La plante renaissait ; on se mit à chercher les raisons obscures d'un tel sortilège. On en conclut que la providence œuvrait à nouveau, qu'elle récompensait les villageois d'une fortuite bonne conduite. Toutefois les tiges augmentaient encore de volume, et finirent par recouvrir le champ tout entier. Au bout de leurs pédoncules, pendaient presque aussitôt que les tiges arrivaient à maturation d'énormes tomates gibbeuses et charnues. Devant une telle luxuriance, on entreprit de semer d'autres graines sur ledit champ ; mais rien ne poussait, outre cette plante tentaculaire. On dispersa alors plusieurs graines de sa variété, qui eurent pour seul effet de faire grossir l'unique pied de tomate. La chance revenue, le bonheur fit son retour au village. Les habitants, repus, comblés de nouveau, redevinrent aimables et enjoués. Personne ne se doutait de ce qui arriverait.
L'or, dont se nourrissait la plante, vint à manquer cruellement. Si quelques paillettes d'or avaient suffi à la faire renaître, quantité de fragments du même métal étaient nécessaires pour sa croissance. Aussi, brusquement et inexorablement, la misère réapparut au village. Ce fut un hiver terrible, pire encore que les précédents, eu égard à la tragique habitude qu'avait prise les habitants d'être choyés et nourris à leur faim. Cependant un soir, au creux de son lit de paille, bercé par les pleurs de sa mère désolée, le petit prodigue flâneur raconta dans un souffle de voix ce qui lui était arrivé un jour au champ. Après l'avoir accusé de débiter des calembredaines, on finit par le croire : on fit chercher de l'or dans les rivières, puis on en sema des poussières sur le terrain, incrédules. Des tomates merveilleuses jaillirent à nouveau des tiges colossales. C'est ici qu'advient la fin terrible de cette histoire : loin de leur permettre de vivre convenablement, la découverte du secret de la plante allait jeter les habitants de ce village maudit dans le pire des dénuements, jusqu'à leur disparition complète.
Un matin d'avril, un homme fit son apparition au village ; il avait la mine accorte, la jeunesse rayonnante. La rumeur se propagea rapidement parmi les passants : telle vieille avait appris de la bouche de telle autre que le maire l'avait rencontré en personne, que c'était un orpailleur descendu tout droit des pays du Nord, qu'il était à la tête d'une petite fortune, qu'il venait sauver le village. Pour quelles véritables raisons était-il venu se perdre dans cette contrée désertique ? On ne le sut jamais. Toujours est-il que le jeune homme résolut de choisir parmi les demoiselles nubiles du village celle qui aurait l'honneur de l'épouser et de vivre avec lui. On décida prestement, d'un commun accord, que ce serait la jeune fille de l'horloger, la plus belle et charmante personne à la ronde. Le chercheur d'or fit célébrer un mariage à la hâte : on ne prit pas le temps de rassembler costumes, robes et apparats ; le jeune homme conserva sa vieille houppelande, et la jeune femme fut sobrement parée d'un collier de perles. Après la cérémonie, l'air morne, le chercheur d'or offrit au maire du village, en seul gage de sa gratitude, un misérable réticule où semblaient toutefois tinter quelques pièces de cuivre. Le maire, vexé d'être passé sous les fourches caudines, mit fin à la noce, chassa le fallacieux bienfaiteur et son épouse trompée, et décréta amèrement que ces deux-là étaient l'opprobre du village. De dépit, il céda la maigre bourse au premier nécessiteux qu'il rencontra.
Longtemps après, alors que cette désastreuse histoire avait été oubliée, un petit garçon de complexion famélique, à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent, musardait à travers les sentiers d'une petite colline surplombant le village. Il s'arrêta un instant, intrigué par une forme curieuse au milieu d'immondices ; il se trouvait en réalité sur les ruines du champ qui avait jadis abrité les racines de la plante prodigieuse. Relégué au rang de terrain destiné à recevoir les ordures, le champ n'avait ni de près ni de loin l'aspect de la terre fertile d'autrefois. C'est là, parmi la fange, qu'il repéra le valétudinaire réticule qui avait causé tant de malheurs à ses aïeux. Le gringalet s'empressa de déverser le contenu de la bourse sur le sol, la ballotant avec force. De minuscules miettes s'en échappèrent. Pas une seule pièce de cuivre. Au lieu de miettes, c'était des paillettes d'or, et à la place de la boue, reposaient les racines de la plante fabuleuse. Cependant le garçonnet, bredouille et innocent, était retourné au village.
Alors, on vit s'élever au loin, oiseau de mauvais augure, l'ombre d'impressionnantes tiges vertes. La plante renaissait ; on se mit à chercher les raisons obscures d'un tel sortilège. On en conclut que la providence œuvrait à nouveau, qu'elle récompensait les villageois d'une fortuite bonne conduite. Toutefois les tiges augmentaient encore de volume, et finirent par recouvrir le champ tout entier. Au bout de leurs pédoncules, pendaient presque aussitôt que les tiges arrivaient à maturation d'énormes tomates gibbeuses et charnues. Devant une telle luxuriance, on entreprit de semer d'autres graines sur ledit champ ; mais rien ne poussait, outre cette plante tentaculaire. On dispersa alors plusieurs graines de sa variété, qui eurent pour seul effet de faire grossir l'unique pied de tomate. La chance revenue, le bonheur fit son retour au village. Les habitants, repus, comblés de nouveau, redevinrent aimables et enjoués. Personne ne se doutait de ce qui arriverait.
L'or, dont se nourrissait la plante, vint à manquer cruellement. Si quelques paillettes d'or avaient suffi à la faire renaître, quantité de fragments du même métal étaient nécessaires pour sa croissance. Aussi, brusquement et inexorablement, la misère réapparut au village. Ce fut un hiver terrible, pire encore que les précédents, eu égard à la tragique habitude qu'avait prise les habitants d'être choyés et nourris à leur faim. Cependant un soir, au creux de son lit de paille, bercé par les pleurs de sa mère désolée, le petit prodigue flâneur raconta dans un souffle de voix ce qui lui était arrivé un jour au champ. Après l'avoir accusé de débiter des calembredaines, on finit par le croire : on fit chercher de l'or dans les rivières, puis on en sema des poussières sur le terrain, incrédules. Des tomates merveilleuses jaillirent à nouveau des tiges colossales. C'est ici qu'advient la fin terrible de cette histoire : loin de leur permettre de vivre convenablement, la découverte du secret de la plante allait jeter les habitants de ce village maudit dans le pire des dénuements, jusqu'à leur disparition complète.
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