samedi 11 décembre 2010

Exercice d'écriture : « À travers les yeux de mon chat », par Stéphanie Maze

En photo : FELIZ DÍA DEL NIÑO Y MES DEL GATO
par Gabriel_109 ♫

La scène avait pris la même tournure dramatique que les disputes qui éclataient entre nous ces derniers temps. Il nous devenait impossible de nous adresser la parole sans avoir un mot au-dessus de l'autre. C'en devenait ridicule. Seulement, m'en rendre compte, me prit un certain temps. Amoureux transi, je ne jurais que par nous deux, c'était nous ou rien. Je n'existais qu'à travers elle et elle à travers moi. Je ne pouvais toutefois pas nier qu'au fil du temps, notre liaison s'était dégradée. Ce jour-là, le conflit était né d'un désaccord futile, le ton était monté, relayé par les larmes, puis par un claquement porte venu sceller son mécontentement. Je restai assis, stupéfait, une fois de plus, nous nous étions déchirés, le mal pour le mal, chaque mot était un coup de poing, le dernier m'avait démoli. Démuni, je cherchais du regard quelque chose à quoi me raccrocher, une photo qui aurait pu me renvoyer à un bonheur passé, qui aurait pu donner un sens à ces altercations qui ponctuaient désormais notre quotidien. Au lieu de cela, ce sont les yeux éberlués du chat qui croisèrent les miens. Je sondais son regard tout en me demandant quelle réponse j'espérais y trouver. Je n'y décelais que de l'incompréhension mêlée à un soupçon de raillerie. Alors je me demandais si l'on venait de vivre la même chose, si tel était le cas, comment osait-il arborait cet air moqueur. Pour éclaircir ce mystère, je décidai d'imaginer ce qui venait de se dérouler à travers ses yeux. Cette scène qui m'avait semblé tragique me parut tout à coup risible. Je me mettais dans la peau de mon chat et au lieu de deux amants passionnés, je découvrais deux pantins désarticulés, je gesticulais dans tous les sens, mes bras se balançaient tels ceux d'un danseur de tecktonik au milieu d'une chanson de Lorie. J'avais l'image, mais pas le son. Ou plutôt si, mais seulement des hurlements stridents – une chanson de Lorie constituerait une fois de plus une comparaison parfaitement appropriée – , un charabia incompréhensible qui dotait cette dispute d'une dimension grotesque, la caricature d'un film muet dont l'effet comique ne serait pas désiré. Je pouvais m'admirer bras en l'air, poings serrés, le visage fermé et rutilant, le nez froncé. Ça méritait un arrêt sur image. En zoomant sur ma figure, on aurait pu croire que j'étais sur le trône un jour de constipation. Pour couronner le tout, j'avais les yeux injectés de sang comme lors d'une de ces séances d'épluchage d'oignons où je retenais mes larmes pour conserver un brin de virilité. Rien ne laissait croire à cet amour fusionnel auquel nous essayions de nous raccrocher. Prétexter la fusion là où ne surgissaient que des engueulades était chose facile. Je rembobinais la séquence, la visionnais de nouveau, et je me trouvais envahi par les mêmes sentiments. Je nous percevais à présent comme un couple misérable, comment pouvions-nous nous entêter à ce point, retourner à notre vie de célibataire nous faisait-il si peur que nous étions prêts à tolérer toutes les humiliations de la part de l'autre ? Je commençais à abhorrer la personne en laquelle je m'étais transformée, cet être dépourvu de toute dignité, dont le seul plaisir se limitait à l'avilir, chacun se vengeait de l'autre dans une lutte infinie. Il m'avait fallu ce recul pour me rendre compte qu'aucun de nous d'eux ne comptait y mettre un terme, nous avions enclenché un processus de destruction duquel nous ne pouvions réchapper. Alors je fis ce qui me sembla le plus indiqué, j'avais beau avoir pris conscience de la situation dans laquelle nous nous étions engouffrés, je ne pouvais renoncer à elle, je décidai donc de le faire disparaître, je ne voulais pas chaque fois que j'affronterais son regard être frappé de plein fouet par la réalité. L'asphyxie est indolore m'avait-on dit. Je me dirigeai donc vers la cuisine, à la recherche d'un sac plastique.

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