par Herbaltablet
Le quartier de Montchat se situe dans le troisième arrondissement de Lyon, à l’ouest de cette vaste agglomération. Sa naissance remonte au XIe siècle, avec la construction de l’église Saint-Alban, et son Histoire a pris un tournant décisif au XIXe siècle grâce à l’ancêtre Jacques Besson. En effet, l’arbre généalogique de ce qui fut autrefois le petit village de Chaussagne se prolongea avec la venue de Louise, la fille de Jacques Besson, qui épousa Mathieu Bonnand et mit au monde leur fils Luc, qui deviendra seigneur de Montchat ; la fille unique de ledit Luc épousa Henri Vitton ; de ce mariage naquit Louise-Françoise Vitton, qui s’unira avec Jean-Louis-François Richard. C’est ainsi qu’apparut l’alliance Richard-Vitton, qui donnera son nom à un des cours principaux qui traversent le quartier de Montchat. De la même façon, plusieurs rues porteront le prénom des membres de ces deux familles alliées, Richard et Vitton : la rue Camille, la rue Charles-Richard, la rue Julien, la rue Louis, la rue Antoinette, et, bien plus amusant, le nom du chien, la rue Balthazard.
Montchat était très fier de ses origines, et repensait souvent à cette époque révolue avec nostalgie. Il se remémorait les lignes d’omnibus, la découverte de la traction à vapeur, la rénovation de l’église, la construction du temple, des écoles, de la salle de conférences, de l’hôpital… Il revoyait la prolifération de ses maisons et de sa population, la pléthore de jardins publics, ainsi que l’évolution de la mode : la redingote, la robe avec corsage cousu, le chapeau haut-de-forme ou encore la montre à gousset, bien vite remplacés par le manteau, la minijupe, la casquette et la montre Swatch. Cette métamorphose progressive lui permettait d’appréhender le monde avec curiosité et soif de découverte.
Bien qu’il eût vécu des jours forts heureux au cours de cette période, il n’en était pas moins ravi d’avoir atteint le XXe siècle. Certes, les bonnes mœurs n’étaient plus d’actualité et les gens étaient devenus bien trop individualistes, mais l’essor des nouvelles technologies avaient contribué à sa contemporanéité et lui avaient conféré un nouveau statut qui l’enchantait : il était à présent un quartier « moderne ». Ainsi, il avait assisté à l’arrivée du tramway électrique, du scooter, du gratte-ciel, du téléphone portable, du lecteur mp3, de la télévision en couleur, de l’ordinateur portable… et tant d’autres objets si utiles au quotidien. Mais, ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était examiner ses habitants, ou bien les gens qui n’étaient que de passage.
Un matin d’hiver, une jeune fille qu’il n’avait jamais aperçue auparavant fit son apparition à bord du bus numéro 38. Elle était assise à l’arrière du véhicule, emmitouflée dans une doudoune bleu électrique, un bonnet rouge brique enfoncé sur sa tête, une écharpe assortie enroulée autour de son cou, remontée jusqu’au nez, des Kickers violettes détachées, un vieux jean Levi’s troué, et le regard perdu dans le vide. Montchat eut le coup de foudre immédiat pour cette étrange déesse qui dénotait un goût particulier pour l’assortiment des couleurs. Son grand problème demeurait depuis son existence le même : comment attirer l’attention des êtres humains et communiquer avec le monde des vivants ? Ce n’était malheureusement pas la première fois qu’il s’éprenait d’une passante et les conséquences étaient toujours identiques : il en pâtissait terriblement. Il avait beau jouer des tours pour les garder le plus longtemps possible près de lui, comme prolonger les feux rouges, faire apparaître des tramways pour bloquer la route, installer le marché dans la rue principale, afin d’allonger le trajet de quelques minutes, rien n’y faisait : elles ne le voyaient pas.
C’est pourquoi cette fois-là, il s’était juré de garder ses distances et de ne pas forcer le destin. Il l’avait laissée dans son coin, n’avait pas cherché à entrer en contact avec elle, et l’avait simplement contemplée à travers la vitre et suivie du regard jusqu’à ce qu’elle descende à l’arrêt « Grange Blanche ». Puis, il l’avait vue se diriger lentement vers l’entrée de l’hôpital Édouard Herriot, remonter l’allée principale les mains dans les poches, et pénétrer dans le pavillon I, celui des grands brûlés. Une fois entrée dans la chambre 103, elle s’était installée au chevet de ce qu’on reconnaissait être un homme, mais qui avait été totalement défiguré par les flammes. Montchat ignorait son identité, mais il avait constaté que la jeune fille, à la vue du patient, avait éclaté en sanglots. En sortant de la pièce, ses joues étaient encore humides, et Montchat, à cet instant-là, aurait tout donné pour se transformer en humain et la consoler.
Pendant plus de trois mois, la jeune demoiselle se rendit à l’hôpital quotidiennement, et en ressortait toujours dans le même état d’immense tristesse. Montchat se sentait impuissant mais, ne pouvant intervenir, il se contentait d’observer la scène.
C’est par un beau jour de printemps que le rituel se rompit : la jeune fille n’apparut pas dans le 38, pas plus qu’au service des brûlés. Montchat comprit alors qu’elle allait disparaître de sa vie, comme toutes les autres précédemment, et qu’il ne serait jamais amené à la revoir. Ainsi, ce jour-là, il se jura de ne plus tomber amoureux de personne et se limita aux sentiments d’amitié, qui, réflexion faite, lui convenaient bien mieux.
Montchat était très fier de ses origines, et repensait souvent à cette époque révolue avec nostalgie. Il se remémorait les lignes d’omnibus, la découverte de la traction à vapeur, la rénovation de l’église, la construction du temple, des écoles, de la salle de conférences, de l’hôpital… Il revoyait la prolifération de ses maisons et de sa population, la pléthore de jardins publics, ainsi que l’évolution de la mode : la redingote, la robe avec corsage cousu, le chapeau haut-de-forme ou encore la montre à gousset, bien vite remplacés par le manteau, la minijupe, la casquette et la montre Swatch. Cette métamorphose progressive lui permettait d’appréhender le monde avec curiosité et soif de découverte.
Bien qu’il eût vécu des jours forts heureux au cours de cette période, il n’en était pas moins ravi d’avoir atteint le XXe siècle. Certes, les bonnes mœurs n’étaient plus d’actualité et les gens étaient devenus bien trop individualistes, mais l’essor des nouvelles technologies avaient contribué à sa contemporanéité et lui avaient conféré un nouveau statut qui l’enchantait : il était à présent un quartier « moderne ». Ainsi, il avait assisté à l’arrivée du tramway électrique, du scooter, du gratte-ciel, du téléphone portable, du lecteur mp3, de la télévision en couleur, de l’ordinateur portable… et tant d’autres objets si utiles au quotidien. Mais, ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était examiner ses habitants, ou bien les gens qui n’étaient que de passage.
Un matin d’hiver, une jeune fille qu’il n’avait jamais aperçue auparavant fit son apparition à bord du bus numéro 38. Elle était assise à l’arrière du véhicule, emmitouflée dans une doudoune bleu électrique, un bonnet rouge brique enfoncé sur sa tête, une écharpe assortie enroulée autour de son cou, remontée jusqu’au nez, des Kickers violettes détachées, un vieux jean Levi’s troué, et le regard perdu dans le vide. Montchat eut le coup de foudre immédiat pour cette étrange déesse qui dénotait un goût particulier pour l’assortiment des couleurs. Son grand problème demeurait depuis son existence le même : comment attirer l’attention des êtres humains et communiquer avec le monde des vivants ? Ce n’était malheureusement pas la première fois qu’il s’éprenait d’une passante et les conséquences étaient toujours identiques : il en pâtissait terriblement. Il avait beau jouer des tours pour les garder le plus longtemps possible près de lui, comme prolonger les feux rouges, faire apparaître des tramways pour bloquer la route, installer le marché dans la rue principale, afin d’allonger le trajet de quelques minutes, rien n’y faisait : elles ne le voyaient pas.
C’est pourquoi cette fois-là, il s’était juré de garder ses distances et de ne pas forcer le destin. Il l’avait laissée dans son coin, n’avait pas cherché à entrer en contact avec elle, et l’avait simplement contemplée à travers la vitre et suivie du regard jusqu’à ce qu’elle descende à l’arrêt « Grange Blanche ». Puis, il l’avait vue se diriger lentement vers l’entrée de l’hôpital Édouard Herriot, remonter l’allée principale les mains dans les poches, et pénétrer dans le pavillon I, celui des grands brûlés. Une fois entrée dans la chambre 103, elle s’était installée au chevet de ce qu’on reconnaissait être un homme, mais qui avait été totalement défiguré par les flammes. Montchat ignorait son identité, mais il avait constaté que la jeune fille, à la vue du patient, avait éclaté en sanglots. En sortant de la pièce, ses joues étaient encore humides, et Montchat, à cet instant-là, aurait tout donné pour se transformer en humain et la consoler.
Pendant plus de trois mois, la jeune demoiselle se rendit à l’hôpital quotidiennement, et en ressortait toujours dans le même état d’immense tristesse. Montchat se sentait impuissant mais, ne pouvant intervenir, il se contentait d’observer la scène.
C’est par un beau jour de printemps que le rituel se rompit : la jeune fille n’apparut pas dans le 38, pas plus qu’au service des brûlés. Montchat comprit alors qu’elle allait disparaître de sa vie, comme toutes les autres précédemment, et qu’il ne serait jamais amené à la revoir. Ainsi, ce jour-là, il se jura de ne plus tomber amoureux de personne et se limita aux sentiments d’amitié, qui, réflexion faite, lui convenaient bien mieux.
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