par Pierropixel
Le père Michel était un homme acariâtre, bougon, grincheux, amer et irritable. Personne ne parvenait à le supporter, pas même sa femme Josette qui faisait des pieds et des mains pour éviter de le croiser dans leur maison de quatre-vingt mètres carré. Le moment le plus périlleux était le soir, lorsqu’ils se retrouvaient dans la même pièce, juste avant le coucher. Josette avait mis en place plusieurs stratégies d’esquive : elle se rendait aux toilettes quand son mari brossait son dentier, ou elle feignait une immense fatigue et se glissait dans le lit conjugal une demi-heure avant Michel, ou, bien au contraire, elle simulait une insomnie et veillait devant la télévision une bonne partie de la nuit, afin d’échapper aux ronflements sonores, semblables non pas à une trompette, comme il est de rigueur, mais plutôt à un hautbois mal accordé. Car le vieux Michel ne laissait aucun instant de répit à son épouse, se montrant particulièrement pénible également dans son sommeil.
Dans leur jeunesse, les deux époux avaient été très heureux. Ils s’étaient rencontrés par hasard, au cours d’un rendez-vous de routine que Michel effectuait dans le petit village de Langogne, en Lozère. En tant que représentant en textile, il était souvent amené à se déplacer directement chez ses clients pour exposer ses articles luxueux. La mère de Josette avait fait appel à ses services car elle avait besoin d’une nouvelle robe du dimanche. La jeune Josette, qui avait assisté en retrait à la présentation de Michel, dissimulée dans l’embrasure de la porte du séjour, était littéralement tombée amoureuse du premier regard. Quant à Michel, fin observateur, il avait poursuivi sa démonstration sans se laisser distraire par cette charmante demoiselle qui n’avait certainement pas dû beaucoup jouer à cache-cache dans son enfance.
Ils se marièrent deux ans plus tard, et entamèrent très vite la tâche « ardue » de mettre des enfants au monde. Ils avaient élevé leurs trois chérubins dans la joie et le respect, jusqu’à ce que l’aîné, Jean-Marc, ne quittât le foyer familial pour aller s’installer dans son propre appartement. Michel ne trouva rien de mieux à faire que de rejeter sa tristesse et sa frustration sur le reste de la famille, ainsi que sur le voisinage, les commerçants, le facteur, les lapins de son clapier, et même les fourmis qui peuplaient son jardin potager. D’ailleurs, seul ledit potager avait été épargné de la mauvaise humeur de son propriétaire. En effet, depuis le départ de son premier fils – qui fut très rapidement suivi de celui de ses deux filles –, à défaut de choyer ses petits enfants, qui n’étaient malheureusement pas encore nés, Michel s’était pris d’affection pour ses fruits et ses légumes, dont il s’occupait avec une extrême attention. Été comme hiver, il passait ses journées auprès de ses pommes de terre, de ses haricots verts, de ses carottes, de ses choux, de ses mâches, de ses tomates, de ses fraises, de ses melons, selon les saisons, mais aussi en compagnie de tous leurs minuscules habitants, tels les limaces, les gendarmes, les guêpes, les araignées, contre lesquels il luttait avec une force redoutable.
Mais depuis près de deux semaines, un problème le chagrinait : chaque matin, en allant visiter son « chef-d’œuvre », il découvrait des tomates fendues, menaçant de tomber de leur pied à tout moment, et même quelques unes sauvagement écrasées sur le sol. Voyant le mal partout, il était convaincu que des petits voyous se faufilaient durant la nuit dans sa propriété et saccageaient ses plans de tomates. Ce qu’il ne comprenait pas, c’était pourquoi ils épargnaient le reste de sa plantation. La réponse était très simple : il se trompait complètement sur les auteurs de ce dommage. Effectivement, personne ne venait fouler ses terres bêchées, binées ; en réalité, les dégradations provenaient directement des tomates, qui s’étaient déclarées la guerre entre elles. Michel, qui ne savait pas lire l’âme de ses protégés, comme tout être humain normalement constitué, avait fait l’énorme erreur de planter différentes variétés au même endroit, ignorant que ces légumes – ou ces fruits, chacun a son point de vue – sont très orgueilleux et imbus de leur personne. Ainsi, chaque nuit, les tomates se disputaient le domaine, espérant pouvoir dominer un jour ces terres en éradiquant les autres espèces. Les plus prétentieuses, mais aussi les plus petites, les tomates cerise, reprochaient aux cœurs de bœuf d’être trop grosses ; les tomates allongées, à la chair tendre et à la peau rigide, se moquaient cruellement des andines cornues, qui, comme leur nom l’indique, étaient toute biscornues ; les tomates russes rouge, à la saveur délicieuse, insultaient ouvertement les lemon boy, car elles n’avaient pas la même couleur de peau ; mais celles qui régnaient en maître étaient les tomates grappe, puissantes de par leur nombre et leur fermeté. Dès que le ciel s’obscurcissait, un combat acharné se livrait entre toutes ces furies, et lorsque l’aube pointait le bout de son nez, elles faisaient le terrible constat de leurs pertes : au moins deux tomates par variété avait péri au cours de la bataille, excepté les tomates grappe qui résistaient tant bien que mal aux fourbes attaques nocturnes de leurs voisines.
Au bout de trois semaines de dégât, Michel, agacé par tant de gâchis, arracha furieusement tous ses pieds de tomates, sauf les tomates grappe qui avaient survécu à ses assaillants. Toutes fières, elles se pavanaient devant les cageots de leurs ennemies, qui allaient bientôt être entreposées dans le fond de la cave du père Michel.
Le vieil homme, pour la première fois depuis plus de huit ans, décida de faire plaisir à sa Josette. Il se résigna à planter, à la place des pieds de tomates exterminés, du persil, de la ciboulette, du basilic, de la verveine citronnée et du thym, demande que sa femme lui formulait depuis des années.
Les plantes aromatiques et les tomates cohabitaient parfaitement bien, elles étaient même devenues bonnes amies et montraient l’exemple aux autres résidants.
C’est ainsi que la paix et la reconnaissance revinrent au sein du potager, mais également au sein de la maison.
Dans leur jeunesse, les deux époux avaient été très heureux. Ils s’étaient rencontrés par hasard, au cours d’un rendez-vous de routine que Michel effectuait dans le petit village de Langogne, en Lozère. En tant que représentant en textile, il était souvent amené à se déplacer directement chez ses clients pour exposer ses articles luxueux. La mère de Josette avait fait appel à ses services car elle avait besoin d’une nouvelle robe du dimanche. La jeune Josette, qui avait assisté en retrait à la présentation de Michel, dissimulée dans l’embrasure de la porte du séjour, était littéralement tombée amoureuse du premier regard. Quant à Michel, fin observateur, il avait poursuivi sa démonstration sans se laisser distraire par cette charmante demoiselle qui n’avait certainement pas dû beaucoup jouer à cache-cache dans son enfance.
Ils se marièrent deux ans plus tard, et entamèrent très vite la tâche « ardue » de mettre des enfants au monde. Ils avaient élevé leurs trois chérubins dans la joie et le respect, jusqu’à ce que l’aîné, Jean-Marc, ne quittât le foyer familial pour aller s’installer dans son propre appartement. Michel ne trouva rien de mieux à faire que de rejeter sa tristesse et sa frustration sur le reste de la famille, ainsi que sur le voisinage, les commerçants, le facteur, les lapins de son clapier, et même les fourmis qui peuplaient son jardin potager. D’ailleurs, seul ledit potager avait été épargné de la mauvaise humeur de son propriétaire. En effet, depuis le départ de son premier fils – qui fut très rapidement suivi de celui de ses deux filles –, à défaut de choyer ses petits enfants, qui n’étaient malheureusement pas encore nés, Michel s’était pris d’affection pour ses fruits et ses légumes, dont il s’occupait avec une extrême attention. Été comme hiver, il passait ses journées auprès de ses pommes de terre, de ses haricots verts, de ses carottes, de ses choux, de ses mâches, de ses tomates, de ses fraises, de ses melons, selon les saisons, mais aussi en compagnie de tous leurs minuscules habitants, tels les limaces, les gendarmes, les guêpes, les araignées, contre lesquels il luttait avec une force redoutable.
Mais depuis près de deux semaines, un problème le chagrinait : chaque matin, en allant visiter son « chef-d’œuvre », il découvrait des tomates fendues, menaçant de tomber de leur pied à tout moment, et même quelques unes sauvagement écrasées sur le sol. Voyant le mal partout, il était convaincu que des petits voyous se faufilaient durant la nuit dans sa propriété et saccageaient ses plans de tomates. Ce qu’il ne comprenait pas, c’était pourquoi ils épargnaient le reste de sa plantation. La réponse était très simple : il se trompait complètement sur les auteurs de ce dommage. Effectivement, personne ne venait fouler ses terres bêchées, binées ; en réalité, les dégradations provenaient directement des tomates, qui s’étaient déclarées la guerre entre elles. Michel, qui ne savait pas lire l’âme de ses protégés, comme tout être humain normalement constitué, avait fait l’énorme erreur de planter différentes variétés au même endroit, ignorant que ces légumes – ou ces fruits, chacun a son point de vue – sont très orgueilleux et imbus de leur personne. Ainsi, chaque nuit, les tomates se disputaient le domaine, espérant pouvoir dominer un jour ces terres en éradiquant les autres espèces. Les plus prétentieuses, mais aussi les plus petites, les tomates cerise, reprochaient aux cœurs de bœuf d’être trop grosses ; les tomates allongées, à la chair tendre et à la peau rigide, se moquaient cruellement des andines cornues, qui, comme leur nom l’indique, étaient toute biscornues ; les tomates russes rouge, à la saveur délicieuse, insultaient ouvertement les lemon boy, car elles n’avaient pas la même couleur de peau ; mais celles qui régnaient en maître étaient les tomates grappe, puissantes de par leur nombre et leur fermeté. Dès que le ciel s’obscurcissait, un combat acharné se livrait entre toutes ces furies, et lorsque l’aube pointait le bout de son nez, elles faisaient le terrible constat de leurs pertes : au moins deux tomates par variété avait péri au cours de la bataille, excepté les tomates grappe qui résistaient tant bien que mal aux fourbes attaques nocturnes de leurs voisines.
Au bout de trois semaines de dégât, Michel, agacé par tant de gâchis, arracha furieusement tous ses pieds de tomates, sauf les tomates grappe qui avaient survécu à ses assaillants. Toutes fières, elles se pavanaient devant les cageots de leurs ennemies, qui allaient bientôt être entreposées dans le fond de la cave du père Michel.
Le vieil homme, pour la première fois depuis plus de huit ans, décida de faire plaisir à sa Josette. Il se résigna à planter, à la place des pieds de tomates exterminés, du persil, de la ciboulette, du basilic, de la verveine citronnée et du thym, demande que sa femme lui formulait depuis des années.
Les plantes aromatiques et les tomates cohabitaient parfaitement bien, elles étaient même devenues bonnes amies et montraient l’exemple aux autres résidants.
C’est ainsi que la paix et la reconnaissance revinrent au sein du potager, mais également au sein de la maison.
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