par Yann Seitek
Mon favori, le Voltaire, c'est le trône de Madame. On y assied Madame aux aurores et tout le jour elle n'en ressort plus. Jusqu'à la fin, tant que règne une lueur, que perce la moindre clarté, elle s'y enracine, lichen crustacé au venin habile. Il serait insensé de croire qu'on pourrait s'en approcher, curieux, et venir caresser furtivement son doux vêtement fleuri, sans flairer jusqu'à l'asphyxie les toxines de cet organisme encroûté. La roche silice sur laquelle croît sa croûte sirupeuse est le velours bleu rare de ce Voltaire excessivement cher, qu'elle s'emploie à contaminer comme la termite le bois, à une exception près dans l'espèce que cet individu-là ne vit pas en société. C'est que Madame est farouche...
À l'intérieur des cuisines, avant qu'un énergumène ne coucoule l'heure fatidique, alors que rôtit encore dans le fourneau la poularde réduite, je fais mon entrée quotidienne : l'ensemble du personnel de maison, réuni autour de moi pour l'occasion, se met aussitôt en branle pour satisfaire un désir impétueux ; je lape, lape généreusement la bouillie qu'on me tend, daigne recevoir quelques cajoleries pour contenter ces esclaves, et m'en vais au grand salon écouter le bruissement fétide du parasite endormi. Pas un seul instant à travers sa chair léthargique son âme ne s'agite, ni ne frissonne ; c'est à croire, si d'aventure elle existe, qu'il l'a enfouie sous les couches infinies des volants de ses robes, jaune putride couleur de tapisserie.
À moi, au moins, on adresse la parole. On me contemple avec toute la commisération dont on est capable, sentiment heureux que ma condition difficile provoque généralement chez les êtres humains. À elle, en revanche, on ne cause jamais, ni même n'ose la regarder en face devant tant de perfide stupeur. Si elle ne remue pas, végétation résistante aux rudes épreuves du temps, c'est pour mieux exercer sur son écosystème toutes les subversions et perversions possibles : elle s'est développée dans un habitat qui lui est propre et on ne l'en déloge plus ; sa fin première est la nuisance ; on l'a sort d'un berceau gigantesque pour la jeter dans un fauteuil au riche velours bleu qui n'attend plus que mes coups de griffes acerbes, oui, celles que j'effile avec soin, depuis mon arrivée, sur l'acajou du buffet. Alors, je le demande : au nom de quoi, au nom de quel principe lui concèderait-on l'exclusivité du Voltaire ?
À l'intérieur des cuisines, avant qu'un énergumène ne coucoule l'heure fatidique, alors que rôtit encore dans le fourneau la poularde réduite, je fais mon entrée quotidienne : l'ensemble du personnel de maison, réuni autour de moi pour l'occasion, se met aussitôt en branle pour satisfaire un désir impétueux ; je lape, lape généreusement la bouillie qu'on me tend, daigne recevoir quelques cajoleries pour contenter ces esclaves, et m'en vais au grand salon écouter le bruissement fétide du parasite endormi. Pas un seul instant à travers sa chair léthargique son âme ne s'agite, ni ne frissonne ; c'est à croire, si d'aventure elle existe, qu'il l'a enfouie sous les couches infinies des volants de ses robes, jaune putride couleur de tapisserie.
À moi, au moins, on adresse la parole. On me contemple avec toute la commisération dont on est capable, sentiment heureux que ma condition difficile provoque généralement chez les êtres humains. À elle, en revanche, on ne cause jamais, ni même n'ose la regarder en face devant tant de perfide stupeur. Si elle ne remue pas, végétation résistante aux rudes épreuves du temps, c'est pour mieux exercer sur son écosystème toutes les subversions et perversions possibles : elle s'est développée dans un habitat qui lui est propre et on ne l'en déloge plus ; sa fin première est la nuisance ; on l'a sort d'un berceau gigantesque pour la jeter dans un fauteuil au riche velours bleu qui n'attend plus que mes coups de griffes acerbes, oui, celles que j'effile avec soin, depuis mon arrivée, sur l'acajou du buffet. Alors, je le demande : au nom de quoi, au nom de quel principe lui concèderait-on l'exclusivité du Voltaire ?
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