Nadine Dumas, propriétaire de la librairie L'Esprit Large, implantée à Guérande, a gentiment accepté de répondre à mes questions.
Première question, j'aimerais savoir comment est née la librairie L'Esprit Large ?
J'avais d'abord une toute petite librairie à la Turballe qui faisait 10 m². Parce que, quand je me suis installée dans la région, j'ai d'abord cherché du travail et comme je n'en trouvais pas, j'ai pris la décision d'ouvrir une librairie. Et comme les locaux sont très chers à Guérande, on a tenté d'abord de s'installer à la Turballe en partant de l'idée que, si un jour on trouvait un local qui nous plaisait à Guérande, on déménagerait.
Et puis, ce local s'est libéré et ça fait 4 ans qu'on est là. On a eu des aides pour s'installer, on a eu des aides de la région, du Centre National du Livre, de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) et donc on a monté un projet, on a fait des travaux très très important parce qu'il y a eu quasiment un an de travaux. Et on a ouvert la librairie.
J'ai toujours travaillé en librairie. J'ai fait des études de Lettres modernes. Ça n'existe plus comme diplôme, mais j'ai un DEA de Lettres. Je me suis arrêtée pour ma thèse, parce que voilà, la vie a fait que… Et puis, j'ai commencé à travailler dans une librairie de livres anciens. Et ce monsieur là m'a appris beaucoup. C'était un libraire, ce qu'on appelle un libraire en chambre. C'est à dire qu'à Paris, il travaillait dans un appartement, il ne vendait que par correspondance. Et il avait des pièces exceptionnelles… Quand je dis livres anciens, il avait vraiment des pièces exceptionnelles. Puis, j'ai quitté la région parisienne par amour. Et après, j'ai fait des petits boulots de-ci de-là dans l'idée d'ouvrir une librairie.
Toujours dans l'idée de travailler dans le livre.
J'ai travaillé chez Vrin, j'ai travaillé chez Nathan, j'ai travaillé chez Gallimard. Enfin, j'ai travaillé un peu partout, là où je trouvais des petits boulots pour connaitre le métier du livre. Et je me suis lancée, je me suis lancée dans le métier avec de l'énergie, un bouquin pour m'aider, en me disant : « je vais apprendre ».
Dans la sélection des livres, sur quels critères vous vous basez ? Comment choisissez-vous les livres que vous mettez en vente ?
Je ne suis à l'office que chez Gallimard. L'office, c'est les livres que je reçois sans choisir. On a une grille d'office, c'est à dire que j'ai une grille de choix qui est établie, et ça je les reçois d'office.
C'est une collection que Gallimard vous « impose » entre guillemets ?
Oui, une sélection, pas une collection. Une sélection que Gallimard m'impose et qui est plus ou moins heureuse. Et après le reste, c'est les critiques dans « Livre Hebdo » et tout ce qui est fourni par les distributeurs sur les nouveautés à paraître. C'est un choix que je fais moi.
Ce choix-là, il est pour 90% des livres, pour…
80% des livres, on va dire. Parce qu'il y a des livres que, en discutant avec le représentant, soit par téléphone, soit par e-mail, il me conseille de rentrer même si ce n'est pas ma tasse de thé. Parce qu'ils savent que ça va être une bonne vente. Je ne citerai personne, comme ça, je ne vexerai personne. Et puis il y a des livres que j'ai vraiment envie de descendre … défendre. Parce que non, je ne descends jamais aucun livre. Ceux que je n'aime pas, je ne les aime pas mais voilà, je n'en fais pas une… , je ne l'achève pas. Mais par contre les livres que j'aime, les gens, ils viennent dans la librairie pour les livres que j'ai lus et les livres que j'ai aimés. C'est ça qui va faire la différence avec d'autres endroits où on vend des livres.
Vous parliez de représentant. Justement, vous, quelles sont vos relations avec les éditeurs ? Est-ce que ça se passe uniquement avec les représentants ou alors vous avez l'occasion de parler directement aux éditeurs ?
Ça arrive qu'on parle directement avec les éditeurs, notamment quand on veut des services de presse. Quand on voit qu'un livre va paraître et qu'on souhaite avoir un service de presse, moi, souvent, je prends contact directement avec l'éditeur.L'éditeur attend souvent, et de plus en plus, qu'il y ait un retour. C'est à dire qu'on lui dise ce qu'on a ressenti en lisant le livre. Beaucoup beaucoup plus qu'au départ. Et puis, sinon parfois, c'est plus impersonnel, je vais demander des services de presse via le représentant.
J'ai vu aussi sur votre blog, parce que j'ai été fouillé un petit peu sur internet, que vous proposiez des rencontres avec des auteurs ? Est-ce que c'est des choses qui arrivent régulièrement ?
Oui, ça arrive régulièrement. C'est des choses qui ne sont absolument pas rentables. C'est pour le plaisir et la dynamique de la librairie. Alors là, j'ai un petit peu de chance parce que les derniers que j'ai fait venir ont des attaches dans la région. Soit ils ont une maison, soit ils viennent de temps en temps en vacances, comme Alain Duault, comme Sonia Chaine, … C'est des gens qui sont dans le coin, qui sont clients de la librairie et quand je leur demande : « est-ce que vous ne voudriez pas venir signer ? »
Parce que même si je ne vends pas beaucoup de livres sur le coup, ça m'arrive de vendre beaucoup de livres après. Et puis, ça me permet de discuter avec l'auteur du livre, surtout sur des albums documentaire-jeunesse : Sonia Chaine ou Catherine Vadon par exemple, ça me permet de comprendre leur travail, donc, par voie de conséquence, de le défendre intelligemment.
Un sujet tout autre : la littérature étrangère. Quelle place elle occupe dans votre librairie ?
Elle n'a pas une place assez importante. Il faudrait qu'elle soit plus importante, mais bon, moi je travaille toute seule. Je connais les points faibles de ma librairie. Je vois bien les points, les rayons qu'il faudrait que je développe. Pour ça, il faudrait soit que j'embauche quelqu'un mais je n'en ai pas les moyens. Voilà, c'est l'éternel problème, c'est la situation : pour développer il faudrait que j'embauche quelqu'un, mais je n'en ai pas les moyens… Il faudrait qu'elle soit plus importante, notamment au niveau de tout ce qui est littérature que je ne connais pas bien, hispanisante, toute cette région-là.
C'est quelle part la littérature étrangère dans votre librairie ?
Sur le rayon littérature totale : c'est 40% - 45%.
Principalement de l'anglo-saxonne ?
Oui. Parce que d'abord, c'est eux, pas qui publient le plus, mais c'est eux qui publient chez les éditeurs les plus présents sur le marché. Alors que quand on essaye de vendre un livre de chez Métailié, un cubain, c'est plus difficile qu'un américain de chez Robert Laffont. D'abord, au niveau de la référence pour les gens, Métailé, même s'il commence à prendre une place vraiment importante, c'est plus difficile.
Par rapport au lectorat de la région, par rapport aux gens qui fréquentent votre librairie, est-ce qu'ils sont demandeurs de littérature étrangère ?
Oui, oui, pas mal. Oui, de plus en plus. Et très différente, aussi bien de la littérature asiatique de chez Picquier qu'autre chose. Oui, oui, ils sont très demandeurs. Donc, je sais que c'est là dessus sur quoi il faut que je m'attèle un peu plus. Au niveau de la lecture et au niveau des critiques de livres.
Avec les auteurs de littérature étrangère, vous n'avez aucun contact en tant que libraire ?
Non, malheureusement. Parce qu'attendez, c'est un peu le bout du monde, ici. Déjà, faire venir un auteur, c'est déjà une aventure ! J'aimerais bien faire venir n'importe quel auteur de littérature étrangère. Mais, c'est un projet qu'il faudrait monter avec les médiathèques, avec les différentes collectivités.
Est-ce que la littérature régionale, quand je dis régionale, je parle de la littérature bretonne, est-ce que ça a une place importante, est-ce que c'est demandé ?
Oui, c'est très demandé. C'est très demandé surtout que la qualité va quand même en s'améliorant. Parce que parfois, dans la littérature régionale, il y a des livres de qualité plus, plus … je ne trouve pas mes mots … qui pêchent un peu. C'est vrai que chez certains éditeurs, il y a une qualité qui commence à s'améliorer. Oui, c'est une part très importante. Les gens, ça les touche. Quand c'est des lieux qu'ils connaissent.
Là, dans cette période des fêtes, qu'est-ce qui a été le plus demandé, qu'est-ce qui a le plus marché ?
En dehors d'Indignez-vous de Stéphane Hessel (Éditions Indigène) ! Qu'est-ce qui a été le plus demandé : le Ken Follet (La chute des Géants, vol. 1, Éditions Robert Laffont), le Mankell (Henning Mankell, L'homme inquiet, Éditions du Seuil) a très très bien marché, tout ce qui est Läckberg – la série avec La princesse de glace (Éditions Actes Sud). Et le Mankell, parce que comme c'était la dernière enquête de l'inspecteur dont le nom m'échappe. Ça, c'est des titres en littérature étrangère qui ont très très bien marché. Après, plus confidentiel, c'est les Mémoires de Chine de Xinran (Éditions Philippe Picquier), mais ça c'est plus un public de … , un public plus confidentiel.
Une question sur le livre numérique. Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que c'est quelque chose qu'il faut développer en tant que libraire, qu'il faut refuser ?
J'ai longtemps hésité, mais pour l'instant je le refuse. D'abord, parce que je n'ai pas les compétences, je n'ai pas la structure pour ça. Je le laisse aux autres. C'est inévitable. Je veux dire que ça fait partie de l'évolution de la société, mais je ne crois pas que cela trouvera sa place dans ma librairie.
Je n'ai pas la place, et ça m'intéresserait plus de développer d'autres rayons que celui-là. Je laisse ça aux autres.
J'aurais une dernière question : quels titres vous recommandez en cette fin d'année ? Mis à part ceux qu'on a évoqué tout à l'heure.
J'ai beaucoup aimé Ouragan, de Laurent Gaudé (Éditions Actes Sud). C'est vraiment pour moi un très très beau Gaudé. Toujours en littérature française, La fille de son père (Anne Berest, Éditions du Seuil) et en littérature étrangère, parce que vous êtes quand même un peu concerné, le Myra (Maria Velho da Costa, Éditions La Différence), c'est de la littérature portugaise.
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