À faire en 2h30, sans dictionnaire
Te quitabas la faja de la cintura, te arrancabas las sandalias, tirabas a un rincón tu amplia falda, de algodón, me parece, y te soltabas el nudo que te retenía el pelo en una cola. Tenías la piel erizada y te reías. Estábamos tan próximos que no podíamos vernos, ambos absortos en ese rito urgente, envueltos en el calor y el olor que hacíamos juntos. Me abría paso por tus caminos, mis manos en tu cintura encabritada y las tuyas impacientes. Te deslizabas, me recorrías, me trepabas, me envolvías con tus piernas invencibles, me decías mil veces ven con los labios sobre los míos. En el instante final teníamos un atisbo de completa soledad, cada uno perdido en su quemante abismo, pero pronto resucitábamos desde el otro lado del fuego para descubrirnos abrazados en el desorden de los almohadones, bajo el mosquitero blanco. Yo te apartaba el cabello para mirarte a los ojos. A veces te sentabas a mi lado, con las piernas recogidas y tu chal de seda sobre un hombro, en el silencio de la noche que apenas comenzaba. Así te recuerdo, en calma. Tú piensas en palabras, para ti el lenguaje es un hilo inagotable que tejes como si la vida se hiciera al contarla. Yo pienso en imágenes congeladas en una fotografía. Sin embargo, ésta no está impresa en una placa, parece dibujada a plumilla, es un recuerdo minucioso y perfecto, de volúmenes suaves y colores cálidos, renacentista, como una intención captada sobre un papel granulado o una tela. Es un momento profético, es toda nuestra existencia, todo lo vivido y lo por vivir, todas las épocas simultáneas, sin principio ni fin. Desde cierta distancia yo miro ese dibujo, donde también estoy yo. Soy espectador y protagonista. Estoy en la penumbra, velado por la bruma de un cortinaje traslúcido. Sé que soy yo, pero yo soy también este que observa desde afuera. Conozco lo que siente el hombre pintado sobre esa cama revuelta, en una habitación de vigas oscuras y techos de catedral, donde la escena aparece como el fragmento de una ceremonia antigua. Estoy allí contigo y también aquí, solo, en otro tiempo de la conciencia. En el cuadro la pareja descansa después de hacer el amor, la piel de ambos brilla húmeda. El hombre tiene los ojos cerrados, una mano sobre su pecho y la otra sobre el muslo de ella, en íntima complicictad. Para mí esa visión es recurrente e inmutable, nada cambia, siempre es la misma sonrisa plácida del hombre, la misma languidez de la mujer, los mismos pliegues de las sábanas y rincones sombríos del cuarto, siempre la luz de la lámpara roza los senos y los pómulos de ella en el mismo ángulo y siempre el chal de seda y los cabellos oscuros caen con igual delicadeza.
Isabel Allende, Cuentos de Eva Luna
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La traduction « officielle », Les contes d’Eva Luna, réalisée par Carmen et Claude Durand, 1989, pour les éditions Fayard, p. 9-11.
Tu ôtais la ceinture qui enserrait ta taille, arrachais tes sandales, lançais dans un coin ton ample jupe —de cotonnade, me semble-t-il— et défaisais le nœud qui rassemblait tes cheveux en queue de cheval. Tu avais la chair de poule et riais. Nous nous tenions si près l’un de l’autre que nous ne pouvions nous voir, tous deux absorbés par ce pressant rituel, immergés dans la chaleur et l’odeur que nous dégagions conjointement. Je me frayais passage par tes chemins, mes mains sur tes hanches cambrées, les tiennes remplies d’impatience. Tu te lovais, tu m’explorais, tu m’enfourchais, tu m’enveloppais de tes jambes invincibles, et tes lèvres sur les miennes me disaient à mille reprises : viens. A l’instant crucial, nous éprouvions un avant-goût de l’absolue solitude, chacun de nous abîmé dans son gouffre brûlant, mais nous avions tôt fait de reprendre vie de l’autre côté du feu pour nous découvrir enlacés dans le désordre des oreillers, sous la blanche moustiquaire. J’écartais tes cheveux pour plonger mes yeux dans les tiens. Il t’arrivait parfois de t’asseoir à mes côtés, jambes repliées, ton châle de soie couvrant une de tes épaules, dans le silence de la nuit à peine commençante. C’est ainsi que je me souviens de toi, dans ce calme retrouvé.
Tu penses avec les mots, pour toi le langage est un fil inépuisable que tu tisses comme si la vie se fabriquait en la racontant. Moi, je pense avec les images congelées sur la pellicule photographique. Pourtant, cette image-ci n’est pas gravée sur une plaque sensible, on la dirait plutôt dessinée à la plume, c’est un souvenir précis, parfait, aux chaudes couleurs et aux volumes suaves, comme une esquisse d’inspiration Renaissance emprisonnée sur un papier granuleux ou quelque toile. Instant prophétique renfermant toute notre existence, tout le vécu et l’à-vivre, toutes les époques en même temps, sans commencement ni fin. Je contemple à distance ce dessin où je figure moi aussi, spectateur et protagoniste à la fois. Je me tiens dans la pénombre, estompé par la brume de quelque voilage transparent. Je sais que c’est moi, mais je suis également l’observateur extérieur. Je suis au courant de ce qu’éprouve l’homme peint sur ce lit en bataille, dans une pièce aux poutres noirâtres sous ses voûtes de cathédrale, où la scène apparaît comme un fragment de cérémonie très ancienne. Je suis là-bas à tes côtés, mais également ici, seul, dans un autre temps de la conscience. Sur le tableau, le couple se repose après l’amour, la peau humide et luisante. L’homme a les yeux fermés, une main contre sa poitrine, l’autre sur sa cuisse à elle, dans une attitude de tendre complicité. Pour moi, cette séquence est à la fois récurrente et immuable, rien n’y change, c’est toujours le même placide sourire chez l’homme, la même langueur chez la femme, les mêmes plis qui marquent les draps, toujours la même ombre aux quatre coins de la chambre, la même lumière qui, filtrant de la lampe, vient effleurer sous le même angle ses pommettes et ses seins à elle, toujours le même châle en soie et la sombre chevelure tombant avec une égale légèreté.
Tu ôtais la ceinture qui enserrait ta taille, arrachais tes sandales, lançais dans un coin ton ample jupe —de cotonnade, me semble-t-il— et défaisais le nœud qui rassemblait tes cheveux en queue de cheval. Tu avais la chair de poule et riais. Nous nous tenions si près l’un de l’autre que nous ne pouvions nous voir, tous deux absorbés par ce pressant rituel, immergés dans la chaleur et l’odeur que nous dégagions conjointement. Je me frayais passage par tes chemins, mes mains sur tes hanches cambrées, les tiennes remplies d’impatience. Tu te lovais, tu m’explorais, tu m’enfourchais, tu m’enveloppais de tes jambes invincibles, et tes lèvres sur les miennes me disaient à mille reprises : viens. A l’instant crucial, nous éprouvions un avant-goût de l’absolue solitude, chacun de nous abîmé dans son gouffre brûlant, mais nous avions tôt fait de reprendre vie de l’autre côté du feu pour nous découvrir enlacés dans le désordre des oreillers, sous la blanche moustiquaire. J’écartais tes cheveux pour plonger mes yeux dans les tiens. Il t’arrivait parfois de t’asseoir à mes côtés, jambes repliées, ton châle de soie couvrant une de tes épaules, dans le silence de la nuit à peine commençante. C’est ainsi que je me souviens de toi, dans ce calme retrouvé.
Tu penses avec les mots, pour toi le langage est un fil inépuisable que tu tisses comme si la vie se fabriquait en la racontant. Moi, je pense avec les images congelées sur la pellicule photographique. Pourtant, cette image-ci n’est pas gravée sur une plaque sensible, on la dirait plutôt dessinée à la plume, c’est un souvenir précis, parfait, aux chaudes couleurs et aux volumes suaves, comme une esquisse d’inspiration Renaissance emprisonnée sur un papier granuleux ou quelque toile. Instant prophétique renfermant toute notre existence, tout le vécu et l’à-vivre, toutes les époques en même temps, sans commencement ni fin. Je contemple à distance ce dessin où je figure moi aussi, spectateur et protagoniste à la fois. Je me tiens dans la pénombre, estompé par la brume de quelque voilage transparent. Je sais que c’est moi, mais je suis également l’observateur extérieur. Je suis au courant de ce qu’éprouve l’homme peint sur ce lit en bataille, dans une pièce aux poutres noirâtres sous ses voûtes de cathédrale, où la scène apparaît comme un fragment de cérémonie très ancienne. Je suis là-bas à tes côtés, mais également ici, seul, dans un autre temps de la conscience. Sur le tableau, le couple se repose après l’amour, la peau humide et luisante. L’homme a les yeux fermés, une main contre sa poitrine, l’autre sur sa cuisse à elle, dans une attitude de tendre complicité. Pour moi, cette séquence est à la fois récurrente et immuable, rien n’y change, c’est toujours le même placide sourire chez l’homme, la même langueur chez la femme, les mêmes plis qui marquent les draps, toujours la même ombre aux quatre coins de la chambre, la même lumière qui, filtrant de la lampe, vient effleurer sous le même angle ses pommettes et ses seins à elle, toujours le même châle en soie et la sombre chevelure tombant avec une égale légèreté.
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Carole nous propose sa traduction :
Tu enlevais la ceinture qui entourait ta taille, tu jetais tes sandales, tu lançais dans un coin ton ample jupe, en coton, je crois, et tu détachais le nœud qui rassemblait tes cheveux en une queue-de-cheval. Tu avais la chair de poule et tu riais. Nous étions si proches, que nous ne pouvions nous voir, tous deux absorbés par ce rite urgent, enveloppés dans la chaleur et l’odeur que nous dégagions ensemble. Tu m’ouvrais le passage à tes chemins, mes mains dans le creux de tes reins cambrés et les tiennes impatientes. Tu glissais, tu parcourais mon corps, tu le remontais, tu m’entourais de tes jambes invincibles, tu me disais mille fois viens avec tes lèvres sur les miennes. A l’instant final, une lueur de complète solitude nous traversait, chacun perdu dans son abîme brûlant, mais aussitôt, nous ressuscitions de l’autre côté du feu pour nous découvrir enlacés dans le désordre des oreillers, sous la moustiquaire blanche. J’ôtais tes cheveux pour te regarder dans les yeux. Parfois, tu t’asseyais en tailleur à côté de moi, ton châle de soie sur les épaules, dans le silence de la nuit qui commençait à peine. Je me souviens de toi comme ça, dans le calme. Tu penses en parole, pour toi, le langage est un fil infini que tu tisses, comme si la vie s’incarnait en la racontant . Moi, je pense à des images figées dans une photographie. Pourtant, celle-ci n’est pas développée sur une plaque, elle semble dessinée à la plume, c’est un souvenir minutieux et parfait, de volumes amènes et de couleurs chaudes, époque Renaissance, comme une intention captée sur un papier granuleux ou sur une toile. C’est un moment prophétique, c’est toute notre existence, tout ce que nous avons vécu et ce qui nous reste à vivre, toutes les époques simultanées, sans début ni fin. Je prends de la distance pour regarder ce dessin, où j’y figure aussi. Je suis spectateur et protagoniste. Je suis dans la pénombre, dissimulé par la brume d’un voilage translucide. Je sais que c’est moi, mais je suis aussi celui qui observe depuis l’extérieur. Je connais ce que ressent l’homme peint sur ce lit en fatras, dans une chambre aux poutres obscures et au plafond de cathédrale, où la scène apparaît comme le fragment d’une cérémonie antique. Je suis là, avec toi, mais aussi ici, seul, dans un autre temps de la conscience. Dans le tableau, le couple se repose après avoir fait l’amour, leur peau à tous les deux brille, humide. L’homme a les yeux fermés, une main sur son torse, l’autre sur sa cuisse, à elle, dans une intime complicité. Pour moi, cette vision est récurrente et immuable, rien ne change, toujours le même sourire placide de l’homme, la même langueur de la femme, les mêmes plis des draps et recoins sombres de la pièce. Toujours la lumière de la lampe qui, adoptant le même angle, effleure ses seins et ses joues, à elle. Toujours son châle de soie et ses cheveux foncés qui tombent avec la même délicatesse.
Tu enlevais la ceinture qui entourait ta taille, tu jetais tes sandales, tu lançais dans un coin ton ample jupe, en coton, je crois, et tu détachais le nœud qui rassemblait tes cheveux en une queue-de-cheval. Tu avais la chair de poule et tu riais. Nous étions si proches, que nous ne pouvions nous voir, tous deux absorbés par ce rite urgent, enveloppés dans la chaleur et l’odeur que nous dégagions ensemble. Tu m’ouvrais le passage à tes chemins, mes mains dans le creux de tes reins cambrés et les tiennes impatientes. Tu glissais, tu parcourais mon corps, tu le remontais, tu m’entourais de tes jambes invincibles, tu me disais mille fois viens avec tes lèvres sur les miennes. A l’instant final, une lueur de complète solitude nous traversait, chacun perdu dans son abîme brûlant, mais aussitôt, nous ressuscitions de l’autre côté du feu pour nous découvrir enlacés dans le désordre des oreillers, sous la moustiquaire blanche. J’ôtais tes cheveux pour te regarder dans les yeux. Parfois, tu t’asseyais en tailleur à côté de moi, ton châle de soie sur les épaules, dans le silence de la nuit qui commençait à peine. Je me souviens de toi comme ça, dans le calme. Tu penses en parole, pour toi, le langage est un fil infini que tu tisses, comme si la vie s’incarnait en la racontant . Moi, je pense à des images figées dans une photographie. Pourtant, celle-ci n’est pas développée sur une plaque, elle semble dessinée à la plume, c’est un souvenir minutieux et parfait, de volumes amènes et de couleurs chaudes, époque Renaissance, comme une intention captée sur un papier granuleux ou sur une toile. C’est un moment prophétique, c’est toute notre existence, tout ce que nous avons vécu et ce qui nous reste à vivre, toutes les époques simultanées, sans début ni fin. Je prends de la distance pour regarder ce dessin, où j’y figure aussi. Je suis spectateur et protagoniste. Je suis dans la pénombre, dissimulé par la brume d’un voilage translucide. Je sais que c’est moi, mais je suis aussi celui qui observe depuis l’extérieur. Je connais ce que ressent l’homme peint sur ce lit en fatras, dans une chambre aux poutres obscures et au plafond de cathédrale, où la scène apparaît comme le fragment d’une cérémonie antique. Je suis là, avec toi, mais aussi ici, seul, dans un autre temps de la conscience. Dans le tableau, le couple se repose après avoir fait l’amour, leur peau à tous les deux brille, humide. L’homme a les yeux fermés, une main sur son torse, l’autre sur sa cuisse, à elle, dans une intime complicité. Pour moi, cette vision est récurrente et immuable, rien ne change, toujours le même sourire placide de l’homme, la même langueur de la femme, les mêmes plis des draps et recoins sombres de la pièce. Toujours la lumière de la lampe qui, adoptant le même angle, effleure ses seins et ses joues, à elle. Toujours son châle de soie et ses cheveux foncés qui tombent avec la même délicatesse.
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Brigitte nous propose sa traduction :
Tu enlevais la ceinture de ta jupe, tu jetais tes sandales, tu envoyais dans un coin ton ample jupe – de coton, me semble-t-il – et tu dénouais le ruban qui retenait tes cheveux en queue de cheval. Tu avais la peau frémissante et tu riais. Nous étions si proches que nous ne pouvions pas nous voir, tous deux absorbés par ce rituel urgent, enveloppés dans la chaleur et l’odeur que nous formions ensemble.
Je me frayais le passage dans tes chemins, mes mains posées sur ta taille cambrée et les tiennes, impatientes. Tu rampais, tu me parcourais, tu m’escaladais, tu m’enserrais entre tes jambes invincibles, tu me disais mille fois viens de tes lèvres posées sur les miennes.
Pendant l’instant final, nous avions un éclair de totale solitude, chacun de nous perdu dans son abîme brûlant, mais aussitôt nous renaissions de l’autre côté du feu pour nous découvrir enchevêtrés dans le désordre des édredons, sous la moustiquaire blanche. Je repoussais tes cheveux pour te regarder dans les yeux. Parfois, tu t’asseyais à côté de moi, les jambes repliées et ton châle de soie sur une épaule, dans le silence de la nuit qui commençait à peine.
C’est ainsi que je me souviens de toi, calme. Toi, tu penses en mots, pour toi le langage est un fil inépuisable que tu tisses comme si la vie se faisait en la racontant. Moi, je pense aux arrêts sur image d’une photo. Celle-ci, n’est pourtant pas imprimée sur une plaque, elle semble dessinée à la plume, c’est un souvenir minutieux et parfait, aux volumes doux et aux couleurs chaudes, de style Renaissance, comme une intention captée sur un papier à grain ou une étoffe. C’est un moment prophétique, c’est toute notre existence, tout ce qui a été vécu et ce qui est à vivre, toutes les époques en simultané, sans début ni fin. Je regarde ce dessin à une certaine distance, où je me trouve aussi. Je suis dans la pénombre, voilé par la brume d’un rideau translucide. Je sais que c’est moi, mais je suis aussi celui qui observe de l’extérieur. Je connais bien ce que ressent l’homme peint sur ce lit en désordre, dans une chambre aux poutres sombres et au plafond de cathédrale où la scène apparaît comme un fragment de cérémonie antique. Je suis là-bas avec toi et je suis aussi ici, seul, en un autre temps de la conscience. Sur le tableau, le couple se repose après avoir fait l’amour, leur peau à tous deux brille, humide. L’homme a les yeux fermés, une main sur son torse et l’autre sur sa cuisse à elle, dans une intime complicité. Pour moi, cette vision est récurrente et immuable, rien ne change, c’est toujours le même sourire placide de l’homme, la même langueur de la femme, les mêmes plis des draps et des recoins obscurs de la chambre, toujours la lumière de la lampe qui effleure ses seins et ses pommettes à elle depuis le même angle de vue et toujours le châle de soie et les cheveux sombres qui tombent avec la même délicatesse.
Odile nous propose sa traduction :
Tu ôtais la ceinture de ta taille, tu arrachais tes sandales, tu jetais dans un coin la large jupe, en coton, il me semble, et tu défaisais le ruban qui retenait tes cheveux en queue de cheval. Tu avais la chair de poule et tu riais. Nous etions si serrés que nous nous pouvions pas nous voir, absorbés tous deux par ce rite urgent, enveloppés dans la chaleur et l'odeur qui émanait de nous. Tu me laissais parcourir tes chemins, mes mains sur ta taille cabrée et les tiennes impatientes. Tu glissais, me parcourais, m'escaladais, m'enroulais de tes jambes invincibles, me disais mille fois vient, tes lèvres sur les miennes. Au moment final nous avions un éclair de complète solitude, chacun perdu dans son brûlant abîme, mais bientôt nous ressuscitions depuis l'autre côté du feu pour nous découvrir enlacés dans le désordre des oreillers, sous la moustiquaire blanche. J'écartais tes cheveux pour te regarder dans les yeux. Parfois, tu t'asseyais à mes côtés, les jambes repliées et ton châle de soie sur une épaule, dans le silence de la nuit qui commençait à peine. Je me souviens de toi ainsi, calme. Toi tu penses en mots, pour toi le langage est un fil inépuisable que tu tisses comme si la vie se déroulait en la racontant. Moi je pense en images figées sur une photograhie. Cependant, celle-ci n'est pas imprimée sur une plaque, elle semble dessinée à la plume, c'est un souvenir minutieux et parfait, aux doux volumes et aux chaudes couleurs, de style Renaissance comme une intention saisie sur un papier à grain ou sur une toile. C'est un moment prophétique, c'est toute notre existence, tout ce qui a été vécu et tout ce qui est à vivre, toutes les époques simultanées, sans début ni fin. A distance, je regarde ce dessin, dans lequel je figure aussi. Je suis spectateur et protagoniste. Je suis dans la pénombre, estompé par la brume d'un voilage transparent. Je sais que c'est moi, mais je suis aussi celui qui observe de l'extérieur. Je sais ce que pense l'homme peint sur ce lit en désordre, dans une chambre aux poutres sombres et au plafond de cathédrale, où la scène paraît le fragment d'une antique cérémonie . Je suis là-bas avec toi et ici aussi, seul, dans un autre temps de la conscience. Sur le tableau, le couple se repose après avoir fait l'amour, leur peau brille, humide. L'homme a les yeux fermés, une main sur la poitrine et l'autre sur sa cuisse, à elle, dans une intime complicité. Pour moi cette vision est récurrente et immuable, rien ne change, c'est toujours le même sourire placide de l'homme, la même langueur de la femme, les mêmes plis des draps et les mêmes coins sombres de la chambre, toujours la lumière de la lampe qui rosit ses seins et ses pommettes à elle, dans le même angle, et toujours le châle de soie et les cheveux noirs qui retombent avec la même délicatesse.
Je me frayais le passage dans tes chemins, mes mains posées sur ta taille cambrée et les tiennes, impatientes. Tu rampais, tu me parcourais, tu m’escaladais, tu m’enserrais entre tes jambes invincibles, tu me disais mille fois viens de tes lèvres posées sur les miennes.
Pendant l’instant final, nous avions un éclair de totale solitude, chacun de nous perdu dans son abîme brûlant, mais aussitôt nous renaissions de l’autre côté du feu pour nous découvrir enchevêtrés dans le désordre des édredons, sous la moustiquaire blanche. Je repoussais tes cheveux pour te regarder dans les yeux. Parfois, tu t’asseyais à côté de moi, les jambes repliées et ton châle de soie sur une épaule, dans le silence de la nuit qui commençait à peine.
C’est ainsi que je me souviens de toi, calme. Toi, tu penses en mots, pour toi le langage est un fil inépuisable que tu tisses comme si la vie se faisait en la racontant. Moi, je pense aux arrêts sur image d’une photo. Celle-ci, n’est pourtant pas imprimée sur une plaque, elle semble dessinée à la plume, c’est un souvenir minutieux et parfait, aux volumes doux et aux couleurs chaudes, de style Renaissance, comme une intention captée sur un papier à grain ou une étoffe. C’est un moment prophétique, c’est toute notre existence, tout ce qui a été vécu et ce qui est à vivre, toutes les époques en simultané, sans début ni fin. Je regarde ce dessin à une certaine distance, où je me trouve aussi. Je suis dans la pénombre, voilé par la brume d’un rideau translucide. Je sais que c’est moi, mais je suis aussi celui qui observe de l’extérieur. Je connais bien ce que ressent l’homme peint sur ce lit en désordre, dans une chambre aux poutres sombres et au plafond de cathédrale où la scène apparaît comme un fragment de cérémonie antique. Je suis là-bas avec toi et je suis aussi ici, seul, en un autre temps de la conscience. Sur le tableau, le couple se repose après avoir fait l’amour, leur peau à tous deux brille, humide. L’homme a les yeux fermés, une main sur son torse et l’autre sur sa cuisse à elle, dans une intime complicité. Pour moi, cette vision est récurrente et immuable, rien ne change, c’est toujours le même sourire placide de l’homme, la même langueur de la femme, les mêmes plis des draps et des recoins obscurs de la chambre, toujours la lumière de la lampe qui effleure ses seins et ses pommettes à elle depuis le même angle de vue et toujours le châle de soie et les cheveux sombres qui tombent avec la même délicatesse.
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Odile nous propose sa traduction :
Tu ôtais la ceinture de ta taille, tu arrachais tes sandales, tu jetais dans un coin la large jupe, en coton, il me semble, et tu défaisais le ruban qui retenait tes cheveux en queue de cheval. Tu avais la chair de poule et tu riais. Nous etions si serrés que nous nous pouvions pas nous voir, absorbés tous deux par ce rite urgent, enveloppés dans la chaleur et l'odeur qui émanait de nous. Tu me laissais parcourir tes chemins, mes mains sur ta taille cabrée et les tiennes impatientes. Tu glissais, me parcourais, m'escaladais, m'enroulais de tes jambes invincibles, me disais mille fois vient, tes lèvres sur les miennes. Au moment final nous avions un éclair de complète solitude, chacun perdu dans son brûlant abîme, mais bientôt nous ressuscitions depuis l'autre côté du feu pour nous découvrir enlacés dans le désordre des oreillers, sous la moustiquaire blanche. J'écartais tes cheveux pour te regarder dans les yeux. Parfois, tu t'asseyais à mes côtés, les jambes repliées et ton châle de soie sur une épaule, dans le silence de la nuit qui commençait à peine. Je me souviens de toi ainsi, calme. Toi tu penses en mots, pour toi le langage est un fil inépuisable que tu tisses comme si la vie se déroulait en la racontant. Moi je pense en images figées sur une photograhie. Cependant, celle-ci n'est pas imprimée sur une plaque, elle semble dessinée à la plume, c'est un souvenir minutieux et parfait, aux doux volumes et aux chaudes couleurs, de style Renaissance comme une intention saisie sur un papier à grain ou sur une toile. C'est un moment prophétique, c'est toute notre existence, tout ce qui a été vécu et tout ce qui est à vivre, toutes les époques simultanées, sans début ni fin. A distance, je regarde ce dessin, dans lequel je figure aussi. Je suis spectateur et protagoniste. Je suis dans la pénombre, estompé par la brume d'un voilage transparent. Je sais que c'est moi, mais je suis aussi celui qui observe de l'extérieur. Je sais ce que pense l'homme peint sur ce lit en désordre, dans une chambre aux poutres sombres et au plafond de cathédrale, où la scène paraît le fragment d'une antique cérémonie . Je suis là-bas avec toi et ici aussi, seul, dans un autre temps de la conscience. Sur le tableau, le couple se repose après avoir fait l'amour, leur peau brille, humide. L'homme a les yeux fermés, une main sur la poitrine et l'autre sur sa cuisse, à elle, dans une intime complicité. Pour moi cette vision est récurrente et immuable, rien ne change, c'est toujours le même sourire placide de l'homme, la même langueur de la femme, les mêmes plis des draps et les mêmes coins sombres de la chambre, toujours la lumière de la lampe qui rosit ses seins et ses pommettes à elle, dans le même angle, et toujours le châle de soie et les cheveux noirs qui retombent avec la même délicatesse.
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