En photo : Finlande 078 par perkele_cold
Voir ce petit article :
http://www.eurotopics.net/fr/presseschau/archiv/article/ARTICLE48260-Les-traducteurs-litteraires-ne-gagnent-pas-suffisamment
Plateforme communautaire et participative de traduction espagnol / français ; français / espagnol – Université Paris Nanterre
jeudi 30 avril 2009
Une belle rencontre avec Aline Schulman, par Jacqueline
Nous avons eu le privilège d’une rencontre exceptionnelle avec Aline Schulman qui nous a réservé plusieurs heures ce 29 avril pour nous parler de traduction et de SA traduction. De sa présentation, nous retenons qu’elle est née au Maroc- et Aline Schulman reconnaît que les multiples facettes de sa généalogie lui ont permis de prendre conscience très tôt que la langue n’est pas une mais multiple et que c’est sans doute ainsi qu’elle s’est sentie « poussée à la traduction »-, qu’elle a enseigné la littérature espagnole à la Sorbonne et exercé des responsabilités à l’ATLAS (Association des Traducteurs Littéraires) et au CNL ; parfaitement bilingue, elle a publié à dix huit ans sa première traduction, un livre de poèmes qu’elle a traduits en espagnol ; elle a traduit entre autres Juan Goytisolo dont elle est devenue la traductrice attitrée ainsi que des œuvres de Carlos Fuentes ; elle a publié par ailleurs un roman et espère bien en écrire un second. Nous savons tous enfin qu’elle a traduit La Célestine en 2006 et Don Quichotte quelques années auparavant. C’est autour de l’œuvre de Cervantès que s’articule son propos.
À partir et au-delà de cette expérience commentée, elle délivre à son auditoire très attentif un message exigeant, élevé, enthousiasmant :« La traduction, dit-elle, est une affaire d’éthique, de morale ». Vérité, fidélité, respect, effort, intégrité, sont les mots clé qui vont jalonner le chemin qui conduit le traducteur à travers les méandres de la difficulté. « Nous sommes l’être et le dieu en même temps ». Voilà qui a de quoi nous impressionner, ajoutons donc « responsabilité » à la liste établie, « une responsabilité aussi énorme que celle de l’écrivain». La différence qu’elle voit entre eux n’est qu’une question de lisibilité, l’auteur écrivant avant tout pour s’exprimer, tandis que le traducteur traduit pour être lu. « Le texte est silencieux, poursuit-elle, personne n’est derrière nous pour nous corriger, c’est en nous que nous devons puiser les diverses manières d’arriver à la vérité car tout est en nous ».
Mais comment parvenir « à la vérité, toute la vérité, rien que la vérité » ?
Par la musique, d’abord le traducteur se doit d’avoir l’oreille musicale, il faut pratiquer la lecture à haute voix pour accoutumer l’oreille à entendre, et ainsi construire et garder la mélodie de la phrase -et Aline Schulman confesse que les leçons de flamenco qu’elle a prises l’ont aidée à rester dans le ton des personnages, à comprendre le rythme de la langue du Quichotte qui rappelons-le est un livre essentiellement oral, composé de 90% de dialogues – ; c’est du reste une lecture à haute voix de sa propre traduction au théâtre de Nancy qui reste son meilleur souvenir de traductrice.
Par la vue ensuite, pour bien traduire un texte, il faut le visualiser, ainsi sera-t-il possible de mettre un mot sur la chose. Le traducteur est avant tout un être sensuel, intuitif, il doit deviner les blancs entre les lignes noires et les interpréter. Tout est affaire d’équilibre entre l’écriture et la réception de l’écriture, il faut parvenir à trouver un ton modéré entre l’auteur et le lecteur. D’où le problème de la réécriture, le lecteur d’hier n’est pas celui d’aujourd’hui, les traductions, ce sont des moments, « le visible d’une société, d’une époque ».
Alors, comment donc traduire le Quichotte aujourd’hui ?
Ni d’une façon archaïsante -et Aline Schulman se méfie des notes qui cassent le rythme et éloignent le lecteur du texte- qui délivre au lecteur un message d’un autre temps, ni d’une façon modernisante tout aussi artificielle. Un simple exemple suffit à illustrer son propos : dès la Préface, l’expression « lector desocupado » lui pose problème : « oisif, inoccupé », ne sont pas acceptables, « disponible » est trop moderne –dès le début, Aline Schulman a pris pour date butoir 1650 et tous les mots entrés dans le dictionnaire postérieurement ont été refoulés- ; elle déplie alors le sens et opte pour un « toi qui prendras le temps de me lire » en adéquation avec le discours de Cervantès. Pour Aline Schulman, la traduction n’est pas un travail avec « des mots sans vie », mais avec des vivants ». Le texte n’est pas sclérosé, on peut le transformer pour en faire quelque chose de lisible pour le lecteur. Borgès disait déjà, elle le cite : « l’idée d’un texte définitif émane de la religion ou de la fatigue ».
A la question, la fidélité est-elle la réversibilité, la traductrice répond que le maître mot est celui d’homologie : restituer un effet mais pas avec les mêmes éléments qui ont provoqué l’effet au départ, quitte à inventer, par exemple : « l’heaume à la barbe » pour rendre compte dans la bouche de Sancho du bassinet-petit casque- et du plat à barbe . Même les mots valise, elle le prouve, sont donc traduisibles ; Mais il faut traduire avec ce que nous sommes et Cidi Hamete devient tout naturellement Sidi Ahmed pour la méditerranéenne qu’est Aline Schulman.
Dans cet « Himalaya » qu’est la traduction du Quichotte, les proverbes tiennent une place de choix et retrouver les proverbes attestés depuis le 17ème n’a pas été chose aisée : Aline Schulman est fière à juste titre du « qui se frotte à l’ail ne peut sentir la giroflée » qu’elle a débusqué pour traduire « dime no con quien naces sino con quien paces » et qui remplace avantageusement, reconnaissons-le le « non avec qui tu nais, mais avec qui tu pais » littéral mais incompréhensible. Car le plus important, c’est que les proverbes soient recevables directement par le lecteur, que le livre parvienne jusqu’à lui et reste dans ses mains.
Nous pourrions multiplier les exemples tant l’échange a été riche et fructueux. Ce que nous souhaitons retenir avant tout, c’est que la traduction est le produit d’un effort conjugué ; bien sûr, le traducteur s’attache à l’objet qu’il a façonné mais pour se protéger d’un sentiment de propriété, une recette : quand il y a quelque chose qui grince ou qui coince dans la traduction, ce que la lecture à haute voix révèle impitoyablement, il faut revenir au texte, sans arrêt. Au fond, « le traducteur n’est le propriétaire que d’un bruit que fait le texte ».
On n’a pas envie de quitter Aline Schulman. On sent qu’elle pourrait animer de longues veillées au coin du feu, qu’elle a mille choses à raconter. Mais Quevedo et la traduction du Buscón l’attendent – prévue pour 2010- Et un jour, pourquoi pas, elle réalisera son rêve : traduire Saine Thérèse « pour traduire une femme et son vécu féminin ». Notons qu’à ce jour, elle est la seule femme à s’être attaquée -avec le bonheur que l’on sait- au Quichotte : six années d’efforts quotidiens qui ont permis à bien des lecteurs de retrouver ou de découvrir la voix de Cervantès. Merci madame Schulman.
Mais comment parvenir « à la vérité, toute la vérité, rien que la vérité » ?
Par la musique, d’abord le traducteur se doit d’avoir l’oreille musicale, il faut pratiquer la lecture à haute voix pour accoutumer l’oreille à entendre, et ainsi construire et garder la mélodie de la phrase -et Aline Schulman confesse que les leçons de flamenco qu’elle a prises l’ont aidée à rester dans le ton des personnages, à comprendre le rythme de la langue du Quichotte qui rappelons-le est un livre essentiellement oral, composé de 90% de dialogues – ; c’est du reste une lecture à haute voix de sa propre traduction au théâtre de Nancy qui reste son meilleur souvenir de traductrice.
Par la vue ensuite, pour bien traduire un texte, il faut le visualiser, ainsi sera-t-il possible de mettre un mot sur la chose. Le traducteur est avant tout un être sensuel, intuitif, il doit deviner les blancs entre les lignes noires et les interpréter. Tout est affaire d’équilibre entre l’écriture et la réception de l’écriture, il faut parvenir à trouver un ton modéré entre l’auteur et le lecteur. D’où le problème de la réécriture, le lecteur d’hier n’est pas celui d’aujourd’hui, les traductions, ce sont des moments, « le visible d’une société, d’une époque ».
Alors, comment donc traduire le Quichotte aujourd’hui ?
Ni d’une façon archaïsante -et Aline Schulman se méfie des notes qui cassent le rythme et éloignent le lecteur du texte- qui délivre au lecteur un message d’un autre temps, ni d’une façon modernisante tout aussi artificielle. Un simple exemple suffit à illustrer son propos : dès la Préface, l’expression « lector desocupado » lui pose problème : « oisif, inoccupé », ne sont pas acceptables, « disponible » est trop moderne –dès le début, Aline Schulman a pris pour date butoir 1650 et tous les mots entrés dans le dictionnaire postérieurement ont été refoulés- ; elle déplie alors le sens et opte pour un « toi qui prendras le temps de me lire » en adéquation avec le discours de Cervantès. Pour Aline Schulman, la traduction n’est pas un travail avec « des mots sans vie », mais avec des vivants ». Le texte n’est pas sclérosé, on peut le transformer pour en faire quelque chose de lisible pour le lecteur. Borgès disait déjà, elle le cite : « l’idée d’un texte définitif émane de la religion ou de la fatigue ».
A la question, la fidélité est-elle la réversibilité, la traductrice répond que le maître mot est celui d’homologie : restituer un effet mais pas avec les mêmes éléments qui ont provoqué l’effet au départ, quitte à inventer, par exemple : « l’heaume à la barbe » pour rendre compte dans la bouche de Sancho du bassinet-petit casque- et du plat à barbe . Même les mots valise, elle le prouve, sont donc traduisibles ; Mais il faut traduire avec ce que nous sommes et Cidi Hamete devient tout naturellement Sidi Ahmed pour la méditerranéenne qu’est Aline Schulman.
Dans cet « Himalaya » qu’est la traduction du Quichotte, les proverbes tiennent une place de choix et retrouver les proverbes attestés depuis le 17ème n’a pas été chose aisée : Aline Schulman est fière à juste titre du « qui se frotte à l’ail ne peut sentir la giroflée » qu’elle a débusqué pour traduire « dime no con quien naces sino con quien paces » et qui remplace avantageusement, reconnaissons-le le « non avec qui tu nais, mais avec qui tu pais » littéral mais incompréhensible. Car le plus important, c’est que les proverbes soient recevables directement par le lecteur, que le livre parvienne jusqu’à lui et reste dans ses mains.
Nous pourrions multiplier les exemples tant l’échange a été riche et fructueux. Ce que nous souhaitons retenir avant tout, c’est que la traduction est le produit d’un effort conjugué ; bien sûr, le traducteur s’attache à l’objet qu’il a façonné mais pour se protéger d’un sentiment de propriété, une recette : quand il y a quelque chose qui grince ou qui coince dans la traduction, ce que la lecture à haute voix révèle impitoyablement, il faut revenir au texte, sans arrêt. Au fond, « le traducteur n’est le propriétaire que d’un bruit que fait le texte ».
On n’a pas envie de quitter Aline Schulman. On sent qu’elle pourrait animer de longues veillées au coin du feu, qu’elle a mille choses à raconter. Mais Quevedo et la traduction du Buscón l’attendent – prévue pour 2010- Et un jour, pourquoi pas, elle réalisera son rêve : traduire Saine Thérèse « pour traduire une femme et son vécu féminin ». Notons qu’à ce jour, elle est la seule femme à s’être attaquée -avec le bonheur que l’on sait- au Quichotte : six années d’efforts quotidiens qui ont permis à bien des lecteurs de retrouver ou de découvrir la voix de Cervantès. Merci madame Schulman.
Un rendez-vous qui convienne à tout le monde… ou presque
À présent que vous êtes toutes dispersées de par le monde éditorial pour vos stages, il est bien difficile de trouver un moment pour vous réunir toutes… mais il le faut, car j'aimerais organiser une séance collective pour faire le bilan de cette année, à partir de votre traduction du texte de Carpentier, mais pas seulement.
Je vous propose le mercredi 20 mai, dans la matinée. Qu'en pensez-vous ?
Je vous propose le mercredi 20 mai, dans la matinée. Qu'en pensez-vous ?
Du nouveau dans la colonne de droite
D’un mot à l’autre, par Jacqueline
En photo : Mektoub par TobTob
Pour répondre à un post du 22 avril –déjà-, où il nous était demandé d’indiquer notre mot préféré, et parce que Nathalie m’a ouvert la voie avec ses termes anglais, je dirai que le mot qui m’est venu spontanément à l’esprit est : « Mektoub ». Au-delà de la symbolique – il signifie « c’était écrit » –, ces deux syllabes me renvoient à quelque chose de mystérieux qui remonte à mon enfance : un livre que j’avais reçu, La cité des sables, roman d’aventures et d’aviation (!) qui se passe au temps de l’aérospatiale, et où un des personnages appelé précisément Mektoub est pris entre sa foi et sa reconnaissance envers Lachaume ; je me souviens d’une phrase qui dit à peu près ceci : Lentement, l’Arabe monta les marches qui conduisaient à la dunette. il marcha fermement jusqu’à la rambarde, qu’il enjamba, et, parvenu de l’autre côté, il continua tout simplement à marcher, comme si le pont s’était prolongé à travers l’espace. Quand Lachaume l’apprendra, il dira simplement, en reprenant le nom de guerre de l’Arabe : Mektoub ! C’était écrit !
Pour ce qui est de l’espagnol, difficile à dire, j’aime toutes les sonorités de cette langue. Je crois que je citerai un mot tout simple : « Gracias », je l’ai appris bien avant d’apprendre l’espagnol au collège, peut-être est-ce le premier mot d’espagnol que j’ai appris, je ne sais pas. Je le préfère nettement au « Merci » français, trop sec, quasi chirurgical. Gracias est tout en arabesques, ses deux voyelles largement ouvertes offrent un son ample et généreux , la rondeur du groupe d’attaque me fait penser à un salto, on retient son souffle et le « s » final glisse comme « délices »; impossible d’imaginer « Gracias » prononcé bouche fermée ; en revanche, on peut très bien dire « merci entre ses dents », c’est bref et sans prolongement.
Pour votre attention, merci. C’est écrit.
Pour ce qui est de l’espagnol, difficile à dire, j’aime toutes les sonorités de cette langue. Je crois que je citerai un mot tout simple : « Gracias », je l’ai appris bien avant d’apprendre l’espagnol au collège, peut-être est-ce le premier mot d’espagnol que j’ai appris, je ne sais pas. Je le préfère nettement au « Merci » français, trop sec, quasi chirurgical. Gracias est tout en arabesques, ses deux voyelles largement ouvertes offrent un son ample et généreux , la rondeur du groupe d’attaque me fait penser à un salto, on retient son souffle et le « s » final glisse comme « délices »; impossible d’imaginer « Gracias » prononcé bouche fermée ; en revanche, on peut très bien dire « merci entre ses dents », c’est bref et sans prolongement.
Pour votre attention, merci. C’est écrit.
Références culturelles, 114 : El Tepache
mercredi 29 avril 2009
De la variation textuelle au Moyen Age. Le Livre des merveilles du Monde de Jean de Mandeville : textes aragonais et castillans, par Julia Roumier
En photo : Julia Roumier
[une petite parenthèse pour te remercier, chère Julia, de ta visite parmi nous !]
Parmi les œuvres médiévales qui connurent un grand succès figure en bonne place Le Livre des Merveilles de Jean de Mandeville, une des œuvres les plus lues en Europe du 14e au 16e siècle. Il compte parmi ses lecteurs d’aussi célèbres personnages que Christophe Colomb, Fernando de Rojas, Martorell et Cervantes (on le retrouve effectivement cité dans les textes de Persiles y Sigismunda ou de Tirant le Blanc). Ce texte pénétra en Espagne au travers d’une traduction aragonaise réalisée à la demande de Jean I d’Aragon vers 1380 (à partir du texte original rédigé en normand vers 1360) mais aussi au travers d’une traduction en castillan réalisée plus tardivement, à partir d’une version latine de ce texte. On conserve en tout cinq éditions en castillans datant du 16e siècle.
Il s’agit donc d’un texte dont l’intérêt s’est maintenu vivement aux yeux des lecteurs pendant plus de trois siècles. Au cours d’une si longue période, la nature de cet intérêt a bien entendu évolué et s’est porté sur des dimensions différentes du texte selon les époques. Ce sont ces évolutions du regard porté par les lecteurs que trahissent les variations textuelles dont témoignent les différentes versions du texte aujourd’hui conservées.
Tout d’abord, l’importation en Péninsule du récit de Mandeville est due en particulier à l’action exercée par le roi Pierre IV d’Aragon, le Cérémonieux (1336-1387), son fils Jean I (1387-1396) et Juan Fernandez de Heredia, Grand Maître de l’Ordre de Rhodes (1377-1396) . C’est bien un intérêt politique qui pousse les souverains de la Couronne d’Aragon à obtenir les traductions de nombreux textes portant sur l’Orient. L’Europe est alors avide de rassembler des savoirs sur les peuples orientaux qui fournissent la majeure partie des produits de luxe, mais aussi sur les Tartares dont la menace guerrière n’empêche pas les Chrétiens d’espérer une alliance stratégique.
W. Entwistle, soulignant que Jean I chercha à se procurer, en même temps que le livre de Mandeville, le De locis Terrae Sanctae de Theodorico, le De mirabilibus Terrae Sanctae de Odorico de Pordenone, et le Purgatori de San Patrici, insiste sur l’intérêt porté par le jeune souverain aux prodiges, au merveilleux si abondant dans ces textes. Mais cette hypothèse a été contestée, et en particulier par M.M. Rodríguez Temperley qui rappelle, au contraire, que cet intérêt pour la littérature de voyage était bien lié à des motifs politiques et mercantiles . A ses yeux, c’est bien à l’expansion catalane et aragonaise en Méditerranée orientale qu’il faut relier l’éveil de la curiosité pour ce genre de texte en Aragon.
C’est plus tardivement que ce goût du divertissement et du merveilleux prend le dessus dans les motivations des lecteurs du Livre des merveilles et cette évolution est une de celles que reflètent les variantes de ce texte qui dut s’adapter aux importants changements de société de la fin du Moyen Age. En effet, la traduction et la réédition du texte donnent lieu à un véritable travail de réécriture, de resémantisation qu’a souligné la critique M.M. Rodriguez Temperley dans un article consacré aux versions castillanes du texte de Mandeville : « Se advierte una falta de atención hacia el fenómeno de las traducciones medievales en las que en muchos casos no se traduce literalmente sino que se lleva a la práctica cierta tradición cultural que reescribe, actualiza y remoza el texto originario para adaptarlo a la lengua, cultura o ideología imperantes ».
Dans le cas des successives rééditions castillanes du récit de Mandeville, on constate au fil du temps une véritable réorientation de la fonction et du sens de l’œuvre par des changements sémantiques, des omissions et amplifications, des changements sur les images qui accompagnent le texte et en éclairent l’interprétation, mais aussi des modifications plus subtiles du texte. Distinguant dans l’orientation de ces modifications une double direction, Rodriguez Temperley a souligné une évolution vers une plus grande attention consacrée à la dimension prodigieuse, ainsi qu’un respect plus rigoureux du dogme catholique, très certainement sous l’influence de la réaction contre le protestantisme qui se produisit en Espagne dès 1521.
C’est cette double piste d’étude que nous souhaitons creuser ici, en ajoutant au corpus d’étude la comparaison de la version aragonaise avec les versions castillanes qui lui succédèrent, comparaison à laquelle invitait indirectement Joaquín Rubio Tovar dans son introduction au texte castillan de Mandeville :
a lo largo de estas páginas he insistido en la transformación que sufren los originales al trasladarse en otras lenguas. Conviene que el lector sepa de la enorme distancia que separa la traducción castellana editada en el siglo XVI, de la aragonesa de finales del XIV, y desde luego del original francés de 1360.
De simples erreurs de traduction ? (de l’aragonais au castillan)
p. 52; lignum aloe es bueno en muchas maneras de medicinas e si es bien claro → p. 188: la cual es muy buena para muchas melezinas porque vos digo que es bien cara.
p. 55: E hera así franca que ailli recebían todos los que se fuyan de otros lugares por lures mal fechos → es allí franca que recibe ende hombre todas las cosas sin pagar y allí vienen muchos mercaderes.
p. 56 : Si traye eill grandes virtudes car qui en traye un poco es guarido dela caduqua (épilepsie) e su rocin no puede ser effondido → si alguno traerá consigo de aquel arbol no podrá caer en pobreza ni afogar en agua.
1. L’effacement de la dimension de guide de pèlerin
L’imprimé de 1524 divise le texte en deux parties ; la deuxième traitant des Indes et des monstres est précédée d’un avertissement annonçant des « cosas maravillosas e imposibles de creer ». La couverture de l’ouvrage révèle déjà que c’est cette seconde partie qui est privilégiée ; on peut à cet égard souligner l’avertissement qui figure sur la couverture : « el que quisiere muchas cosas del mundo saber Compre este libro y sabra cosas que se spantara ».
Le texte castillan comporte de nombreuses erreurs de toponymie, d’autres concernant les distances, des omissions de points de l’itinéraire menant jusqu’à la Terre Sainte. La perte de ces éléments informatifs prive le texte de sa fonction de guide de pèlerin qui était pourtant un des objectifs poursuivis par l’auteur dans sa version primitive.
Le manuscrit aragonais (escorial M-III-7, fol. 32v, p. 75) consacre un long paragraphe à des éléments anecdotiques concernant l’expérience du pèlerin comme l’importance d’être en groupe, et il s’attarde en particulier sur les épreuves à surmonter, telles les souffrances physiques endurées, la traversée des déserts, le mal du pays. L’imprimé de 1524 supprime ce passage, le remplaçant par cette phrase elliptique : « porque muchos van a Jherusalem que no pueden yr a los otro romeajes y a dichos » (fol. 28r).
Les nombreuses indications portant sur les fortifications des villes infidèles ou les difficultés auxquelles se heurtent les pèlerins qu’on trouve dans le texte proviennent des récits de croisades qui servaient à étudier la possibilité d’une hypothétique récupération de la Terre Sainte. Ce qui au 14e était un sujet d’intérêt pour certains souverains chrétiens pour des raisons politiques paraît bien anachronique au 16e siècle et cette perte d’intérêt justifie bien entendu les coupes claires opérées dans le texte
De même les prophéties annonçant la récupération de la Terre Sainte ne sont plus perçues comme les encouragements nécessaires à la mise en œuvre d’une croisade et cette différence de perception se perçoit nettement dans leur retranscription qui se fait bien moins affirmative : « dizen algunos prophetas » (MS. ESc. M-III-7, 13r) → imprimé de 1524: « dizen muchos que de aquel arbol dixeron algunos prophetas que » (15r). La prophétie solidement affirmée est devenu un discours doublement rapporté et donc tenu à distance, une simple anecdote sans substance.
Le texte aragonais (p. 77), se voulant un guide précis des différents itinéraires, invite à l’amendement, ou en tous cas à l’ajout d’information par un lecteur mieux renseigné sur une portion de l’itinéraire que le narrateur avoue ne pas avoir parcourru : « algun vaillant hombre qui aya seido por este camino el lo pueda aquí ajustar si ly plaze » → ce passage est totalement dénaturé par la traduction castillane qui en perd le sens : « si esta materia plaze a algunos valientes hombres, lo relato » (p. 23).
La comparaison des textes fait apparaître que les versions castillanes ont perdu la dimension de guide de pèlerinage ou de témoignage d’un pèlerin. Les modifications subies par le texte aboutissent à un véritable changement de fonctionnalité de la matière narrative. Certes la description de la Terre Sainte est bien conservée, mais la multiplication des modifications en change bien la signification. Il faut en chercher les raisons dans les nombreux changements connus par la société durant le siècle qui sépare les deux versions du texte : la découverte de l’Amérique, les victoires turques remportées sur la Chrétienté ou l’augmentation du nombre des lecteurs grâce à l’imprimerie
2. L’influence de la contre Réforme. Mise en avant du dogmatisme catholique
D’autres modifications du texte distinguant le manuscrit aragonais de l’édition castillane semblent obéir au contexte historique qui imposait de modifier le texte pour lui éviter de subir des censures causées par ses contenus potentiellement générateurs de comportements ou d’opinions hérétiques.
- L’insistance sur le dogme se traduit le plus souvent par des ajouts plus ou moins longs de contenu didactique et dogmatique. Ainsi par exemple, cet ajout faisant référence à la nécessité de faire contrition, de se repentir en vue du Jugement Dernier : (p. 71) → « porque devemos trabajar que Nuestro Señor aya piedad de nosotros antes que vengamos a este general juicio » (p. 227).
- On constate également une plus grande hostilité envers des étrangers, davantage considérés comme des infidèles. Les variantes comportementales ou rituelles ne sont plus tolérées mais explicitement nommées hérésies. Le portrait fait des infidèles est plus hostile, critique, péjoratif. Quelques exemples :
(sur les crues du Nil) p. 49: et assi quando eilla non cresce poco y ha de caro tiempo por falta de humor → (p. 180) y assi como él cresce es carestía y esto es por mengua de maestría que no usan d’ella. On constate l’ajout d’une critique du manque de technique d’irrigation des Egyptiens qui bien au contraire savaient profiter des crues du Nil. Pourtant le texte aragonais précise cela : car de tanto como aqueilla los puede servir al luengo por regadio o otrament en tanto como el regadio se pueda estender e espandir por meatad dela tierra …
p. 55; Muy maravillosa condición (los beduinos) → de malas costumbres y condiciones: ajout d’un jugement négatif absent du texte aragonais.
p. 69: relique de Saint Jean Baptiste: p. 222→ et mismamente los moros fazen grant fiesta d’eill (suppression de cette phrase qui montre les Musulmans rendant un culte à une relique chrétienne)
La description des musulmans est en particulier singulièrement modifiée, à leur défaveur bien sûr (p. 78). Le texte original, ainsi que sa traduction en aragonais, multiplie les éléments tendant rapprocher les deux religions, énumère les points communs du dogme, les motifs d’entente. Le texte castillan s’applique à gommer ces mentions trop tolérantes ou à les dénaturer : et los besan e adoran en grant devoción (les musulmans révèrent les évangiles!) → besan en tierra por gran devoción (p. 240 ; les musulmans s’apparentent à des païens priant la terre elle-même).
los enfermos (ne font pas le ramadan) → los malvados. Changement total de sens!!
Dizen (los musulmanes) bien que d’esos III (profetas) fue Jesús el mas digno e el mas grant → dizen que de apuestos cuatro susodichos fue el mas excelente y grande (Mahomet!)
Il est également remarquable qu’un des seuls épisodes de l’édition de 1524 ne contenant pas d’illustration soit celui consacré à Mahomet et aux croyances musulmanes. Il n’est pas de bon ton au début du 16e siècle de représenter avec trop de sympathie ou d’intérêt les musulmans qui menacent la Chrétienté.
Ebron era la principal ciudad de los philisteos → p. 194: solía esser la más pobre ciudad de los filisteos (changement de sens!!)
p. 62: ajout d’un adjectif péjoratif concernant les juifs→ p. 206 reliquias de los inicuos judios
p. 77: description des Tartares, noirceur accrue du portrait : sorben el bruet e beven leche de dolces besias et comen perros, lobos, gatos, ratas e todas otras bestias → beven el caldo y la leche de todas las bestias y comen perros y asnos y todas cualesquier otras bestias. P. 237
la terre d’Ethiopie: Ajout: la cual es muy aborrecible, mala por habitar (p. 255)
Condamnation des pratiques religieuses hétérodoxes :
- Dans l’église du Saint Sépulcre, les prêtres officient de façon non conforme avec le dogme : “Pan… diziendo el paster noster e también algunas otra oraciones e las palabras de que el sagrament es consagrado car eillos non saben res de las ordenanzas que muchos papas han fecho mais eillos cantan bien devotament → p. 203: pan levado… diziendo el pater noster y otras algunas oraciones porque ellos no saben la que nos dezimos.
- Les croyances des jacobites, sectes de chrétiens d’Orient, qui prônent une auto-confession sans l’intermédiaire d’un prêtre. Les modifications de vocabulaire opèrent un glissement sémantique qui renforce la condamnation : Opinión devient yerros, fecho devient delito ou pecado.
mas siempre fallecen en algun articulo de nuestra fe (p. 73) → continuamente yerran en los artículos de LA fe (p. 228)
Les chrétiens jacobites: sant johan evangelista los batizo (ce qui pourrait leur donner une certaine légitimité!) → omission de cette précision dans le texte castillan ! Apertament → descompuestamente. La description de leur rituel devient absurde en castillan: echan dentro poldras de incens e de otras cosas aromatiquas → meten en sus orejas cosas bien olientes (p. 229)
- los santos padres papas qui son después venidos han ordenado afazer confessión a hombre et por buena razon → los santos padres que han seídos vicarios de Nuestro Señor han ordenado que se confiesen a hombre en lugar de Dios por muchas y buenas razones.
On constate par rapport au texte aragonais (p. 74) à l’ajout d’un paragraphe entier de nature doctrinale sur la confession la confession (p 230). Le renforcement sémantique insiste sur l’autorité ecclésiastique. Le discours du narrateur se distingue prudemment de celui des jacobites qui est mis à distance. Le texte castillan procède à une amplification réitérative des raisons de la confession auriculaire et ajoute une conclusion affirmant que les jacobites ont tort.
La condamnation des idées de Pedro de Osma sur la confession explique sans doute la censure dans le texte castillan des explications de Jean de Mandeville sur les pratiques de confession des jacobites. → La réforme luthérienne et l’introduction de la doctrine reformée en castille aurait incité à la modification .
Les habitants de l’île de Bragmep sont décrits dans la version aragonaise (p.183) comme de saints personnages possesseurs de toutes les vertus dont manquent les chrétiens et vivant une vie plus austère que celle de nombreux religieux. L’édition de 1524 omet le long paragraphe consacré à ces critiques des mœurs des Européens.
Dans les considérations sur les païens, la tolérance du texte aragonais contraste avec l’intransigeance de l’incunable de 1524. Pour comprendre le contexte ayant donné lieu à de telles modifications, il faut prendre en compte ce que cet ouvrage pouvait contenir de dangereusement contestataire pour l’idéologie dominante. On est aidé pour cela par un célèbre ouvrage de Carlo Ginzburg (1981 ), dans lequel ce dernier mène une enquête détaillée sur le procès d’inquisition subi au 16e siècle par Domenico Scandella, un meunier du Frioul. Il avoue dans sa confession avoir critiqué la confession faite à un prêtre « por aquel libro de mandevilla que he leído » et sa possession du Livre des merveilles ainsi que la lecture qu’il en a faite nous révèle la part de dangereuse hétérodoxie que cet ouvrage pouvait receler. Le discours du meunier montre que le texte n’est pas un simple discours informatif sur les conduites de peuples lointains, mais qu’il pouvait être lu comme un discours pragmatique générant de nouvelles formes de conduite.
- Les procédés de moralisation du texte.
Ajout de termes respectueux envers les personnages de l’Histoire sacrée :
p. 49; « nasció de la puncella » → p. 181: avía descendido del cielo y avía nacido de la Virgen María.
p. 50: seynnal de la cruz → p. 183: figura del crucificio de Nuestro Señor Jesucristo.
p. 64: el cuerpo de nuestra dama lo llevaban muerto por enterrar → la gloriosa Virgen santa la levaban (disparition de la mention faite du cadavre de la Vierge qui pose problème par rapport au dogme de la dormition)
- adjectifs de glorification (ajout de santo devant templo) et suppression des passages trop peu respectueux ou sacralisants :
p. 58; vierge: por que avía mucha leche en sus tetas e que li fazíán mal eila ende echó ailli → por cuanto ella tenía mucha leche en las sus preciosas tetas. (on enlève le détail naturaliste un peu trop désacralisant pour la Vierge qui est représentée comme une simple femme allaitante
- Élimination d’une comparaison outrageuse: (p. 61) assi como nos faríamos aqui devant corpus domini encore fazen mayor reverencia sin comparación ad aquellas letras (del soldán). Le respect immense que montrent les sujets pour les lettres portant la signature de ce dernier est comparé par le narrateur à celui des Chrétiens pour le corps du Christ.
+ transformation : les allusions aux chrétiens sont assumées à la première personne du pluriel (nos). Ajout très fréquent de la précision de chrétien ou catholique :
p. 56: Dicen que un senyor princeps d’occident ganara la tierra de promisión e fara cantar misa → p. 195: dixeron que un señor principe guerreraría a la tierra de promisión y que faría cantar la misa a ley de cristianos.
Adoucissement des critiques des chrétiens :
p. 83; Si no es pas maravilla si eillos no claman malos car eillos dizen verdat → moindre insistance sur les péchés de la chrétienté. Guardan mejor su ley y nosotros la guardamos tan mal que no es maravilla que ellos nos llaman malvados (il n’est plus écrit en toutes lettres que cela est VRAI)
- Supprimer ou adoucir les références à des actes sexuels.
Le prépuce du christ est mentionné de façon plus indirecte, avec plus de pudeur : p. 61: En aqueill templo estava charlemaine quoando el angel li traixo la prepucia nuestro señor dela circumcisión. → fue presentado y circuncidado Nuestro Señor, lo cual Carlo Magno falló y lo fizo llevar… (on évite la mention précise de l’objet, ce qui rend la phrase plus obscure. En effet, l’antécédent de « lo cual » serait alors le Christ lui-même)
p. 67: por el pecado de sodomia qui en eillos reinava → por el pecado de contra natura que en ella reinava (suppression de la mention précise de la sodomie)
- les références au sexe sont moins crues:
p. 47 le harem du sultan: quando eil en quiere aver una por jazer con eil … e a la noche hombre gela traye a su cambra → quando quiere dormir con alguna (et supresión de la phrase suivante!)
p. 67: Avia ya otro fijo qu’él avía engendrado en Agar su moça → avía ya avido otro fijo el cual fue engendrado en Agar su esclava
Le voeu du chevalier dans le chateau de l’épervier devient bien plus édulcoré : Desearía el cuerpo d’aquella dama aver a su voluntad (p. 84)→ demandara a ella (p.248).
De la même façon, l’édition de 1531 censure les expressions considérées comme choquantes ou malhonnêtes (el miembro de Noé (1521-1524) → las partes inferiores de Noé (1531)).
- Moralisation des images entre les éditions de 1521 et 1524 d’après l’étude menée par Alda Rossebastiano, La tradizione ibero-romanza del ‘Libro de las maravillas del mundo’ di Juan de Mandavila. Alessandria: Edizioni dell’Orso, 1997.
- Mais le texte contient cependant de nombreuses erreurs sur le dogme. Faut-il en conclure que le traducteur ne connaissait pas parfaitement le dogme catholique et l’Histoire Sainte ? p. 189; la curación del ciego → la curación de una vieja; l’âge de Sara à la naissance d’Isaac (290 au lieu de 90); la description de la ville de Hebron. Ces nombreuses erreurs sur des points du dogme ou de l’Histoire Sainte seraient plutôt la trace de la participation des imprimeurs et des typographes d’imprimerie (cajistas) dans la confection des livres.
Conclusion :
L’étude de la variation textuelle dans les différents témoignages du texte de Jean de Mandeville aujourd’hui conservés met en évidence les problèmes du statut du texte au Moyen Age. La diversité des visages d’un même texte selon le manuscrit ou l’édition consultés nous rappelle l’importance de ne pas se limiter à l’étude d’une seule version et la prudence nécessaire quand on ne conserve malheureusement qu’un unique exemplaire d’une oeuvre.
Si dans cette étude nous n’avons pu nous pencher que sur les différences existant entre le manuscrit aragonais et les toutes premières éditions castillanes, cette vision malheureusement parcellaire de la postérité de ce texte nous offre déjà de riches enseignements. Loin de ne constater que des erreurs de copistes ou de traductions, la comparaison des textes laisse entrevoir une véritable homogénéité des modifications. Comme l’écrit M.M. Rodríguez Temperley : « Paradójicamente estos errores brindan homogeneidad al texto creando un nuevo paradigma interpretativo y otorgando identidad al conjunto. Por ello podría afirmarse que existe una lógica del error que tiene su génesis en los modos de pensamiento y en el horizonte de expectativas de cada época » .
La longévité de l’intérêt pour le Livre des Merveilles a eu pour corollaire son adaptation, sa réécriture en fonction des évolutions connues par la société de réception. Cela passe dans ce cas précis par l’effacement de dimension de guide de pèlerin au profit du merveilleux naturel, bien davantage mis en avant dans les éditions modernes du texte, mais aussi, et cela n’est contradictoire qu’en apparence, par une plus grande prudence vis-à-vis du dogme religieux à l’époque où la Contre Réforme regardait avec une grande méfiance des textes potentiellement générateurs de conduites et d’opinions hétérodoxes.
Bibliographie
• Editions
MONTANES, Pilar Liria, Libro de las maravillas del mundo de Juan de Mandevilla, Zaragoza : Caja de Ahorros de Zaragoza, Aragón y Rioja, 1979.#
RUBIO TOVAR, Joaquín, Viajes medievales, Vol. 1, Madrid, Fundación José Antonio de Castro, 2005.
• Critiques
RODRIGUEZ TEMPERLEY, María Mercedes, « Variaciones textuales y cambios culturales en un libro de viajes. El caso de Juan de Mandevilla en España », in: German ORDUNA, H. O. BIZZARRI et al., Estudios sobre la variación textual. Prosa castellana de los siglos XIII a XVI. Buenos Aires, Secrit-Incipit Publicaciones, 6, p. 169-195, 2001.
¬— « Imprenta y variación textual : el caso de Juan de Mandevilla », Incipit, n°25-26, 2005-2006, p. 511-522.
— « Narrar, informar, conquistar: Los Viajes de Juan de Mandevilla en Aragón », in : Studia Neophilologica, 73.2, 2001, p. 184-196.
— « Edición crítica del manuscrito escurialense M-III-7 (Libro de las maravillas del mundo, de Juan de Mandevilla). Problemas y respuestas », Incipit, XXII (2002), pp. 145-158.
Il s’agit donc d’un texte dont l’intérêt s’est maintenu vivement aux yeux des lecteurs pendant plus de trois siècles. Au cours d’une si longue période, la nature de cet intérêt a bien entendu évolué et s’est porté sur des dimensions différentes du texte selon les époques. Ce sont ces évolutions du regard porté par les lecteurs que trahissent les variations textuelles dont témoignent les différentes versions du texte aujourd’hui conservées.
Tout d’abord, l’importation en Péninsule du récit de Mandeville est due en particulier à l’action exercée par le roi Pierre IV d’Aragon, le Cérémonieux (1336-1387), son fils Jean I (1387-1396) et Juan Fernandez de Heredia, Grand Maître de l’Ordre de Rhodes (1377-1396) . C’est bien un intérêt politique qui pousse les souverains de la Couronne d’Aragon à obtenir les traductions de nombreux textes portant sur l’Orient. L’Europe est alors avide de rassembler des savoirs sur les peuples orientaux qui fournissent la majeure partie des produits de luxe, mais aussi sur les Tartares dont la menace guerrière n’empêche pas les Chrétiens d’espérer une alliance stratégique.
W. Entwistle, soulignant que Jean I chercha à se procurer, en même temps que le livre de Mandeville, le De locis Terrae Sanctae de Theodorico, le De mirabilibus Terrae Sanctae de Odorico de Pordenone, et le Purgatori de San Patrici, insiste sur l’intérêt porté par le jeune souverain aux prodiges, au merveilleux si abondant dans ces textes. Mais cette hypothèse a été contestée, et en particulier par M.M. Rodríguez Temperley qui rappelle, au contraire, que cet intérêt pour la littérature de voyage était bien lié à des motifs politiques et mercantiles . A ses yeux, c’est bien à l’expansion catalane et aragonaise en Méditerranée orientale qu’il faut relier l’éveil de la curiosité pour ce genre de texte en Aragon.
C’est plus tardivement que ce goût du divertissement et du merveilleux prend le dessus dans les motivations des lecteurs du Livre des merveilles et cette évolution est une de celles que reflètent les variantes de ce texte qui dut s’adapter aux importants changements de société de la fin du Moyen Age. En effet, la traduction et la réédition du texte donnent lieu à un véritable travail de réécriture, de resémantisation qu’a souligné la critique M.M. Rodriguez Temperley dans un article consacré aux versions castillanes du texte de Mandeville : « Se advierte una falta de atención hacia el fenómeno de las traducciones medievales en las que en muchos casos no se traduce literalmente sino que se lleva a la práctica cierta tradición cultural que reescribe, actualiza y remoza el texto originario para adaptarlo a la lengua, cultura o ideología imperantes ».
Dans le cas des successives rééditions castillanes du récit de Mandeville, on constate au fil du temps une véritable réorientation de la fonction et du sens de l’œuvre par des changements sémantiques, des omissions et amplifications, des changements sur les images qui accompagnent le texte et en éclairent l’interprétation, mais aussi des modifications plus subtiles du texte. Distinguant dans l’orientation de ces modifications une double direction, Rodriguez Temperley a souligné une évolution vers une plus grande attention consacrée à la dimension prodigieuse, ainsi qu’un respect plus rigoureux du dogme catholique, très certainement sous l’influence de la réaction contre le protestantisme qui se produisit en Espagne dès 1521.
C’est cette double piste d’étude que nous souhaitons creuser ici, en ajoutant au corpus d’étude la comparaison de la version aragonaise avec les versions castillanes qui lui succédèrent, comparaison à laquelle invitait indirectement Joaquín Rubio Tovar dans son introduction au texte castillan de Mandeville :
a lo largo de estas páginas he insistido en la transformación que sufren los originales al trasladarse en otras lenguas. Conviene que el lector sepa de la enorme distancia que separa la traducción castellana editada en el siglo XVI, de la aragonesa de finales del XIV, y desde luego del original francés de 1360.
De simples erreurs de traduction ? (de l’aragonais au castillan)
p. 52; lignum aloe es bueno en muchas maneras de medicinas e si es bien claro → p. 188: la cual es muy buena para muchas melezinas porque vos digo que es bien cara.
p. 55: E hera así franca que ailli recebían todos los que se fuyan de otros lugares por lures mal fechos → es allí franca que recibe ende hombre todas las cosas sin pagar y allí vienen muchos mercaderes.
p. 56 : Si traye eill grandes virtudes car qui en traye un poco es guarido dela caduqua (épilepsie) e su rocin no puede ser effondido → si alguno traerá consigo de aquel arbol no podrá caer en pobreza ni afogar en agua.
1. L’effacement de la dimension de guide de pèlerin
L’imprimé de 1524 divise le texte en deux parties ; la deuxième traitant des Indes et des monstres est précédée d’un avertissement annonçant des « cosas maravillosas e imposibles de creer ». La couverture de l’ouvrage révèle déjà que c’est cette seconde partie qui est privilégiée ; on peut à cet égard souligner l’avertissement qui figure sur la couverture : « el que quisiere muchas cosas del mundo saber Compre este libro y sabra cosas que se spantara ».
Le texte castillan comporte de nombreuses erreurs de toponymie, d’autres concernant les distances, des omissions de points de l’itinéraire menant jusqu’à la Terre Sainte. La perte de ces éléments informatifs prive le texte de sa fonction de guide de pèlerin qui était pourtant un des objectifs poursuivis par l’auteur dans sa version primitive.
Le manuscrit aragonais (escorial M-III-7, fol. 32v, p. 75) consacre un long paragraphe à des éléments anecdotiques concernant l’expérience du pèlerin comme l’importance d’être en groupe, et il s’attarde en particulier sur les épreuves à surmonter, telles les souffrances physiques endurées, la traversée des déserts, le mal du pays. L’imprimé de 1524 supprime ce passage, le remplaçant par cette phrase elliptique : « porque muchos van a Jherusalem que no pueden yr a los otro romeajes y a dichos » (fol. 28r).
Les nombreuses indications portant sur les fortifications des villes infidèles ou les difficultés auxquelles se heurtent les pèlerins qu’on trouve dans le texte proviennent des récits de croisades qui servaient à étudier la possibilité d’une hypothétique récupération de la Terre Sainte. Ce qui au 14e était un sujet d’intérêt pour certains souverains chrétiens pour des raisons politiques paraît bien anachronique au 16e siècle et cette perte d’intérêt justifie bien entendu les coupes claires opérées dans le texte
De même les prophéties annonçant la récupération de la Terre Sainte ne sont plus perçues comme les encouragements nécessaires à la mise en œuvre d’une croisade et cette différence de perception se perçoit nettement dans leur retranscription qui se fait bien moins affirmative : « dizen algunos prophetas » (MS. ESc. M-III-7, 13r) → imprimé de 1524: « dizen muchos que de aquel arbol dixeron algunos prophetas que » (15r). La prophétie solidement affirmée est devenu un discours doublement rapporté et donc tenu à distance, une simple anecdote sans substance.
Le texte aragonais (p. 77), se voulant un guide précis des différents itinéraires, invite à l’amendement, ou en tous cas à l’ajout d’information par un lecteur mieux renseigné sur une portion de l’itinéraire que le narrateur avoue ne pas avoir parcourru : « algun vaillant hombre qui aya seido por este camino el lo pueda aquí ajustar si ly plaze » → ce passage est totalement dénaturé par la traduction castillane qui en perd le sens : « si esta materia plaze a algunos valientes hombres, lo relato » (p. 23).
La comparaison des textes fait apparaître que les versions castillanes ont perdu la dimension de guide de pèlerinage ou de témoignage d’un pèlerin. Les modifications subies par le texte aboutissent à un véritable changement de fonctionnalité de la matière narrative. Certes la description de la Terre Sainte est bien conservée, mais la multiplication des modifications en change bien la signification. Il faut en chercher les raisons dans les nombreux changements connus par la société durant le siècle qui sépare les deux versions du texte : la découverte de l’Amérique, les victoires turques remportées sur la Chrétienté ou l’augmentation du nombre des lecteurs grâce à l’imprimerie
2. L’influence de la contre Réforme. Mise en avant du dogmatisme catholique
D’autres modifications du texte distinguant le manuscrit aragonais de l’édition castillane semblent obéir au contexte historique qui imposait de modifier le texte pour lui éviter de subir des censures causées par ses contenus potentiellement générateurs de comportements ou d’opinions hérétiques.
- L’insistance sur le dogme se traduit le plus souvent par des ajouts plus ou moins longs de contenu didactique et dogmatique. Ainsi par exemple, cet ajout faisant référence à la nécessité de faire contrition, de se repentir en vue du Jugement Dernier : (p. 71) → « porque devemos trabajar que Nuestro Señor aya piedad de nosotros antes que vengamos a este general juicio » (p. 227).
- On constate également une plus grande hostilité envers des étrangers, davantage considérés comme des infidèles. Les variantes comportementales ou rituelles ne sont plus tolérées mais explicitement nommées hérésies. Le portrait fait des infidèles est plus hostile, critique, péjoratif. Quelques exemples :
(sur les crues du Nil) p. 49: et assi quando eilla non cresce poco y ha de caro tiempo por falta de humor → (p. 180) y assi como él cresce es carestía y esto es por mengua de maestría que no usan d’ella. On constate l’ajout d’une critique du manque de technique d’irrigation des Egyptiens qui bien au contraire savaient profiter des crues du Nil. Pourtant le texte aragonais précise cela : car de tanto como aqueilla los puede servir al luengo por regadio o otrament en tanto como el regadio se pueda estender e espandir por meatad dela tierra …
p. 55; Muy maravillosa condición (los beduinos) → de malas costumbres y condiciones: ajout d’un jugement négatif absent du texte aragonais.
p. 69: relique de Saint Jean Baptiste: p. 222→ et mismamente los moros fazen grant fiesta d’eill (suppression de cette phrase qui montre les Musulmans rendant un culte à une relique chrétienne)
La description des musulmans est en particulier singulièrement modifiée, à leur défaveur bien sûr (p. 78). Le texte original, ainsi que sa traduction en aragonais, multiplie les éléments tendant rapprocher les deux religions, énumère les points communs du dogme, les motifs d’entente. Le texte castillan s’applique à gommer ces mentions trop tolérantes ou à les dénaturer : et los besan e adoran en grant devoción (les musulmans révèrent les évangiles!) → besan en tierra por gran devoción (p. 240 ; les musulmans s’apparentent à des païens priant la terre elle-même).
los enfermos (ne font pas le ramadan) → los malvados. Changement total de sens!!
Dizen (los musulmanes) bien que d’esos III (profetas) fue Jesús el mas digno e el mas grant → dizen que de apuestos cuatro susodichos fue el mas excelente y grande (Mahomet!)
Il est également remarquable qu’un des seuls épisodes de l’édition de 1524 ne contenant pas d’illustration soit celui consacré à Mahomet et aux croyances musulmanes. Il n’est pas de bon ton au début du 16e siècle de représenter avec trop de sympathie ou d’intérêt les musulmans qui menacent la Chrétienté.
Ebron era la principal ciudad de los philisteos → p. 194: solía esser la más pobre ciudad de los filisteos (changement de sens!!)
p. 62: ajout d’un adjectif péjoratif concernant les juifs→ p. 206 reliquias de los inicuos judios
p. 77: description des Tartares, noirceur accrue du portrait : sorben el bruet e beven leche de dolces besias et comen perros, lobos, gatos, ratas e todas otras bestias → beven el caldo y la leche de todas las bestias y comen perros y asnos y todas cualesquier otras bestias. P. 237
la terre d’Ethiopie: Ajout: la cual es muy aborrecible, mala por habitar (p. 255)
Condamnation des pratiques religieuses hétérodoxes :
- Dans l’église du Saint Sépulcre, les prêtres officient de façon non conforme avec le dogme : “Pan… diziendo el paster noster e también algunas otra oraciones e las palabras de que el sagrament es consagrado car eillos non saben res de las ordenanzas que muchos papas han fecho mais eillos cantan bien devotament → p. 203: pan levado… diziendo el pater noster y otras algunas oraciones porque ellos no saben la que nos dezimos.
- Les croyances des jacobites, sectes de chrétiens d’Orient, qui prônent une auto-confession sans l’intermédiaire d’un prêtre. Les modifications de vocabulaire opèrent un glissement sémantique qui renforce la condamnation : Opinión devient yerros, fecho devient delito ou pecado.
mas siempre fallecen en algun articulo de nuestra fe (p. 73) → continuamente yerran en los artículos de LA fe (p. 228)
Les chrétiens jacobites: sant johan evangelista los batizo (ce qui pourrait leur donner une certaine légitimité!) → omission de cette précision dans le texte castillan ! Apertament → descompuestamente. La description de leur rituel devient absurde en castillan: echan dentro poldras de incens e de otras cosas aromatiquas → meten en sus orejas cosas bien olientes (p. 229)
- los santos padres papas qui son después venidos han ordenado afazer confessión a hombre et por buena razon → los santos padres que han seídos vicarios de Nuestro Señor han ordenado que se confiesen a hombre en lugar de Dios por muchas y buenas razones.
On constate par rapport au texte aragonais (p. 74) à l’ajout d’un paragraphe entier de nature doctrinale sur la confession la confession (p 230). Le renforcement sémantique insiste sur l’autorité ecclésiastique. Le discours du narrateur se distingue prudemment de celui des jacobites qui est mis à distance. Le texte castillan procède à une amplification réitérative des raisons de la confession auriculaire et ajoute une conclusion affirmant que les jacobites ont tort.
La condamnation des idées de Pedro de Osma sur la confession explique sans doute la censure dans le texte castillan des explications de Jean de Mandeville sur les pratiques de confession des jacobites. → La réforme luthérienne et l’introduction de la doctrine reformée en castille aurait incité à la modification .
Les habitants de l’île de Bragmep sont décrits dans la version aragonaise (p.183) comme de saints personnages possesseurs de toutes les vertus dont manquent les chrétiens et vivant une vie plus austère que celle de nombreux religieux. L’édition de 1524 omet le long paragraphe consacré à ces critiques des mœurs des Européens.
Dans les considérations sur les païens, la tolérance du texte aragonais contraste avec l’intransigeance de l’incunable de 1524. Pour comprendre le contexte ayant donné lieu à de telles modifications, il faut prendre en compte ce que cet ouvrage pouvait contenir de dangereusement contestataire pour l’idéologie dominante. On est aidé pour cela par un célèbre ouvrage de Carlo Ginzburg (1981 ), dans lequel ce dernier mène une enquête détaillée sur le procès d’inquisition subi au 16e siècle par Domenico Scandella, un meunier du Frioul. Il avoue dans sa confession avoir critiqué la confession faite à un prêtre « por aquel libro de mandevilla que he leído » et sa possession du Livre des merveilles ainsi que la lecture qu’il en a faite nous révèle la part de dangereuse hétérodoxie que cet ouvrage pouvait receler. Le discours du meunier montre que le texte n’est pas un simple discours informatif sur les conduites de peuples lointains, mais qu’il pouvait être lu comme un discours pragmatique générant de nouvelles formes de conduite.
- Les procédés de moralisation du texte.
Ajout de termes respectueux envers les personnages de l’Histoire sacrée :
p. 49; « nasció de la puncella » → p. 181: avía descendido del cielo y avía nacido de la Virgen María.
p. 50: seynnal de la cruz → p. 183: figura del crucificio de Nuestro Señor Jesucristo.
p. 64: el cuerpo de nuestra dama lo llevaban muerto por enterrar → la gloriosa Virgen santa la levaban (disparition de la mention faite du cadavre de la Vierge qui pose problème par rapport au dogme de la dormition)
- adjectifs de glorification (ajout de santo devant templo) et suppression des passages trop peu respectueux ou sacralisants :
p. 58; vierge: por que avía mucha leche en sus tetas e que li fazíán mal eila ende echó ailli → por cuanto ella tenía mucha leche en las sus preciosas tetas. (on enlève le détail naturaliste un peu trop désacralisant pour la Vierge qui est représentée comme une simple femme allaitante
- Élimination d’une comparaison outrageuse: (p. 61) assi como nos faríamos aqui devant corpus domini encore fazen mayor reverencia sin comparación ad aquellas letras (del soldán). Le respect immense que montrent les sujets pour les lettres portant la signature de ce dernier est comparé par le narrateur à celui des Chrétiens pour le corps du Christ.
+ transformation : les allusions aux chrétiens sont assumées à la première personne du pluriel (nos). Ajout très fréquent de la précision de chrétien ou catholique :
p. 56: Dicen que un senyor princeps d’occident ganara la tierra de promisión e fara cantar misa → p. 195: dixeron que un señor principe guerreraría a la tierra de promisión y que faría cantar la misa a ley de cristianos.
Adoucissement des critiques des chrétiens :
p. 83; Si no es pas maravilla si eillos no claman malos car eillos dizen verdat → moindre insistance sur les péchés de la chrétienté. Guardan mejor su ley y nosotros la guardamos tan mal que no es maravilla que ellos nos llaman malvados (il n’est plus écrit en toutes lettres que cela est VRAI)
- Supprimer ou adoucir les références à des actes sexuels.
Le prépuce du christ est mentionné de façon plus indirecte, avec plus de pudeur : p. 61: En aqueill templo estava charlemaine quoando el angel li traixo la prepucia nuestro señor dela circumcisión. → fue presentado y circuncidado Nuestro Señor, lo cual Carlo Magno falló y lo fizo llevar… (on évite la mention précise de l’objet, ce qui rend la phrase plus obscure. En effet, l’antécédent de « lo cual » serait alors le Christ lui-même)
p. 67: por el pecado de sodomia qui en eillos reinava → por el pecado de contra natura que en ella reinava (suppression de la mention précise de la sodomie)
- les références au sexe sont moins crues:
p. 47 le harem du sultan: quando eil en quiere aver una por jazer con eil … e a la noche hombre gela traye a su cambra → quando quiere dormir con alguna (et supresión de la phrase suivante!)
p. 67: Avia ya otro fijo qu’él avía engendrado en Agar su moça → avía ya avido otro fijo el cual fue engendrado en Agar su esclava
Le voeu du chevalier dans le chateau de l’épervier devient bien plus édulcoré : Desearía el cuerpo d’aquella dama aver a su voluntad (p. 84)→ demandara a ella (p.248).
De la même façon, l’édition de 1531 censure les expressions considérées comme choquantes ou malhonnêtes (el miembro de Noé (1521-1524) → las partes inferiores de Noé (1531)).
- Moralisation des images entre les éditions de 1521 et 1524 d’après l’étude menée par Alda Rossebastiano, La tradizione ibero-romanza del ‘Libro de las maravillas del mundo’ di Juan de Mandavila. Alessandria: Edizioni dell’Orso, 1997.
- Mais le texte contient cependant de nombreuses erreurs sur le dogme. Faut-il en conclure que le traducteur ne connaissait pas parfaitement le dogme catholique et l’Histoire Sainte ? p. 189; la curación del ciego → la curación de una vieja; l’âge de Sara à la naissance d’Isaac (290 au lieu de 90); la description de la ville de Hebron. Ces nombreuses erreurs sur des points du dogme ou de l’Histoire Sainte seraient plutôt la trace de la participation des imprimeurs et des typographes d’imprimerie (cajistas) dans la confection des livres.
Conclusion :
L’étude de la variation textuelle dans les différents témoignages du texte de Jean de Mandeville aujourd’hui conservés met en évidence les problèmes du statut du texte au Moyen Age. La diversité des visages d’un même texte selon le manuscrit ou l’édition consultés nous rappelle l’importance de ne pas se limiter à l’étude d’une seule version et la prudence nécessaire quand on ne conserve malheureusement qu’un unique exemplaire d’une oeuvre.
Si dans cette étude nous n’avons pu nous pencher que sur les différences existant entre le manuscrit aragonais et les toutes premières éditions castillanes, cette vision malheureusement parcellaire de la postérité de ce texte nous offre déjà de riches enseignements. Loin de ne constater que des erreurs de copistes ou de traductions, la comparaison des textes laisse entrevoir une véritable homogénéité des modifications. Comme l’écrit M.M. Rodríguez Temperley : « Paradójicamente estos errores brindan homogeneidad al texto creando un nuevo paradigma interpretativo y otorgando identidad al conjunto. Por ello podría afirmarse que existe una lógica del error que tiene su génesis en los modos de pensamiento y en el horizonte de expectativas de cada época » .
La longévité de l’intérêt pour le Livre des Merveilles a eu pour corollaire son adaptation, sa réécriture en fonction des évolutions connues par la société de réception. Cela passe dans ce cas précis par l’effacement de dimension de guide de pèlerin au profit du merveilleux naturel, bien davantage mis en avant dans les éditions modernes du texte, mais aussi, et cela n’est contradictoire qu’en apparence, par une plus grande prudence vis-à-vis du dogme religieux à l’époque où la Contre Réforme regardait avec une grande méfiance des textes potentiellement générateurs de conduites et d’opinions hétérodoxes.
Bibliographie
• Editions
MONTANES, Pilar Liria, Libro de las maravillas del mundo de Juan de Mandevilla, Zaragoza : Caja de Ahorros de Zaragoza, Aragón y Rioja, 1979.#
RUBIO TOVAR, Joaquín, Viajes medievales, Vol. 1, Madrid, Fundación José Antonio de Castro, 2005.
• Critiques
RODRIGUEZ TEMPERLEY, María Mercedes, « Variaciones textuales y cambios culturales en un libro de viajes. El caso de Juan de Mandevilla en España », in: German ORDUNA, H. O. BIZZARRI et al., Estudios sobre la variación textual. Prosa castellana de los siglos XIII a XVI. Buenos Aires, Secrit-Incipit Publicaciones, 6, p. 169-195, 2001.
¬— « Imprenta y variación textual : el caso de Juan de Mandevilla », Incipit, n°25-26, 2005-2006, p. 511-522.
— « Narrar, informar, conquistar: Los Viajes de Juan de Mandevilla en Aragón », in : Studia Neophilologica, 73.2, 2001, p. 184-196.
— « Edición crítica del manuscrito escurialense M-III-7 (Libro de las maravillas del mundo, de Juan de Mandevilla). Problemas y respuestas », Incipit, XXII (2002), pp. 145-158.
Référénces culturelles, 113 : Un billet de Laure G. sur l'ETA
En photo : ETA Graffiti, Donostia, Northern Spain, July 2007 par Dr John2005
A l’heure où les médias espagnols et français dressent le bilan du séjour des Sarkosy en Espagne, fleurissent quelques dérives « people » ou petites bévues de langage… Le quotidien espagnol ABC titre que « Carla Bruni était accompagnée du chef de l’État français » (qui accompagnait qui, vraiment ?), certains comptent les points du match Carla-Laetitia, d’autres ne contrôlent leur faconde sur la hauteur des talons respectifs de ces premières dames…
Mais tout cela ne doit pas faire oublier les dossiers sérieux qui ont été analysés par les chefs de l’exécutif : parmi les points clef d’une collaboration déjà fructueuse mais qui se veut consolidée sont à noter l’immigration illégale, la future présidence espagnole de l’UE que la France plébiscitera, la lutte commune contre le trafic de drogues, et surtout… surtout… la lutte contre le terrorisme basque !
Le sujet « fronterizo » de la violence armée de l’ETA mérite un bref point historique et un bilan actuel, que je vous livre en suivant…
L’ETA, groupe terroriste indépendantiste basque, est né en 1959, lorsque les valeurs et la répression franquiste étaient moribonds, remis en cause par les mouvements estudiantins, ouvriers, et bien évidemment les nationalistes, lassés de voir leurs droits à l’autonomie bafoués, leur droit d’exister et de parler muselé… Ses initiales sont le reflet de leur revendication : Euskadi Ta Askatasuna, Pays Basque et Liberté. Son blason, la hache et le serpent, sont eux à l’image de leur moyen d’expression, radical : « duros como el hacha, sigilosos como la serpiente » explicite d’ailleurs leur devise.
De fait, leur « dureté » (duros) s’est illustrée à diverses reprises tout au long de l’histoire de la démocratie espagnole –attentats, extorsion de fonds, terreur ambiante-, faisant d’ailleurs naître le paradoxe de leur existence : puisque la démocratie accorde un statut privilégié aux « naciones y nacionalidades» -article 2 de la Constitution de 1978-, reconnaissant une large autonomie au Pays Basque, la violence armée n’a guère plus de légitimité. La quête d’une toujours plus grande autonomie, dont personne ne saurait définir clairement les limites, est insatiable, et est d’ailleurs reléguée par les partis nationalistes démocratiques tels que le PNV qui, en délégitimant sans cesse les propositions du gouvernement central de Madrid, légitiment d’une certaine manière les actes et les revendications de l’ETA. Depuis mars 2009, le PNV qui était au pouvoir depuis 30 ans n’a plus pignon sur rue…Doit-on y voir une fenêtre d’espoir pour une politique qui soit moins le terreau de l’extrémisme? : sans aucun doute.
Quant à la « discrétion » (sigiloso) du groupe armé, elle est en train de se transformer en mutisme forcé, pour le bien de tous, bien que chacun s’accorde à ne pas crier victoire trop vite. De fait, la collaboration policière et judiciaire entre l’Espagne et la France a permis de gagner de grandes victoires contre ce terrorisme : en deux ans, tous les chefs politiques et militaires qui se succédaient à la tête de l’ETA ont été arrêtés (Thierry, Txeroki, Martitegui la semaine dernière), sans compter les nombreuses autres arrestations d’etarras. Le groupe armé subit même des revers de l’intérieur : les dissensions entre les vétérans de l’ETA comme Otegui, qui prônent la fin de la violence armée, des attentats, et la jeune garde de plus en plus radicale et fanatique, élevée à la kale borroka –violence urbaine, détérioration de biens publics, sacages,…- n’est plus à démontrer. Au cœur même des prisons, les prisonniers de l’ETA se divisent et n’ont de cesse de reprocher aux chefs leur initiative malheureuse, avec l’attentat de Barajas, d’avoir mis un terme au dialogue de paix que Zapatero avait engagé en 2006. Soyons tout de même prudents, car à diverses reprises dernièrement le groupe armé a imposé sa présence, sans discrétion mais plutôt à grands renforts de communiqués médiatisés, comme celui qui menaçait de mort la nouvelle chef popular du Parlement autonome, Quiroga, et le nouveau lehendakari –chef du gouvernement en euskera- socialiste Patxi López.
Aujourd’hui, on nous passait en boucle sur diverses chaînes d’information le « merci » de Sarkozy à sa femme qui, de ses propres dires, a bien plu aux espagnols et l’a donc bien secondé durant son séjour… Concluons avec d’autres félicitations : à l’efficace collaboration franco-espagnole pour ses succès en matière de lutte contre le terrorisme basque, tout en gardant à l’esprit que les batailles gagnées n’ont pas encore fait gagner la guerre…
Sujet sérieux versus sujet frivole
A l’heure où les médias espagnols et français dressent le bilan du séjour des Sarkosy en Espagne, fleurissent quelques dérives « people » ou petites bévues de langage… Le quotidien espagnol ABC titre que « Carla Bruni était accompagnée du chef de l’État français » (qui accompagnait qui, vraiment ?), certains comptent les points du match Carla-Laetitia, d’autres ne contrôlent leur faconde sur la hauteur des talons respectifs de ces premières dames…
Mais tout cela ne doit pas faire oublier les dossiers sérieux qui ont été analysés par les chefs de l’exécutif : parmi les points clef d’une collaboration déjà fructueuse mais qui se veut consolidée sont à noter l’immigration illégale, la future présidence espagnole de l’UE que la France plébiscitera, la lutte commune contre le trafic de drogues, et surtout… surtout… la lutte contre le terrorisme basque !
Le sujet « fronterizo » de la violence armée de l’ETA mérite un bref point historique et un bilan actuel, que je vous livre en suivant…
L’ETA, groupe terroriste indépendantiste basque, est né en 1959, lorsque les valeurs et la répression franquiste étaient moribonds, remis en cause par les mouvements estudiantins, ouvriers, et bien évidemment les nationalistes, lassés de voir leurs droits à l’autonomie bafoués, leur droit d’exister et de parler muselé… Ses initiales sont le reflet de leur revendication : Euskadi Ta Askatasuna, Pays Basque et Liberté. Son blason, la hache et le serpent, sont eux à l’image de leur moyen d’expression, radical : « duros como el hacha, sigilosos como la serpiente » explicite d’ailleurs leur devise.
De fait, leur « dureté » (duros) s’est illustrée à diverses reprises tout au long de l’histoire de la démocratie espagnole –attentats, extorsion de fonds, terreur ambiante-, faisant d’ailleurs naître le paradoxe de leur existence : puisque la démocratie accorde un statut privilégié aux « naciones y nacionalidades» -article 2 de la Constitution de 1978-, reconnaissant une large autonomie au Pays Basque, la violence armée n’a guère plus de légitimité. La quête d’une toujours plus grande autonomie, dont personne ne saurait définir clairement les limites, est insatiable, et est d’ailleurs reléguée par les partis nationalistes démocratiques tels que le PNV qui, en délégitimant sans cesse les propositions du gouvernement central de Madrid, légitiment d’une certaine manière les actes et les revendications de l’ETA. Depuis mars 2009, le PNV qui était au pouvoir depuis 30 ans n’a plus pignon sur rue…Doit-on y voir une fenêtre d’espoir pour une politique qui soit moins le terreau de l’extrémisme? : sans aucun doute.
Quant à la « discrétion » (sigiloso) du groupe armé, elle est en train de se transformer en mutisme forcé, pour le bien de tous, bien que chacun s’accorde à ne pas crier victoire trop vite. De fait, la collaboration policière et judiciaire entre l’Espagne et la France a permis de gagner de grandes victoires contre ce terrorisme : en deux ans, tous les chefs politiques et militaires qui se succédaient à la tête de l’ETA ont été arrêtés (Thierry, Txeroki, Martitegui la semaine dernière), sans compter les nombreuses autres arrestations d’etarras. Le groupe armé subit même des revers de l’intérieur : les dissensions entre les vétérans de l’ETA comme Otegui, qui prônent la fin de la violence armée, des attentats, et la jeune garde de plus en plus radicale et fanatique, élevée à la kale borroka –violence urbaine, détérioration de biens publics, sacages,…- n’est plus à démontrer. Au cœur même des prisons, les prisonniers de l’ETA se divisent et n’ont de cesse de reprocher aux chefs leur initiative malheureuse, avec l’attentat de Barajas, d’avoir mis un terme au dialogue de paix que Zapatero avait engagé en 2006. Soyons tout de même prudents, car à diverses reprises dernièrement le groupe armé a imposé sa présence, sans discrétion mais plutôt à grands renforts de communiqués médiatisés, comme celui qui menaçait de mort la nouvelle chef popular du Parlement autonome, Quiroga, et le nouveau lehendakari –chef du gouvernement en euskera- socialiste Patxi López.
Aujourd’hui, on nous passait en boucle sur diverses chaînes d’information le « merci » de Sarkozy à sa femme qui, de ses propres dires, a bien plu aux espagnols et l’a donc bien secondé durant son séjour… Concluons avec d’autres félicitations : à l’efficace collaboration franco-espagnole pour ses succès en matière de lutte contre le terrorisme basque, tout en gardant à l’esprit que les batailles gagnées n’ont pas encore fait gagner la guerre…
mardi 28 avril 2009
« La traduction », par Françoise CANON-ROGER
http://www.revue-texto.net/Reperes/Themes/Canon-Roger/Canon-Roger_Traduction.html
Entretien de Nathalie Lavigne avec Liliane Hasson
En photo : Liliane Hasson
© RFI - D.R.
© RFI - D.R.
1 – Comment êtes-vous venue à la traduction ?
Par amour de la littérature. Et par rejet de la traduction scolaire et universitaire, de la sacro-sainte (a)version..
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
C’était une traduction sous pseudonyme (Gallimard). Pas tellement de bien : trop proche du texte, pas assez libre. Mais « correcte ».
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
De traducteur littéraire, je précise.
Très difficile comme métier à plein temps : la plupart des traducteurs sont enseignants (ce fut mon cas), journalistes, etc. Ou bien la traduction constitue un salaire d’appoint dans un couple. Il y a des exceptions, bien sûr. Les traducteurs à plein temps sont parfois tenus d’accepter des textes d’un intérêt littéraire, disons, limité…Exemples: ouvrages pratiques, techniques, pornos, romans de gare.
4 – Vous traduisez davantage de romans que de théâtre, par exemple: voyez-vous d’importantes différences entre les deux en tant que traducteur ?
Enormes : pour le théâtre, il faut que le comédien ait le texte « en bouche » : parfois au détriment de l’exactitude. Le rythme, la sonorité, sont déterminants. Travailler dans son « gueuloir ».
5 – Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
C’est selon, cela dépend des éditeurs, de la conjoncture, du «marché» du travail, de la notoriété de chacun. Dans les professions libérales, rien n’est codifié.
6 – Quels rapports (éventuels) entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
Je tiens à avoir des relations avec les auteurs : les entendre parler de leur texte, leur demander l’explication de termes spécifiques, par exemple les dialectes, l’argot, certaines expressions connotées. Mais attention : certains auteurs, qui croient posséder la langue française, s’arrogent le droit d’intervenir, pas toujours à bon escient. Un équilibre délicat à maintenir. En général, cela se passe bien, car la plupart des auteurs nous savent gré de nous intéresser à leur œuvre et sont volontiers coopératifs sans pour autant s’immiscer dans notre travail. En d‘autres termes, ils nous respectent..
7 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
Le meilleur : Carlos Victoria, La Traversée secrète (Phébus, 2001). Pour ce roman d’apprentissage admirable, la bonne entente a été totale entre l’auteur – qui vivait à Miami – et moi, par courriel et par téléphone. J’ai pu avoir des renseignements sur la genèse du livre, qui dépassaient largement les problèmes de traduction. Un apport précieux.
Le pire : Zoé Valdés, Cher premier amour (Actes Sud, 2000). N’insistons pas, par charité.
8 – Y a-t-il un texte en particulier que vous auriez aimé ou aimeriez traduire ?
Oh oui ! Sinon, je serais une piètre lectrice et traductrice. La liste est longue.
9 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Les deux, mon capitaine.
10- Traduire a-t-il fait de vous une lectrice différente ? Le cas échéant, quelle lectrice ?
Certainement. À force de « décortiquer » des textes, on est plus sensible au style, même quand on est pris par l’action et fasciné par les personnages. On détecte plus aisément les ficelles et astuces d’un auteur ou, à l’inverse, sa subtilité, son sens de la langue, sa sensibilité.
Par amour de la littérature. Et par rejet de la traduction scolaire et universitaire, de la sacro-sainte (a)version..
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
C’était une traduction sous pseudonyme (Gallimard). Pas tellement de bien : trop proche du texte, pas assez libre. Mais « correcte ».
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
De traducteur littéraire, je précise.
Très difficile comme métier à plein temps : la plupart des traducteurs sont enseignants (ce fut mon cas), journalistes, etc. Ou bien la traduction constitue un salaire d’appoint dans un couple. Il y a des exceptions, bien sûr. Les traducteurs à plein temps sont parfois tenus d’accepter des textes d’un intérêt littéraire, disons, limité…Exemples: ouvrages pratiques, techniques, pornos, romans de gare.
4 – Vous traduisez davantage de romans que de théâtre, par exemple: voyez-vous d’importantes différences entre les deux en tant que traducteur ?
Enormes : pour le théâtre, il faut que le comédien ait le texte « en bouche » : parfois au détriment de l’exactitude. Le rythme, la sonorité, sont déterminants. Travailler dans son « gueuloir ».
5 – Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
C’est selon, cela dépend des éditeurs, de la conjoncture, du «marché» du travail, de la notoriété de chacun. Dans les professions libérales, rien n’est codifié.
6 – Quels rapports (éventuels) entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
Je tiens à avoir des relations avec les auteurs : les entendre parler de leur texte, leur demander l’explication de termes spécifiques, par exemple les dialectes, l’argot, certaines expressions connotées. Mais attention : certains auteurs, qui croient posséder la langue française, s’arrogent le droit d’intervenir, pas toujours à bon escient. Un équilibre délicat à maintenir. En général, cela se passe bien, car la plupart des auteurs nous savent gré de nous intéresser à leur œuvre et sont volontiers coopératifs sans pour autant s’immiscer dans notre travail. En d‘autres termes, ils nous respectent..
7 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
Le meilleur : Carlos Victoria, La Traversée secrète (Phébus, 2001). Pour ce roman d’apprentissage admirable, la bonne entente a été totale entre l’auteur – qui vivait à Miami – et moi, par courriel et par téléphone. J’ai pu avoir des renseignements sur la genèse du livre, qui dépassaient largement les problèmes de traduction. Un apport précieux.
Le pire : Zoé Valdés, Cher premier amour (Actes Sud, 2000). N’insistons pas, par charité.
8 – Y a-t-il un texte en particulier que vous auriez aimé ou aimeriez traduire ?
Oh oui ! Sinon, je serais une piètre lectrice et traductrice. La liste est longue.
9 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Les deux, mon capitaine.
10- Traduire a-t-il fait de vous une lectrice différente ? Le cas échéant, quelle lectrice ?
Certainement. À force de « décortiquer » des textes, on est plus sensible au style, même quand on est pris par l’action et fasciné par les personnages. On détecte plus aisément les ficelles et astuces d’un auteur ou, à l’inverse, sa subtilité, son sens de la langue, sa sensibilité.
Références culturelles, 112 : SEAT
lundi 27 avril 2009
Résultats du sondage : « Le traducteur littéraire est plus "fidèle" que l'interprète, parce que… »
En photo : El tiempo vuela par Gonzalo Alipaz
Sur 7 votants seulement (dommage que l'ensemble des personnes ayant estimé lors du dernier sondage sur le sujet qu'effectivement, le traducteur littéraire était plus fidèle que l'interprète ne se soient pas exprimées dans ce sondage) :
[rappelons que plusieurs réponses étaient possibles]
Il dispose de plus de temps = 6 voix (85%)
Il laisse une trace écrite = 0 voix
Il travaille sur la littérature = 1 voix (14%)
Il est en partie auteur = 2 voix (28%)
Donc le traducteur littéraire est plus « fidèle » uniquement parce que ses conditions de travail lui permettent davantage de recul vis-à-vis de l'objet à traduire… À mon avis, cela mérite réflexion, car c'est tout de même un peu court, en particulier pour justifier un point de vue aussi sérieux sur la délicate question de la fidélité. Si j'étais interprète, je répondrais pour commenter les résultats du sondage précédent — non sans ironie… – qu'avec du talent et de l'expérience, il n'y a pas de handicap réel à être limité dans le temps et qu'un traducteur littéraire non seulement peut bâcler une traduction (ça n'est pas parce qu'on dispose de temps qu'on en fait effectivement usage !) mais que faute de talent et d'une expérience solide, ce n'est pas tout le temps du monde qui fera de lui un bon professionnel. Attendons aussi de voir ce qu'en pensera Micheline Durand…
[rappelons que plusieurs réponses étaient possibles]
Il dispose de plus de temps = 6 voix (85%)
Il laisse une trace écrite = 0 voix
Il travaille sur la littérature = 1 voix (14%)
Il est en partie auteur = 2 voix (28%)
Donc le traducteur littéraire est plus « fidèle » uniquement parce que ses conditions de travail lui permettent davantage de recul vis-à-vis de l'objet à traduire… À mon avis, cela mérite réflexion, car c'est tout de même un peu court, en particulier pour justifier un point de vue aussi sérieux sur la délicate question de la fidélité. Si j'étais interprète, je répondrais pour commenter les résultats du sondage précédent — non sans ironie… – qu'avec du talent et de l'expérience, il n'y a pas de handicap réel à être limité dans le temps et qu'un traducteur littéraire non seulement peut bâcler une traduction (ça n'est pas parce qu'on dispose de temps qu'on en fait effectivement usage !) mais que faute de talent et d'une expérience solide, ce n'est pas tout le temps du monde qui fera de lui un bon professionnel. Attendons aussi de voir ce qu'en pensera Micheline Durand…
Encore un peu de lecture sur la traduction
« Au secours, sans traducteurs, où va la littérature ? »
À lire à cette adresse
http://www.mediapart.fr/club/blog/mima/171208/au-secours-sans-traducteurs-ou-va-la-litterature
À lire à cette adresse
http://www.mediapart.fr/club/blog/mima/171208/au-secours-sans-traducteurs-ou-va-la-litterature
Résultats du sondage : « Faut-il un slogan pour Tradabordo ? »
Sur 10 votants :
Oui = 4 (40%)
Non = 6 (60%)
Alors pas de slogan… ! J'ai néanmoins vu passer dans les commentaires l'idée qu'à un slogan (à la portée trop publicitaire) il fallait préférer une devise. Je lance donc un autre sondage sur le sujet.
Oui = 4 (40%)
Non = 6 (60%)
Alors pas de slogan… ! J'ai néanmoins vu passer dans les commentaires l'idée qu'à un slogan (à la portée trop publicitaire) il fallait préférer une devise. Je lance donc un autre sondage sur le sujet.
Références culturelles, 111 : El Tannat
dimanche 26 avril 2009
Rappel…
La liste complétée (jusqu'à aujourd'hui) des références culturelles faites depuis le début de l'année se trouve dans un post du 27 mars 2009.
Et maintenant, c'est au tour de Blandine
En photo : Compteur premier jour.jpg par Famille Collet-Josis
Demain, premier jour de stage pour Blandine. Nous te souhaitons tous de bons et riches moments dans cette première maison qui t'accueille. Comme pour Laure L. et Nathalie, j'espère que tu nous donneras des nouvelles… que nous suivrons de temps en temps les étapes de cette expérience.
Ouvre bien les yeux, les oreilles, et, espérons-le, ton cœur.
Ouvre bien les yeux, les oreilles, et, espérons-le, ton cœur.
Petit quiz dominical de Nathalie
En photo : Quiz resting par bunchadogs & susan
Pouvez-vous me donner le nom de ces personnages de dessin animé ?
Un indice : HI HO.
- Bashful
- Doc
- Dopey
- Grumpy
- Happy
- Sleepy
- Sneezy
Comment s’appellent-ils en espagnol ?
Question subsidiaire : connaissez-vous d’autres traductions (allemand, italien portugais…) ?
Un indice : HI HO.
- Bashful
- Doc
- Dopey
- Grumpy
- Happy
- Sleepy
- Sneezy
Comment s’appellent-ils en espagnol ?
Question subsidiaire : connaissez-vous d’autres traductions (allemand, italien portugais…) ?
« Les premiers traducteurs français de Dickens », un article de Sylvère Monod
Votre thème du week-end, Alain-Fournier
LE PENSIONNAIRE
Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189…
Je continue à dire « chez nous », bien que la maison ne nous appartienne plus. Nous avons quitté le pays depuis bientôt quinze ans et nous n’y reviendrons certainement jamais.
Nous habitions les bâtiments du Cours Supérieur de Sainte-Agathe. Mon père, que j’appelais M.Seurel, comme les autres élèves, y dirigeait à la fois le Cours Supérieur, où l’on préparait le brevet d’instituteur, et le Cours Moyen. Ma mère faisait la petite classe.
Une longue maison rouge, avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges, à l’extrémité du bourg ; une cour immense avec préaux et buanderie, qui ouvrait en avant sur le village par un grand portail ; sur le côté nord, la route où donnait une petite grille et qui menait vers La Gare, à trois kilomètres ; au sud et par derrière, des champs, des jardins et des prés qui rejoignaient les faubourgs… tel est le plan sommaire de cette demeure où s’écoulèrent les jours les plus tourmentés et les plus chers de ma vie – demeure d’où partirent et où revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures.
Le hasard des « changements », une décision d’inspecteur ou de préfet nous avaient conduits là. Vers la fin des vacances, il y a bien longtemps, une voiture de paysan, qui précédait notre ménage, nous avait déposés, ma mère et moi, devant la petite grille rouillée. Des gamins qui volaient des pêches dans le jardin
s’étaient enfuis silencieusement par les trous de la haie… Ma mère, que nous appelions Millie, et qui était bien la ménagère la plus méthodique que j’aie jamais connue, était entrée aussitôt dans les pièces remplies de paille poussiéreuse, et tout de suite elle avait constaté avec désespoir, comme à chaque « déplacement », que nos meubles ne tiendraient jamais dans une maison si mal construite… Elle était sortie pour me confier sa détresse. Tout en me parlant, elle avait essuyé doucement avec son mouchoir ma figure d’enfant noircie par le voyage. Puis elle était rentrée faire le compte de toutes les ouvertures qu’il allait falloir condamner pour rendre le logement habitable… Quant à moi, coiffé d’un grand chapeau de paille à rubans, j’étais resté là, sur le gravier de cette cour étrangère, à attendre, à fureter petitement autour du puits et sous le hangar.
Je continue à dire « chez nous », bien que la maison ne nous appartienne plus. Nous avons quitté le pays depuis bientôt quinze ans et nous n’y reviendrons certainement jamais.
Nous habitions les bâtiments du Cours Supérieur de Sainte-Agathe. Mon père, que j’appelais M.Seurel, comme les autres élèves, y dirigeait à la fois le Cours Supérieur, où l’on préparait le brevet d’instituteur, et le Cours Moyen. Ma mère faisait la petite classe.
Une longue maison rouge, avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges, à l’extrémité du bourg ; une cour immense avec préaux et buanderie, qui ouvrait en avant sur le village par un grand portail ; sur le côté nord, la route où donnait une petite grille et qui menait vers La Gare, à trois kilomètres ; au sud et par derrière, des champs, des jardins et des prés qui rejoignaient les faubourgs… tel est le plan sommaire de cette demeure où s’écoulèrent les jours les plus tourmentés et les plus chers de ma vie – demeure d’où partirent et où revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures.
Le hasard des « changements », une décision d’inspecteur ou de préfet nous avaient conduits là. Vers la fin des vacances, il y a bien longtemps, une voiture de paysan, qui précédait notre ménage, nous avait déposés, ma mère et moi, devant la petite grille rouillée. Des gamins qui volaient des pêches dans le jardin
s’étaient enfuis silencieusement par les trous de la haie… Ma mère, que nous appelions Millie, et qui était bien la ménagère la plus méthodique que j’aie jamais connue, était entrée aussitôt dans les pièces remplies de paille poussiéreuse, et tout de suite elle avait constaté avec désespoir, comme à chaque « déplacement », que nos meubles ne tiendraient jamais dans une maison si mal construite… Elle était sortie pour me confier sa détresse. Tout en me parlant, elle avait essuyé doucement avec son mouchoir ma figure d’enfant noircie par le voyage. Puis elle était rentrée faire le compte de toutes les ouvertures qu’il allait falloir condamner pour rendre le logement habitable… Quant à moi, coiffé d’un grand chapeau de paille à rubans, j’étais resté là, sur le gravier de cette cour étrangère, à attendre, à fureter petitement autour du puits et sous le hangar.
Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1913.
***
Brigitte nous propose sa traduction :
Llegó a nuestra casa un domingo de 189…
Sigo diciendo « nuestra casa », aunque ya no nos pertenece. Hace casi quince años ya que nos fuimos de la región y sin duda no volveríamos nunca.
Vivíamos en los edificios del Cours Supérieur de Sainte Agathe. Mi padre, al que llamaba el Señor Seurel, como los otros alumnos, dirigía a la vez el Curso superior, donde se preparaba el diploma de institutor, y el nivel medio. Mi madre impartía clases en el nivel primario.
Una larga casa rojiza, con cinco puertas acristaladas, bajo viñas vírgenes, en la extremidad del pueblo ; un patio de recreo inmenso, con cubiertas y una lavandería, que se abrían por delante hacia el pueblo con un gran portal ; al norte, la carretera a la que daba una reja pequeña y que llevaba a la estación, a tres kilómetros ; al sur y en la parte trasera, campos, huertos y prados que se juntaban con los alrededores…aquí está el escueto plano de dicho caserón donde transcurrieron los días más atormentados y más queridos de mi vida – caserón desde el cual partieron y volvieron a romperse como olas en una roca desierta, nuestras aventuras.
La casualidad de los « cambios », una decisión de inspector o de prefecto, nos había llevado aquí. Hacia el final de las vacaciones, mucho tiempo atrás, un coche de campesino, que precedía nuestra mudanza, nos había dejado, a mi madre y yo, delante de la pequeña reja oxidada. Unos chiquillos que estaban hurtando melocotones en el huerto se habían escapado sigilosamente por los huecos del seto…Mi madre, a la que solíamos llamar Millie, y que era el ama de casa más metódica que concocí en mi vida, había entrado pronto en las habitaciones llenas de paja polvorienta y en seguida había advertido, deseperada, como en cada « desplazamiento » -, que nuestros muebles nunca cabrían en una casa tan mal concebida…Había salido para contarme su desamparo. Mientras me estaba hablando, había enjugado suavemente con su pañuelo mi cara de niño enegrecida por el viaje. A continuación, había vuelto a entrar para levantar la cuenta de todas las aperturas que haría falta tapiar para que la casa se volviera habitable… En cuanto a mí, cubierto con un gran sombrero de paja adornado con cintas, me había quedado ahí, en la grava de este patio desconocido, esperando, huroneando modestamente alrededor del pozo y debajo del cobertizo.
Llegó a nuestra casa un domingo de 189…
Sigo diciendo « nuestra casa », aunque ya no nos pertenece. Hace casi quince años ya que nos fuimos de la región y sin duda no volveríamos nunca.
Vivíamos en los edificios del Cours Supérieur de Sainte Agathe. Mi padre, al que llamaba el Señor Seurel, como los otros alumnos, dirigía a la vez el Curso superior, donde se preparaba el diploma de institutor, y el nivel medio. Mi madre impartía clases en el nivel primario.
Una larga casa rojiza, con cinco puertas acristaladas, bajo viñas vírgenes, en la extremidad del pueblo ; un patio de recreo inmenso, con cubiertas y una lavandería, que se abrían por delante hacia el pueblo con un gran portal ; al norte, la carretera a la que daba una reja pequeña y que llevaba a la estación, a tres kilómetros ; al sur y en la parte trasera, campos, huertos y prados que se juntaban con los alrededores…aquí está el escueto plano de dicho caserón donde transcurrieron los días más atormentados y más queridos de mi vida – caserón desde el cual partieron y volvieron a romperse como olas en una roca desierta, nuestras aventuras.
La casualidad de los « cambios », una decisión de inspector o de prefecto, nos había llevado aquí. Hacia el final de las vacaciones, mucho tiempo atrás, un coche de campesino, que precedía nuestra mudanza, nos había dejado, a mi madre y yo, delante de la pequeña reja oxidada. Unos chiquillos que estaban hurtando melocotones en el huerto se habían escapado sigilosamente por los huecos del seto…Mi madre, a la que solíamos llamar Millie, y que era el ama de casa más metódica que concocí en mi vida, había entrado pronto en las habitaciones llenas de paja polvorienta y en seguida había advertido, deseperada, como en cada « desplazamiento » -, que nuestros muebles nunca cabrían en una casa tan mal concebida…Había salido para contarme su desamparo. Mientras me estaba hablando, había enjugado suavemente con su pañuelo mi cara de niño enegrecida por el viaje. A continuación, había vuelto a entrar para levantar la cuenta de todas las aperturas que haría falta tapiar para que la casa se volviera habitable… En cuanto a mí, cubierto con un gran sombrero de paja adornado con cintas, me había quedado ahí, en la grava de este patio desconocido, esperando, huroneando modestamente alrededor del pozo y debajo del cobertizo.
***
Odile nous propose sa traduction :
Llegó a nuestra casa un domingo de noviembre del año 189… Sigo diciendo « nuestra casa », aunque ya no nos pertenezca. Hace ya casi quince años que nos marchamos de la región y sin duda no volveremos nunca allí. Vivíamos en los edificios del Cours Supérieur de Sainte Agathe. Mi padre, al que yo llamaba el Señor Seurel, como lo hacían los demás alumnos, dirigía a la vez el Curso superior, donde se estudiaba para obtener el diploma de maestro, y el Curso segundario. A mí madre le tocaba las clases de la enseñanza primaria. Una grande casa rojiza, con cinco puertas acristaladas, cubierta por unas viñas locas, en la extremidad del pueblo ; un patio de recreo inmenso, con cobertizos y una lavandería/unos lavaderos, que abría al pueblo por un gran portal ; al norte, la carretera a la que se acedía por una reja pequeña y que conducía a la estación, distante de tres kilómetros ; al sur, y en la parte trasera, campos, huertos y prados por donde se iba a los arrabales…aquí está el escueto plano del caserón donde transcurrieron los días más atormentados y más queridos de mi vida – caserón del cual partieron y adonde volvieron, para romperse como olas en una roca desierta, nuestras aventuras. Por el azar de los « cambios », la decisión de un inspector o de un prefecto, habíamos venido a parar aquí. Casi al final de las vacaciones, bastante tiempo atrás, un coche de campesino, que precedía nuestro mobilario, nos había dejado, a mi madre y a mí, delante de la pequeña reja oxidada. Unos chiquillos que robaban melocotones en el huerto habían huido sigilosamente por los huecos del seto…Mi madre, a la que solíamos llamar Millie, y que por cierto era el ama de casa más metódica que conocí en mi vida, enseguida había entrado a las habitaciones llenas de paja polvorienta e inmediatamente había advertido, desesperada, como solía pasar con cada « desplazamiento », que nuestros muebles nunca iban a caber en una casa tan mal construida ... Había salido para contarme su desaliento. Mientras me hablaba, había enjuagado suavemente con su pañuelo mi cara de niño enegrecida por el viaje. A continuación, había entrado de nuevo para echar la cuenta de todas las aperturas que sería menester tapiar para que la casa se volviera habitable… En cuanto a mí, cubierto con un gran sombrero de paja adornado con cintas, había permanecido ahí, en la grava de este patio desconocido, esperando, explorando tímidamente alrededor del pozo y debajo del cobertizo.
Llegó a nuestra casa un domingo de noviembre del año 189… Sigo diciendo « nuestra casa », aunque ya no nos pertenezca. Hace ya casi quince años que nos marchamos de la región y sin duda no volveremos nunca allí. Vivíamos en los edificios del Cours Supérieur de Sainte Agathe. Mi padre, al que yo llamaba el Señor Seurel, como lo hacían los demás alumnos, dirigía a la vez el Curso superior, donde se estudiaba para obtener el diploma de maestro, y el Curso segundario. A mí madre le tocaba las clases de la enseñanza primaria. Una grande casa rojiza, con cinco puertas acristaladas, cubierta por unas viñas locas, en la extremidad del pueblo ; un patio de recreo inmenso, con cobertizos y una lavandería/unos lavaderos, que abría al pueblo por un gran portal ; al norte, la carretera a la que se acedía por una reja pequeña y que conducía a la estación, distante de tres kilómetros ; al sur, y en la parte trasera, campos, huertos y prados por donde se iba a los arrabales…aquí está el escueto plano del caserón donde transcurrieron los días más atormentados y más queridos de mi vida – caserón del cual partieron y adonde volvieron, para romperse como olas en una roca desierta, nuestras aventuras. Por el azar de los « cambios », la decisión de un inspector o de un prefecto, habíamos venido a parar aquí. Casi al final de las vacaciones, bastante tiempo atrás, un coche de campesino, que precedía nuestro mobilario, nos había dejado, a mi madre y a mí, delante de la pequeña reja oxidada. Unos chiquillos que robaban melocotones en el huerto habían huido sigilosamente por los huecos del seto…Mi madre, a la que solíamos llamar Millie, y que por cierto era el ama de casa más metódica que conocí en mi vida, enseguida había entrado a las habitaciones llenas de paja polvorienta e inmediatamente había advertido, desesperada, como solía pasar con cada « desplazamiento », que nuestros muebles nunca iban a caber en una casa tan mal construida ... Había salido para contarme su desaliento. Mientras me hablaba, había enjuagado suavemente con su pañuelo mi cara de niño enegrecida por el viaje. A continuación, había entrado de nuevo para echar la cuenta de todas las aperturas que sería menester tapiar para que la casa se volviera habitable… En cuanto a mí, cubierto con un gran sombrero de paja adornado con cintas, había permanecido ahí, en la grava de este patio desconocido, esperando, explorando tímidamente alrededor del pozo y debajo del cobertizo.
Références culturelles, 110 : Luis Mariano
En photo : Affiches Poster Luis Mariano - 020 par phonogalerie.com
Dans la liste des référents culturels de l’Espagne proposée, j’ai spontanément coché la référence à Luis Mariano, tant ce chanteur est indissociable pour moi des premières émotions que ce magnifique et généreux pays m’a procurées. Toutefois, une telle expérience est bien difficile à mettre en post dûment référencé, réglementé, fût-ce culturellement ; c’est pourquoi, pour une fois, ce n’est pas à vous que je m’adresse.
Cher Luis Mariano, Je vous écris pour les besoins d’un post, vous savez. Non, bien sûr, vous ne savez pas. Vous êtes d’un temps où les gens gardaient leurs yeux, leurs oreilles et leurs mains libres pour regarder, entendre et toucher. Pour aimer. Aujourd’hui, ils déambulent en parlant seuls, leurs « ouïes » bouchées, reliés par des fils à des machines étranges, où, c’est sûr, on ne diffuse pas vos chansons. Moi, je les ai dans la tête et dans le cœur, elles ont enchanté ma prime jeunesse. C’est bien simple, c’est vous le premier qui m’avez donné l’amour de l’Espagne : l’Andalousie, ses belles de Cadix tout comme le chanteur de Mexiiiiiiiicoooo m’ont donné le goût d’un ailleurs de gaîté, de vie et de soleil, vous, le Prince de Madrid, aux allures de Grand d’Espagne, à l’habit de lumière. T’huit ans déjà que vous avez laissé ce monde, un 14 juillet, dans les flonflons du bal, sur la pointe des pieds. A l’époque, je me moquais de votre biographie mais aujourd’hui j’ai appris que vous aviez été admis à l’école des Beaux Arts de Bordeaux, puis à son Conservatoire, en classe de chant - un petit clin d’œil de la vie-. Cependant, c’est à Arcangues dans un décor digne d’une opérette que vous reposez maintenant. J’apprends aussi que des spectacles sont donnés actuellement en votre nom, comme cet hommage à Luis Mariano auquel participe le violoniste cubain Humbert Martinez et la troupe de Roberto Galvez. Je n’irai pas le voir. Vous ne m’en voudrez pas. Mariano Eusebio González y García, je vous salue, bien bas. Bien à vous, une fidèle abonnée de Tradabordo.
Le site officiel de Luis Mariano : http://www.touradour.com/mariano/index.asp
Cher Luis Mariano, Je vous écris pour les besoins d’un post, vous savez. Non, bien sûr, vous ne savez pas. Vous êtes d’un temps où les gens gardaient leurs yeux, leurs oreilles et leurs mains libres pour regarder, entendre et toucher. Pour aimer. Aujourd’hui, ils déambulent en parlant seuls, leurs « ouïes » bouchées, reliés par des fils à des machines étranges, où, c’est sûr, on ne diffuse pas vos chansons. Moi, je les ai dans la tête et dans le cœur, elles ont enchanté ma prime jeunesse. C’est bien simple, c’est vous le premier qui m’avez donné l’amour de l’Espagne : l’Andalousie, ses belles de Cadix tout comme le chanteur de Mexiiiiiiiicoooo m’ont donné le goût d’un ailleurs de gaîté, de vie et de soleil, vous, le Prince de Madrid, aux allures de Grand d’Espagne, à l’habit de lumière. T’huit ans déjà que vous avez laissé ce monde, un 14 juillet, dans les flonflons du bal, sur la pointe des pieds. A l’époque, je me moquais de votre biographie mais aujourd’hui j’ai appris que vous aviez été admis à l’école des Beaux Arts de Bordeaux, puis à son Conservatoire, en classe de chant - un petit clin d’œil de la vie-. Cependant, c’est à Arcangues dans un décor digne d’une opérette que vous reposez maintenant. J’apprends aussi que des spectacles sont donnés actuellement en votre nom, comme cet hommage à Luis Mariano auquel participe le violoniste cubain Humbert Martinez et la troupe de Roberto Galvez. Je n’irai pas le voir. Vous ne m’en voudrez pas. Mariano Eusebio González y García, je vous salue, bien bas. Bien à vous, une fidèle abonnée de Tradabordo.
Le site officiel de Luis Mariano : http://www.touradour.com/mariano/index.asp
samedi 25 avril 2009
Votre version de la semaine, Fuentes
En photo : Frontera de Cristal par casterosy
Avec un jour de retard… votre version de la semaine.
¡Diles que no estoy aquí! ¡Diles que no quiero verlos! ¡Diles que no quiero ver a nadie!
Avec un jour de retard… votre version de la semaine.
LAS AMIGAS
A mi hermana Berta
¡Diles que no estoy aquí! ¡Diles que no quiero verlos! ¡Diles que no quiero ver a nadie!
Un día, nadie más llegó a visitar a Miss Amy Dunbar. Los criados, que siempre duraron poco en el servicio de la anciana, también dejaron de presentarse. Se corrió la voz sobre el difícil carácter de la señorita, su racis-mo, sus insultos.
-Siempre habrá alguien cuya necesidad de empleo sea más fuerte que su orgullo.
No fue así. La raza negra, toda ella, se puso de acuerdo, a los ojos de Miss Amy, para negarle servicio. La úl-tima sirvienta, una muchachita de quince años llamada Betsabé, se pasó el mes en casa de Miss Dunbar llorando. Cada vez que atendía el llamado a la puerta, los cada vez más raros visitantes primero miraban a la mucha-cha bañada en lágrimas e invariablemente, detrás de ella, escuchaban la voz quebrada pero ácida de la anciana.
-¡Diles que no estoy! ¡Diles que no me interesa verlos!
Los sobrinos de Miss Amy Dunbar sabían que la vieja jamás saldría de su casa en los suburbios de Chicago. Dijo que una migración en la vida bastaba, cuando dejó la casa familiar en Nueva Orleans y se vino al norte a vivir con su marido. De la casa de piedra frente al lago Michigan, rodeada de bosques, sólo la sacarían muerta.
-Falta poco -le decía al sobrino encargado de atender pagos, asuntos legales y otras cosas grandes y pequeñas que escapaban por completo a la atención de la viejecilla.
Lo que no se le escapaba era el mínimo suspiro de alivio de su pariente, imaginándola muerta.
Ella no se ofendía. Invariablemente, contestaba:
-Lo malo es que estoy acostumbrada a vivir. Se me ha convertido en hábito -decía riendo, enseñando esos dientes de yegua que con la edad les van saliendo a las mujeres anglosajonas, aunque ella sólo lo era a medias, hija de un comerciante yanqui instalado en la Luisiana para enseñarles a los lánguidos sureños a hacer negocios, y de una delicada dama de ya lejano origen francés, Lucy Ney. Miss Amy decía que era pariente del mariscal de Bonaparte. Ella se llamaba Amelia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, llamada señorita como todas las señoras bien de la ciudad del Delta, con derecho a ambos tratos, el de la madurez matrimonial y el de una doble infancia, ni-ñas a los quince y otra vez a los ochenta...
-No insisto en que vaya usted a una casa para gente de la tercera edad -le explicaba el sobrino, un abogado empeñado en adornarse con todos los atributos de vestimenta de la que él imaginaba la elegancia de su profe-sión: camisas azules con cuello blanco, corbata roja, trajes de Brooks Brothers, zapatos con agujetas, jamás mo-casines en días de trabajo, God forbid!-, pero si se va a quedar a vivir en este caserón, tiene necesidad de ayuda doméstica.
Miss Amy estuvo a punto de decir una insolencia, pero se mordió la lengua.
Enseñó, inclusive, la punta blanquecina. -Ojalá haga un esfuerzo por retener a sus criados, tía. La casa es muy grande.
-Es que todos se marcharon.
-Harían falta por lo menos cuatro sirvientes para atenderla como en los viejos tiempos.
-No. Aquellos eran los tiempos jóvenes. Éstos son los viejos tiempos, Archibald. Y no fueron los criados los que se marcharon. Se fue la familia. Me dejaron sola.
-Muy bien, tía. Tiene usted razón.
-Como siempre.
Archibald asintió.
-Hemos encontrado una señora mexicana dispuesta a trabajar con usted.
-Tienen fama de holgazanes.
-No es cierto. Es un estereotipo.
-Te prohíbo que toques mis clichés, sobrino. Son el escudo de mis prejuicios. Y los prejuicios, como la pala-bra lo indica, son necesarios para tener juicios. Buen juicio, Archibald, buen juicio. Mis convicciones son defi-nidas, arraigadas e inconmovibles. Nadie me las va a cambiar a estas alturas.
Se permitió un respiro hondo y un poco lúgubre.
-Los mexicanos son holgazanes.
-Haga una prueba. Es gente servicial, acostumbrada a obedecer.
-Tú también tienes tus prejuicios, ya ves- rió un poquito Miss Amy, acomodándose el pelo tan blanco y tan viejo que se estaba volviendo amarillo, como los papeles abandonados durante mucho tiempo a las inclemencias de la luz. Como un periódico, se decía el sobrino Archibald, toda ella se ha vuelto como un periódico antiguo, amarillento, arrugado, lleno de noticias que no le interesan ya a nadie...
-Siempre habrá alguien cuya necesidad de empleo sea más fuerte que su orgullo.
No fue así. La raza negra, toda ella, se puso de acuerdo, a los ojos de Miss Amy, para negarle servicio. La úl-tima sirvienta, una muchachita de quince años llamada Betsabé, se pasó el mes en casa de Miss Dunbar llorando. Cada vez que atendía el llamado a la puerta, los cada vez más raros visitantes primero miraban a la mucha-cha bañada en lágrimas e invariablemente, detrás de ella, escuchaban la voz quebrada pero ácida de la anciana.
-¡Diles que no estoy! ¡Diles que no me interesa verlos!
Los sobrinos de Miss Amy Dunbar sabían que la vieja jamás saldría de su casa en los suburbios de Chicago. Dijo que una migración en la vida bastaba, cuando dejó la casa familiar en Nueva Orleans y se vino al norte a vivir con su marido. De la casa de piedra frente al lago Michigan, rodeada de bosques, sólo la sacarían muerta.
-Falta poco -le decía al sobrino encargado de atender pagos, asuntos legales y otras cosas grandes y pequeñas que escapaban por completo a la atención de la viejecilla.
Lo que no se le escapaba era el mínimo suspiro de alivio de su pariente, imaginándola muerta.
Ella no se ofendía. Invariablemente, contestaba:
-Lo malo es que estoy acostumbrada a vivir. Se me ha convertido en hábito -decía riendo, enseñando esos dientes de yegua que con la edad les van saliendo a las mujeres anglosajonas, aunque ella sólo lo era a medias, hija de un comerciante yanqui instalado en la Luisiana para enseñarles a los lánguidos sureños a hacer negocios, y de una delicada dama de ya lejano origen francés, Lucy Ney. Miss Amy decía que era pariente del mariscal de Bonaparte. Ella se llamaba Amelia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, llamada señorita como todas las señoras bien de la ciudad del Delta, con derecho a ambos tratos, el de la madurez matrimonial y el de una doble infancia, ni-ñas a los quince y otra vez a los ochenta...
-No insisto en que vaya usted a una casa para gente de la tercera edad -le explicaba el sobrino, un abogado empeñado en adornarse con todos los atributos de vestimenta de la que él imaginaba la elegancia de su profe-sión: camisas azules con cuello blanco, corbata roja, trajes de Brooks Brothers, zapatos con agujetas, jamás mo-casines en días de trabajo, God forbid!-, pero si se va a quedar a vivir en este caserón, tiene necesidad de ayuda doméstica.
Miss Amy estuvo a punto de decir una insolencia, pero se mordió la lengua.
Enseñó, inclusive, la punta blanquecina. -Ojalá haga un esfuerzo por retener a sus criados, tía. La casa es muy grande.
-Es que todos se marcharon.
-Harían falta por lo menos cuatro sirvientes para atenderla como en los viejos tiempos.
-No. Aquellos eran los tiempos jóvenes. Éstos son los viejos tiempos, Archibald. Y no fueron los criados los que se marcharon. Se fue la familia. Me dejaron sola.
-Muy bien, tía. Tiene usted razón.
-Como siempre.
Archibald asintió.
-Hemos encontrado una señora mexicana dispuesta a trabajar con usted.
-Tienen fama de holgazanes.
-No es cierto. Es un estereotipo.
-Te prohíbo que toques mis clichés, sobrino. Son el escudo de mis prejuicios. Y los prejuicios, como la pala-bra lo indica, son necesarios para tener juicios. Buen juicio, Archibald, buen juicio. Mis convicciones son defi-nidas, arraigadas e inconmovibles. Nadie me las va a cambiar a estas alturas.
Se permitió un respiro hondo y un poco lúgubre.
-Los mexicanos son holgazanes.
-Haga una prueba. Es gente servicial, acostumbrada a obedecer.
-Tú también tienes tus prejuicios, ya ves- rió un poquito Miss Amy, acomodándose el pelo tan blanco y tan viejo que se estaba volviendo amarillo, como los papeles abandonados durante mucho tiempo a las inclemencias de la luz. Como un periódico, se decía el sobrino Archibald, toda ella se ha vuelto como un periódico antiguo, amarillento, arrugado, lleno de noticias que no le interesan ya a nadie...
Carlos Fuentes, La frontera de cristal
***
Brigitte nous propose sa traduction :
LES AMIES
A ma sœur Berta
- Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que je ne veux pas les voir ! Dis-leur que je ne veux voir personne !
Un jour, plus personne ne rendit visite à Miss Amy Dunbar. Les domestiques, qui étaient toujours restés peu de temps au service de la vieille femme, cessèrent également de se présenter chez elle. La rumeur se propagea sur le caractère difficile de la demoiselle, son racisme, ses insultes.
- Il y aura toujours quelqu’un pour qui le besoin de travail sera plus fort que son orgueil.
Mais il n’en fut pas ainsi. La race noire tout entière fit front à Miss Amy pour lui refuser ses services d’un commun accord. La dernière servante, une gamine de quinze ans, prénommée Betsabé, passa un mois chez Miss Dunbar à pleurer. Chaque fois qu’elle accueillait quelqu’un qui frappait à la porte, les visiteurs -qui se faisaient de plus en plus rares- voyaient d’abord la jeune fille en pleurs et invariablement, derrière elle, ils entendaient la voix rauque mais acide de la vielle femme.
- Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que ça ne m’intéresse pas de les voir !
Les neveux de Miss Amy Dunbar savaient que jamais la vieille femme ne partirait de sa maison des faubourgs de Chicago. Elle avait dit qu’une migration dans la vie suffisait bien, quand elle avait quitté la maison familiale de La Nouvelle Orléans et qu’elle était venue dans le nord pour vivre avec son mari. De la maison en pierre face au Lac Michigan, entourée de forêts, ils ne la feraient sortir que morte/les pieds devant.
- Il n’y en a plus pour longtemps- disait-elle au neveu chargé de s’occuper des paiements, des affaires juridiques et autres choses petites et grandes qui échappaient totalement à la vigilance de la petite vieille.
Ce qui ne lui échappait pas c’était le petit soupir de soulagement de son parent quand il l’imaginait morte.
Elle ne s’en offusquait pas. Invariablement, elle répondait :
- Le pire c’est que j’ai pris l’habitude de vivre. C’est devenu pour moi une manie –disait-elle en riant, découvrant sa dentition chevaline comme les femmes anglo-saxonnes l’avaient souvent avec l’âge. Anglo-saxonne, elle ne l’était cependant que pour moitié : fille d’un commerçant yankee installé en Louisiane pour inculquer le sens des affaires aux gens du sud nonchalants et d’une dame délicate d’une origine française déjà lointaine, Lucy Ney. Miss Amy se disait parente du maréchal de Bonaparte. Elle s’appelait Amelia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, appelée « mademoiselle » comme toutes les femmes bien de la ville du delta qui avaient droit aux deux traitements : celui du à la maturité des femmes mariées et celui du à sa double enfance, à quinze ans et à nouveau à quatre-vingts…
- Je n’insiste pas pour que vous alliez dans un établissement pour personnes du troisième âge- lui expliquait son neveu, un avocat qui s’évertuait à porter tous les attributs vestimentaires qui constituaient – croyait-il- le summum de l’élégance dans sa profession : chemise bleue à col blanc, cravate rouge, costume de chez Brooks Brothers, chaussures à lacets, jamais de mocassins les jours de travail, God forbid !- mais si vous restez vivre dans cette grande maison, il vous faut une aide ménagère.
Miss Amy faillit lâcher quelque insolence, mais elle se mordit la langue.
Elle en montra même la pointe blanchâtre. - Je vous conjure de faire un effort pour retenir vos domestiques, ma tante. La maison est très grande.
- C’est qu’ils sont tous partis.
- Il vous faudrait au moins quatre employés de maison pour vous servir comme par le passé.
- Non. Ces temps-là c’étaient les jeunes années. Et à présent ce sont les vieilles années, Archibald. Et ce ne sont pas les domestiques qui sont partis. C’est la famille. On m’a laissée toute seule.
- Très bien, ma tante. Vous avez raison.
- Comme toujours.
Archibald insista.
- Nous avons trouvé une femme mexicaine prête à travailler pour vous.
- Ils ont la réputation de fainéants.
- Ce n’est pas si sûr. C’est une idée reçue.
- Je t’interdis de toucher à mes clichés, mon neveu. Ils représentent le blason de mes préjugés. Et les préjugés, comme le mot l’indique, sont nécessaires pour se faire un jugement. Bon jugement, Archibald, bon jugement. Mes convictions sont arrêtées, enracinées et inébranlables. Personne ne me fera plus changer d’avis maintenant.
Elle s’accorda une respiration profonde et un peu lugubre.
- Les Mexicains sont des fainéants.
- Faites un essai. Ce sont des gens serviables, habitués à obéir.
- Toi aussi tu as tes préjugés, tu vois – Miss Amy rit un peu en arrangeant ses cheveux, des cheveux si blancs et si vieux qu’ils jaunissaient, comme les papiers abandonnés longtemps aux vicissitudes de la lumière. Comme un journal, se disait le neveu Archibald, elle est elle-même devenue un vieux journal jaunâtre, fripé, rempli d’informations qui n’intéressaient plus personne…
LES AMIES
A ma sœur Berta
- Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que je ne veux pas les voir ! Dis-leur que je ne veux voir personne !
Un jour, plus personne ne rendit visite à Miss Amy Dunbar. Les domestiques, qui étaient toujours restés peu de temps au service de la vieille femme, cessèrent également de se présenter chez elle. La rumeur se propagea sur le caractère difficile de la demoiselle, son racisme, ses insultes.
- Il y aura toujours quelqu’un pour qui le besoin de travail sera plus fort que son orgueil.
Mais il n’en fut pas ainsi. La race noire tout entière fit front à Miss Amy pour lui refuser ses services d’un commun accord. La dernière servante, une gamine de quinze ans, prénommée Betsabé, passa un mois chez Miss Dunbar à pleurer. Chaque fois qu’elle accueillait quelqu’un qui frappait à la porte, les visiteurs -qui se faisaient de plus en plus rares- voyaient d’abord la jeune fille en pleurs et invariablement, derrière elle, ils entendaient la voix rauque mais acide de la vielle femme.
- Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que ça ne m’intéresse pas de les voir !
Les neveux de Miss Amy Dunbar savaient que jamais la vieille femme ne partirait de sa maison des faubourgs de Chicago. Elle avait dit qu’une migration dans la vie suffisait bien, quand elle avait quitté la maison familiale de La Nouvelle Orléans et qu’elle était venue dans le nord pour vivre avec son mari. De la maison en pierre face au Lac Michigan, entourée de forêts, ils ne la feraient sortir que morte/les pieds devant.
- Il n’y en a plus pour longtemps- disait-elle au neveu chargé de s’occuper des paiements, des affaires juridiques et autres choses petites et grandes qui échappaient totalement à la vigilance de la petite vieille.
Ce qui ne lui échappait pas c’était le petit soupir de soulagement de son parent quand il l’imaginait morte.
Elle ne s’en offusquait pas. Invariablement, elle répondait :
- Le pire c’est que j’ai pris l’habitude de vivre. C’est devenu pour moi une manie –disait-elle en riant, découvrant sa dentition chevaline comme les femmes anglo-saxonnes l’avaient souvent avec l’âge. Anglo-saxonne, elle ne l’était cependant que pour moitié : fille d’un commerçant yankee installé en Louisiane pour inculquer le sens des affaires aux gens du sud nonchalants et d’une dame délicate d’une origine française déjà lointaine, Lucy Ney. Miss Amy se disait parente du maréchal de Bonaparte. Elle s’appelait Amelia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, appelée « mademoiselle » comme toutes les femmes bien de la ville du delta qui avaient droit aux deux traitements : celui du à la maturité des femmes mariées et celui du à sa double enfance, à quinze ans et à nouveau à quatre-vingts…
- Je n’insiste pas pour que vous alliez dans un établissement pour personnes du troisième âge- lui expliquait son neveu, un avocat qui s’évertuait à porter tous les attributs vestimentaires qui constituaient – croyait-il- le summum de l’élégance dans sa profession : chemise bleue à col blanc, cravate rouge, costume de chez Brooks Brothers, chaussures à lacets, jamais de mocassins les jours de travail, God forbid !- mais si vous restez vivre dans cette grande maison, il vous faut une aide ménagère.
Miss Amy faillit lâcher quelque insolence, mais elle se mordit la langue.
Elle en montra même la pointe blanchâtre. - Je vous conjure de faire un effort pour retenir vos domestiques, ma tante. La maison est très grande.
- C’est qu’ils sont tous partis.
- Il vous faudrait au moins quatre employés de maison pour vous servir comme par le passé.
- Non. Ces temps-là c’étaient les jeunes années. Et à présent ce sont les vieilles années, Archibald. Et ce ne sont pas les domestiques qui sont partis. C’est la famille. On m’a laissée toute seule.
- Très bien, ma tante. Vous avez raison.
- Comme toujours.
Archibald insista.
- Nous avons trouvé une femme mexicaine prête à travailler pour vous.
- Ils ont la réputation de fainéants.
- Ce n’est pas si sûr. C’est une idée reçue.
- Je t’interdis de toucher à mes clichés, mon neveu. Ils représentent le blason de mes préjugés. Et les préjugés, comme le mot l’indique, sont nécessaires pour se faire un jugement. Bon jugement, Archibald, bon jugement. Mes convictions sont arrêtées, enracinées et inébranlables. Personne ne me fera plus changer d’avis maintenant.
Elle s’accorda une respiration profonde et un peu lugubre.
- Les Mexicains sont des fainéants.
- Faites un essai. Ce sont des gens serviables, habitués à obéir.
- Toi aussi tu as tes préjugés, tu vois – Miss Amy rit un peu en arrangeant ses cheveux, des cheveux si blancs et si vieux qu’ils jaunissaient, comme les papiers abandonnés longtemps aux vicissitudes de la lumière. Comme un journal, se disait le neveu Archibald, elle est elle-même devenue un vieux journal jaunâtre, fripé, rempli d’informations qui n’intéressaient plus personne…
***
Nathalie nous propose sa traduction :
Les Amies
- Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que je ne veux pas les voir ! Dis-leur que je ne veux voir personne !
Un jour, plus personne ne vint rendre visite à Miss Amy Dunbar. Les domestiques, qui ne restèrent jamais longtemps au service de la vieille dame, eux aussi, cessèrent de se présenter. Une rumeur circula au sujet du mauvais caractère de la vieille demoiselle, de son racisme, de ses insultes.
- Il y aura toujours quelqu'un pour faire passer son besoin d'emploi avant son orgueil.
Il n'en fut rien. Tous les Noirs, sans exception, se mirent d'accord, au vu et au su de Miss Amy, pour refuser de la servir. La dernière servante, une jeune fille de quinze ans, appelée Betsabé, passa tout un mois chez Miss Dunbar à pleurer. Chaque fois qu'elle allait ouvrir la porte, les quelques visiteurs, qui se faisaient de plus en plus rares, regardaient d'abord la jeune fille en larmes puis, invariablement, derrière elle, entendaient la voix cassée mais acerbe de la vieille dame.
- Dis-leur que je n'y suis pas ! Dis-leur que ça ne m'intéresse pas de les voir !
Les neveux de Miss Dunbar savaient que la vieille dame ne partirait jamais de sa maison, située dans les bas quartiers de Chicago. Elle leur avait dit qu'une migration, dans une vie, c'était suffisant : elle avait abandonné la maison familiale de la Nouvelle-Orléans pour venir vivre dans le Nord avec son mari. Ce n'est que morte qu'on la sortirait de sa maison en pierre, entourée d'arbres, face au lac Michigan.
- Ce qui ne saurait tarder - lui disait son neveu, chargé de s'occuper des factures, des questions juridiques et d'autres choses, plus ou moins importantes, qui échappaient complètement au contrôle de la petite vieille.
Ce qui, en revanche, ne lui échappait pas, c'était le plus léger soupir de soulagement de son parent, qui l'imaginait déjà morte.
Elle ne s'en offusquait pas. Elle répondait, invariablement :
- L'ennui, c'est que je me suis habituée à vivre. C'est devenu une seconde nature - disait-elle en riant, montrant ces dents de cheval si caractéristiques des femmes d'un certain âge, d'origine anglo-saxonne, bien qu'elle ne le fût qu'à moitié, fille d'un commerçant yankee installé en Louisiane pour apprendre aux gens du Sud, frappés de langueur, à faire des affaires, et d'une dame délicate d'une bien lointaine origine française, Lucy Ney. Miss Amy disait qu'elle était parente du maréchal de Bonaparte. Elle s'appelait Amelia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, appelée mademoiselle comme toutes les femmes bien nées de la ville du Delta, avait droit à un double traitement : celui de la maturité matrimoniale et celui de la double enfance, petite fille à quinze ans et une autre fois à quatre-vingt...
- Je n'insiste pas pour que vous alliez dans une maison pour personnes du troisième âge - lui expliquait son neveu, un avocat qui s'obstinait à s'affubler de tous les attributs vestimentaires qui incarnaient, selon lui, l'élégance de sa profession : chemises bleues à col blanc, cravate rouge, costumes de chez Brooks Brothers, chaussures à lacets, jamais de mocassins les jours de travail, Dieu l'en préserve ! - mais si vous restez dans cette grande maison, vous avez besoin d'être aidée par des domestiques.
Miss Amy fut sur le point de lancer une réplique insolente mais elle se mordit la langue.
Elle en laissa, pourtant, apparaître le bout blanchâtre.
- Si seulement vous faisiez un effort pour retenir vos employés, ma tante. La maison est très grande.
- C'est qu'ils sont tous partis.
- Il faudrait au moins quatre employés pour s'en occuper, comme dans l'ancien temps.
- Non. L'ancien temps, c'est aujourd'hui, pas hier, Archibald. Et ce ne sont pas les domestiques qui sont partis. C'est la famille qui m'a abandonnée. Qui m'a laissée seule.
- Très bien, ma tante. C'est vous qui avez raison.
- Comme toujours.
Archibald acquiesça.
- Nous avons trouvé une Mexicaine disposée à travailler pour vous.
- Elles ont la réputation d'être fainéantes.
- Ce n'est pas vrai. Il s'agit d'un stéréotype.
- Je t'interdis de toucher à mes clichés, mon neveu. Ce sont les boucliers de mes préjugés. Et les préjugés, comme leur nom l'indique, servent à porter des jugements. Du bon sens, Archibald, du bon sens. Mes convictions sont définies, enracinées et immuables. Personne ne va m'en faire changer à mon âge.
Elle s'autorisa à respirer profondément et de façon quelque peu lugubre.
- Les Mexicains sont fainéants.
- Fais un essai. Ce sont des gens serviables, habitués à obéir.
- Toi aussi, tu vois, tu as tes préjugés - s'exclama Miss Amy, riant à peine, tout en arrangeant ses cheveux si blancs et si vieux qu'ils en devenaient jaunes, comme les papiers exposés pendant très longtemps aux agressions de la lumière. Comme un journal, se disait le neveu Archibald, elle est devenue, de la tête aux pieds, comme ces vieux journaux, jaunis, froissés, remplis de nouvelles qui n'intéressent plus personne...
Les Amies
A ma sœur, Berta
- Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que je ne veux pas les voir ! Dis-leur que je ne veux voir personne !
Un jour, plus personne ne vint rendre visite à Miss Amy Dunbar. Les domestiques, qui ne restèrent jamais longtemps au service de la vieille dame, eux aussi, cessèrent de se présenter. Une rumeur circula au sujet du mauvais caractère de la vieille demoiselle, de son racisme, de ses insultes.
- Il y aura toujours quelqu'un pour faire passer son besoin d'emploi avant son orgueil.
Il n'en fut rien. Tous les Noirs, sans exception, se mirent d'accord, au vu et au su de Miss Amy, pour refuser de la servir. La dernière servante, une jeune fille de quinze ans, appelée Betsabé, passa tout un mois chez Miss Dunbar à pleurer. Chaque fois qu'elle allait ouvrir la porte, les quelques visiteurs, qui se faisaient de plus en plus rares, regardaient d'abord la jeune fille en larmes puis, invariablement, derrière elle, entendaient la voix cassée mais acerbe de la vieille dame.
- Dis-leur que je n'y suis pas ! Dis-leur que ça ne m'intéresse pas de les voir !
Les neveux de Miss Dunbar savaient que la vieille dame ne partirait jamais de sa maison, située dans les bas quartiers de Chicago. Elle leur avait dit qu'une migration, dans une vie, c'était suffisant : elle avait abandonné la maison familiale de la Nouvelle-Orléans pour venir vivre dans le Nord avec son mari. Ce n'est que morte qu'on la sortirait de sa maison en pierre, entourée d'arbres, face au lac Michigan.
- Ce qui ne saurait tarder - lui disait son neveu, chargé de s'occuper des factures, des questions juridiques et d'autres choses, plus ou moins importantes, qui échappaient complètement au contrôle de la petite vieille.
Ce qui, en revanche, ne lui échappait pas, c'était le plus léger soupir de soulagement de son parent, qui l'imaginait déjà morte.
Elle ne s'en offusquait pas. Elle répondait, invariablement :
- L'ennui, c'est que je me suis habituée à vivre. C'est devenu une seconde nature - disait-elle en riant, montrant ces dents de cheval si caractéristiques des femmes d'un certain âge, d'origine anglo-saxonne, bien qu'elle ne le fût qu'à moitié, fille d'un commerçant yankee installé en Louisiane pour apprendre aux gens du Sud, frappés de langueur, à faire des affaires, et d'une dame délicate d'une bien lointaine origine française, Lucy Ney. Miss Amy disait qu'elle était parente du maréchal de Bonaparte. Elle s'appelait Amelia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, appelée mademoiselle comme toutes les femmes bien nées de la ville du Delta, avait droit à un double traitement : celui de la maturité matrimoniale et celui de la double enfance, petite fille à quinze ans et une autre fois à quatre-vingt...
- Je n'insiste pas pour que vous alliez dans une maison pour personnes du troisième âge - lui expliquait son neveu, un avocat qui s'obstinait à s'affubler de tous les attributs vestimentaires qui incarnaient, selon lui, l'élégance de sa profession : chemises bleues à col blanc, cravate rouge, costumes de chez Brooks Brothers, chaussures à lacets, jamais de mocassins les jours de travail, Dieu l'en préserve ! - mais si vous restez dans cette grande maison, vous avez besoin d'être aidée par des domestiques.
Miss Amy fut sur le point de lancer une réplique insolente mais elle se mordit la langue.
Elle en laissa, pourtant, apparaître le bout blanchâtre.
- Si seulement vous faisiez un effort pour retenir vos employés, ma tante. La maison est très grande.
- C'est qu'ils sont tous partis.
- Il faudrait au moins quatre employés pour s'en occuper, comme dans l'ancien temps.
- Non. L'ancien temps, c'est aujourd'hui, pas hier, Archibald. Et ce ne sont pas les domestiques qui sont partis. C'est la famille qui m'a abandonnée. Qui m'a laissée seule.
- Très bien, ma tante. C'est vous qui avez raison.
- Comme toujours.
Archibald acquiesça.
- Nous avons trouvé une Mexicaine disposée à travailler pour vous.
- Elles ont la réputation d'être fainéantes.
- Ce n'est pas vrai. Il s'agit d'un stéréotype.
- Je t'interdis de toucher à mes clichés, mon neveu. Ce sont les boucliers de mes préjugés. Et les préjugés, comme leur nom l'indique, servent à porter des jugements. Du bon sens, Archibald, du bon sens. Mes convictions sont définies, enracinées et immuables. Personne ne va m'en faire changer à mon âge.
Elle s'autorisa à respirer profondément et de façon quelque peu lugubre.
- Les Mexicains sont fainéants.
- Fais un essai. Ce sont des gens serviables, habitués à obéir.
- Toi aussi, tu vois, tu as tes préjugés - s'exclama Miss Amy, riant à peine, tout en arrangeant ses cheveux si blancs et si vieux qu'ils en devenaient jaunes, comme les papiers exposés pendant très longtemps aux agressions de la lumière. Comme un journal, se disait le neveu Archibald, elle est devenue, de la tête aux pieds, comme ces vieux journaux, jaunis, froissés, remplis de nouvelles qui n'intéressent plus personne...
***
Laure nous propose sa traduction :
Les amies
Á ma sœur Berta
Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que je ne veux pas les voir ! Dis-leur que je ne veux voir personne !
Un jour, personne ne rendit plus visite à Miss Amy Dunbar. Les domestiques, qui ne faisaient jamais long feu au service de la vieille dame, cessèrent de se montrer eux-aussi. La rumeur se répandit du mauvais caractère de la demoiselle, de son racisme, de ses insultes.
Il y aura toujours quelqu’un dont le besoin de travailler sera plus fort que son orgueil. Il n’en fut pas ainsi. La race noire toute entière s’entendit sous les yeux de Miss Amy pour refuser de la servir. La dernière bonne, une petite de quinze ans appelée Bétsabé, passa son mois chez Miss Dunbar à pleurer. Á chaque fois qu’elle ouvrait la porte, les toujours plus rares visiteurs avaient d’abord sous les yeux la jeune fille baignée de larmes et invariablement, derrière elle, ils entendaient la voix cassée mais acide de la vieille dame.
– Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que ça ne m’intéresse pas de les voir !
Les neveux de Miss Amy savaient que la vieille ne sortirait jamais de sa maison des faubourgs de Chicago. Elle avait dit que dans une vie une migration était suffisante, quand elle avait laissé la maison familiale de La Nouvelle Orléans et qu’elle était venue vivre dans le nord avec son mari. De la maison en pierre qui faisait face au lac Michigan on ne la sortirait que morte.
– D’ici peu –disait-elle à son neveu chargé des factures, des problèmes légaux et d’autres choses grandes ou petites qui échappaient complètement à la vigilance de la petite vieille.
Ce qui ne lui échappait pas c’était le tout petit soupir de soulagement de son parent, quand il l’imaginait morte.
Elle ne s’offensait pas. Invariablement, elle répondait :
– l’ennui c’est que je suis habituée à vivre. S’en est devenu une habitude –disait-elle en riant, en montrant ses dents de jument qui se déchaussent avec l’âge chez les femmes anglo-saxonnes, bien qu’elle ne le fût qu’à moitié, étant la fille d’un marchand yankee installé en Louisiane pour apprendre aux sudistes nonchalants à faire des affaires, et d’une dame délicate aux origines françaises déjà lointaines, Lucy Ney. Miss Amy disait qu’elle était parente du maréchal Bonaparte. Elle s’appelait Amélia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, appelé Mademoiselle comme toutes les demoiselles honorables de la ville du Delta, avait droit aux deux sortes de considération, celle accordée à la maturité d’un mariage, et celle d’une double enfance, petite fille à quinze ans et de nouveaux à quatre-vingt…
– Je n’insiste pas pour que vous alliez dans une maison de retraite –lui expliquait son neveu, un avocat occupé à se parer de tous les attributs vestimentaires qu’il imaginait être l’élégance de sa profession : des chemises bleus au col blanc, cravate rouge, costumes des frères Brooks, des chaussures à lacets, jamais de mocassins les jours de travail, God forbid ! –, mais s’il vient vivre dans cette grande maison, il aura besoin d’aide domestique.
Miss Amy fut sur le point d‘être insolente, mais elle se mordit la langue. Elle en montra même la pointe blanchâtre.
– Pourvu que vous fassiez un effort pour retenir vos domestiques, ma tante. La maison est très grande.
– C‘est qu’ils sont tous partis.
– Il faudrait au moins quatre serviteurs pour s’occuper de vous comme au bon vieux temps.
– Non. Ça c’était le temps de la jeunesse. Maintenant c’est le bon vieux temps. Et ce ne sont pas les domestiques qui sont partis. C’est la famille. Ils m’ont laissée seule.
– Très bien, ma tante. Vous avez raison.
– Comme toujours.
Archibald acquiesça.
– Nous avons trouvé une femme, mexicaine, disposée à travailler pour vous.
– Ils ont une réputation de paresseux.
– Rien de moins sûr. C’est un stéréotype.
– Je t’interdis de toucher à mes clichés, mon neveu. Ils sont l’emblème de mes préjugés. Et les préjugés, comme le mot l’indique, sont nécessaires pour pouvoir juger. Du bon sens, Archibald, du bon sens. Mes convictions sont définies, enracinées et inamovibles. Personne ne va me faire changer d’avis à cette époque de ma vie.
Elle se permit une inspiration profonde et un peu lugubre.
– Les mexicains sont des paresseux.
– Donnez m’en la preuve. Ce sont des gens serviables, habitués à obéir.
– Toi aussi tu as tes préjugés, tu vois –se moqua un peu Miss Amy, en arrangeant ses cheveux si blancs et si vieux qu’ils jaunissaient, comme les papiers longtemps abandonnés aux rigueurs de la lumière. Comme un journal, se disait le neveu Archibald, elle est devenue toute entière comme un vieux journal, jaunâtre, ridé, plein de nouvelles qui n’intéressent personne…
Les amies
Á ma sœur Berta
Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que je ne veux pas les voir ! Dis-leur que je ne veux voir personne !
Un jour, personne ne rendit plus visite à Miss Amy Dunbar. Les domestiques, qui ne faisaient jamais long feu au service de la vieille dame, cessèrent de se montrer eux-aussi. La rumeur se répandit du mauvais caractère de la demoiselle, de son racisme, de ses insultes.
Il y aura toujours quelqu’un dont le besoin de travailler sera plus fort que son orgueil. Il n’en fut pas ainsi. La race noire toute entière s’entendit sous les yeux de Miss Amy pour refuser de la servir. La dernière bonne, une petite de quinze ans appelée Bétsabé, passa son mois chez Miss Dunbar à pleurer. Á chaque fois qu’elle ouvrait la porte, les toujours plus rares visiteurs avaient d’abord sous les yeux la jeune fille baignée de larmes et invariablement, derrière elle, ils entendaient la voix cassée mais acide de la vieille dame.
– Dis-leur que je ne suis pas là ! Dis-leur que ça ne m’intéresse pas de les voir !
Les neveux de Miss Amy savaient que la vieille ne sortirait jamais de sa maison des faubourgs de Chicago. Elle avait dit que dans une vie une migration était suffisante, quand elle avait laissé la maison familiale de La Nouvelle Orléans et qu’elle était venue vivre dans le nord avec son mari. De la maison en pierre qui faisait face au lac Michigan on ne la sortirait que morte.
– D’ici peu –disait-elle à son neveu chargé des factures, des problèmes légaux et d’autres choses grandes ou petites qui échappaient complètement à la vigilance de la petite vieille.
Ce qui ne lui échappait pas c’était le tout petit soupir de soulagement de son parent, quand il l’imaginait morte.
Elle ne s’offensait pas. Invariablement, elle répondait :
– l’ennui c’est que je suis habituée à vivre. S’en est devenu une habitude –disait-elle en riant, en montrant ses dents de jument qui se déchaussent avec l’âge chez les femmes anglo-saxonnes, bien qu’elle ne le fût qu’à moitié, étant la fille d’un marchand yankee installé en Louisiane pour apprendre aux sudistes nonchalants à faire des affaires, et d’une dame délicate aux origines françaises déjà lointaines, Lucy Ney. Miss Amy disait qu’elle était parente du maréchal Bonaparte. Elle s’appelait Amélia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, appelé Mademoiselle comme toutes les demoiselles honorables de la ville du Delta, avait droit aux deux sortes de considération, celle accordée à la maturité d’un mariage, et celle d’une double enfance, petite fille à quinze ans et de nouveaux à quatre-vingt…
– Je n’insiste pas pour que vous alliez dans une maison de retraite –lui expliquait son neveu, un avocat occupé à se parer de tous les attributs vestimentaires qu’il imaginait être l’élégance de sa profession : des chemises bleus au col blanc, cravate rouge, costumes des frères Brooks, des chaussures à lacets, jamais de mocassins les jours de travail, God forbid ! –, mais s’il vient vivre dans cette grande maison, il aura besoin d’aide domestique.
Miss Amy fut sur le point d‘être insolente, mais elle se mordit la langue. Elle en montra même la pointe blanchâtre.
– Pourvu que vous fassiez un effort pour retenir vos domestiques, ma tante. La maison est très grande.
– C‘est qu’ils sont tous partis.
– Il faudrait au moins quatre serviteurs pour s’occuper de vous comme au bon vieux temps.
– Non. Ça c’était le temps de la jeunesse. Maintenant c’est le bon vieux temps. Et ce ne sont pas les domestiques qui sont partis. C’est la famille. Ils m’ont laissée seule.
– Très bien, ma tante. Vous avez raison.
– Comme toujours.
Archibald acquiesça.
– Nous avons trouvé une femme, mexicaine, disposée à travailler pour vous.
– Ils ont une réputation de paresseux.
– Rien de moins sûr. C’est un stéréotype.
– Je t’interdis de toucher à mes clichés, mon neveu. Ils sont l’emblème de mes préjugés. Et les préjugés, comme le mot l’indique, sont nécessaires pour pouvoir juger. Du bon sens, Archibald, du bon sens. Mes convictions sont définies, enracinées et inamovibles. Personne ne va me faire changer d’avis à cette époque de ma vie.
Elle se permit une inspiration profonde et un peu lugubre.
– Les mexicains sont des paresseux.
– Donnez m’en la preuve. Ce sont des gens serviables, habitués à obéir.
– Toi aussi tu as tes préjugés, tu vois –se moqua un peu Miss Amy, en arrangeant ses cheveux si blancs et si vieux qu’ils jaunissaient, comme les papiers longtemps abandonnés aux rigueurs de la lumière. Comme un journal, se disait le neveu Archibald, elle est devenue toute entière comme un vieux journal, jaunâtre, ridé, plein de nouvelles qui n’intéressent personne…
***
Odile nous propose sa traduction :
LES AMIES
À ma soeur Berta
- Dis-leur que je ne suis pas là! Dis-leur que je ne veux pas les voir! Dis-leur que je ne veux voir personne!
Un jour, plus personne ne rendit visite à Miss Amy Dunbar. Les domestiques, qui ne restaient jamais bien longtemps au service de la vieille femme, cessèrent eux aussi de se présenter chez elle. La rumeur se répandit à propos du caractère difficile de la demoiselle, de son racisme et de ses insultes.
- Il y aura toujours quelqu'un pour qui la nécessité de travailler sera plus forte que son orgueil.
Il n'en fut pas ainsi. La race noire, sans exception, s'accorda pour s'opposer à miss Amy et refuser de lui offrir ses services. La dernière servante, une gamine de quinze ans qui répondait au prénom de Betsabé, pleura durant tout le mois qu'elle passa chez Miss Dunbar. Chaque fois qu'elle ouvrait la porte, les visiteurs, au demeurant de plus en plus rares, voyaient d'abord la jeune fillle en pleurs puis, invariablement, derrière elle, ils entendaient la voix éraillée mais acide de la vieille femme.
- Dis-leur que je ne suis pas là! Dis-leur que cela ne m'intéresse pas de les voir!
Les neveux de Miss Amy Dunbar savaient que la vieille femme ne quitterait jamais sa maison des faubourgs de Chicago. Elle avait dit qu'une migration suffisait dans une vie : quand elle avait abandonné la maison familiale de la Nouvelle-Orléans pour venir vivre avec son mari dans le Nord. De la maison de pierre, située face au lac Michigan et entourée de forêts, on ne l'en sortirait que morte.
- Il n'y en a plus pour très pour longtemps- disait-elle au neveu chargé de s'occuper des encaissements, des affaires juridiques et autres choses, importantes ou non, qui échappaient totalement à la vigilance de la petite vieille.
Ce qui ne lui échappait pas, en revanche, c' était le discret soupir de soulagement de son parent quand il l'imaginait morte.
Elle ne s'en offusquait pas. Et, invariablement, elle répondait :
- Le problème, c'est que je me suis accoutumée à vivre. C'est devenu pour moi une habitude – disait-elle en riant, découvrant cette dentition de cheval que l'âge laisse apparaître chez les femmes anglo-saxonnes. Anglo-saxonne, elle ne l'était qu'à moitié ; en effet, elle était la fille d'un commerçant yankee venu s' installer en Louisiane pour inculquer aux nonchalants habitants du Sud le sens des affaires et d'une délicate dame dont l'origine française était bien lointaine, Lucy Ney. Miss Amy affirmait qu'elle était une parente du maréchal de Bonaparte. Elle s'appelait Amelia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, qu'on appelait mademoisel!e, comme toutes les dames bien nées de la cité du Delta, avait droit aux deux traitements : celui réservé à la maturité de femmes mariée et celui que lui valait une double enfance, fillette à quinze ans puis de nouveau à quatre-vingts ans...
- Je n'insiste pas pour que vous alliez dans une maison pour personnes du troisième âge – lui expliquait le neveu, un avocat qui s'obstinait à s'affubler de tous les attributs vestimentaires appropriés à l'idée qu'il se faisait de l'élégance dans sa profession : chemises bleues à col blanc, cravate rouge, costumes de chez Brooks Brothers, chaussures à lacets, jamais de mocassins pour les jours de travail, God forbid! -, mais si vous devez rester dans cette grande maison, vous avez besoin d'aide domestique. Miss Amy fut sur le point de dire une insolence, mais elle se mordit la langue.
Elle en montra même la pointe blanchâtre. - Puissiez-vous faire un effort pour garder vos domestiques, ma tante. La maison est très grande.
- Mais c'est qu'ils sont tous partis.
- Il faudrait au moins quatre personnes pour vous servir, comme par le passé.
- Non. Le passé, c'était les jeunes années. Et maintenant, ce sont les vieilles années, Archibald. Et ce ne sont pas les domestiques qui sont partis. C'est la famille. On m'a laissée toute seule.
- Très bien, ma tante. Vous avez raison.
- Comme toujours.
Archibald acquiesça.
- Nous avons trouvé une femme mexicaine prête à travailler chez vous.
- Ils ont la réputation d'être des fainéants.
- Ce n'est pas vrai. C'est une idée reçue.
- Je te défends de toucher à mes clichés, mon neveu. Ils sont le blason de mes préjugés. Et les préjugés, comme le mot l'indique, sont nécessaires pour se forger un jugement. Bon jugement, Archibald, bon jugement. Mes convictions sont arrêtées, bien ancrées et inébranlables. A mon âge, personne ne me fera changer d'avis.
Elle s'autorisa un profond soupir, un peu lugubre.
- Les mexicains sont des fainéants..
- Faites un essai. Ce sont des gens serviables, habitués à obéir.
- Toi aussi, tu as tes préjugés, tu vois – dit avec un petit rire miss Amy tout en arrangeant ses cheveux, des cheveux si blancs et si vieux qu'ils jaunissaient, comme les papiers laissés pendant très longtemps à l'inclémence de la lumière. Comme un journal, se disait le neveu Archibald, sa personne toute entière est devenue commme un vieux journal, jaunâtre, froissé, plein de nouvelles qui n'intéressent plus personne...
LES AMIES
À ma soeur Berta
- Dis-leur que je ne suis pas là! Dis-leur que je ne veux pas les voir! Dis-leur que je ne veux voir personne!
Un jour, plus personne ne rendit visite à Miss Amy Dunbar. Les domestiques, qui ne restaient jamais bien longtemps au service de la vieille femme, cessèrent eux aussi de se présenter chez elle. La rumeur se répandit à propos du caractère difficile de la demoiselle, de son racisme et de ses insultes.
- Il y aura toujours quelqu'un pour qui la nécessité de travailler sera plus forte que son orgueil.
Il n'en fut pas ainsi. La race noire, sans exception, s'accorda pour s'opposer à miss Amy et refuser de lui offrir ses services. La dernière servante, une gamine de quinze ans qui répondait au prénom de Betsabé, pleura durant tout le mois qu'elle passa chez Miss Dunbar. Chaque fois qu'elle ouvrait la porte, les visiteurs, au demeurant de plus en plus rares, voyaient d'abord la jeune fillle en pleurs puis, invariablement, derrière elle, ils entendaient la voix éraillée mais acide de la vieille femme.
- Dis-leur que je ne suis pas là! Dis-leur que cela ne m'intéresse pas de les voir!
Les neveux de Miss Amy Dunbar savaient que la vieille femme ne quitterait jamais sa maison des faubourgs de Chicago. Elle avait dit qu'une migration suffisait dans une vie : quand elle avait abandonné la maison familiale de la Nouvelle-Orléans pour venir vivre avec son mari dans le Nord. De la maison de pierre, située face au lac Michigan et entourée de forêts, on ne l'en sortirait que morte.
- Il n'y en a plus pour très pour longtemps- disait-elle au neveu chargé de s'occuper des encaissements, des affaires juridiques et autres choses, importantes ou non, qui échappaient totalement à la vigilance de la petite vieille.
Ce qui ne lui échappait pas, en revanche, c' était le discret soupir de soulagement de son parent quand il l'imaginait morte.
Elle ne s'en offusquait pas. Et, invariablement, elle répondait :
- Le problème, c'est que je me suis accoutumée à vivre. C'est devenu pour moi une habitude – disait-elle en riant, découvrant cette dentition de cheval que l'âge laisse apparaître chez les femmes anglo-saxonnes. Anglo-saxonne, elle ne l'était qu'à moitié ; en effet, elle était la fille d'un commerçant yankee venu s' installer en Louisiane pour inculquer aux nonchalants habitants du Sud le sens des affaires et d'une délicate dame dont l'origine française était bien lointaine, Lucy Ney. Miss Amy affirmait qu'elle était une parente du maréchal de Bonaparte. Elle s'appelait Amelia Ney Dunbar. Amy, Miss Amy, qu'on appelait mademoisel!e, comme toutes les dames bien nées de la cité du Delta, avait droit aux deux traitements : celui réservé à la maturité de femmes mariée et celui que lui valait une double enfance, fillette à quinze ans puis de nouveau à quatre-vingts ans...
- Je n'insiste pas pour que vous alliez dans une maison pour personnes du troisième âge – lui expliquait le neveu, un avocat qui s'obstinait à s'affubler de tous les attributs vestimentaires appropriés à l'idée qu'il se faisait de l'élégance dans sa profession : chemises bleues à col blanc, cravate rouge, costumes de chez Brooks Brothers, chaussures à lacets, jamais de mocassins pour les jours de travail, God forbid! -, mais si vous devez rester dans cette grande maison, vous avez besoin d'aide domestique. Miss Amy fut sur le point de dire une insolence, mais elle se mordit la langue.
Elle en montra même la pointe blanchâtre. - Puissiez-vous faire un effort pour garder vos domestiques, ma tante. La maison est très grande.
- Mais c'est qu'ils sont tous partis.
- Il faudrait au moins quatre personnes pour vous servir, comme par le passé.
- Non. Le passé, c'était les jeunes années. Et maintenant, ce sont les vieilles années, Archibald. Et ce ne sont pas les domestiques qui sont partis. C'est la famille. On m'a laissée toute seule.
- Très bien, ma tante. Vous avez raison.
- Comme toujours.
Archibald acquiesça.
- Nous avons trouvé une femme mexicaine prête à travailler chez vous.
- Ils ont la réputation d'être des fainéants.
- Ce n'est pas vrai. C'est une idée reçue.
- Je te défends de toucher à mes clichés, mon neveu. Ils sont le blason de mes préjugés. Et les préjugés, comme le mot l'indique, sont nécessaires pour se forger un jugement. Bon jugement, Archibald, bon jugement. Mes convictions sont arrêtées, bien ancrées et inébranlables. A mon âge, personne ne me fera changer d'avis.
Elle s'autorisa un profond soupir, un peu lugubre.
- Les mexicains sont des fainéants..
- Faites un essai. Ce sont des gens serviables, habitués à obéir.
- Toi aussi, tu as tes préjugés, tu vois – dit avec un petit rire miss Amy tout en arrangeant ses cheveux, des cheveux si blancs et si vieux qu'ils jaunissaient, comme les papiers laissés pendant très longtemps à l'inclémence de la lumière. Comme un journal, se disait le neveu Archibald, sa personne toute entière est devenue commme un vieux journal, jaunâtre, froissé, plein de nouvelles qui n'intéressent plus personne...
Références culturelles, 109 : Operación Cóndor
http://sepiensa.org.mx/contenidos/historia_mundo/siglo_xx/latinoamerica/opera_condor/condor_1.htm
vendredi 24 avril 2009
Une information, de la part de Jacqueline
En photo : Road to Montpellier par George*50
Du 22 au 24 mai prochain, se tient à Montpellier la Comédie du livre de Montpellier, qui se veut la deuxième manifestation littéraire en France, avec ses 120000 visiteurs. Cette année, c'est l'Espagne qui est invitée et la présence des auteurs sera doublée de concerts, expositions, propositions gastronomiques tous en relation avec l'Espagne car (et cela peut intéresser les apprentis traducteurs que nous sommes), "la littérature n'est pas hors sol. Il me paraît inconcevable d'inviter des auteurs sans qu'il n'y ait aucune référence à leur mémoire collective" disent les organisateurs. Il y aura donc des rencontres autour du flamenco, de la tauromachie, de Saint-Jacques-de- Compostelle ; et un débat sur "Les couleurs de la nouvelle littérature espagnole" avec notamment Rafael Chirbes, Eduardo Mendoza, Carmen Posadas… Évidemment, nous serons en stage mais cela ne nous empêche pas de suivre l'actualité.
Libellés :
Billets des apprentis,
promo Anne Dacier
Amusante erreur de traduction
http://www.presse-citron.net/au-pays-de-galles-les-traducteurs-sont-tombes-dans-le-panneau
Références culturelles, 108 : Cocoliche
En photo : Cocoliche par .María.
En vous parlant la semaine dernière du lunfardo, j’ai découvert au cours de mes recherches le COCOLICHE !
J’ai A-DO-RÉ ce mot rigolo dont j’ignorais totalement l’existence et comme ma curiosité naturelle m’a poussée à en savoir un peu plus…je vous fais partager mes trouvailles…
On pourrait imaginer que le cocoliche se mange ou se boit ! Mais non… le cocoliche se parle !
Antonio ou Francesco Cuc(c)oliccio, fut l’un des trois millions d’immigrants italiens qui débarquèrent en Argentine entre la fin du XIX è et le début du XXè siècle pour y trouver une vie meilleure. Entre 1880 et 1930, ils représentaient 40% de la population de Buenos Aires !
Embauché comme ouvrier dans le cirque de l’acteur et acrobate uruguayen José Podesta (1858-1937), Antonio Cuccoliccio communiquait en employant un mélange d’italien et d’espagnol, comme de nombreux immigrés.
Un artiste du nom de Celestino Patray l’ayant entendu s’appropria sa façon de parler pour en faire un numéro comique où il se présentait sous le nom de Francesco Cocolicchio. Il remporta un tel succès auprès du public porteño que le mot fut conservé pour qualifier le jargon particulier des immigrés italo-argentins de l’époque pour donner « cocoliche ».
Le mot Cocoliche fit son entrée au Dictionnaire de la Real Academia Española (DRAE) en 1927, avec la définition suivante : « jerga híbrida que hablan ciertos inmigrantes italianos, mezclando su habla con el español ».
Certains prétendent même que le mot cococliche viendrait de l’abréviation de la phrase « Que cosa è lo que dice ? » signifiant en italien « Qu’est-ce tu veux dire ? » -.
Son usage était en principe exclusivement oral –beaucoup d’immigrés étaient d’ailleurs analphabètes à cette époque- . Il mêlait mots espagnols et italiens ou issus des nombreux dialectes régionaux d’Italie avec la prononciation particulière de certains sons et une intonation « à l’italienne », la proximité deux langues et leurs similitudes favorisant également les mélanges.
Devenu une sorte de jargon littéraire, il fut utilisé à la fin du XIXè dans le théâtre populaire argentin de l’époque dans des comédies et des saynètes (sainetes).
Au fil des générations, les immigrants italiens se sont assimilés à la population de Buenos Aires et le cocoliche s’est entendu de moins en moins.
Aujourd’hui, de nombreux mots ont persisté pour être finalement assimilés par le lunfardo, le langage porteño, bien que les deux « langages » n’aient pas la même origine, ni les mêmes particularités. Les mots de cocoliche se retrouvent donc en général dans les dictionnaires de lunfardo.
COCOLICHE, ma… cosa dice ?
par Brigitte, culturellement très en verve ces jours-ci !
par Brigitte, culturellement très en verve ces jours-ci !
En vous parlant la semaine dernière du lunfardo, j’ai découvert au cours de mes recherches le COCOLICHE !
J’ai A-DO-RÉ ce mot rigolo dont j’ignorais totalement l’existence et comme ma curiosité naturelle m’a poussée à en savoir un peu plus…je vous fais partager mes trouvailles…
On pourrait imaginer que le cocoliche se mange ou se boit ! Mais non… le cocoliche se parle !
Antonio ou Francesco Cuc(c)oliccio, fut l’un des trois millions d’immigrants italiens qui débarquèrent en Argentine entre la fin du XIX è et le début du XXè siècle pour y trouver une vie meilleure. Entre 1880 et 1930, ils représentaient 40% de la population de Buenos Aires !
Embauché comme ouvrier dans le cirque de l’acteur et acrobate uruguayen José Podesta (1858-1937), Antonio Cuccoliccio communiquait en employant un mélange d’italien et d’espagnol, comme de nombreux immigrés.
Un artiste du nom de Celestino Patray l’ayant entendu s’appropria sa façon de parler pour en faire un numéro comique où il se présentait sous le nom de Francesco Cocolicchio. Il remporta un tel succès auprès du public porteño que le mot fut conservé pour qualifier le jargon particulier des immigrés italo-argentins de l’époque pour donner « cocoliche ».
Le mot Cocoliche fit son entrée au Dictionnaire de la Real Academia Española (DRAE) en 1927, avec la définition suivante : « jerga híbrida que hablan ciertos inmigrantes italianos, mezclando su habla con el español ».
Certains prétendent même que le mot cococliche viendrait de l’abréviation de la phrase « Que cosa è lo que dice ? » signifiant en italien « Qu’est-ce tu veux dire ? » -.
Son usage était en principe exclusivement oral –beaucoup d’immigrés étaient d’ailleurs analphabètes à cette époque- . Il mêlait mots espagnols et italiens ou issus des nombreux dialectes régionaux d’Italie avec la prononciation particulière de certains sons et une intonation « à l’italienne », la proximité deux langues et leurs similitudes favorisant également les mélanges.
Devenu une sorte de jargon littéraire, il fut utilisé à la fin du XIXè dans le théâtre populaire argentin de l’époque dans des comédies et des saynètes (sainetes).
Au fil des générations, les immigrants italiens se sont assimilés à la population de Buenos Aires et le cocoliche s’est entendu de moins en moins.
Aujourd’hui, de nombreux mots ont persisté pour être finalement assimilés par le lunfardo, le langage porteño, bien que les deux « langages » n’aient pas la même origine, ni les mêmes particularités. Les mots de cocoliche se retrouvent donc en général dans les dictionnaires de lunfardo.
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