Depuis des siècles, les philosophes se posent les mêmes questions et débattent toujours sur les mêmes théories. Les traducteurs, à l’image des philosophes, s’interrogent constamment sur leur métier et leurs pratiques. Il est, certes, essentiel de s’interroger en permanence sur la traduction et le métier de traducteur. Mais, plus que d’obtenir des réponses toutes faites ou des recettes à appliquer, je crois que c’est à chacun(e) de trouver en soi, par sa pratique au quotidien et aussi en fonction de sa sensibilité et de sa personnalité, des réponses, même partielles et toujours en mouvance et en évolution, à toutes ces questions.
Des questions, nous nous en sommes effectivement posé toute l’année et – heureusement - nous continuerons à nous en poser, à chercher et peut-être à trouver des réponses - ou pas - et c’est tant mieux !
Puisqu’il m’est donné de dresser un petit bilan de mon année, personnellement, ce qui me saute aux yeux n’est pas le sentiment d’avoir « tourné autour du pot » ou d’avoir « tourné en rond » sans avoir de réponses aux questions « existentialistes » d’un traducteur en devenir et de son futur métier.
Avec le recul, ce qui me saute aux yeux, c’est plutôt un sentiment du « devoir accompli », une sensation de satisfaction – les mauvaises langues diraient d’autosatisfaction - devant le travail réalisé au fil des mois, ainsi qu’un plaisir grandissant de traduire et de progresser par une pratique quotidienne ce qui m’a permis d’acquérir une petite expérience d’apprentie et de me forger une sorte de « bagage personnel ».
Toute l’année je n’ai cessé de m’interroger sur mon travail, sur ma pratique, sur le métier de traducteur et aussi sur les nombreux textes que je me suis régalée de traduire !
Pour ma part, je pense avoir réalisé un petit bout de chemin en avant. Même si chaque nouveau texte à traduire au cours de l’année fut un nouveau défi, une nouvelle aventure et qu’il m’a souvent fallu remettre « les compteurs à zéro », prête à un nouveau départ - car chaque auteur est unique et chaque texte l’est aussi -, je crois qu’un entraînement presque quotidien m’a surtout permis de commencer à acquérir certains réflexes, une plus grande aisance et une certaine rapidité du point de vue pratique.
À la question « le traducteur est-il un solitaire », je ferai peut-être d’emblée une réponse de Normande (généalogie oblige !) : Oui, pour répondre au pied de la lettre, dans le sens où je me suis parfois sentie bien seule face à certains textes… Oui, à un moment ou à un autre, le traducteur se doit même d’être seul ; seul face à ses choix de traductions, seul pour assumer ses responsabilités de traducteur. Non, Si l’on veut qu’il en soit autrement et qu’il y ait échange et partage de nos découvertes et de nos trouvailles respectives, partage et entraide (« Le Bal des Casseroles »…Souvenez-vous, est resté lettre morte…et pourtant chacun y fut libre d’y proposer ses doutes et ses interrogations…). Non, le traducteur n’est jamais vraiment seul, il est « en communion » avec son texte à traduire !
Traduire ne fait pas forcément de nous un lecteur différent. En cela, j’abonde tout à fait dans le sens de Claude Bleton avec qui j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir. Je crois qu’il faut différencier le plaisir de la lecture en soit et le travail de traduction. Lorsqu’on aime lire dès son plus jeune âge, on aime lire, point. Porter un regard de traducteur sur un texte est autre chose : le fait d’avoir à traduire un texte peut changer notre regard sur le texte, il le doit même. Car le traducteur n’est plus lecteur pour le pur plaisir, il se doit de regarder le texte à la loupe, dissèque, cherche, mot à mot, phrase après phrase, avec patience et méthode.
Un texte que l’on envisage de traduire ne sera pas lu avec le même regard d’emblée car derrière le lecteur se cachera le traducteur « en puissance » et son œil « inquisiteur » et « décortiqueur ». En fonction du texte à traduire, je crois que tout est possible : loin de gâcher le plaisir de la lecture, la traduction peut permettre d’aller au plus profond du texte, d’en découvrir de nouvelles subtilités ignorées après une lecture rapide de « lecteur ordinaire ». Mais l’inverse doit sans doute arriver aussi : avoir aimé une œuvre et finir par l’avoir en horreur après l’avoir traduite !
Bien sûr, le rêve de tout traducteur est de pouvoir concilier les deux : joindre l’utile à l’agréable et qu’on lui offre à traduire une œuvre qu’il a adoré !
Le plaisir de lire et le plaisir de traduire sont deux plaisirs différents qui ne sont pas forcément complémentaires, pas incompatibles non plus, ni forcément indissociables car ils n’engagent pas la même part de soi-même. On peut aimer lire sans aimer traduire mais je crois que l’inverse est plus rare. Et un bon lecteur ne fait pas forcément un bon traducteur non plus !
Je pense qu’un traducteur « digne de ce nom » se doit de pouvoir traduire tout type de texte, sans états d’âme, donc être parfaitement capable de s’approprier n’importe quel texte pour le traduire, c’est une question de professionnalisme, tout simplement.
Cependant, en dehors de toute question strictement « alimentaire » - il faut bien gagner sa vie -, je pense qu’on traduit forcément mieux un texte que l’on a aimé puisque dans ce cas le plaisir de la lecture est prolongé par celui de la traduction. Sachant que traduire un texte long - un roman, par exemple - vous occupe l’esprit plusieurs mois durant, comment réussir à traduire un texte que l’on n’a pas aimé au départ tout en sachant que l’on va devoir s’y plonger des semaines ou des mois pour achever sa traduction ? Je parle là de traduction littéraire, bien évidemment, rien à voir avec la traduction spécialisée ou technique d’une fiche de lecture ou d’une page de guide touristique qui pour moi ne mettent pas en jeu les mêmes compétences et permettent une plus grande distance vis-à-vis du texte à traduire.
Un texte qu’on n’a pas aimé ou pas « ressenti » ne sera sans doute pas traduit de la même manière, j’en suis convaincue.
Pour ma part, choisir le métier de traduire et faire le choix d’exercer sa passion entraîne également un investissement total dans les œuvres que l’on traduit. A mon sens, cela ne peut se faire bien que lorsqu’on a vraiment ressenti et aimé une œuvre. Je m’imagine tout à fait refuser de traduire un roman qui m’a profondément ennuyé car je crois que je m’ennuierais aussi à le traduire et je n’ai vraiment pas envie de m’ennuyer !
On peut cependant adorer un livre et avoir tendance à le détester certains jours quand il s’agit de le traduire… Pour prendre l’exemple de ma traduction longue, j’ai lu avec grand plaisir ce roman original mais certains jours, je dois avouer que j’ai eu aussi envie de le jeter par la fenêtre à force de décortiquer chaque mot et d’être confrontée au casse-tête obnubilant que représentaient certaines phrases à traduire !
On peut aimer un texte sans pour autant le dénaturer ni trahir son auteur. Précisément parce qu’on aura apprécié ce texte, on se fera peut-être un « honneur » d’en restituer au mieux le sens, la pensée, la portée et de rester le plus fidèle possible à l’original. Aimer un texte n’entraîne donc pas nécessairement de le desservir par manque d’objectivité, bien au contraire. Traduire froidement et de manière strictement objective est également faisable, sans non plus mal traduire. Là encore, je crois que tout est question de rigueur et de professionnalisme, de sens du travail bien fait.
Question de mentalité, de déontologie, de professionnalisme et d’expérience aussi. Un traducteur confirmé n’aura sans doute pas le même avis qu’un traducteur débutant. Un traducteur qui en fait son métier et sa passion n’aura pas les mêmes exigences et les mêmes visées qu’un traducteur occasionnel… Chacun ressent aussi les textes différemment et a ses propres états d’âmes.
Le traducteur se doit de ne pas trahir le texte original. Mais justement pour ce faire, je pense qu’une certaine souplesse et une certaine ouverture d’esprit sont toujours indispensables. Je suis convaincue que c’est aussi la pratique et l’expérience qui nous permettront un « savant dosage » : Rester au plus près du texte lorsque cela est possible mais s’autoriser une liberté « conditionnelle » par rapport au texte sans pour autant interpréter, déformer ni dénaturer, représente parfois une façon d’être plus fidèle à l’auteur, parfois un moyen plus efficace au service de l’œuvre, une façon de permettre l’accession au sens dans la langue cible.
Quant au terme d’artisan qui n’a rien en soi de péjoratif, je crois qu’il correspond mieux au traducteur que celui d’artiste. L’artiste produit une œuvre originale et unique, c’est un créateur. Le traducteur fait un véritable travail de réécriture, il se doit de transmettre l’âme d’une oeuvre dans une autre langue pour rendre celle-ci accessible à d’autres. En artisan méticuleux, soucieux du travail bien fait, le traducteur travaille l’œuvre qu’il traduit, la cisèle, la façonne, l’adapte et la transforme forcément quelque peu mais ce n’est que pour mieux la défendre et la servir. Il ne fait que lui redonner corps, lui donne un second souffle ou une nouvelle vie dans une autre langue.
Traduire c’est aussi, au-delà de la langue et des mots, l’envie de vouloir faire partager une œuvre et le bonheur d’y parvenir !
Puisqu’il m’est donné de dresser un petit bilan de mon année, personnellement, ce qui me saute aux yeux n’est pas le sentiment d’avoir « tourné autour du pot » ou d’avoir « tourné en rond » sans avoir de réponses aux questions « existentialistes » d’un traducteur en devenir et de son futur métier.
Avec le recul, ce qui me saute aux yeux, c’est plutôt un sentiment du « devoir accompli », une sensation de satisfaction – les mauvaises langues diraient d’autosatisfaction - devant le travail réalisé au fil des mois, ainsi qu’un plaisir grandissant de traduire et de progresser par une pratique quotidienne ce qui m’a permis d’acquérir une petite expérience d’apprentie et de me forger une sorte de « bagage personnel ».
Toute l’année je n’ai cessé de m’interroger sur mon travail, sur ma pratique, sur le métier de traducteur et aussi sur les nombreux textes que je me suis régalée de traduire !
Pour ma part, je pense avoir réalisé un petit bout de chemin en avant. Même si chaque nouveau texte à traduire au cours de l’année fut un nouveau défi, une nouvelle aventure et qu’il m’a souvent fallu remettre « les compteurs à zéro », prête à un nouveau départ - car chaque auteur est unique et chaque texte l’est aussi -, je crois qu’un entraînement presque quotidien m’a surtout permis de commencer à acquérir certains réflexes, une plus grande aisance et une certaine rapidité du point de vue pratique.
À la question « le traducteur est-il un solitaire », je ferai peut-être d’emblée une réponse de Normande (généalogie oblige !) : Oui, pour répondre au pied de la lettre, dans le sens où je me suis parfois sentie bien seule face à certains textes… Oui, à un moment ou à un autre, le traducteur se doit même d’être seul ; seul face à ses choix de traductions, seul pour assumer ses responsabilités de traducteur. Non, Si l’on veut qu’il en soit autrement et qu’il y ait échange et partage de nos découvertes et de nos trouvailles respectives, partage et entraide (« Le Bal des Casseroles »…Souvenez-vous, est resté lettre morte…et pourtant chacun y fut libre d’y proposer ses doutes et ses interrogations…). Non, le traducteur n’est jamais vraiment seul, il est « en communion » avec son texte à traduire !
Traduire ne fait pas forcément de nous un lecteur différent. En cela, j’abonde tout à fait dans le sens de Claude Bleton avec qui j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir. Je crois qu’il faut différencier le plaisir de la lecture en soit et le travail de traduction. Lorsqu’on aime lire dès son plus jeune âge, on aime lire, point. Porter un regard de traducteur sur un texte est autre chose : le fait d’avoir à traduire un texte peut changer notre regard sur le texte, il le doit même. Car le traducteur n’est plus lecteur pour le pur plaisir, il se doit de regarder le texte à la loupe, dissèque, cherche, mot à mot, phrase après phrase, avec patience et méthode.
Un texte que l’on envisage de traduire ne sera pas lu avec le même regard d’emblée car derrière le lecteur se cachera le traducteur « en puissance » et son œil « inquisiteur » et « décortiqueur ». En fonction du texte à traduire, je crois que tout est possible : loin de gâcher le plaisir de la lecture, la traduction peut permettre d’aller au plus profond du texte, d’en découvrir de nouvelles subtilités ignorées après une lecture rapide de « lecteur ordinaire ». Mais l’inverse doit sans doute arriver aussi : avoir aimé une œuvre et finir par l’avoir en horreur après l’avoir traduite !
Bien sûr, le rêve de tout traducteur est de pouvoir concilier les deux : joindre l’utile à l’agréable et qu’on lui offre à traduire une œuvre qu’il a adoré !
Le plaisir de lire et le plaisir de traduire sont deux plaisirs différents qui ne sont pas forcément complémentaires, pas incompatibles non plus, ni forcément indissociables car ils n’engagent pas la même part de soi-même. On peut aimer lire sans aimer traduire mais je crois que l’inverse est plus rare. Et un bon lecteur ne fait pas forcément un bon traducteur non plus !
Je pense qu’un traducteur « digne de ce nom » se doit de pouvoir traduire tout type de texte, sans états d’âme, donc être parfaitement capable de s’approprier n’importe quel texte pour le traduire, c’est une question de professionnalisme, tout simplement.
Cependant, en dehors de toute question strictement « alimentaire » - il faut bien gagner sa vie -, je pense qu’on traduit forcément mieux un texte que l’on a aimé puisque dans ce cas le plaisir de la lecture est prolongé par celui de la traduction. Sachant que traduire un texte long - un roman, par exemple - vous occupe l’esprit plusieurs mois durant, comment réussir à traduire un texte que l’on n’a pas aimé au départ tout en sachant que l’on va devoir s’y plonger des semaines ou des mois pour achever sa traduction ? Je parle là de traduction littéraire, bien évidemment, rien à voir avec la traduction spécialisée ou technique d’une fiche de lecture ou d’une page de guide touristique qui pour moi ne mettent pas en jeu les mêmes compétences et permettent une plus grande distance vis-à-vis du texte à traduire.
Un texte qu’on n’a pas aimé ou pas « ressenti » ne sera sans doute pas traduit de la même manière, j’en suis convaincue.
Pour ma part, choisir le métier de traduire et faire le choix d’exercer sa passion entraîne également un investissement total dans les œuvres que l’on traduit. A mon sens, cela ne peut se faire bien que lorsqu’on a vraiment ressenti et aimé une œuvre. Je m’imagine tout à fait refuser de traduire un roman qui m’a profondément ennuyé car je crois que je m’ennuierais aussi à le traduire et je n’ai vraiment pas envie de m’ennuyer !
On peut cependant adorer un livre et avoir tendance à le détester certains jours quand il s’agit de le traduire… Pour prendre l’exemple de ma traduction longue, j’ai lu avec grand plaisir ce roman original mais certains jours, je dois avouer que j’ai eu aussi envie de le jeter par la fenêtre à force de décortiquer chaque mot et d’être confrontée au casse-tête obnubilant que représentaient certaines phrases à traduire !
On peut aimer un texte sans pour autant le dénaturer ni trahir son auteur. Précisément parce qu’on aura apprécié ce texte, on se fera peut-être un « honneur » d’en restituer au mieux le sens, la pensée, la portée et de rester le plus fidèle possible à l’original. Aimer un texte n’entraîne donc pas nécessairement de le desservir par manque d’objectivité, bien au contraire. Traduire froidement et de manière strictement objective est également faisable, sans non plus mal traduire. Là encore, je crois que tout est question de rigueur et de professionnalisme, de sens du travail bien fait.
Question de mentalité, de déontologie, de professionnalisme et d’expérience aussi. Un traducteur confirmé n’aura sans doute pas le même avis qu’un traducteur débutant. Un traducteur qui en fait son métier et sa passion n’aura pas les mêmes exigences et les mêmes visées qu’un traducteur occasionnel… Chacun ressent aussi les textes différemment et a ses propres états d’âmes.
Le traducteur se doit de ne pas trahir le texte original. Mais justement pour ce faire, je pense qu’une certaine souplesse et une certaine ouverture d’esprit sont toujours indispensables. Je suis convaincue que c’est aussi la pratique et l’expérience qui nous permettront un « savant dosage » : Rester au plus près du texte lorsque cela est possible mais s’autoriser une liberté « conditionnelle » par rapport au texte sans pour autant interpréter, déformer ni dénaturer, représente parfois une façon d’être plus fidèle à l’auteur, parfois un moyen plus efficace au service de l’œuvre, une façon de permettre l’accession au sens dans la langue cible.
Quant au terme d’artisan qui n’a rien en soi de péjoratif, je crois qu’il correspond mieux au traducteur que celui d’artiste. L’artiste produit une œuvre originale et unique, c’est un créateur. Le traducteur fait un véritable travail de réécriture, il se doit de transmettre l’âme d’une oeuvre dans une autre langue pour rendre celle-ci accessible à d’autres. En artisan méticuleux, soucieux du travail bien fait, le traducteur travaille l’œuvre qu’il traduit, la cisèle, la façonne, l’adapte et la transforme forcément quelque peu mais ce n’est que pour mieux la défendre et la servir. Il ne fait que lui redonner corps, lui donne un second souffle ou une nouvelle vie dans une autre langue.
Traduire c’est aussi, au-delà de la langue et des mots, l’envie de vouloir faire partager une œuvre et le bonheur d’y parvenir !
1 commentaire:
Même si tu as anticipé sur les conclusions à donner à notre sondage en cours… – au risque d'influencer massivement les votes dans les quelques heures qu'il reste encore pour le scrutin ! ;)))))) –, je te remercie vivement de nous faire partager tes réflexions sur la traduction. D'autant que toi, tu t'es volontairement soumise à une année de pratique très intensive… donc, tu sais de quoi tu parles ! Je me demande ce que tu diras après quelques mois de recul. Oui, je ne sais pas s'il est bon de sans arrêt se poser des questions, mais j'avoue éprouver toujours le même plaisir à entendre d'autres traducteurs se raconter… Sorte de langage commun que l'on comprend parfaitement – en initié ou en membre de la famille –, anecdotes connues et qui amusent, étonnement face à des réactions différentes, une manière de procéder. Sans doute est-ce parce que notre métier est solitaire et lourd de responsabilités que nous apprécions ces petits moments de discussion ouverte.
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