vendredi 1 mai 2009

Votre version de la semaine, Pérez Reverte

En photo : Pérez-Reverté Arturo El Maestro de Esgrima par bermoraca

Mucho más tarde, cuando Jaime Astarloa quiso reunir los fragmentos dispersos de la tragedia e intentó recordar cómo había empezado todo, la primera imagen que le vino a la memoria fue la del marqués. Y aquella galería abierta sobre los jardines del Retiro, con los primeros calores del verano entrando a raudales por las ventanas, empujados por una luz tan cruda que obligaba a entornar los ojos cuando hería la guarda bruñida de los floretes.
El marqués no estaba en forma; sus resoplidos recordaban los de un fuelle roto, y bajo el peto se veía la camisa empapada en sudor. Sin duda expiaba así algún exceso nocturno de la víspera, pero Jaime Astarloa se abstuvo, según su costumbre, de hacer comentarios inoportunos. La vida privada de sus clientes no era asunto suyo. Se limitó a parar en tercia una pésima estocada que habría hecho ruborizar a un aprendiz, y se tiró luego a fondo. El flexible acero italiano se curvó al aplicar un recio botonazo sobre el pecho de su adversario.
-Tocado, Excelencia.
Luis de Ayala-Velate y Vallespín, marqués de los Alumbres, ahogó una castiza maldición mientras se arrancaba, furioso, la careta que le protegía el rostro. Estaba congestionado, rojo por el calor y el esfuerzo. Gruesas gotas de sudor le corrían desde el nacimiento del pelo, empapándole las cejas y el mostacho.
-Maldita sea mi estampa, don Jaime -había un punto de humillación en la voz del aristócrata-. ¿Cómo lo consigue? Es la tercera vez en menos de un cuarto de hora que me hace morder el polvo.
Jaime Astarloa se encogió de hombros con la apropiada modestia. Cuando se quitó la careta, en la comisura de su boca se dibujaba una suave sonrisa, bajo el bigote salpicado de hebras blancas.
-Hoy no es su mejor día, Excelencia.
Luis de Ayala soltó una jovial carcajada y se puso a recorrer a grandes pasos la galería adornada con valiosos tapices flamencos y panoplias de antiguas espadas, floretes y sables. Tenia el cabello abundante y crespo, lo que le daba cierto parecido con la melena de un león. Todo en él era vital, exuberante: grande y fornido de cuerpo, recio vozarrón, propenso al gesto ampuloso, a los arrebatos de pasión y de alegre camaradería. A sus cuarenta años, soltero, apuesto y -según afirmaban-poseedor de notable fortuna, jugador e impenitente mujeriego, el marqués de los Alumbres era el prototipo del aristócrata calavera en que tan pródiga se mostró la España del XIX: no había leído un libro en su vida, pero podía recitar de memoria la genealogía de cualquier caballo famoso en los hipódromos de Londres, París o Viena. En cuanto a mujeres, los escándalos con que de vez en cuando obsequiaba a la sociedad madrileña constituían la comidilla de los salones, siempre ávidos de novedad y murmuraciones. Llevaba los cuarenta como nadie, y la sola mención de su nombre bastaba para evocar, entre las damas, románticos lances y pasiones tempestuosas.

Arturo Pérez Reverte, El maestro de esgrima, 1988.

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La traduction « officielle », Le maître d’escrime, réalisée par Florianne Vidal, Éditions du SEUIL Collection Points, 1994, p. 15 et 16 :

Beaucoup plus tard, quand Jaime Astarloa voulut réunir les fragments dispersés de la tragédie et tenta de se rappeler comment tout avait commencé, la première image qui lui revint en mémoire fut celle du marquis. Et cette salle d’armes ouverte sur les jardins du Retiro, alors que les premières chaleurs de l’été entraient à flots par les fenêtres, poussées par une lumière si crue qu’on devait détourner les yeux quand elle frappait la garde polie des fleurets.
Le marquis n’était pas au mieux de sa forme : sa respiration évoquait le bruit d’un soufflet déchiré et, sous son plastron, on apercevait sa chemise trempée de sueur. Ans doute expiait-il ainsi quelque excès nocturne commis la veille, mais Jaime Astarloa s’abstint, selon son habitude, de tout commentaire intempestif. Après tout, la vie privée de ses clients ne le regardait pas. Il se contenta de parer en tierce une piteuse estocade qui eût fait rougir un débutant et se fendit complètement. L’acier italien se courba, flexible, alors qu’il appliquait une touche vigoureuse sur la poitrine de son adversaire.
- Touché, Excellence.
Luis de Ayala-Velate y Vallespín, marquis des Alumbres, étouffa une malédiction châtiée tandis qu’il arrachait, furieux, le masque qui lui protégeait le visage. Il était congestionné et rouge, à cause de la chaleur et de l’effort. De grosses gouttes de sueur coulaient de la racine de se cheveux sur ses sourcils et sa moustache.
- Que le diable m’emporte, don Jaime – il y avait une nuance d’humiliation dans la voix de l’aristocrate. Comment vous y prenez-vous ? C’est la troisième fois en moins d’un quart d’heure que vous me faites mordre la poussière.
Jaime Astarloa haussa les épaules avec la modestie qui convenait. Quand il retira son masque, aux coins de ses lèvres, sous la fine moustache parsemée de fils blancs, se dessinait un sourire paisible.
- Ce n’est pas votre meilleur jour, Excellence.
Luis de Ayala partit d’un joyeux éclat de rire et se mit à parcourir à grands pas la salle d’armes ornée de précieuses tapisseries flamandes et de panoplies composées d’épées, de fleurets et de sabres anciens. Sa chevelure abondante et crépue, ressemblait un peu à la crinière d’un lion. Tout en lui était vivant, exubérant : grand et bien charpenté, prompt aux éclats de voix, enclin aux gestes pompeux, aux emportements de la passion et de la joyeuse camaraderie. A quarante ans, célibataire, élégant et –selon certains – détenteur d’une fortune notable, joueur et coureur impénitent, le marquis des Alumbres était le prototype de l’aristocrate noceur dont se montrait si prodigue l’Espagne du XIX è siècle : il n’avait pas lu un livre de sa vie mais pouvait réciter par cœur la généalogie de tel ou tel gentilhomme bien connu sur les hippodromes de Londres, Paris ou Vienne. En matière de femmes, les scandales dont il comblait de temps à autre la société madrilène faisaient les délices des salons toujours avides de nouveautés et de médisances. Il portait ses quarante ans comme personne et la seule mention de son nom suffisait à provoquer, chez les dames, des sursauts romantiques et des passions tumultueuses.

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Brigitte nous propose sa traduction :

VERSION - PEREZ REVERTE - LE MAITRE D’ESCRIME

Beaucoup plus tard, quand Jaime Astarloa voulut rassembler les fragments épars de la tragédie et qu’il essaya de se rappeler comment tout avait commencé, la première image qui lui revint en mémoire fut celle du marquis. Et cette salle d’armes ouverte sur les jardins du Retiro, avec les premières chaleurs de l’été qui entraient à flots par les fenêtres, poussées par une lumière si crue qu’elle faisait cligner des yeux lorsque elle touchait la garde polie des fleurets.
Le marquis n’était pas au mieux de sa forme ; sa respiration faisait penser à un soufflet percé et, sous son plastron, on distinguait sa chemise trempée de sueur. Sans doute expiait-il ainsi quelque excès nocturne de la veille, mais Jaime Astarloa s’abstint, comme à son habitude, de faire tous commentaires inopportuns. La vie privée de ses clients ne le regardait pas. Il se contenta de parer en tierce une piètre estocade à faire rougir un débutant, et se fendit ensuite à fond. La souple lame italienne se courba en faisant mouche d’une vigoureuse estocade sur la poitrine de l’adversaire.
-Touché, Excellence.
Luis de Ayala Velate y Vallespin, marquis De Los Alumbres, étouffa un juron tandis qu’il arrachait, furieux, le masque qui protégeait son visage. Il était congestionné, rouge à cause de la chaleur et de l’effort. De grosses gouttes de sueur perlaient à la racine de ses cheveux et dégoulinaient, mouillant ses sourcils et son épaisse moustache.
- Enfer et damnation, don Jaime ! – il y avait une pointe d’humiliation dans la voix de l’aristocrate – Comment diable faites-vous donc ? Voilà la troisième fois en moins d’un quart d’heure que vous me faites mordre la poussière !
Jaime Astarloa haussa les épaules avec la modestie de rigueur. Lorsqu’il ôta son masque, un doux sourire se dessinait à la commissure de ses lèvres, sous sa moustache poivre et sel.
- Vous n’êtes pas dans votre meilleur jour, aujourd’hui, Excellence.
Luis de Ayala lança un éclat de rire jovial et se mit à arpenter à grands pas la salle d’armes ornée de tapisseries flamandes et de panoplies d’épées, de fleurets et de sabres anciens. Sa chevelure abondante et crépue s’apparentait assez bien à la crinière d’un lion. Tout chez lui respirait la vitalité, l’exubérance : il était grand et robuste, tonitruant, enclin aux gestes pompeux, aux élans de passion et de joyeuse camaraderie. A quarante ans, célibataire, fringant et – selon les dires – détenteur d’une belle fortune, joueur et coureur de jupons impénitent, le marquis De Los Alumbres était l’exemple même de l’aristocrate tête-brûlée dont l’Espagne du XIX è siècle se montra si prodigue : il n’avait pas lu un seul livre de sa vie, mais il était capable réciter par cœur la généalogie de n’importe quel cheval célèbre sur les hippodromes de Londres, de Paris ou de Vienne. Quant aux femmes, les scandales dont il régalait de temps à autre la société madrilène faisaient l’objet des potins de salons, toujours avides de nouveauté et de ragots. Il portait ses quarante ans comme personne et la seule mention de son nom suffisait à évoquer, parmi la gente féminine, des aventures romantiques et de fougueuses passions.

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Odile nous propose sa traduction :

Beaucoup plus tard, quand Jaime Astarloa voulut rassembler les fragments épars de la tragédie et essaya de se souvenir comment tout avait commencé, la première image qui lui revint en mémoire fut celle du marquis. Et cette salle d'armes donnant sur les jardins du Retiro, avec les premières chaleurs de l'été qui entraient à flots par les fenêtres, poussées par une lumière si crue qu'elle obligeait à détourner les yeux lorsqu'elle frappait la garde polie des fleurets.
Le marquis n'était pas au mieux de sa forme ; sa respiration évoquait le bruit d'un soufflet percé, et sous son plastron on apercevait sa chemise trempée de sueur. Sans doute expiait-il quelque excès nocturne de la veille mais Jaime Astorloa, selon son habitude, s'abstint de tout commentaire inopportun.
La vie privée de ses clients ne le regardait pas. Il se contenta de parer en tierce une pitoyable estocade à faire rougir de honte un débutant puis se fendit complètement. La flexible lame italienne plia sous la vigoureuse estocade qui fit mouche sur la poitrine de son adversaire.
- Touché, Excellence.
Luis de Ayala-Velate y Vallespín, Marquis des Alumbres, étouffa un juron châtié tandis qu'il arrachait, furieux, le masque qui lui protégeait le visage. Il était congestionné, rouge, sous l'effet de la chaleur et de l'effort. De grosses gouttes de sueur coulaient de la racine de ses cheveux sur ses sourcils et sa moustache.
- Que je sois damné, don Jaime – il y avait une pointe d'humiliation dans la voix de l'aristocrate-. Comment vous y prenez-vous? C'est la troisième fois en moins d'un quart d'heure que vous me faites mordre la poussière. Jaime Astorloa haussa les épaules avec la modestie voulue. Quand il ôta son masque, au coin de ses lèvres, un léger sourire se dessinait sous sa moustache parsemée de poils blancs. .
- Ce n'est pas votre meilleur jour, Excellence.
Luis de Ayala laissa éclater un rire jovial et se mit à arpenter à grands pas la salle d'armes ornée de riches tapis flamands et de panoplies d' épées, de fleurets et de sabres anciens. Sa chevelure abondante et crépue ressemblait un peu à la crinière d'un lion. Tout en lui était vitalité et exubérance : grand et robuste, la voix puissante, enclin aux gestes pompeux et aux emportements de la passion et de la joyeuse camaraderie. À quarante ans, célibataire, fringant, et- d 'après ce que l'on affirmait- possesseur d'une fortune considérable, joueur, coureur de jupons impénitent, le marquis des Alumbres était le prototype de l'aristocrate libertin dont l'Espagne du XIX ème siècle se montra si prodigue : il n'avait pas lu un seul livre de sa vie, mais il pouvait récitait par coeur la généalogie de n'importe quel cheval célèbre sur les hippodromes de Londres, de Paris ou de Vienne. En matière de femmes, les scandales dont il régalait de temps à autre à la société madrilène alimentaient les potins des salons, toujours avides de nouveauté et de médisances. Il portait ses quarante ans comme personne et la seule mention de son nom suffisait pour évoquer, parmi les dames, des aventures romantiques et des passions tumultueuses.

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Laure nous propose sa traduction :

Beaucoup plus tard, quand Jaime Astarloa voulut réunir les fragments épars de la tragédie et essaya de se rappeler comment tout avait commencé, la première image qui lui vint à l’esprit fut celle du marquis ; et cette galerie ouverte sur les jardins du Retiro, avec les premières chaleurs de l’été qui entraient en rafale par les fenêtres, poussées par une lumière si crue qu’elle obligeait à plisser les yeux quand elle blessait la garde polie des fleurets. Le marquis n’était pas en forme ; son souffle rappelait celui d’un soufflet cassé, et sous son plastron on apercevait sa chemise trempée de sueur. Il expiait sans aucun doute ainsi quelque excès nocturne de la veille, mais Jaime Astarloa s’abstint, selon son habitude, de tout commentaire inopportun. La vie privée de ses clients ne le concernait pas. Il se limita à parer d’une tierce une très mauvaise estocade qui aurait fait rougir un débutant, et il recula tout de suite. Le flexible fer italien courba en faisant violemment mouche sur la poitrine de son adversaire.
– Touché, Excellence.
Luis de Ayala-Velate y Vallespín, marquis de los Alumbres, étouffa une typique malédiction pendant qu’il arrachait, furieux, le masque qui lui protégeait le visage. Il était congestionné, rouge de chaleur et d’effort. De grosses gouttes de sueur courraient de la naissance de ses cheveux, lui trempant les sourcils et la moustache.
– Que je sois maudit, don Jaime –il y avait une pointe d’humiliation dans la voix de l’aristocrate –. Comment y arrivez-vous ? C’est la troisième fois en moins d’un quart d’heure que vous me faites mordre la poussière.
Jaime Astarloa souleva les épaules avec la modestie appropriée. Quand il retira son masque, à la commissure de ses lèvres se dessinait un léger sourire sous sa moustache parsemée de fils blancs.
– Ce n’est pas votre meilleur jour, Excellence.
Luis de Ayala laissa échapper un éclat de rire jovial et se mit à parcourir à grands pas la galerie ornée de précieuses tapisseries flamandes et de panoplies de vieilles épées, fleurets et sabres. Il avait une chevelure abondante et frisée, ce qui lui donnait une certaine ressemblance avec la crinière d’un lion. Tout en lui était vital, exubérant : grand et le corps robuste, vorace solide, enclin au geste ampoulé, aux accès de passion et de joyeuse camaraderie. Á quarante ans, célibataire, fringuant et –selon ses dires – possesseur d’une fortune notable, joueur et coureur de jupon impénitent, le marquis de los Alumbres était le prototype même de l’aristocrate tête brûlée dont l’Espagne se montra si prodigue au XIXème siècle : il n’avait pas lu un seul livre de sa vie, mais il était capable de réciter de mémoire la généalogie de n’importe quel gentilhomme célèbre sur les hippodromes de Londres, Paris ou Vienne. En ce qui concernait les femmes, les scandales qui de temps à autres s’offraient à la société madrilène constituaient le sujet de conversation des salons, toujours avides de nouveautés et de médisances. Il affichait ses quarante ans comme personne, et la seule mention de son nom suffisait à évoquer, parmi les dames, des disputes romantiques et des passions tempétueuses.

2 commentaires:

Brigitte a dit…

Dans le texte, il est écrit "caballo" et non "caballero", est-ce une coquille ou pas...? car évidemment ça n'est pas la même chose !!!

Tradabordo a dit…

Je n'ai pas le texte en V.O. chez moi pour vérifier (comme je vous l'ai dit, je prends les passages sur internet, avec les erreurs qu'il peut y avoir parfois… comme quoi, on ne remplacera jamais une version papier. Mais que c'est pratique en l'occurrence). Quelqu'un peut-il le faire ? Merci !