Échanges avec Daniel COHEN, directeur d’un comptoir d’édition
Au cours de mon stage, j’ai eu le privilège d’avoir des échanges quasi quotidiens avec Daniel Cohen, directeur de la collection « Ecritures » chez L’Harmattan qui préside également aux destinées d’Orizons. Je lui laisse la parole pour expliquer le choix de ce « mot » : « Nous avons dû élider le H de ce splendide mot, par trop convoqué dans l’univers de la propriété industrielle et intellectuelle, afin de pouvoir l’utiliser, en souvenir d’une collection jadis créée par Peter Schnyder. Notre infographiste, le peintre Andrew Pockett, a su imaginer un logo qui rende compte d’un profil : un œuf à l’intérieur duquel un palmier agite ses palmes : les symboles de la fécondation et de la création s’y trouvent réunis. Ce double sceau désigne notre ambition et notre recherche. Ainsi le littéraire est-il au sommet et à la base de notre quête et notre production décline, le mieux que nous ayons pu, le désir de l’articuler à travers quelques collections. »
Ce travail a commencé en mars 2008 – le comptoir d’édition a été créé en 2007, sous le parrainage de l’Harmattan. Daniel Cohen dirige donc la structure, dont le but est d’éditer et de promouvoir des œuvres littéraires de langue française de toutes les époques, mais « d’extrême contemporain avant tout ». Orizons conserve son indépendance dans sa politique de promotion, de ses choix, de ses décisions. Très prochainement il disposera de ses propres locaux, ce qui renforcera sa lisibilité, mais naturellement, la gestion financière est totalement intégrée à celle de la maison mère et la politique étroitement associée à celle de L’Harmattan.
Entre mars 2008 et aujourd’hui, 50 ouvrages ont été publiés, qu’il a réalisés de bout en bout. (Le diffuseur-distributeur est L’Harmattan dont Daniel Cohen souligne au passage le catalogue « fastueux » ). L’ensemble est résolument littéraire, ouvert sur le monde, conjuguant la création, la critique générale, en littérature et en philosophie.
Une association Les Amis d’Orizons a vu le jour en décembre 2008 dans le but de soutenir et de valoriser le travail d’Orizons, son enrichissement culturel.
Daniel Cohen se présente d’abord « comme un écrivain, subsidiairement éditeur ». Il a écrit son premier livre à 14 ans ; et termine une épopée et une œuvre picturale de 600 pages au nom magique Blanche des Oublies (du nom de la galette qu’on offrait au Moyen Âge) ; il ne convient pas d’en déflorer le sujet mais son auteur m’en a longuement et magnifiquement parlé car pour lui, les mots clé sont « passion, exigence, folie». Docteur en littérature – sa thèse porte sur l’œuvre de Léopold Senghor -, Daniel Cohen est un homme d’une grande culture, au commerce agréable, mais qui sait exprimer très fermement mais en douceur, son point de vue : j’ai assisté à un échange « musclé » avec un auteur qui voulait absolument modifier le visuel de la couverture de son livre pour booster les ventes, qu’il jugeait insuffisantes…
Il faut dire qu’Orizons reçoit 200 manuscrits par mois ! Un manuscrit est retenu sur 2000 qui lui parviennent ; Il connaît donc bien ces auteurs qui « parlent de leurs entrailles » quand ils parlent de leurs livres, qui « se battent contre une virgule », et fustige au passage la civilisation de l’image dans laquelle nous évoluons, révélatrice d’une très grande fragilité sociale qui « pousse les gens à écrire pour fixer quelque chose ». C’est pour lui une des deux difficultés majeures auxquelles se heurte l’éditeur : les relations avec l’auteur qui voit l’éditeur sous un regard magique. C’est en effet celui qui donne une forme de sacré à son texte dans la mesure où il le porte au public – le sacre, c’est bien passer de l’un à l’autre, l’autre étant le multiple-, d’où un débridement de l’affect qui entraîne un discours moralisateur de l’éditeur par souci de bien mettre les bornes. La seconde difficulté étant bien entendu de placer le livre de l’auteur chez le libraire (qui peut les retourner au bout de trois mois le cas échéant).
Comment Daniel Cohen surmonte-t-il ces difficultés ? Il dit que l’édition est d’abord une affaire de volonté, de courage et de patience, surtout une affaire de passion ; et ensuite une affaire économique.
C’est un passionné lucide, un brin pessimiste, persuadé que le livre va disparaître progressivement et que les éditeurs vont disparaître, que dans 25 ans tout sera numérisé et que les livres deviendront une denrée historique. Lucidité ou coquetterie ? Pour l’heure, il fourmille de projets, le plus prestigieux : l’édition des poèmes d’André Gide, en voie d’achèvement, et qui va donner lieu à l’automne prochain à la présentation conjointe du comptoir devant la presse, probablement dans les locaux du Sénat.
A propos de la relation auteur-éditeur il dit aussi que c’est « un couple toujours curieux à propos duquel j’écrirai un jour un petit livre, tant il tient de l’impossible et du magique, du passionné aussi avec tout ce que ce mot comprend en sentiments vifs et contradictoires. A L’Harmattan, nous formons une amicale avec les auteurs, sans chichis, sans tralala, sans ce côté condescendant et quelque peu tribal qui rend ailleurs l’éditeur lunaire et quasiment hors-monde, quand on n’est pas bardé de ces ventes qui font sourire les comptables et mettent de côté le directeur littéraire ».
Ces propos ont été tenus lors de la signature d’un auteur maison à laquelle j’ai assisté et j’ai pu constater le soin extrême qu’a mis Daniel Cohen à préparer la présentation de cet ouvrage et de son auteur, visiblement heureux.
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