ANIMAUX DANGEREUX
La route était déserte et pourtant c'était la rue principale du village. Au numéro 7 se trouvait la maison d'Annette, devant la maison trônait un pommier qui retombait sur le trottoir, sous le pommier se dressait un petit mur traçant la limite du jardin et sur ce petit mur étaient assises Annette et Juliette. Ces deux octogénaires étaient voisines depuis l'époque où elles partageaient les bancs de l'école municipale. Annette avait épousé le fils Pierret, famille d'agriculteurs à la sortie du village alors que Juliette s'était mariée avec le Paul, frère d'un industriel ayant implanté sa fabrique de remorques aux abords de la propriété des Pierret. N'ayant aucune activité permettant de chasser la monotonie du quotidien dans ce petit village, Annette et Juliette passaient leur temps à parler confiture, tricot et à commérer sur leurs semblables. L'arrivée d'une nouvelle famille attisa en un instant la curiosité des deux grand-mères.
— Tu savais qu'une nouvelle famille est venue s'installer dans la vieille ferme ? dit Juliette tout en tirant sur son tablier fraîchement recousu à l'épaule.
— Oui, on en a parlé hier avec le Gaston, il m'a dit que c'était un drôle de ménage, lui répondit Annette occupée à écosser ses haricots. On n'avait pas besoin de ça dans le village.
— Ah, la Marcelle m'en a parlé. Elle n'a pas su me dire ce que faisait le bonhomme.
— Eh ben lui est dans les affaires, en ville. A ce qu'on dit c'est un vrai requin, il dévore tout sur son passage pour rester dans la course. Et tu sais que la femme n'est pas en reste ?
— Il paraît que c’est une femme étrange, lui répondit Juliette en hochant la tête qu'elle faillit en perdre ses lunettes perchées sur le bout de son nez.
— C'est pas ça, dit Annette en posant sa corbeille de haricots et s'approchant de sa voisine. J'ai entendu dire que c'était une mante religieuse. Celle-là elle aime les hommes et n'en fait qu'une bouchée. Elle a déjà fait cocu son mari avec l'instituteur. Et c’est qu’elle est allée le raconter partout. Une vraie langue de vipère.
— En tout cas, elle n’est pas très jolie.
— Tu sais qu’elle doit en faire des choses pour les amener dans son lit. Je trouve qu’elle ne ressemble à rien, elle n’a pas de forme. On dirait un boa, conclu Annette.
— Que tu es bête ! dit Juliette ne pouvant contenir son rire.
— Tu me diras, lui n'est pas très beau non plus. Il a une dentition et des yeux qui me font penser à un crocodile. Et leur enfant, c'est du même acabit.
Juliette sourit de la comparaison tout en tirant le fil qui s'échappait de la couture de son tablier. Elle y mettait toute son attention et n'entendit pas la fin de la phrase d'Annette.
— Et ils ont un enfant, non ? dit-elle.
— Je viens de te le dire, tu deviens sourde Juliette. Leur rejeton est aussi nocif qu'un scorpion. Une vraie saleté, méchant et cruel. Il ne supporte pas les autres enfants. L'autre jour je l'ai vu faire pleurer le petit Samuel plus rapidement qu'un piranha n'aurait croqué un Amazonien.
— Ca ne doit pas être facile tous les jours dans la maisonnée, dit Juliette.
— Il faut dire qu'il tient de son père. Il est tellement désabusé par les tromperies de sa bonne femme qu'il devient aigri et méchant avec tout le monde. Le Gaston dit qu'un varan ne ferait pas plus de dégats. Mais même avec tout ce qu'elle lui fait, il n'arrive pas à la quitter, rajouta Annette.
— Ah ?
— Oui, elle doit avoir des tentacules de pieuvre pour le retenir ou alors c'est une méduse qui le paralyse. De toute façon c'est lui qui a le salaire, elle c'est la sangsue.
Juliette ôta ses lunettes, les plia soigneusement et se tourna vers son amie.
— Mais dis-moi, tu es dans ta période animale en ce moment. Tu n’arrêtes pas de faire des comparaisons. Tu as toujours tes hallucinations ?
— Non, c’est pas ça, répondit Annette qui fit une pause. Ce qu’il y a c’est que Roger a perdu la télécommande et on est bloqué sur le canal 57.
— Et c’est quoi comme programme ?
— Rien… C’est National Geographic.
La route était déserte et pourtant c'était la rue principale du village. Au numéro 7 se trouvait la maison d'Annette, devant la maison trônait un pommier qui retombait sur le trottoir, sous le pommier se dressait un petit mur traçant la limite du jardin et sur ce petit mur étaient assises Annette et Juliette. Ces deux octogénaires étaient voisines depuis l'époque où elles partageaient les bancs de l'école municipale. Annette avait épousé le fils Pierret, famille d'agriculteurs à la sortie du village alors que Juliette s'était mariée avec le Paul, frère d'un industriel ayant implanté sa fabrique de remorques aux abords de la propriété des Pierret. N'ayant aucune activité permettant de chasser la monotonie du quotidien dans ce petit village, Annette et Juliette passaient leur temps à parler confiture, tricot et à commérer sur leurs semblables. L'arrivée d'une nouvelle famille attisa en un instant la curiosité des deux grand-mères.
— Tu savais qu'une nouvelle famille est venue s'installer dans la vieille ferme ? dit Juliette tout en tirant sur son tablier fraîchement recousu à l'épaule.
— Oui, on en a parlé hier avec le Gaston, il m'a dit que c'était un drôle de ménage, lui répondit Annette occupée à écosser ses haricots. On n'avait pas besoin de ça dans le village.
— Ah, la Marcelle m'en a parlé. Elle n'a pas su me dire ce que faisait le bonhomme.
— Eh ben lui est dans les affaires, en ville. A ce qu'on dit c'est un vrai requin, il dévore tout sur son passage pour rester dans la course. Et tu sais que la femme n'est pas en reste ?
— Il paraît que c’est une femme étrange, lui répondit Juliette en hochant la tête qu'elle faillit en perdre ses lunettes perchées sur le bout de son nez.
— C'est pas ça, dit Annette en posant sa corbeille de haricots et s'approchant de sa voisine. J'ai entendu dire que c'était une mante religieuse. Celle-là elle aime les hommes et n'en fait qu'une bouchée. Elle a déjà fait cocu son mari avec l'instituteur. Et c’est qu’elle est allée le raconter partout. Une vraie langue de vipère.
— En tout cas, elle n’est pas très jolie.
— Tu sais qu’elle doit en faire des choses pour les amener dans son lit. Je trouve qu’elle ne ressemble à rien, elle n’a pas de forme. On dirait un boa, conclu Annette.
— Que tu es bête ! dit Juliette ne pouvant contenir son rire.
— Tu me diras, lui n'est pas très beau non plus. Il a une dentition et des yeux qui me font penser à un crocodile. Et leur enfant, c'est du même acabit.
Juliette sourit de la comparaison tout en tirant le fil qui s'échappait de la couture de son tablier. Elle y mettait toute son attention et n'entendit pas la fin de la phrase d'Annette.
— Et ils ont un enfant, non ? dit-elle.
— Je viens de te le dire, tu deviens sourde Juliette. Leur rejeton est aussi nocif qu'un scorpion. Une vraie saleté, méchant et cruel. Il ne supporte pas les autres enfants. L'autre jour je l'ai vu faire pleurer le petit Samuel plus rapidement qu'un piranha n'aurait croqué un Amazonien.
— Ca ne doit pas être facile tous les jours dans la maisonnée, dit Juliette.
— Il faut dire qu'il tient de son père. Il est tellement désabusé par les tromperies de sa bonne femme qu'il devient aigri et méchant avec tout le monde. Le Gaston dit qu'un varan ne ferait pas plus de dégats. Mais même avec tout ce qu'elle lui fait, il n'arrive pas à la quitter, rajouta Annette.
— Ah ?
— Oui, elle doit avoir des tentacules de pieuvre pour le retenir ou alors c'est une méduse qui le paralyse. De toute façon c'est lui qui a le salaire, elle c'est la sangsue.
Juliette ôta ses lunettes, les plia soigneusement et se tourna vers son amie.
— Mais dis-moi, tu es dans ta période animale en ce moment. Tu n’arrêtes pas de faire des comparaisons. Tu as toujours tes hallucinations ?
— Non, c’est pas ça, répondit Annette qui fit une pause. Ce qu’il y a c’est que Roger a perdu la télécommande et on est bloqué sur le canal 57.
— Et c’est quoi comme programme ?
— Rien… C’est National Geographic.
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