par ledandec14
Environ cinq minutes se sont écoulées depuis l'événement. Cinq longues minutes de silence dans lequel résonne, seul, l'atroce battement de mesure de l'horloge. Pas un mot. Les membres engourdis, aucun des deux ne bouge, incapable d'affronter la réalité en cours. Chacun fixe ses pieds, la tête basse, espérant que l'autre fasse le premier pas. Il va bien finir par céder, elle se dit à elle-même - sans vraiment y croire -, il va se lever, inspirer profondément, et il va aller lui ouvrir la porte. Mais il reste cloué à sa chaise. Elle ne sait plus quoi penser. Cela fait des jours qu'ils savent, qu'ils se sont préparés à sa venue, et maintenant il est là, derrière la porte, et ils n'ont de toute évidence plus aucune envie de le voir. Ou plutôt, pas assez de courage pour le faire. Toutes ces années de silence ne leur permettent pas d'échanger facilement sur le sujet. Quand on leur a annoncé qu'il était vivant, on leur a posé la question : « Voulez-vous le rencontrer ? », et ils ont simplement acquiescé. Ou plutôt, c'est elle qui a hoché la tête avec gravité, et son frère a scrupuleusement détaillé ses chaussures, comme d'habitude. Elle ne peut plus gérer son mutisme. C'est peut-être pour cela qu'elle a accepté ce rendez-vous idiot, pour faire bouger les choses. Désormais elle regrette son geste, l'amertume qui l'emplit la dégoute ; elle s'en veut d'être aussi faible, elle en veut à son frère aussi, et puis la moindre des politesses serait d'ouvrir à quelqu'un qui sonne à sa porte. Non, elle comprend soudain qu'elle éprouve un sentiment erroné : quelle culpabilité y a-t-il à avoir, puisqu'elle n'a rien demandé à personne ? Il lui suffit de continuer à vivre normalement, comme si rien n'était venu troubler son existence, leur existence à tous les deux. Elle comprend tout à coup : tout allait bien avant qu'il ne sonne, et le simple fait de l'imaginer derrière la porte les a tous les deux enveloppés d'une angoisse épaisse et suintante. À quoi bon ?
Puisqu'elle a décidé qu'ils ne lui ouvriraient pas, elle tente un regard vers son frère ; il l'observe en fait depuis deux bonnes minutes. Elle secoue lentement la tête, esquisse un geste de la main, « ne parle pas, ne bouge pas, on ne lui ouvre pas, c'est mieux comme ça. » Il prend une mine soulagée, se décontracte, s'installe sur le canapé du salon, droit, stoïque, et attend. Deuxième coup de sonnette. Deuxième regard complice. C'est presque devenu un jeu. Ils sont plus malins que lui. Et ils sont deux.
Il a dû partir, puisqu'il ne sonne plus, ne frappe pas à la porte, n'appelle même pas. Ils ont attendu en fin de compte plus d'une demi-heure, assis dans leur canapé, à guetter le moindre pas de souris. À présent, c'est un véritable jeu, c'est à celui qui sera le plus valeureux et ira ouvrir la porte pour en effet remarquer son absence, et crier victoire. C'est elle qui se décide en premier : avec une certaine réserve, elle tourne deux fois le cadenas, entrebâille la porte d'entrée, scrute le palier depuis l'intérieur et se délecte de n'y trouver personne. Un sourire en coin, elle sautille finalement sur le paillasson, puis dévale franchement le chemin jusqu'à la route. Personne, il n'y a plus personne ! Ils ont réussi à le faire fuir, elle souhaite qu'il ne revienne plus jamais.
Machinalement son regard se pose sur la boîte aux lettres en ferraille qui borde l'allée. On dirait qu'un papier y a été déposé à la hâte, un bout dépasse par la fente de la boîte, on n'a pas pris le temps de le glisser correctement. L'angoisse la plombe à nouveau, directement au niveau de l'estomac, plus lourde encore que tout à l'heure. Elle n'avait pas songé qu'il pouvait leur écrire. C'est encore plus dégoûtant, elle pense. Il n'a même pas le cran de s'exprimer en face. C'est pourtant elle qui l'a empêché de les voir. Mais qu'importe, il faut en finir, elle n'aura qu'à déchirer de toutes ses forces cette missive honteuse pour qu'elle n'existe plus. Comme s'il allait la brûler, elle tire brusquement sur un coin du petit papier, et découvre l'ampleur de son infortune, avec les diverses émotions qu'elle procure : ce n'est que l'avis de passage du facteur, qui, après avoir sonné par deux fois, a pensé le destinataire absent, et a rempli en sifflotant au bas de l'allée son bordereau innocent. Il n'est jamais venu, reste à savoir si ce n'est pas plus cruel encore.
Puisqu'elle a décidé qu'ils ne lui ouvriraient pas, elle tente un regard vers son frère ; il l'observe en fait depuis deux bonnes minutes. Elle secoue lentement la tête, esquisse un geste de la main, « ne parle pas, ne bouge pas, on ne lui ouvre pas, c'est mieux comme ça. » Il prend une mine soulagée, se décontracte, s'installe sur le canapé du salon, droit, stoïque, et attend. Deuxième coup de sonnette. Deuxième regard complice. C'est presque devenu un jeu. Ils sont plus malins que lui. Et ils sont deux.
Il a dû partir, puisqu'il ne sonne plus, ne frappe pas à la porte, n'appelle même pas. Ils ont attendu en fin de compte plus d'une demi-heure, assis dans leur canapé, à guetter le moindre pas de souris. À présent, c'est un véritable jeu, c'est à celui qui sera le plus valeureux et ira ouvrir la porte pour en effet remarquer son absence, et crier victoire. C'est elle qui se décide en premier : avec une certaine réserve, elle tourne deux fois le cadenas, entrebâille la porte d'entrée, scrute le palier depuis l'intérieur et se délecte de n'y trouver personne. Un sourire en coin, elle sautille finalement sur le paillasson, puis dévale franchement le chemin jusqu'à la route. Personne, il n'y a plus personne ! Ils ont réussi à le faire fuir, elle souhaite qu'il ne revienne plus jamais.
Machinalement son regard se pose sur la boîte aux lettres en ferraille qui borde l'allée. On dirait qu'un papier y a été déposé à la hâte, un bout dépasse par la fente de la boîte, on n'a pas pris le temps de le glisser correctement. L'angoisse la plombe à nouveau, directement au niveau de l'estomac, plus lourde encore que tout à l'heure. Elle n'avait pas songé qu'il pouvait leur écrire. C'est encore plus dégoûtant, elle pense. Il n'a même pas le cran de s'exprimer en face. C'est pourtant elle qui l'a empêché de les voir. Mais qu'importe, il faut en finir, elle n'aura qu'à déchirer de toutes ses forces cette missive honteuse pour qu'elle n'existe plus. Comme s'il allait la brûler, elle tire brusquement sur un coin du petit papier, et découvre l'ampleur de son infortune, avec les diverses émotions qu'elle procure : ce n'est que l'avis de passage du facteur, qui, après avoir sonné par deux fois, a pensé le destinataire absent, et a rempli en sifflotant au bas de l'allée son bordereau innocent. Il n'est jamais venu, reste à savoir si ce n'est pas plus cruel encore.
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