vendredi 2 janvier 2009

Devoirs de vacances (Noël), 13

En photo : Mario Benedetti par lauracorbi

Lunes 18 de febrero

Ninguno de mis hijos se parece a mí. En primer lugar, todos tienen más energías que yo, parecen siempre más decididos, no están acostumbrados a durar. Esteban es el más huraño. Todavía no sé a quién se dirige su resentimiento, pero lo cierto es que parece un resentido. Creo que me tiene respeto, pero nunca se sabe. Jaime es quizá mi preferido, aunque casi nunca pueda entenderme con él. Me parece sensible, me parece inteligente, pero no me parece fundamentalmente honesto. Es evidente que hay una barrera entre él y yo. A veces creo que me odia, a veces que me admira. Blanca tiene por lo menos algo de común conmigo: también es una triste con vocación de alegre. Por lo demás, es demasiado celosa de su vida propia, incanjeable, como para compartir conmigo sus más arduos problemas. Es la que está más tiempo en casa y tal vez se sienta un poco esclava de nuestro desorden, de nuestras dietas, de nuestra ropa sucia. Sus relaciones con los hermanos están a veces al borde de la histeria, pero se sabe dominar y, además, sabe dominarlos a ellos. Quizá en el fondo se quieran bastante, aunque eso del amor entre hermanos lleve consigo la cuota de mutua exasperación que otorga la costumbre. No, no se parecen a mí. Ni siquiera físicamente. Esteban y Blanca tienen los ojos de Isabel. Jaime heredó de ella su frente y su boca ¿Qué pensaría Isabel si pudiera verlos hoy, preocupados, activos, maduros? Tengo una pregunta mejor: ¿qué pensaría yo, si pudiera ver hoy a Isabel? La muerte es una tediosa experiencia; para los demás, sobre todo para los demás. Yo tendría que sentirme orgulloso de haber quedado viudo con tres hijos y haber salido adelante. Pero no me siento orgulloso, sino cansado. El orgullo es para cuando se tienen veinte o treinta años. Salir adelante con mis hijos era una obligación, el único escape para que la sociedad no se encarara conmigo y me dedicara la mirada inexorable que se reserva a los padres desalmados. No cabía otra solución y salí adelante. Pero todo fue siempre demasiado obligatorio como para que pudiera sentirme feliz.

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Olivier nous propose sa traduction :

Aucun de mes fils ne me ressemble. Ils ont d’abord tous plus d’énergie que moi, ils ont toujours l’air plus volontaires, ils n’ont jamais eu à durer. Esteban est le plus bourru. J’ignore à qui il en veut, mais ce qui est sûr, c’est qu’il a l’air aigri. Je pense qu’il me respecte, mais sait-on jamais. Jaime est peut-être mon préféré, bien qu’on ne soit presque jamais d’accord sur rien. Je le sens sensible, je le sens intelligent, mais pas toujours franc du collier. C’est évident qu’il y a une barrière entre nous. J’ai l’impression parfois qu’il me hait et parfois qu’il m’admire. Blanca a au moins quelque chose en commun avec moi : c’est elle aussi une triste à l’âme gaie. À part ça, elle est trop jalouse de sa vie privée, irremplaçable, pour partager avec moi ses problèmes les plus ardus. C’est elle qui passe le plus de temps à la maison et il n’est pas impossible qu’elle se sente quelque peu esclave de notre désordre, de nos régimes, de notre linge sale. Les rapports avec ses frères frôlent parfois l’hystérie, mais elle sait se dominer et surtout les dominer, eux. Peut-être qu’ils s’aiment bien, au fond, même si cet amour entre frères et soeurs porte en lui la part de mutuelle exaspération que confère l’habitude. Non, ils ne me ressemblent pas. Même pas physiquement. Esteban et Blanca ont les yeux d’Isabel. Jaime a hérité d’elle son front et sa bouche. Que penserait Isabel si elle les voyait aujourd’hui, inquiets, actifs, matures ? Autre bonne question : qu’est-ce que je penserais, moi, si je me retrouvais aujourd’hui face à Isabel ? La mort est une expérience ennuyeuse ; pour les autres, surtout pour les autres. Je devrais me sentir orgueilleux de m’être retrouvé veuf, avec trois enfants, et d’avoir été capable de m’en sortir. Or je ne me sens pas orgueilleux, mais fatigué. L’orgueil, ç’est bon quand on a vingt ou trente ans. M’en sortir avec mes trois enfants était une obligation, la seule issue pour éviter le choc frontal avec la société et le regard inexorable qu’elle réserve aux pères indignes. Je n’avais pas le choix et je m’en suis sorti. Mais tout a toujours été trop obligatoire pour que je puisse me sentir heureux.

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Alexandra nous propose sa traduction :

Aucun de mes enfants ne me ressemble. D'abord, ils ont tous plus d'énergie à revendre que moi, ils donnent toujours l'impression d'être plus déterminés, ils n'ont pas l'habitude de trainer. Esteban est le plus sauvage. Je ne sais toujours pas à qui est destinée sa rancœur , mais ce qu'il y a de sûr c'est qu'il semble en avoir sur le cœur. Je crois qu'il me respecte, mais on ne sait jamais. Jaime est sans doute mon préféré, même si je ne m'entends jamais avec lui. À mon avis, il a l'air sensible, il a l'air également intelligent, mais il n'a pas l'air totalement honnête. Il est évident qu'il existe une barrière entre lui et moi. Parfois, j'ai l'impression qu'il me déteste, et parfois, qu'il m'admire. Blanca, elle au-moins, a quelque chose en commun avec moi : elle aussi est une tristounette ayant pour vocation de semer la joie. Pour ce qui est du reste, elle est très méfiante de sa propre vie, inaccessible, comme elle l'est avec moi pour partager ses problèmes les plus ardus. C'est celle qui passe le plus de temps à la maison et qui se sent, peut-être, un peu esclave de notre désordre, de nos repas manqués, de notre linge sale. Les relations qu'elle entretient avec ses frères sont souvent aux bords de la crise d'hystérie, mais elle sait se dominer et, en plus, elle sait les dominer ceux-là. Peut-être qu'au fond, ils s'aiment suffisamment, même si, pour ce qui est de l'amour entre frères et sœurs, il comporte une part d'exaspération mutuelle qui vient avec l'habitude. Non, non, ils ne me ressemblent en rien. Même pas physiquement. Esteban et Blanca ont les yeux d'Isabelle. Jaime a hérité de son front et de sa bouche. Que penserait Isabelle si elle pouvait les voir aujourd'hui, préoccupés, actifs et matures? J'ai une meilleure question : à quoi je penserais, si je pouvais voir Isabelle aujourd'hui? La mort est une expérience ennuyante; pour les autres, surtout pour les autres. Je devrais me sentir fier d'avoir été veuf avec trois enfants et d' avoir pu aller de l'avant. Mais je ne me sens pas fier mais plutôt fatigué. La fierté c'est ce qu'on ressent quand on a vingt ou trente ans. Aller de l'avant avec mes enfants était une obligation, l'unique porte de sortie pour que je n'aie pas à affronter la société et son regard inexorable que l'on réserve aux pères désemparés. Il n'y avait pas d' autre solution, ainsi, je suis allé de l'avant. Cependant, tout avait toujours été pure obligation pour que je me sente comme plus heureux.

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Vanessa nous propose sa traduction :

Aucun de mes enfants ne me ressemble. Premièrement, ils ont tous plus d’énergie que moi, ils semblent toujours plus déterminés, ils ne sont pas habitués à durer. Esteban est le plus sauvage. Je ne sais toujours pas à qui est dirigée sa colère, mais ce qui est sûr, c’est qu’il semble être rempli de colère. Je pense qu’il me respecte, mais on ne sait jamais. Jaime est peut-être mon préféré, même si je ne peux presque jamais le comprendre. Il me semble sensible, il me semble intelligent, mais il ne me semble pas fondamentalement honnête. Il est évident qu’il y a une barrière entre lui et moi. Parfois, je pense qu’il me hait, parfois, il m’admire. Blanca a au moins une chose en commun avec moi : c’est également quelqu’un de triste à vocation joyeuse. Pour ce qui est du reste, elle est trop jalouse de sa propre vie, impossible à changer, pour partager avec moi ses problèmes les plus difficiles. C’est celle qui passe le plus de temps à la maison, et peut-être se sent-elle quelque peu esclave de notre désordre, de nos repas, de notre linge sale. Ses relations avec ses frères sont, parfois, au bord de l’hystérie, mais elle sait se contrôler et, en plus, elle sait les contrôler, eux. Peut-être, dans le fond, s’aiment-ils, même si ce que l’on appelle amour entre frères et sœurs comporte en son sein le quota de mutuelle exaspération qu’octroie l’habitude. Non, ils ne me ressemblent pas. Même pas physiquement. Esteban et Blanca ont les yeux d’Isabel. Jaime hérita d’elle son front et sa bouche. Que penserait Isabel si elle pouvait les voir aujourd’hui, inquiets, actifs, mûrs ? J’ai une meilleure question : Que penserais-je, moi, si, aujourd’hui, je pouvais voir Isabel ? La mort est une ennuyeuse expérience ; pour les autres, surtout pour les autres. Je devrais me sentir fier d’être resté veuf avec trois enfants et d’avoir sorti la tête de l’eau. Mais je ne me sens pas fier, mais fatigué. La fierté est pour quand l’on a vingt ou trente ans. Avoir sorti la tête de l’eau avec mes enfants était une obligation, l’unique échappatoire pour que la société ne se confronte pas à moi et ne me réserve pas le regard inexorable que l’on réserve aux pères sans âme. Il n’y avait pas d’autre solution et je sortis la tête de l’eau. Mais tout fut toujours trop obligatoire pour que je puisse me sentir heureux.

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Laure L. nous propose sa traduction :

Aucun de mes enfants ne me ressemble. En premier lieu, ils ont tous plus d’énergie que moi, ils ont toujours l’air plus décidés, ils ne sont pas habitués à durer. Esteban est le plus farouche.
Je ne sais toujours pas qui est l’objet de sa rancune, mais une chose est certaine, c’est qu’il a l’air rancunier. Je pense qu’il me respecte, mais on ne sait vraiment jamais. Peut-être Jaime est-il mon préféré, même si je ne peux presque jamais m’entendre avec lui. Il m’a l’air sensible, il m’a l’air intelligent, mais il ne m’a pas l’air fondamentalement honnête. Il est évident qu’il y a une barrière entre lui et moi. Parfois je crois qu’il me déteste, parfois qu’il m’admire. Blanca a au moins quelque chose en commun avec moi : c’est elle aussi une personne triste qui a la vocation d’être joyeuse. Cela dit, elle est trop jalouse de sa vie personnelle, sans possibilité d’échange, pour partager avec moi ses problèmes les plus épineux. C’est celle qui passe le plus de temps à la maison et peut-être se sent-elle quelque peu esclave de notre désordre, de nos régimes, de notre linge sale. Ses relations avec ses frères frisent parfois l’hystérie, mais elle sait se contrôler et, en outre, elle sait les contrôler. Peut-être que dans le fond ils s’aiment assez, même si cette histoire d’amour fraternel porte en elle son quota d’exaspération mutuelle que l’usage autorise. Non, ils ne me ressemblent pas. Pas même physiquement. Esteban et Blanca ont les yeux d’Isabel. Jaime a hérité de son front et de sa bouche. Que penserait Isabel si elle pouvait les voir aujourd’hui, préoccupés, actifs, matures ? J’ai une meilleure question : que penserais-je si je pouvais voir Isabel aujourd’hui ? La mort est une expérience ennuyeuse ; pour les autres, surtout pour les autres. Je devrais être fier d’être devenu veuf avec trois enfants et de m’en être tiré. Mais je ne suis pas fier, plutôt fatigué. La fierté c’est quand on a vingt ou trente ans. M’en tirer avec mes enfants était une obligation, la seule issue pour que la société ne me fasse pas front et ne me dédie le regard inexorable réservé aux pères scélérats. Il n’y avait pas d’autre solution et je m’en suis tiré. Mais tout a toujours été trop obligatoire pour que je puisse me sentir heureux.

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Aurélie Breuil nous propose sa traduction :

Aucun de me enfants ne me ressemblent. D’abord, ils ont tous plus d’énergies que moi, ils semblent toujours plus décidés, ils ne sont pas habitués à persister. Estéban est le plus farouche. Je ne sais toujours pas contre qui est dirigé son rancœur, mais ce qui est sûr c’est qu’il ressemble à quelqu’un de rancunier. Je crois qu’il a du respect pour moi, mais on ne sait jamais. Jaime est peut être mon préféré, bien que je ne puisse presque jamais me comprendre avec lui. Il me semble sensible, il me semble intelligent, mais il ne me semble pas totalement honnête. Il est évident qu’il y a une barrière entre lui et moi. Parfois je crois qu’il me déteste, parfois qu’il m’admire. Blanca a au moins une chose en commun avec moi: c’est aussi quelqu’un de triste qui a la vocation d’être joyeuse. De plus, elle est trop jalouse de sa propre vie, inéchangeable, comme pour partager avec moi ses épineux problèmes. C’est celle qui passe le plus de temps à la maison et peut être se sent elle un peu esclave de notre désordre, de nos régimes, de notre linge sale. Ses relations avec ses frères sont parfois au bord de la crise d’hystérie, mais elle sait se dominer et, en outre, elle sait les dominer eux. Peut être qu’au fond ils s’aiment suffisamment, même si l’amour fraternel a son quota de mutuelle exaspération octroyée par l’habitude. Non, non ils ne me ressemblent pas. Pas même physiquement. Estéban et Blanca ont les yeux d’Isabel. Jaime hérita d’elle son front et sa bouche. Que penserait Isabel si elle pouvait les voir aujourd’hui, préoccupés, actifs, mâtures? J’ai une bien meilleure question: qu’est ce que je penserais moi, si je pouvais voir Isabel aujourd’hui? La mort est une expérience ennuyeuse; pour ceux qui restent, surtout pour ceux qui restent. Je devrais me sentir orgueilleux de m’être retrouvé veuf avec trois enfants, et d’être allé de l’avant. Mais je ne me sens pas orgueilleux, mais plutôt fatigué. L’orgueil c’est pour quand on a vingt ou trente ans. Aller de l’avant avec mes enfants était une obligation, l’unique échappatoire pour que la société ne se braque pas contre moi, et ne m’offre pas le regard inflexible que l’on réserve aux pères cruels. Il n’y avait pas d’autre solution et je suis allé de l’avant. Mais tout a toujours été trop obligatoire pour que je puisse me sentir heureux.

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Une autre proposition de traduction :

Aucun de mes enfants ne me ressemble. D’abord, ils ont tous plus d’énergie que moi, ils semblent davantage décidés, ils ne sont pas habitués à trainer. Esteban est le plus sauvage. Je ne sais pas encore envers qui il éprouve du ressentiment, mais c’est sur qu’il semble en vouloir au monde entier. Je crois qu’il me respecte, mais on ne sait jamais. Jaime est peut-être mon préféré, même si je ne peux jamais m’entendre avec lui. Je le trouve sensible, je le trouve intelligent, mais je ne trouve pas qu’il soit fondamentalement honnête. Il est évident qu’il existe une barrière entre lui et moi. Parfois j’ai l’impression qu’il me déteste, parfois qu’il m’admire. Blanca a au moins un point en commun avec moi :Elle aussi est une personne triste qui souhaiterait devenir joyeuse. Du reste, elle est trop jalouse de sa vie personnelle, sur laquelle elle n’échange pas , pour pouvoir partager avec moi ses problèmes les plus ardus. Elle est celle qui passe le plus de temps à la maison et peut-être qu’elle se sent un peu esclave de notre désordre, de nos alimentations, de notre linge sale. Ses relations avec ses frères frôlent parfois l’hystérie, mais elle sait se dominer, et surtout, elle sait les dominer à eux. Peut-être que dans le fond ils s’aiment beaucoup, bien que ce qui touche à l’amour entre frères porte en soi la part de mutuelle exaspération provoquée par l’habitude. Non, ils ne me ressemblent pas. Pas même physiquement. Esteban et Blanca ont les yeux d’Isabel. Jaime a hérité d’elle sont front et sa bouche. Que penserait Isabel si elle pouvait les voir aujourd’hui, préoccupés, actifs, murs ? J’ai une meilleure question : qu’est-ce que je penserais moi, si je pouvais voir Isabel aujourd’hui ? La mort est une expérience ennuyeuse, pour les autres ; surtout pour les autres. Je devrais me sentir fier de m’être retrouvé veuf avec trois enfants et de m’en être tiré. Mais je ne me sens pas fier. Je me sens plutôt fatigué. La fierté c’est pour quand on a vingt ou trente ans. Aller de l’avant avec mes enfants était une obligation, la seule échappatoire pour ne pas me mettre à dos la société, et qu’elle porte sur moi le regard inexorable que l’on réserve aux pères sans-coeur. Il n’y avait pas d’autres solutions et je m’en suis sorti. Mais tout a toujours été trop obligatoire pour que je puisse me sentir heureux.

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Brigitte nous propose sa traduction :

Aucun de mes enfants ne me ressemble. D’abord, ils ont tous plus d’énergie que moi, ils semblent toujours plus décidés, ils n’ont pas l’habitude de traîner.
Esteban est le plus rebelle. Je ne sais pas encore à qui s’adresse sa rancune, mais une chose est sûre c’est qu’il a l’air rancunier. Je crois qu’il a du respect pour moi, mais on ne sait jamais vraiment.
Jaime est peut-être mon favori, bien que je ne puisse presque jamais m’entendre avec lui. Il m’a l’air sensible, il m’a l’air intelligent, mais il ne m’a pas l’air foncièrement honnête. Il est évident qu’il y a une barrière entre nous. Parfois, je crois qu’il me déteste, parfois qu’il m’admire.
Blanca a au moins quelque chose en commun avec moi : elle aussi est une triste à vocation de joyeuse. Pour le reste, elle est trop envieuse de sa propre vie, intraitable lorsqu’il s’agit de partager avec moi ses problèmes les plus ardus. C’est celle qui reste le plus à la maison et peut-être se sent elle un peu esclave de notre désordre, de nos goûts alimentaires, de notre linge sale. Ses rapports avec ses frères sont parfois à la limite de l’hystérie, mais elle sait se maîtriser et, en outre, elle sait avoir de l’ascendant sur eux. Dans le fond, peut-être s’aiment-ils assez, même si l’amour entre frères et sœurs entraîne une part d’exaspération mutuelle qu’autorise l’habitude.
Non, ils ne me ressemblent pas. Même pas physiquement. Esteban et Blanca ont les yeux d’Isabel, Jaime a hérité d’elle son front et sa bouche. Que penserait Isabel si elle pouvait les voir, aujourd’hui, préoccupés, actifs, matures ? J’ai même une bien meilleure question : que penserais-je, moi, si aujourd’hui je pouvais voir Isabel ? La mort est une pénible expérience ; pour les autres, surtout pour les autres. Je devrais me sentir fier de m’être tiré d’affaire en étant veuf avec trois enfants. Mais non, je ne me sens pas fier, plutôt fatigué. La fierté, c’est bon quand on a vingt ou trente ans. M’en sortir avec les enfants était une obligation, la seule échappatoire pour que la société ne me fasse pas front et ne porte sur moi le sempiternel regard que l’on réserve aux pères impies.
Il n’y avait pas d’autre solution et je m’en suis sorti.
Mais tout fut toujours trop obligatoire pour que je puisse m’en sentir vraiment heureux.

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Odile nous propose sa traduction :

Aucun de mes enfants ne me ressemble. Tout d'abord, ils ont tous plus d'énergie que moi, ils paraissent tous plus volontaires, ils ne sont pas coutumiers de rester en place. Esteban est le plus sauvage. Je ne sais pas encore à qui s'adresse sa rancune, mais il est certain qu'il est un rancunier. Je crois qu'il a du respect pour moi, mais sait-on jamais? Jaime est peut-être mon préfére, bien que je ne puisse jamais m'entendre avec lui. Il me paraît sensible, intelligent, mais ne me paraît pas fondamentalement honnête. Il est évident qu'il y a une barrière entre lui et moi. Parfois je crois qu'il me déteste, parfois qu'il m'admire. Blanca a au moins quelque chose de commun avec moi: elle aussi est une triste à vocation de gaie. Pour le reste, elle préserve sa vie privée, elle est intraitable, par exemple pour partager avec moi ses plus gros soucis. C'est elle qui est le plus souvent présente à la maison et peut-être se sent-elle un peu esclave de notre désordre, de nos régimes, de notre linge sale. Ses relations avec ses frères sont parfois à la limite de l'hystérie, mais elle sait se dominer et de plus elle sait aussi les dominer. Peut-être au fond s'aiment-ils assez, bien que l'amour entre frères et soeurs implique le quota d'exaspération mutuelle que donne l'habitude. Non, il ne me ressemblent pas. Pas même physiquement. Esteban et Blanca ont les yeux d'Isabel. Jaime a hérité d'elle son front et sa bouche. Que penserait Isabel si elle pouvait les voir aujourd'hui, préoccupés, actifs, matures? La mort est une expérience pénible, pour les autres, surtout pour les autres. Je devrais me sentir orgueilleux d'être resté veuf avec trois enfants et de les avoir élevés. Mais je ne me sens pas orgueilleux sinon fatigué. L'orgueil, c'est bon quand on a vingt ou trente ans. Aller de l'avant avec mes enfants était une obligation, la seule issue pour ne pas m'affronter à la société et qu'elle ne me réserve pas le regard implacable qu' elle porte sur les pères indignes. Il n'y avait pas d'autre solution et j'allai de l'avant. Mais tout fut toujours une obligation et cela m'a empêché de me sentir heureux.

1 commentaire:

Tradabordo a dit…

Dans un petit mail que m'envoie Laure L. aujourd'hui, je trouve ce mot de la fin, qui, je pense, sera utile à d'autres :

Petit traducteur,
sauvegarde ton labeur,
Pour ne pas finir en pleurs!