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Entretien avec Denis Pryen, « Manutentionnaire général1 » de l’Harmattan
Denis Pryen vous regarde droit dans les yeux, d’un regard perçant ; on sent qu’il ne s’en laisse pas compter, qu’il aime qu’on aille droit au but ; pour lui, le temps est précieux ; une anecdote pour illustrer mon propos : alors qu’un matin, j’étais en train d’envoyer un mailing comme toute stagiaire entre 9h et 10h chez l’Harmattan, le voilà qui arrive derrière moi et qui se met en devoir de me montrer comment on effectue un pré pliage des documents à envoyer, « en tenant au milieu tout en pinçant sur les côtés »- « ainsi, me dit-il tu gagnes du temps, c’est un gain facteur cinq »- et le voilà qui se met à plier allègrement, visiblement heureux de son quart d’heure formation. En l’observant, j’ai compris que c’était ainsi qu’il était parvenu au 1er rang de l’édition française en nombre de titres, en trente ans. Il a eu la gentillesse de répondre à ma curiosité et ce qui suit est à la fois le fruit de nos échanges et d’une interview qu’il a accordée en 2005 à la revue « Le Journal Littéraire », à l’occasion des 30 ans de sa maison d’édition :
Tradabordo (TR) : A l’évidence, L’Harmattan a une longue et belle histoire, racontez- nous cette histoire ?
DP : Trente cinq ans après, ce n’est plus le même Harmattan. Lorsque nous l’avons crée, nous n’étions que trois, très motivés bien sûr et désirant créer une maison d’édition basée sur des principes fondamentaux comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les droits de l’homme et de la recherche. Dès le début, nous avons crée une petite librairie dans laquelle nous avons réalisé un fonds de livres sur l’Afrique noire et l’Asie, c’est vrai Mais nous avons démarré sans aucun moyen économique, grâce à de petits prêts d’amis et de frères. Nous voulions dès le début faire une librairie édition et fort heureusement, car la librairie (notamment grâce à la revente des livres d’occasion que nous allions chercher nous-mêmes aux puces) nous a permis d’avoir notre première petite marge. D’abord, nous ne voulions faire que 7 à 10 livres par an, mais, très vite, nous nous sommes trouvés avec 3-4 bouquins par mois. Rapidement, on nous a proposé des textes sur les sciences humaines en disant que les éditeurs n’en voulaient plus. A l’époque, c’était techniquement très difficile, parce que les imprimeurs n’acceptaient pas les tirages au-dessous de 1500-2000 exemplaires. Nous avons trouvé un système et des imprimeurs qui nous ont suivis pour sortir des titres à 500 exemplaires au maximum. Et, neuf ans après notre ouverture, nous y sommes parvenus sans chercher de subventions, mais en proposant aux imprimeurs 300 titres par an et jamais au-dessous de 8 livres à la fois dans le même format. Nous avons continué dans cette filière. C’était notre réponse à la crise d'édition.
TR : vous êtes donc devenu l’éditeur aux petits tirages ?
DP : Nous n’étions pas gênés de produire un livre sur la linguistique africaine ou sur l’économie du Kuweit en 300 exemplaires. Nous n’avions pas honte de dire que nos livres se vendaient à 200 exemplaires, car c’est un vrai mystère de l’édition française : un recueil de poésie qui se vend à 200 exemplaires, c’est une très bonne vente, mais il n’intéresse pas les journalistes. J’avais dit dans notre catalogue d’alors : « Vous trouverez chez nous tous les livres dont Pivot ne parlera jamais. »
TR : Cependant, vous avez eu des succès commerciaux.
DP : Oui, même si Pivot n’en a jamais parlé. A qui appartient le Maroc a fait 27 000 exemplaires etc.
TR : Vous êtes même devenu un grand éditeur.
DP : C’est justement aux alentours de 1984, époque où toute l’édition universitaire était en crise que nous sommes devenus au carrefour des cultures, le plus grand éditeur français en sciences humaines. Car la crise d’édition est un problème de gestion interne.
TR : L’Harmattan d’aujourd’hui, à quoi ressemble-t-il ?
DP : L’Harmattan d’aujourd’hui, c’est une centaine de salariés dans l’édition, les librairies (que j’ai toujours voulu garder, puisque nos librairies travaillent en dehors des sentiers de la rentabilisation à tout prix) et le théâtre2 ; c’est aussi 600 directeurs de collection qui ne sont pas plus naïfs que les directeurs de collection des grands groupes. Nous sortons 60 nouveautés tous les jours et nous vendons livres par an ; notre rentabilité est parmi les meilleures de la profession. Bien sûr, je raconte tout cela d’une manière un peu idyllique. En réalité, nous avons dû créer toute une nouvelle structure économique et nous n’avons commencé à être à l’aise qu’à partir de 400 titre par an.
TR : Et la publicité ?
DP : Vous savez, quand vous ouvrez les grandes revues françaises spécialisées, vous n’y voyez parler que de l’artillerie lourde des best-sellers, mais heureusement, il existe des milliers d’éditeurs petits ou moyens qui font le travail de fond ! On ne parle que des cent plus grands éditeurs et ce sont des méthodes institutionnelles typiquement françaises où, pour être bon, il faut être assimilé aux gros. Ceux qui sont dans une vraie galère, ce sont les éditeurs qui font 20 ou 30 titres par an et qui ne savent pas comment se vendre.
TR : Les problèmes de la diffusion ne vous touchent donc pas ?
DP : Nous avons, dès le début, commencé par nous diffuser nous-mêmes, en faisant le tour des librairies avec notre petit carnet à la main et en plaçant deux ou trois livres et heureusement que nous avons toujours gardé ce système, car sinon nous aurions été cassés par les grands diffuseurs qui utilisent pour cela le système des tirages forts et des retours forts.
TR : Quelle est votre relation avec les medias ?
DP : Nous sommes toujours dans la même position. Mais nous avançons et puis c’est tout.
TR : Précisément, quels sont les projets de l’Harmattan ?
DP : Nous poursuivons nos implantations à l’étranger, notamment en Afrique, et nous allons mettre en place l’Harmathèque, qui permettra aux bibliothèques de s’approvisionner en e-books, moyennant une formule d’abonnement à laquelle nous réfléchissons actuellement.
TR : Une dernière remarque : vous semblez traiter vos stagiaires à l’égal de vos salariés…
DP : (il rit) Oui, le personnel est généralement sous pression, mais il est très motivé, car on n’est pas dans les petits pois : la culture demande une motivation supplémentaire ; quant aux stagiaires, j’ai coutume de dire que lorsqu’on a été stagiaire chez l’Harmattan, on peut aller n’importe où !
Je laisse à Denis Pryen la responsabilité de ses paroles en confirmant juste que le travail dans ses équipes est rude mais motivant et je le remercie au nom de tradabordo –que je lui ai présenté- du temps qu’il nous a accordé.
Denis Pryen vous regarde droit dans les yeux, d’un regard perçant ; on sent qu’il ne s’en laisse pas compter, qu’il aime qu’on aille droit au but ; pour lui, le temps est précieux ; une anecdote pour illustrer mon propos : alors qu’un matin, j’étais en train d’envoyer un mailing comme toute stagiaire entre 9h et 10h chez l’Harmattan, le voilà qui arrive derrière moi et qui se met en devoir de me montrer comment on effectue un pré pliage des documents à envoyer, « en tenant au milieu tout en pinçant sur les côtés »- « ainsi, me dit-il tu gagnes du temps, c’est un gain facteur cinq »- et le voilà qui se met à plier allègrement, visiblement heureux de son quart d’heure formation. En l’observant, j’ai compris que c’était ainsi qu’il était parvenu au 1er rang de l’édition française en nombre de titres, en trente ans. Il a eu la gentillesse de répondre à ma curiosité et ce qui suit est à la fois le fruit de nos échanges et d’une interview qu’il a accordée en 2005 à la revue « Le Journal Littéraire », à l’occasion des 30 ans de sa maison d’édition :
Tradabordo (TR) : A l’évidence, L’Harmattan a une longue et belle histoire, racontez- nous cette histoire ?
DP : Trente cinq ans après, ce n’est plus le même Harmattan. Lorsque nous l’avons crée, nous n’étions que trois, très motivés bien sûr et désirant créer une maison d’édition basée sur des principes fondamentaux comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les droits de l’homme et de la recherche. Dès le début, nous avons crée une petite librairie dans laquelle nous avons réalisé un fonds de livres sur l’Afrique noire et l’Asie, c’est vrai Mais nous avons démarré sans aucun moyen économique, grâce à de petits prêts d’amis et de frères. Nous voulions dès le début faire une librairie édition et fort heureusement, car la librairie (notamment grâce à la revente des livres d’occasion que nous allions chercher nous-mêmes aux puces) nous a permis d’avoir notre première petite marge. D’abord, nous ne voulions faire que 7 à 10 livres par an, mais, très vite, nous nous sommes trouvés avec 3-4 bouquins par mois. Rapidement, on nous a proposé des textes sur les sciences humaines en disant que les éditeurs n’en voulaient plus. A l’époque, c’était techniquement très difficile, parce que les imprimeurs n’acceptaient pas les tirages au-dessous de 1500-2000 exemplaires. Nous avons trouvé un système et des imprimeurs qui nous ont suivis pour sortir des titres à 500 exemplaires au maximum. Et, neuf ans après notre ouverture, nous y sommes parvenus sans chercher de subventions, mais en proposant aux imprimeurs 300 titres par an et jamais au-dessous de 8 livres à la fois dans le même format. Nous avons continué dans cette filière. C’était notre réponse à la crise d'édition.
TR : vous êtes donc devenu l’éditeur aux petits tirages ?
DP : Nous n’étions pas gênés de produire un livre sur la linguistique africaine ou sur l’économie du Kuweit en 300 exemplaires. Nous n’avions pas honte de dire que nos livres se vendaient à 200 exemplaires, car c’est un vrai mystère de l’édition française : un recueil de poésie qui se vend à 200 exemplaires, c’est une très bonne vente, mais il n’intéresse pas les journalistes. J’avais dit dans notre catalogue d’alors : « Vous trouverez chez nous tous les livres dont Pivot ne parlera jamais. »
TR : Cependant, vous avez eu des succès commerciaux.
DP : Oui, même si Pivot n’en a jamais parlé. A qui appartient le Maroc a fait 27 000 exemplaires etc.
TR : Vous êtes même devenu un grand éditeur.
DP : C’est justement aux alentours de 1984, époque où toute l’édition universitaire était en crise que nous sommes devenus au carrefour des cultures, le plus grand éditeur français en sciences humaines. Car la crise d’édition est un problème de gestion interne.
TR : L’Harmattan d’aujourd’hui, à quoi ressemble-t-il ?
DP : L’Harmattan d’aujourd’hui, c’est une centaine de salariés dans l’édition, les librairies (que j’ai toujours voulu garder, puisque nos librairies travaillent en dehors des sentiers de la rentabilisation à tout prix) et le théâtre2 ; c’est aussi 600 directeurs de collection qui ne sont pas plus naïfs que les directeurs de collection des grands groupes. Nous sortons 60 nouveautés tous les jours et nous vendons livres par an ; notre rentabilité est parmi les meilleures de la profession. Bien sûr, je raconte tout cela d’une manière un peu idyllique. En réalité, nous avons dû créer toute une nouvelle structure économique et nous n’avons commencé à être à l’aise qu’à partir de 400 titre par an.
TR : Et la publicité ?
DP : Vous savez, quand vous ouvrez les grandes revues françaises spécialisées, vous n’y voyez parler que de l’artillerie lourde des best-sellers, mais heureusement, il existe des milliers d’éditeurs petits ou moyens qui font le travail de fond ! On ne parle que des cent plus grands éditeurs et ce sont des méthodes institutionnelles typiquement françaises où, pour être bon, il faut être assimilé aux gros. Ceux qui sont dans une vraie galère, ce sont les éditeurs qui font 20 ou 30 titres par an et qui ne savent pas comment se vendre.
TR : Les problèmes de la diffusion ne vous touchent donc pas ?
DP : Nous avons, dès le début, commencé par nous diffuser nous-mêmes, en faisant le tour des librairies avec notre petit carnet à la main et en plaçant deux ou trois livres et heureusement que nous avons toujours gardé ce système, car sinon nous aurions été cassés par les grands diffuseurs qui utilisent pour cela le système des tirages forts et des retours forts.
TR : Quelle est votre relation avec les medias ?
DP : Nous sommes toujours dans la même position. Mais nous avançons et puis c’est tout.
TR : Précisément, quels sont les projets de l’Harmattan ?
DP : Nous poursuivons nos implantations à l’étranger, notamment en Afrique, et nous allons mettre en place l’Harmathèque, qui permettra aux bibliothèques de s’approvisionner en e-books, moyennant une formule d’abonnement à laquelle nous réfléchissons actuellement.
TR : Une dernière remarque : vous semblez traiter vos stagiaires à l’égal de vos salariés…
DP : (il rit) Oui, le personnel est généralement sous pression, mais il est très motivé, car on n’est pas dans les petits pois : la culture demande une motivation supplémentaire ; quant aux stagiaires, j’ai coutume de dire que lorsqu’on a été stagiaire chez l’Harmattan, on peut aller n’importe où !
Je laisse à Denis Pryen la responsabilité de ses paroles en confirmant juste que le travail dans ses équipes est rude mais motivant et je le remercie au nom de tradabordo –que je lui ai présenté- du temps qu’il nous a accordé.
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