Sur 17 votants :
Oui = 9 voix (52%)
Non = 8 voix (47%)
Peu concluant avec un tel écart… Il me semble que dans les faits, les traducteurs se spécialisent en effet spontanément, même s'il y a des exceptions, bien évidemment, et même si cela se fait progressivement ; préférences de lecteur ? Hasard des commandes ? Jeu des rencontres ? Une chose est sûre, ça n'est sans doute pas exactement le même métier dans l'un ou l'autre cas : le traducteur de poésie travaille la plupart du temps pour des micro-éditeurs (tout le monde ne traduit pas Neruda pour Gallimard !) et si ses traductions atteignent un très petit lectorat, parfois une poignée de personnes, on peut aussi retourner l'argument en disant que c'est un lectorat averti, impliqué, attentif tant à l'écriture du poète qu'à celle du traducteur. Il me semble que les éditions bilingues sont de plus en plus courantes. Non négligeable, vous en conviendrez. Et peut-être y a-t-il un rapport privilégié avec l'éditeur. Personnellement, j'ai eu une excellente expérience avec une petite maison, lors du projet de traduction d'une anthologie de poème de Cristina Peri Rossi. Dans la mesure où le choix de faire de la poésie n'est pas motivé par des impératifs commerciaux, la dimension militante (l'amour de l'art) est importante et je comprends que cela prime sur les questions financières (vous vous imaginez bien que ce n'est pas en traduisant de la poésie qu'on devient propriétaire de trésors !). Le traducteur de théâtre, a fortiori de théâtre contemporain a, lui, le plaisir de pouvoir élaborer sa traduction en collaboration avec l'auteur et également avec le metteur en scène. Je crois que Christilla Vasserot, par exemple, a vécu de belles expériences avec son auteur fétiche Rodrigo García. Sans compter l'expérience unique d'entendre ensuite ses mots dans la bouche des comédiens. Et ça, je connais. Ma première traduction était, je vous l'ai dit, une pièce de théâtre, l'excellent Bajarse al moro de José Luis Alonso et elle avait été représentée par la troupe des étudiants de Paris IV. Un moment de grande émotion, de trouble parfois (comme le cœur bat vite à l'idée qu'on pourrait soudain trouver le rythme à côté, artificiel…) et, je l'avoue, de la fierté. Je n'ose imaginer l'angoisse du traducteur quand la représentation est en V.O., avec sa traduction projetée sur écran. Le traducteur de fiction, lui, est un marathonien… Les apprenties traductrices de la promotion Anne Dacier en ont fait l'expérience ces derniers mois : il n'est pas facile de garder du souffle quand on dépasse les cent pages, de dépasser la lassitude, les doutes, l'impression de ne plus rien maîtriser, d'avoir perdu le fil, de laisser échapper quelque chose. Il faut avoir l'énergie de relire encore et encore, tout bien garder en tête pour appliquer dans le dernier paragraphe les décisions importantes prises au premier. Alors, oui, peut-être qu'effectivement, une spécialisation n'est pas superflue… avec, comme toujours, l'inquiétude de se voir soudain enfermés sans s'en être rendu compte ou l'avoir réellement souhaité. Personnellement, j'ai longtemps affirmé préférer traduire des latino-américains… et rétrospectivement, avec la découverte de MES auteurs espagnols, Josefina Aldecoa, Clara Sánchez, Andrés Trapiello, Juan Aparicio Belmonte, Isabel Franc et quelques autres, je vois que c'était dommage, pour ne pas dire plus… Merci aux éditeurs d'ouvrir nos horizons !
Oui = 9 voix (52%)
Non = 8 voix (47%)
Peu concluant avec un tel écart… Il me semble que dans les faits, les traducteurs se spécialisent en effet spontanément, même s'il y a des exceptions, bien évidemment, et même si cela se fait progressivement ; préférences de lecteur ? Hasard des commandes ? Jeu des rencontres ? Une chose est sûre, ça n'est sans doute pas exactement le même métier dans l'un ou l'autre cas : le traducteur de poésie travaille la plupart du temps pour des micro-éditeurs (tout le monde ne traduit pas Neruda pour Gallimard !) et si ses traductions atteignent un très petit lectorat, parfois une poignée de personnes, on peut aussi retourner l'argument en disant que c'est un lectorat averti, impliqué, attentif tant à l'écriture du poète qu'à celle du traducteur. Il me semble que les éditions bilingues sont de plus en plus courantes. Non négligeable, vous en conviendrez. Et peut-être y a-t-il un rapport privilégié avec l'éditeur. Personnellement, j'ai eu une excellente expérience avec une petite maison, lors du projet de traduction d'une anthologie de poème de Cristina Peri Rossi. Dans la mesure où le choix de faire de la poésie n'est pas motivé par des impératifs commerciaux, la dimension militante (l'amour de l'art) est importante et je comprends que cela prime sur les questions financières (vous vous imaginez bien que ce n'est pas en traduisant de la poésie qu'on devient propriétaire de trésors !). Le traducteur de théâtre, a fortiori de théâtre contemporain a, lui, le plaisir de pouvoir élaborer sa traduction en collaboration avec l'auteur et également avec le metteur en scène. Je crois que Christilla Vasserot, par exemple, a vécu de belles expériences avec son auteur fétiche Rodrigo García. Sans compter l'expérience unique d'entendre ensuite ses mots dans la bouche des comédiens. Et ça, je connais. Ma première traduction était, je vous l'ai dit, une pièce de théâtre, l'excellent Bajarse al moro de José Luis Alonso et elle avait été représentée par la troupe des étudiants de Paris IV. Un moment de grande émotion, de trouble parfois (comme le cœur bat vite à l'idée qu'on pourrait soudain trouver le rythme à côté, artificiel…) et, je l'avoue, de la fierté. Je n'ose imaginer l'angoisse du traducteur quand la représentation est en V.O., avec sa traduction projetée sur écran. Le traducteur de fiction, lui, est un marathonien… Les apprenties traductrices de la promotion Anne Dacier en ont fait l'expérience ces derniers mois : il n'est pas facile de garder du souffle quand on dépasse les cent pages, de dépasser la lassitude, les doutes, l'impression de ne plus rien maîtriser, d'avoir perdu le fil, de laisser échapper quelque chose. Il faut avoir l'énergie de relire encore et encore, tout bien garder en tête pour appliquer dans le dernier paragraphe les décisions importantes prises au premier. Alors, oui, peut-être qu'effectivement, une spécialisation n'est pas superflue… avec, comme toujours, l'inquiétude de se voir soudain enfermés sans s'en être rendu compte ou l'avoir réellement souhaité. Personnellement, j'ai longtemps affirmé préférer traduire des latino-américains… et rétrospectivement, avec la découverte de MES auteurs espagnols, Josefina Aldecoa, Clara Sánchez, Andrés Trapiello, Juan Aparicio Belmonte, Isabel Franc et quelques autres, je vois que c'était dommage, pour ne pas dire plus… Merci aux éditeurs d'ouvrir nos horizons !
6 commentaires:
J'ai l'impression qu'on se sent plus à l'aise lorsqu'il s'agit de traduire un texte dont la lecture en VO nous a transporté(e)s ou qu'on s'est senti, d'une manière ou d'une autre, identifié(e) au texte, voire à l'auteur...
Cependant, je pense qu'un bon traducteur doit être capable de traduire n'importe quel type de texte, il révèle par là sa maîtrise de la langue de départ et d'arrivée.
Bien sûr, il y a les traducteurs qui peuvent se permettre de choisir leurs traductions, et peut-être même venir à se spécialiser dans un domaine bien spécifique, mais, le fait que le traducteur se spécialise dans un genre littéraire, ne ferme-t-il pas les portes aux joies diverses de la traduction?
En outre, en se spécialisant dans un domaine, ne risque-t-il pas de perdre sa fluidité dans le domaine lexical?
De Caroline à Sonita :
Sur la question de l'« incidence » de notre goût pour le texte dans le travail de traduction… nous avons beaucoup réfléchi, sans rien trancher, évidemment. Le débat reste ouvert et je te remercie de nous donner ton point de vue. J'adore ces discussions sans fin sur la traduction. À mon avis, un trop grand attachement peut entraîner une attitude néfaste et finir par desservir l'auteur et son œuvre, par exemple avec une appropriation trop étroite… Et je t'assure qu'on a beau être prévenu, parfois la frontière est difficile à respecter… Sans doute qu'il arrive des cas où le traducteur a passé davantage de temps sur un roman que l'auteur lui-même, faisant mille réglages, lui prêtant maintes et maintes attentions… Là, comment ne pas considérer que le livre t'appartient ? En réalité, je crains beaucoup l'excès d'affectivité en traduction… même si, cela va de soi, il ne faut pas tomber dans l'extrême inverse de la froideur. Si nous ne sommes pas de machines, il ne faut pas non plus devenir des mères abusives.
Pour ce qui est de la spécialisation, tiens également compte des préférences. Je ne sais pas si je suis représentative, mais moi, je n'aime pas particulièrement traduire la poésie, alors que je prends un plaisir fou à traduire la fiction, même quand le texte me paraît « moyen » au départ, en tant que lectrice.
Et sinon, qu'entends-tu par le risque de perte de fluidité lexicale ?
Caroline,
Je suis assez d'accord avec toi. Le traducteur, bien malgré lui parfois, s'approprie du texte et finit par comettre des erreurs.
Je me rends compte, par ma totale inexpérience sur la traduction que je suis bien en deçà pour donner un avis réllement pertinent...(même si j'aime beaucoup cela, j'ai arrêté d'en faire sérieusement depuis ma Licence, actuellement j'en fais pour des organismes touristiques, comme des bulletins de presse, rien d'aussi compliqué un texte littéraire...)
J'entends par fluidité lexicale le fait qu'en maniant différents genres le traducteur a un champ lexical beaucoup plus étendu, et à force, se sent très à l'aise pour traduire n'importe quel texte, puisqu'il acquiert, lors de ses différentes traductions, une maîtrise incontournable dans le domaine lexical.
En se spécialisant dans un genre littéraire, n'est-il pas possible que le traducteur perde cette faculté de passer d'un domaine lexical à un autre aussi aisément?
Là encore, je me rends compte en formulant ma question, que ce n'est peut-être pas très pertinent..
En tout cas, je te remercie de ta patience. Passer un peu de temps sur ce blog aide à me faire une idée plus précise sur le traducteur et l'art de traduire. Je n'en suis qu'au début d'un long chemin, je sais bien.
Mais, j'ai très envie d'essayer!
Pour Sonita.
La question de l'expérience est effectivement cruciale… Sur ce point, je ne parlerai que pour moi, car je ne veux pas faire de généralités : lorsque j'ai commencé à traduire, j'avais, logiquement, je crois, des tas d'idées sur ce qu'était et devait être la traduction… Tu sais bien, quand on se lance dans un métier, on se dit qu'on fera comme ceci et pas comme cela, etc. Ces idées sont devenues de mini-théories avec le premier texte. Forcément, quand on a réussi à venir à bout d'un roman ou d'une pièce de théâtre ou d'un recueil de poésie et qu'on a un peu réfléchi à son travail en même temps qu'on le faisait, on a découvert des choses… ; lesquelles choses se combinent avec nos idées préconçues de départ et composent de ces "certitudes", qu'heureusement, les autres livres qui nous sont confiés après se chargent de bousculer et d'infirmer. Le jeune traducteur a besoin de points d'appui… de se dire que confronté à telle ou telle situation, il peut confortablement réagir de telle ou telle manière… systématiser un peu son approche des textes. C'est rassurant ! Ces points d'appui lui sont donnés précisément par son premier travail. D'où la nécessité de bien le choisir !!!!! Et, oui, du coup, comme je te le disais, il faut retraduire vite après la première traduction, pour éviter de rester sur ces certitudes-là qui, on s'en aperçoit vite, ne valent que pour un seul texte et seront inadaptées pour presque tous les autres. Je dis souvent qu'il faudrait presque un théorie de la traduction par texte à traduire… Crois-moi, au fil des années, on oublie vite la théorie et ses idées préconçues de départ… Personnellement, je ne suis jamais étonnée que les traducteurs soient réticents à parler de leur travail, en dehors de commentaires très ponctuels qui les ont passionnés mais qui n'intéressent pas toujours les autres. Comme on a envie de parler du défi que nous a posé la page 12, avec la traduction d'un surnom, etc. Il faut sans cesse avoir une "démarche traductive" et l'oublier dès qu'on en a fini, pour laisser le prochain texte libre d'exister en tant que tel…
Pour ce qui est de la "fluidité lexicale"… je parlerais davantage de palette lexicale… et ça, pas de raisons qu'elle ne s'appauvrisse si tu continues à lire de la littérature en français. Précision utile, car quand tu traduis beaucoup, tu finis par lire presque essentiellement en espagnol, pour trouver de nouveaux textes à proposer aux éditeurs, pour enrichir ton vocabulaire (par exemple pour l'Amérique latine), etc.… or c'est une erreur… Ce qui compte, c'est de ne pas perdre son aisance en français écrit. Raison pour laquelle je conseille de lire continuellement en français…
Pour Caroline.
C'est un excellent conseil, je m'efforce de continuer à lire en français. En espagnol aussi! J'ai une petite habitude, et je ne pense pas être la seule à l'avoir, de lire plusieurs livres en même temps! en ce moment je relis "L'île des Pingouins" d'Anatole France et "Cuentráficos" de Cristina Rascón, une jeune écrivaine mexicaine que j'ai eu l'occasion de connaître en personne et qui m'a offert un de ses livres... Dans l'idée, essayer de la traduire et voir où ça me mène...
Merci Caroline pour partager tes reflexions, ô combien judicieuses, sur la traduction et le métier de traducteur.
Du 24 septembre 2009 au 26 septembre 2009, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 : Traduire, transposer, adapter le comique et l'humour
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