vendredi 1 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Le facteur a sonné », par Perrine Huet

En photo : Glycine...
par anujia

Biiiip. Biiiip. Le bruit strident résonnait dans mes oreilles. Qui cela pouvait-il bien être à cette heure si matinale ? Le facteur ? Oh tant pis, il laissera un avis de passage, comme il le faisait souvent. Je décidai donc de ne pas aller répondre et de me replonger dans mon rêve. J'avais horreur que l'on m'interrompe, surtout lorsque je rêvais de cette vieille colonie de vacances dans le Var où j'avais séjourné tant de fois étant enfant. Je revoyais le grand parc de cinq hectares, entourant la villa principale, le réfectoire et les trois autres bâtiments abritant les enfants. Il y avait l'Ecole, pour le groupe des petits, le Pradel, pour les grands, et les Glycines pour les adolescents. Ce lieu avait énormément compté pour moi, car j'y ai fait l'une de mes plus belles rencontres : celle de Jean, mon mari.
Ce dernier, actuellement, se trouvait au Canada pour un voyage d'affaires, et était contraint d'y rester encore deux semaines. J'étais donc seule en cette matinée d'hiver lorsque la sonnette avait retenti.
J'étais sur le point de me rendormir, songeant à mes souvenirs d'enfance à la Croix-Valmer, lorsque la sonnerie aigüe tinta de nouveau. J'écrasai mon oreiller sur ma tête pour étouffer le bruit et m'efforçai de reprendre mon rêve là où je l'avais laissé. Mais impossible de me concentrer, j'entendais sans cesse, à travers l'épaisseur des plumes, le tintement de l'interphone.
Après un effort surhumain, je sortis enfin de dessous ma couette et me dirigeai vers les escaliers. Cette maison en pierres, que nous avions acquis depuis déjà plus de deux ans, avait un gros défaut : sa longueur semblait ne plus en finir. C'est pourquoi accéder à la porte d'entrée depuis notre chambre était un vrai parcours du combattant. Il fallait tout d'abord traverser la salle de bain, qui donnait ensuite sur un couloir, bordé de placards muraux et d'étagères, puis poursuivre le chemin en direction de la cuisine, de la salle de séjour, pour enfin passer devant la chambre d'amis. A ce moment précis, je détestai cette demeure.
Il me fallut plus de deux minutes pour atteindre le porche, criant « J'arrive ! J'arrive ! », afin que la personne mystérieuse ne renonce pas. Arrivée à destination, j'ouvris la porte et me retrouvai nez à nez avec un énorme bouquet de glycines. Je ne compris pas immédiatement de quoi il retournait, et dû reculer de quelques pas pour distinguer mon interlocuteur, ou plutôt mes interlocuteurs.
« Surpriiiiiise! », s'exclamèrent-ils en chœur. Je réalisai alors que mes quatre vieux amis de colonie étaient devant moi, un immense sourire aux lèvres. Je réfléchis, l'espace de quelques secondes, à cette situation totalement improbable. Il était huit heures du matin, un samedi, et quatre personnes que je n'avais pas vu depuis près de dix ans se trouvaient à l'entrée de chez moi, chacun en possession d' un bouquet de glycines.
« Ben alors Susanne! Ne nous dis pas que tu as oublié notre rendez-vous! ».
C'est à ce moment-là que tout me revint. Il y a une dizaine d'années, alors que nous étions tous les cinq dans le bâtiment des Glycines, savourant notre dernière journée en tant que colons, nous nous étions promis de nous retrouver dix ans plus tard. A cette époque-là, la stupide chanson du fameux P.B. était très en vogue, et nous nous sentions particulièrement impliqués par ses paroles. Nous avions donc décidé de nous réunir le 23 janvier 2010, sans avoir défini de lieu de rendez-vous.
Au fil des années, nous avons peu à peu perdu contact, se donnant des nouvelles de temps en temps par e-mails. Mais ce que j'ignorais, c'est que les quatre autres prenaient toujours autant au sérieux ces retrouvailles, et avaient organisé, sans m'en informer, un rendez-vous chez moi. Ils avaient contacté Jean pour être sûrs de me trouver à la maison, et celui-ci leur avait conseillé de venir tôt le matin et d'insister sur la sonnette.
Ainsi, ils se retrouvaient face à moi, glycines à la main, en référence à notre cher édifice, dans lequel nous avions fait toutes les bêtises possibles et inimaginables.
Ma joie de les retrouver fut immense, et nous passâmes une journée inoubliable à nous raconter nos nouvelles vies, et à nous remémorer celle que nous avions eu en commun il y a bien longtemps.

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