vendredi 1 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Le facteur a sonné », par Alexis Poraszka

En photo : Le Colis.
par clement.menard

Il existe plusieurs raisons pouvant expliquer que le facteur dépasse la limite de votre boîte aux lettres, affronte l’éventualité qu’un berger allemand ne jaillisse de derrière la haie de charmilles, pose son doigt sur la sonnette découvrant avec surprise le timbre de sa mélodie et se trouve nez à nez avec une personne un peu étrange au regard vide. Peut-être avez-vous commandé le dernier outil à la mode sur Maisons & Jardins ? Un appareil photo dernier cri sur le site internet de Darty ? Acheté sur internet le dernier album d’Hélène Ségara car vous aviez honte de vous présenter à la caisse du magasin avec ? Réservé une copie du Crime Parfait espérant y trouver un moyen de vous débarrasser de votre mari qui vous insupporte ? Bref, de nombreuses autres possibilités sont envisageables et je ne souhaite pas entrer dans les débats, chacun fait ce qu’il veut.
En ce qui me concerne, je suis d’une nature très naïve et terriblement optimiste, quand mon facteur sonne à ma porte, il ne peut s’agir que d’une bonne nouvelle : mon numéro a été tiré au sort pour assister au lancement de la dernière fusée à Cayenne, l’académie des Grammy Awards me fait part de ma nomination dans la catégorie Révélation de l’Année, le Président m’annonce qu’on me décore de la légion d’honneur la semaine suivante ou le Pape veut me bénir à Saint Pierre de Rome pour les bonnes actions que j’ai effectuées dans mon dernier rêve. Dans tous les cas, soit ça ne m’intéresse pas, soit c’est impossible et ne se produira donc jamais.
Quand on sonne à ma porte et qu’à travers le judas je découvre l’uniforme bleu et jaune de La Poste mon cœur s’emballe et je m’imagine déjà raconter à mes amis le dernier coup du sort qui me soit proposé de vivre. Mon sang ne fait qu’un tour. Entre le moment où je découvre l’identité du presseur de sonnette et celui où j’ouvre la porte, mon cœur s’emporte dans des montagnes russes. En l’espace de quelques secondes je m’imagine que tout est possible, tout est réalisable et que ma vie est sur le point de changer. Après tout, on voit tous les jours des situations des plus extraordinaires se produire et changer à jamais la vie des heureux bénéficiaires de ce coup de pouce du destin. Hop, un petit regard vite fait dans le miroir derrière la porte : quand notre vie est sur le point de changer, on veut être beau, irrésistible. Pour peu qu’on vous prenne en photo et vous publie en première page du journal, tout doit être parfait. On ouvre la porte avec un sourire béat, prêt à recevoir une sorte de bénédiction postale, les saints sacrements du facteur, on s’appuie fièrement sur le bord du mur et on salue le divin messager d’une voix suave et posée.
— Bonjour
— Bonjour, un colis pour mademoiselle Durand.
— Ah ? (grosse déception dans la voix). La porte en face.
— Merci, au revoir.
Et voilà ! Ça m’apprendra à me faire des films ! Après quoi, ayant perdu toute motivation pour faire le ménage, traduire un texte de Garcia Marquez, préparer à manger ou simplement la motivation de se remonter le moral, on se vautre sur le canapé tout penaud, le regard inexpressif, la télécommande dans la main droite et un verre de vin blanc dans la main gauche (quand tout va mal on est bien content de l’avoir celui-là) et on zappe. Voilà comment un matin je me suis retrouvé à regarder Le Destin de Lisa. Si j’avais été choisi pour représenter la France à l’Eurovision, j’aurais opté pour une autre réaction.

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