mercredi 4 mai 2011

Un texte de Perrine Huet

Le texte écrit par Perrine dans le cadre de l'atelier d'écriture de Stéphanie Benson.
Merci !

L’examen


Assis sur l’herbe tendre et verdoyante du parc, Thomas contemplait avec curiosité un petit écureuil qui décortiquait un gland avec ses minuscules pattes. Le soleil réchauffait son visage angélique, et la bise fraîche du matin chatouillait ses longs orteils. Les feuilles de révisions éparpillées autour de son corps frêle frémissaient légèrement, caressant sa main hâlée, ce qui le rappela au présent. Dans exactement une semaine, son avenir allait se jouer. Il n’avait donc pas de temps à perdre à rêvasser car l’enjeu était de taille : s’il réussissait, sa mère tiendrait sa promesse ; s’il échouait… Non, il ne fallait pas échouer. Trop de choses en dépendaient.

— Hey, Thomas ! Ҫa fait un baille, dis donc ! Comment vas-tu ?

Une jeune blonde, le visage écarlate, s’approcha de lui toute essoufflée en se tenant les côtes.

— Ça va, et toi ? – répondit-il en levant à peine les yeux de ses notes.

— Oh oui ! Je suis en pleine forme ! – réussit-elle à prononcer en reprenant progressivement sa respiration –. Rien de tel qu’un bon footing pour démarrer la journée !

Thomas regarda avec dégoût ses joues roses et son t-shirt mouillé de transpiration. Cette fille avait toujours eu le don de l’agacer au plus haut point.

— Ouais, sûrement – marmonna-t-il entre ses dents.

— Tu devrais essayer, tu sais, tu aurais meilleure mine…

— Je préfère rester allongé au soleil, c’est beaucoup moins fatigant et tout aussi efficace…

— Oui, mais en attendant, tu ne muscles pas ton cœur, et c’est bien dommage.

Thomas se concentrait pour garder son calme. Il fixa Marie du regard pendant plusieurs secondes, sans dire un mot, constatant avec inquiétude que sa jambe droite s’était soudain mise à trembler. Il fallait à tout prix qu’il se contrôle, sinon ses nerfs allaient encore lâcher. Il reprit aussi paisiblement qu’il put :

— Tu as sans doute raison. J’essaierai un jour. Mais pas en ce moment, j’ai pas trop le temps.

Le parc, à cette heure matinale, était presque désert, hormis les joggeurs courageux et les jardiniers qui prenaient soin de la végétation. La pelouse principale, d’une superficie d’un hectare environ, n’avait pas encore été piétinée par ses visiteurs. À l’aube, elle avait été parfaitement tondue, et aucun brin ne dépassait. Ses massifs de fleurs blanches, méticuleusement plantées en son centre, contrastaient avec le vert intense de l’herbe. Cette vaste étendue ressemblait à l’un de ces cimetières militaires américains, où la multitude de croix, alignées avec une extrême précision, confère à l’endroit une immense solennité. Le silence qui y régnait teintait la scène d’une douce tranquillité, comme si les morts avaient enfin trouvé la sérénité qu’ils avaient tant recherchée vivants.

— Bon, c’est pas tout, mais faut que j’aille réviser. À plus, Thomas ! Et bon courage ! – lui lança Marie.

— Ouais, merci, à bientôt – lui répondit-il en esquissant un sourire forcé.

Il la regarda s’éloigner avec un grand soulagement. Une minute de plus et il allait lui sauter à la gorge. Quelle conne !, pensa-t-il intérieurement. À cause d’elle, il était désormais incapable de se concentrer sur ses cours.

Il rassembla ses affaires et se dirigea vers la porte principale. Il grimpa dans le bus qui passait par chez lui et en validant son ticket, il remarqua avec étonnement que ses ongles étaient rongés jusqu’au sang. Et voilà, je me suis encore bouffé les doigts sans m’en rendre compte ! Vivement que je passe cet examen, que je le décroche haut la main et que je me casse en Australie ! Il paie rien pour attendre, ce salaud ! Vingt ans que je rêve de ce moment, de planter mes yeux droit dans les siens et de lui jeter au visage toute ma rancœur !

Il était angoissé par le bruit assourdissant des pots d’échappement, des klaxons, des enfants qui hurlaient, des couples qui se disputaient, des passants qui s’énervaient contre les chauffeurs. Vite, que ce maudit bus arrive à destination, ou je vais étouffer.

Le paysage qui défilait derrière la vitre – immeubles gris, usines désaffectées, chiens errants, clochards enfouis sous des cartons – le ramenait à la triste réalité : il n’était qu’un jeune homme sombre, irascible, souffrant depuis toujours de l’abandon de son père. Sa soif de vengeance était devenue son unique raison de vivre. Il avait tourné maintes et maintes fois le scenario dans sa tête, de toutes les façons possibles, et une seule solution s’était offerte à lui : laisser tous ses démons dans les allées du cimetière.

— Salut maman ! – cria-t-il lorsqu’il franchit le seuil de la porte.

— Tu es déjà rentré mon chéri ? Je croyais que tu avais l’intention de passer la journée au parc pour réviser ! – lui répondit-elle depuis la cuisine.

— Oui, c’est ce qui était prévu à la base, mais je me sens pas très bien…

Il rejoignit sa mère et l’embrassa sur la joue.

— Mais tu es tout rouge ! Que s’est-il passé ? – lui demanda-t-elle en posant frénétiquement une main sur son front.

— Oh, rien, t’en fais pas – la rassura-t-il –. J’ai juste croisé une connasse de ma classe…

Il tentait de dissimuler ses mains derrière son dos afin que sa mère ne découvre pas l’état de ses ongles.

— Tu as pris ton traitement, ce matin ? – l’interrogea-t-elle, de plus en plus inquiète.

— Heu…je crois, oui… – mentit-il.

— Comment ça, tu crois ? Tu ne peux pas te permettre de faire l’impasse sur tes cachets, ne serait-ce qu’une seule fois ! Aurais-tu déjà oublié ce que le docteur t’as dit ?

Sa mère commençait à élever le ton. Elle avait blêmi et Thomas vit une veine trembler sur sa tempe gauche.

— Non, non, j’ai pas oublié, maman : si jamais je prends pas mes médicaments, je risque d’avoir une crise violente et ça peut être aussi dangereux pour moi que pour mon entourage, je sais bien que…

— Exactement ! – l’interrompit sa mère –. Et c’est précisément ce qui aurait pu t’arriver ce matin avec cette jeune fille. J’ai toujours tout fait pour te protéger, et ce n’est pas maintenant que je vais cesser. Tu es si près du but, mon chéri, tes billets sont réservés, as-tu vraiment envie de laisser passer une occasion en or comme celle-ci de retrouver ton père ?

— Non ! Bien sûr que non ! – s’exclama-t-il –. Ҫa fait des années que j’attends ça, et t’imagines même pas combien je suis excité à l’idée d’enfin le rencontrer!

— Alors va vite prendre tes comprimés et te remettre au boulot, tu n’as plus qu’une semaine pour te préparer.

Son visage reprenait peu à peu des couleurs et sa veine avait disparu.


Assis sur une chaise grinçante en bois ébréché, Thomas contemple la feuille vierge posée devant lui. En haut à gauche, il y inscrit ses nom et prénom. Il ne lui reste plus qu’à la remplir de tout le savoir qu’il a accumulé au cours de l’année. Il regarde autour de lui : des dizaines d’étudiants sont penchés sur leur table, déjà en pleine composition. Tous concentrés, tous désireux de réussir. Mais lui, a-t-il réellement envie d’obtenir ce diplôme ? Il est tétanisé, mais sa crainte n’a rien à voir avec la peur de l’échec, car il connaît le sujet de l’examen sur le bout des doigts. Est-ce vraiment son destin ? Il ne sait plus que faire. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Il est perdu. La décision s’avère bien plus compliquée qu’il ne s’était imaginé. La question est pourtant claire : suis-je un meurtrier ? Non, certainement pas. Est-ce que je mérite de finir mes jours en prison par pure vengeance ? Encore moins. Comment en suis-je arrivé à ressentir autant de haine pour un être que je ne connais même pas ? Je l’ignore. Il jette un dernier coup d’œil à ses voisins, puis il se lève. Sa décision est prise. Il se dirige vers le bureau du surveillant, rend sa copie blanche, s’excuse rapidement, et sort de la salle en souriant, convaincu d’avoir fait le bon choix.

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