1 – Comment êtes-vous venue à la traduction ?
En 1981-82, j'étais en stage à Moscou en tant qu'élève de l'ENS, l'une de mes cousines m'a introduite dans le milieu des poètes non-conformistes de Moscou, j'ai pu lire mes propres poèmes lors des soirées organisées dans des appartements et au club des poètes de l'université de Moscou (je suis bilingue et j'écris dans les deux langues). J'ai ramené avec moi des manuscrits inédits (je me souviens de mes sueurs froides quand ma valise a été fouillée dans le train...) et j'ai reçu ensuite d'autres écrits poétiques par des voies détournées. C'est là que j'ai commencé à traduire de la poésie russe en français. C'était la plupart du temps purement bénévole... En 1985, j'ai fini mes études à l'ENS, mais je n'avais aucune intention d'enseigner. Ma directrice de thèse, qui était aussi responsable d'une collection de littérature russe, m'a fait faire un bout d'essai pour la traduction du roman de Tchinguiz Aïtmatov, Les rêves de la louve. Le livre est paru début 1987. J'ai obtenu ma deuxième traduction grâce à la revue LRS consacrée à la littérature russe qui est tombée entre les mains d'une éditrice des éditions Belfond : elle cherchait justement un traducteur pour un livre russe ; le texte que je proposais ne l'intéressait pas, mais elle l'a trouvé bien traduit et a décidé de m'engager. Les débuts ont été difficiles, mais j'ai peu à peu élargi mes contacts dans le milieu éditorial.
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
J'ai traduit mon premier roman à la machine à écrire et c'était infernal de tout retaper plusieurs fois. J'ai eu cependant la présence d'esprit de prendre immédiatement des cours de dactylographie qui m'ont beaucoup aidée dans ma carrière. Avec mes droits de traduction, je me suis empressée d'acheter un ordinateur ! A vrai dire, je n'ai jamais relu cette première traduction. En ce qui concerne sa qualité, je suppose que si le livre devait un jour être réédité, je changerais énormément de choses. Deux de mes vieilles traductions ont été rééditées récemment et j'y ai apporté de nombreuses corrections...
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
C'est un beau métier, mais qui manque un peu de reconnaissance. Mieux vaut avoir d'autres activités en parallèle, tant pour des raisons financières que pour des raisons de création personnelle: si on traduit trop, on a du mal à écrire.
4 – Exercez-vous ce métier à plein temps ?
Je ne traduis guère plus de trois ou quatre heures par jour, sauf quand je suis en retard (ce qui arrive très souvent...) J'ai toujours eu d'autres activités, même si la traduction constitue ma principale source de (maigres) revenus.
J'ai travaillé dans une galerie et au musée d'art russe contemporain de 1988 à 1990 ; j'ai longtemps exercé l'activité d'interprète occasionnel, principalement dans des rencontres littéraires et des congrès universitaires ; j'ai fait de la mise en pages ; j'ai été chargé de cours à l'université de Paris VIII pendant trois ans. De 1997 à 2009, j'ai fait des conférences sur l'histoire russe sur des croisières entre Moscou et Saint-Pétersbourg quatre mois par an. J'ai écrit des articles sur la Russie pour La Revue, Jeune Afrique et d'autres publications. J'ai travaillé comme lectrice pour Robert Laffont, Albin Michel et d'autres éditeurs. Depuis 2005, je suis responsable de la collection russe aux éditions Albin Michel. En tant que peintre-illustratrice, j'expose assez souvent et je vends parfois mes oeuvres. J'ai illustré de nombreux livres et couvertures de livres. J'illustre actuellement une série de livres pour enfants sur les créatures mythologiques pour un éditeur russe (c'est bien payé au tarif russe, c'est-à-dire très très mal payé du point de vue français, mais j'adore illustrer des livres...).
5 – Quels sont les principaux outils que vous utilisez lorsque vous traduisez un texte ?
Internet répond à pratiquement toutes les questions et offre de nombreux dictionnaires et encyclopédies. L'Internet russe surtout est remarquable avec ses bibliothèques électroniques (ne nous attardons pas sur la question des droits d'auteur...)... Avant, je me déplaçais en bibliothèque, je me souviens avoir consulté un armurier et un prêtre jésuite pour résoudre certains problèmes. Le Grand Robert électronique est pratiquement toujours ouvert quand je traduis, mais j'utilise surtout le très remarquable dictionnaire électronique des Synomymes de Memodata du Centre de Recherches Inter-langues sur la Signification en COntexte. C'est une ressource également disponible en ligne sur Internet. J'ai aussi un bon dictionnaire multilingue électronique Abyy Lingvo. Sans oublier bien sûr une belle collection de dictionnaires papier divers et variés,dont bien sûr le Bon usage de Grevisse et le Larousse analogique, mais j'y ai recours beaucoup moins qu'avant.
Parmi les ressources Internet utiles à tous les traducteurs français :
http://www.crisco.unicaen.fr/cgi-bin/cherches.cgi
http://dictionnaire.sensagent.com/
http://dictionnaire.memodata.com/
http://www.patrimoine-de-france.org/mots
http://www.uqac.ca/zone03/F_Lange/fL_DicoTxt.html
http://atilf.atilf.fr/
http://www.le-dictionnaire.com/
6 – Lorsque vous rencontrez une difficulté et que vous êtes bloquée, comment procédez-vous ?
Internet toujours... Au besoin, je pose la question à l'auteur (j'essaye de faire la connaissance des auteurs vivants que je traduis). L'ATLF a un forum des traducteurs sur lequel on peut poser une question quand on a un problème difficile à résoudre, même s'il y a très longtemps que je ne l'ai pas visité...
7 – Vous traduisez des textes de nature différente… Cela constitue-t-il pour chacun des enjeux spécifiques ?
Je préfère de loin traduire des textes de fiction. Les textes qui ont une vraie écriture et un style original sont les plus intéressants, même s'ils sont aussi les plus difficiles. Ceci dit, un texte pas très bien écrit peut-être considérablement amélioré (même si c'est pratiquement du rewriting... j'en ai une certaine expérience, sur demande spécifique de l'éditeur). Plus que tout, j'aime traduire de la poésie, car la part de création et d'inspiration personnelle est très importante dans ce type de traduction. Quant à la non-fiction, la précision et la documentation sont essentielles, mais il ne faut pas pour autant oublier l'aisance dans l'écrit.
8 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les éditeurs ?
Comme beaucoup de mes collègues, j'ai eu quelques problèmes dans le passé avec certains éditeurs (que je ne citerai pas) pour défaut de payement. Mais heureusement, j'entretiens de très bons rapports avec mes éditeurs actuels. Je travaille principalement pour Gallimard et Albin Michel, et ce sont de grosses maisons très sérieuses sur lesquelles on peut compter. J'ai travaillé aussi récemment pour plusieurs maisons d'édition moins importantes et tout s'est également très bien passé. Quand on me propose un travail pour un éditeur que je ne connais pas, je me renseigne bien évidemment au préalable. On peut d'ailleurs considérer que je fais aussi partie du clan "éditeur" et non seulement du clan "traducteur", puisque je m'occupe de la collection russe chez Albin Michel. Dans le passé, je me suis occupée d'une collection russe chez J.Chambon et j'ai travaillé comme lectrice pour divers éditeurs.
9 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
J'essaye toujours de faire la connaissance des auteurs vivants que je traduis. Par chance, je connais un peu tout le monde dans le milieu littéraire russe, surtout le milieu moscovite et je vais souvent à Moscou, ce qui facilite les choses. A défaut d'un contact personnel (certains auteurs vivent en province), j'essaye au minimum d'avoir un contact par mail ou par téléphone. A mon avis, c'est très utile pour mieux "sentir" le texte. Certains de mes auteurs sont devenus des amis que je vois régulièrement, même quand je ne les traduis plus.
Bien sûr, le risque d'une totale absence d'atomes crochus (voire d'une antipathie réciproque) existe, et cela peut devenir handicapant. Quand le contact avec l'auteur est mauvais, on n'a plus du tout envie de le traduire ! Certains de mes collègues préfèrent ne rencontrer leurs auteurs qu'après avoir rendu leur copie...
Personnellement, je n'ai eu que très rarement de mauvais contacts avec des auteurs acariâtres ou/et mégalomanes, et heureusement toujours post facto (plus un que j'ai renoncé à traduire)...
Les plus enquiquinants sont les auteurs qui s'imaginent (à tort bien sûr) connaître le français : à fuir comme la peste !!!
10 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
J'ai été ravie de trouver enfin un éditeur pour Premier Rendez-vous, un long poème d'Andreï Biely considéré comme l'un des chefs d'œuvre du symbolisme russe. Je rêvais de le traduire depuis une douzaine d'années, jusqu'au jour où Anatolia a décidé de le prendre. Le travail sur cette traduction a été passionnant et m'a valu le prix Russophonie de la meilleure traduction du russe en français en 2010 (ex-aequo avec Sophie Benech)
Mes moins bons souvenirs, ce sont des traductions qui n'ont jamais été payées : en y pensant, je compte les sous virtuels dans mes poches vides en versant une larme de regret...
Je songe aussi à une traduction qui n'a jamais été publiée, un roman policier qui a beaucoup déçu l'éditeur, la traduction n'étant pas en cause, elle m'a été payée intégralement, mais je regrette vraiment d'avoir travaillé pour rien. Le livre n'était pas le chef d'oeuvre du siècle, mais il n'était pas si mauvais que ça, vraiment dommage qu'il ne soit jamais sorti...
Sinon, je me souviens également d'une traduction d'un livre que l'auteur complétait au fur et à mesure que je le traduisais, en changeant des passages, en rajoutant des chapitres, etc... Il y avait aussi des passages écrits en allemand, traduits par une autre traductrice qui ne connaissait pas le russe (et moi je ne connais pas l'allemand). Bref, c'était infernal aussi bien pour les deux traductrices que pour l'éditeur qui vouait quotidiennement l'auteur aux gémonies (hors de sa présence). Ceci dit, je ne peux pas vraiment dire que c'est un mauvais souvenir, car je ris en y repensant...
11 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Les deux. Le traducteur est auteur de sa traduction. Il suffit de comparer plusieurs traductions du même livre pour s'en rendre compte. Mais le traducteur ne doit surtout pas se prendre pour l'auteur du livre et trahir le style et le contenu comme cela arrive parfois.
12 – Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Le cas échéant, quel lecteur ?
Un lecteur beaucoup plus attentif et sévère. Je vois les maladresses de style et les répétitions, surtout quand je lis en français... Et je me demande parfois comment traduire tel ou tel passage même si c'est un livre que je n'ai nul besoin de traduire.
Quand je traduis un livre, je vois souvent des erreurs que l'auteur, l'éditeur et le rédacteur russes ont laissé passer. Il m'est arrivé plusieurs fois d'indiquer de telles erreurs à des auteurs qui en ont ensuite tenu compte dans les rééditions du livre dans sa langue d'origine.
13 – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Tout d'abord, apprendre la dactylographie: votre travail sera beaucoup plus rapide et beaucoup plus efficace ! Ensuite, ne pas trop "coller" au texte et privilégier l'esprit sans pour autant trahir la lettre. Il faut rester proche de l'origine mais ne jamais hésiter à modifier certaines choses qui "ne passent pas". Dans les contacts avec les éditeurs, dites toujours franchement ce qui pose problème et ne restez jamais dans le flou, mais essayez d'établir et de garder de bons rapports. Surtout, ne commencez jamais à traduire si vous n'avez pas entre les mains un contrat signé par les deux parties. Et, sans sombrer pour autant dans la paranoïa, lisez très attentivement le contrat en question, certaines clauses peuvent être fatales (par exemple, certains contrats donnent à l'éditeur le droit de renoncer au livre sans vous payer pour le travail déjà fait !) Et aussi sauvegardez régulièrement votre travail: un accident d'ordinateur n'arrive pas qu'aux autres...
En 1981-82, j'étais en stage à Moscou en tant qu'élève de l'ENS, l'une de mes cousines m'a introduite dans le milieu des poètes non-conformistes de Moscou, j'ai pu lire mes propres poèmes lors des soirées organisées dans des appartements et au club des poètes de l'université de Moscou (je suis bilingue et j'écris dans les deux langues). J'ai ramené avec moi des manuscrits inédits (je me souviens de mes sueurs froides quand ma valise a été fouillée dans le train...) et j'ai reçu ensuite d'autres écrits poétiques par des voies détournées. C'est là que j'ai commencé à traduire de la poésie russe en français. C'était la plupart du temps purement bénévole... En 1985, j'ai fini mes études à l'ENS, mais je n'avais aucune intention d'enseigner. Ma directrice de thèse, qui était aussi responsable d'une collection de littérature russe, m'a fait faire un bout d'essai pour la traduction du roman de Tchinguiz Aïtmatov, Les rêves de la louve. Le livre est paru début 1987. J'ai obtenu ma deuxième traduction grâce à la revue LRS consacrée à la littérature russe qui est tombée entre les mains d'une éditrice des éditions Belfond : elle cherchait justement un traducteur pour un livre russe ; le texte que je proposais ne l'intéressait pas, mais elle l'a trouvé bien traduit et a décidé de m'engager. Les débuts ont été difficiles, mais j'ai peu à peu élargi mes contacts dans le milieu éditorial.
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
J'ai traduit mon premier roman à la machine à écrire et c'était infernal de tout retaper plusieurs fois. J'ai eu cependant la présence d'esprit de prendre immédiatement des cours de dactylographie qui m'ont beaucoup aidée dans ma carrière. Avec mes droits de traduction, je me suis empressée d'acheter un ordinateur ! A vrai dire, je n'ai jamais relu cette première traduction. En ce qui concerne sa qualité, je suppose que si le livre devait un jour être réédité, je changerais énormément de choses. Deux de mes vieilles traductions ont été rééditées récemment et j'y ai apporté de nombreuses corrections...
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
C'est un beau métier, mais qui manque un peu de reconnaissance. Mieux vaut avoir d'autres activités en parallèle, tant pour des raisons financières que pour des raisons de création personnelle: si on traduit trop, on a du mal à écrire.
4 – Exercez-vous ce métier à plein temps ?
Je ne traduis guère plus de trois ou quatre heures par jour, sauf quand je suis en retard (ce qui arrive très souvent...) J'ai toujours eu d'autres activités, même si la traduction constitue ma principale source de (maigres) revenus.
J'ai travaillé dans une galerie et au musée d'art russe contemporain de 1988 à 1990 ; j'ai longtemps exercé l'activité d'interprète occasionnel, principalement dans des rencontres littéraires et des congrès universitaires ; j'ai fait de la mise en pages ; j'ai été chargé de cours à l'université de Paris VIII pendant trois ans. De 1997 à 2009, j'ai fait des conférences sur l'histoire russe sur des croisières entre Moscou et Saint-Pétersbourg quatre mois par an. J'ai écrit des articles sur la Russie pour La Revue, Jeune Afrique et d'autres publications. J'ai travaillé comme lectrice pour Robert Laffont, Albin Michel et d'autres éditeurs. Depuis 2005, je suis responsable de la collection russe aux éditions Albin Michel. En tant que peintre-illustratrice, j'expose assez souvent et je vends parfois mes oeuvres. J'ai illustré de nombreux livres et couvertures de livres. J'illustre actuellement une série de livres pour enfants sur les créatures mythologiques pour un éditeur russe (c'est bien payé au tarif russe, c'est-à-dire très très mal payé du point de vue français, mais j'adore illustrer des livres...).
5 – Quels sont les principaux outils que vous utilisez lorsque vous traduisez un texte ?
Internet répond à pratiquement toutes les questions et offre de nombreux dictionnaires et encyclopédies. L'Internet russe surtout est remarquable avec ses bibliothèques électroniques (ne nous attardons pas sur la question des droits d'auteur...)... Avant, je me déplaçais en bibliothèque, je me souviens avoir consulté un armurier et un prêtre jésuite pour résoudre certains problèmes. Le Grand Robert électronique est pratiquement toujours ouvert quand je traduis, mais j'utilise surtout le très remarquable dictionnaire électronique des Synomymes de Memodata du Centre de Recherches Inter-langues sur la Signification en COntexte. C'est une ressource également disponible en ligne sur Internet. J'ai aussi un bon dictionnaire multilingue électronique Abyy Lingvo. Sans oublier bien sûr une belle collection de dictionnaires papier divers et variés,dont bien sûr le Bon usage de Grevisse et le Larousse analogique, mais j'y ai recours beaucoup moins qu'avant.
Parmi les ressources Internet utiles à tous les traducteurs français :
http://www.crisco.unicaen.fr/cgi-bin/cherches.cgi
http://dictionnaire.sensagent.com/
http://dictionnaire.memodata.com/
http://www.patrimoine-de-france.org/mots
http://www.uqac.ca/zone03/F_Lange/fL_DicoTxt.html
http://atilf.atilf.fr/
http://www.le-dictionnaire.com/
6 – Lorsque vous rencontrez une difficulté et que vous êtes bloquée, comment procédez-vous ?
Internet toujours... Au besoin, je pose la question à l'auteur (j'essaye de faire la connaissance des auteurs vivants que je traduis). L'ATLF a un forum des traducteurs sur lequel on peut poser une question quand on a un problème difficile à résoudre, même s'il y a très longtemps que je ne l'ai pas visité...
7 – Vous traduisez des textes de nature différente… Cela constitue-t-il pour chacun des enjeux spécifiques ?
Je préfère de loin traduire des textes de fiction. Les textes qui ont une vraie écriture et un style original sont les plus intéressants, même s'ils sont aussi les plus difficiles. Ceci dit, un texte pas très bien écrit peut-être considérablement amélioré (même si c'est pratiquement du rewriting... j'en ai une certaine expérience, sur demande spécifique de l'éditeur). Plus que tout, j'aime traduire de la poésie, car la part de création et d'inspiration personnelle est très importante dans ce type de traduction. Quant à la non-fiction, la précision et la documentation sont essentielles, mais il ne faut pas pour autant oublier l'aisance dans l'écrit.
8 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les éditeurs ?
Comme beaucoup de mes collègues, j'ai eu quelques problèmes dans le passé avec certains éditeurs (que je ne citerai pas) pour défaut de payement. Mais heureusement, j'entretiens de très bons rapports avec mes éditeurs actuels. Je travaille principalement pour Gallimard et Albin Michel, et ce sont de grosses maisons très sérieuses sur lesquelles on peut compter. J'ai travaillé aussi récemment pour plusieurs maisons d'édition moins importantes et tout s'est également très bien passé. Quand on me propose un travail pour un éditeur que je ne connais pas, je me renseigne bien évidemment au préalable. On peut d'ailleurs considérer que je fais aussi partie du clan "éditeur" et non seulement du clan "traducteur", puisque je m'occupe de la collection russe chez Albin Michel. Dans le passé, je me suis occupée d'une collection russe chez J.Chambon et j'ai travaillé comme lectrice pour divers éditeurs.
9 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
J'essaye toujours de faire la connaissance des auteurs vivants que je traduis. Par chance, je connais un peu tout le monde dans le milieu littéraire russe, surtout le milieu moscovite et je vais souvent à Moscou, ce qui facilite les choses. A défaut d'un contact personnel (certains auteurs vivent en province), j'essaye au minimum d'avoir un contact par mail ou par téléphone. A mon avis, c'est très utile pour mieux "sentir" le texte. Certains de mes auteurs sont devenus des amis que je vois régulièrement, même quand je ne les traduis plus.
Bien sûr, le risque d'une totale absence d'atomes crochus (voire d'une antipathie réciproque) existe, et cela peut devenir handicapant. Quand le contact avec l'auteur est mauvais, on n'a plus du tout envie de le traduire ! Certains de mes collègues préfèrent ne rencontrer leurs auteurs qu'après avoir rendu leur copie...
Personnellement, je n'ai eu que très rarement de mauvais contacts avec des auteurs acariâtres ou/et mégalomanes, et heureusement toujours post facto (plus un que j'ai renoncé à traduire)...
Les plus enquiquinants sont les auteurs qui s'imaginent (à tort bien sûr) connaître le français : à fuir comme la peste !!!
10 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
J'ai été ravie de trouver enfin un éditeur pour Premier Rendez-vous, un long poème d'Andreï Biely considéré comme l'un des chefs d'œuvre du symbolisme russe. Je rêvais de le traduire depuis une douzaine d'années, jusqu'au jour où Anatolia a décidé de le prendre. Le travail sur cette traduction a été passionnant et m'a valu le prix Russophonie de la meilleure traduction du russe en français en 2010 (ex-aequo avec Sophie Benech)
Mes moins bons souvenirs, ce sont des traductions qui n'ont jamais été payées : en y pensant, je compte les sous virtuels dans mes poches vides en versant une larme de regret...
Je songe aussi à une traduction qui n'a jamais été publiée, un roman policier qui a beaucoup déçu l'éditeur, la traduction n'étant pas en cause, elle m'a été payée intégralement, mais je regrette vraiment d'avoir travaillé pour rien. Le livre n'était pas le chef d'oeuvre du siècle, mais il n'était pas si mauvais que ça, vraiment dommage qu'il ne soit jamais sorti...
Sinon, je me souviens également d'une traduction d'un livre que l'auteur complétait au fur et à mesure que je le traduisais, en changeant des passages, en rajoutant des chapitres, etc... Il y avait aussi des passages écrits en allemand, traduits par une autre traductrice qui ne connaissait pas le russe (et moi je ne connais pas l'allemand). Bref, c'était infernal aussi bien pour les deux traductrices que pour l'éditeur qui vouait quotidiennement l'auteur aux gémonies (hors de sa présence). Ceci dit, je ne peux pas vraiment dire que c'est un mauvais souvenir, car je ris en y repensant...
11 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Les deux. Le traducteur est auteur de sa traduction. Il suffit de comparer plusieurs traductions du même livre pour s'en rendre compte. Mais le traducteur ne doit surtout pas se prendre pour l'auteur du livre et trahir le style et le contenu comme cela arrive parfois.
12 – Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Le cas échéant, quel lecteur ?
Un lecteur beaucoup plus attentif et sévère. Je vois les maladresses de style et les répétitions, surtout quand je lis en français... Et je me demande parfois comment traduire tel ou tel passage même si c'est un livre que je n'ai nul besoin de traduire.
Quand je traduis un livre, je vois souvent des erreurs que l'auteur, l'éditeur et le rédacteur russes ont laissé passer. Il m'est arrivé plusieurs fois d'indiquer de telles erreurs à des auteurs qui en ont ensuite tenu compte dans les rééditions du livre dans sa langue d'origine.
13 – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Tout d'abord, apprendre la dactylographie: votre travail sera beaucoup plus rapide et beaucoup plus efficace ! Ensuite, ne pas trop "coller" au texte et privilégier l'esprit sans pour autant trahir la lettre. Il faut rester proche de l'origine mais ne jamais hésiter à modifier certaines choses qui "ne passent pas". Dans les contacts avec les éditeurs, dites toujours franchement ce qui pose problème et ne restez jamais dans le flou, mais essayez d'établir et de garder de bons rapports. Surtout, ne commencez jamais à traduire si vous n'avez pas entre les mains un contrat signé par les deux parties. Et, sans sombrer pour autant dans la paranoïa, lisez très attentivement le contrat en question, certaines clauses peuvent être fatales (par exemple, certains contrats donnent à l'éditeur le droit de renoncer au livre sans vous payer pour le travail déjà fait !) Et aussi sauvegardez régulièrement votre travail: un accident d'ordinateur n'arrive pas qu'aux autres...
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