mardi 4 décembre 2012

Exercice d'écriture 6 – par Manon Tressol

« À la page 65 »

Excusez-moi, cela vous dérange si je lis par-dessus votre épaule ? J’ai oublié mon livre sur le comptoir du kiosque à journaux… Et vu le nombre d’heures que l’on a devant nous, je risque de m’ennuyer quelque peu. Je préfère prévenir que de vous effrayer, de vous coller une angoisse lorsque vous sentirez mon regard peser sur votre roman. Qu’est-ce que vous lisez, à propos ? Ah… Si, si, je suis tenté. Je ne suis pas très fleur bleue, mais pourquoi pas. Ce n’est pas trop ce style-là, dites-vous ? Avec un titre pareil, tout de même ! Non, je ne connais pas l’auteur, je ne suis pas un spécialiste de littérature, mais je suis très curieux, vous allez me le faire découvrir. Tant que nous y sommes, y a-t-il eu un événement particulier au début, qui m’empêcherait de suivre le fil ? L’histoire banale d’un homme. Bon. Pas de traits particuliers, d’anecdotes importantes ? Juste une femme et quelques enfants, je note, merci bien.
Page 65 ! C’est drôle, j’ai fêté mes 65 ans hier ! Ah, regardez les premières phrases, on est pile dans le contexte. D’ailleurs, cela se passe à quelle époque ? C’est avec charbon et vapeur ou non ? Les vieilles inventions me fascinent. Ah, cela se déroule aujourd’hui… Tant pis pour la nostalgie. Je suis désolé, vous allez me trouver envahissant, mais j’ai besoin d’aller aux toilettes, si vous pouviez... Je reviendrai pour la page 66, un 6 de plus et on était bon pour le diable, n’est-ce pas ?, Pardon, madame, je voudrais passer. Je vous ai perturbée dans votre lecture ? C’est drôle, vous lisez la même chose que mon voisin. Page 65, lui aussi. Tiens, votre voisin aussi est abonné on dirait. Il y a eu un prix de gros pour tout le wagon ? Excusez-moi, mais je voudrais vraiment passer, je ne me sens pas très bien. Merci.
Monsieur, s’il vous plaît. Comment ? Non, c’est gentil de vouloir partager votre lecture, mais je viens déjà de voir trois personnes avec le même livre que vous… et qui lisent le même chapitre, à la page 65, eux aussi. Oui, je sais que cela se déroule dans un train, monsieur, c’est cocasse, en effet. Le personnage a des haut-le-cœur, c’est hilarant. C’est gentil, mais pourriez-vous me céder l’accès à la porte s’il vous plaît ? Ce serait vraiment aimable à vous. La porte est bloquée ? Bien, je vais tenter à l’autre bout du wagon.
Mais qu’est-ce que c’est que cette foule ? Pourquoi ont-ils tous le même livre, ouverts à la même page ? Laissez-moi passer ! J’ai besoin de me passer de l’eau sur le visage ! Mais lâchez-moi ! Arrêtez ! Laissez mon bras ! Qu’est-ce qui vous arrive ? Mais qu’est-ce que c’est que ce train ? La lumière ! Pourquoi éteinte ? Lumière ! Aide ! Aaaaah !

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