lundi 7 janvier 2013

Entraînement de CAPES – texte 2

Lunes,  23 — miércoles,  25 de junio

ISIDORO VIDAL conocido en el barrio como don Isidro, desde el último lunes prácticamente no salía de la pieza ni se dejaba ver. Sin duda más de un inquilino y sobre todo las chicas del taller de costura de la sala del frente, de vez en cuando lo sorprendían fuera de su refugio. Las distancias, dentro del populoso caserón, eran considerables y, para llegar al baño, había que atravesar dos patios. Confinado a su cuarto, y al contiguo de su hijo Isidorito, quedó por entonces desvinculado del mundo. El muchacho, alegando sueño atrasado porque trabajaba de celador en la escuela nocturna de la calle Las Heras, solía extraviar el diario que su padre esperaba con ansiedad y persistentemente olvidaba la promesa de llevar el aparato de radio a casa del electricista. Privado de ese vetusto artefacto, Vidal echaba de menos las cotidianas “charlas de fogón” de un tal Farrell, a quien la opinión señalaba como secreto jefe de los Jóvenes Turcos, movimiento que brilló como una estrella fugaz en nuestra larga noche política. Ante los amigos, que abominaban de Farrell, lo defendía, siquiera con tibieza; deploraba, es verdad, los argumentos del caudillo, más enconados que razonables; condenaba sus calumnias y sus embustes, pero no ocultaba la admiración por sus dotes de orador, por la cálida tonalidad de esa voz tan nuestra y, declarándose objetivo, reconocía en él y en todos los demagogos el mérito de conferir conciencia de la propia dignidad a millones de parias.
Responsables de aquel retiro —demasiado prolongado para no ser peligroso— fueron un vago dolor de muelas y la costumbre de llevarse una mano a la boca. Una tarde, cuando volvía del fondo,  sorpresivamente oyó la pregunta:
—¿Qué le pasa?
Apartó la mano y miró perplejo a su vecino Bogliolo. En efecto,  éste lo había saludado. Vidal contestó solícitamente:
—Nada,  señor.
—¿Cómo nada? —protestó Bogliolo que, bien observado,  tenía algo extraño en la expresión—. ¿Por qué se lleva la mano a la boca?
—Una muela. Me duele. No es nada —respondió sonriendo.
Vidal era más bien pequeño, delgado, con pelo que empezaba a ralear y una mirada triste, que se volvía dulce cuando sonreía. El matón sacó del bolsillo una libretita, escribió un nombre y una dirección, arrancó la hoja y se la entregó, mientras comunicaba:
—Un dentista. Vaya hoy mismo. Lo va a dejar como nuevo.
Vidal acudió al consultorio esa tarde. Restregándose las manos, el dentista le explicó que a cierta edad las encías, como si fueran de barro, se ablandan por dentro y que felizmente ahora la ciencia dispone de un remedio práctico: la extirpación de toda la dentadura y su reemplazo por otra más apropiada. Tras mencionar una suma global; procedió el hombre a la paciente carnicería; por fin, sobre carne tumefacta, asentó muelas y dientes y dijo:
—Puede cerrar la boca.
Se oponían a ello el dolor, los cuerpos extraños y aun la desazón moral que le infundía la confrontación con el espejo. Al otro día Vidal despertó con malestar y fiebre. Su hijo le aconsejó que visitara al dentista; pero él ya no quería saber nada con ese individuo. Quedó echado en la cama,  enfermo y apesadumbrado, sin atreverse en las primeras veinte horas a tomar un mate. La debilidad ahondó la pesadumbre; la fiebre le daba pretextos para seguir en el cuarto y no dejarse ver.
El miércoles 25 de junio resolvió concluir con tal situación. Iría al café, a jugar el habitual partidito de truco. Se dijo que la noche era el mejor momento para abordar a los amigos.

Adolfo Bioy Casares, Diario de la guerra del cerdo



***

Manon nous propose sa traduction :

Lundi 23 – mercredi 25 juin

Depuis le lundi précédent, Isidoro Vidal, connu dans le quartier sous le nom de don Isidro, ne sortait quasiment pas de sa chambre et ne laissait personne le voir. Sans nul doute, plus d’un locataire, et surtout les filles de l’atelier de couture de la salle d’en face, le surprenaient de temps en temps hors de son refuge. Les distances, à l’intérieur de la bâtisse populeuse,  étaient considérables, et, pour atteindre la salle de bain, il fallait traverser deux cours. Confiné dans sa chambre, contigüe à celle de son fils Isidorito, il resta, pendant cette période, coupé du monde. Le garçon, prétextant du sommeil en retard parce qu’il travaillait comme gardien de nuit à l’école de la rue Las Heras, avait l’habitude d’égarer le quotidien que son père attendait avec anxiété et oubliait constamment sa promesse d’amener la radio chez l’électricien. Privé de ce vétuste artefact, les quotidiennes « discussions autour du feu » d’un certain Farrell, que l’opinion publique désignait comme étant le chef secret des Jeunes-Turcs, mouvement qui avait brillé à la manière d’une étoile filante au milieu de notre longue nuit politique, lui manquaient. Devant les amis, qui avaient Farrell en horreur, il le défendait,  même modérément ; il déplorait, c’est vrai, les arguments du caudillo, plus violents que raisonnables ; il condamnait ses calomnies et mensonges,  mais ne cachait pas son admiration pour ses talents d’orateur,  pour le ton chaleureux de cette voix si proche de nous et, tout en se déclarant objectif, il reconnaissait en lui comme en tous les démagogues le mérite de doter des millions de parias d’une conscience qui soit la dignité-même.
Une vague douleur aux molaires, et par là l’habitude de porter une main à sa bouche,  furent responsables de cette retraite – trop prolongée pour ne pas être dangereuse. Un après-midi,  alors qu’il revenait du fond de l’immeuble, il entendit,  surpris,  cette question :
— Qu’est-ce qui vous arrive ?
Il retira sa main et regarda, perplexe,  son voisin Bogliolo. En effet, celui-ci l’avait salué. Vidal rétorqua avec prudence :
— Rien,  monsieur.
— Comment ça, rien ? protesta Bogliolo qui, bien réfléchi, avait quelque chose d’étrange dans l’expression. Pourquoi portez-vous votre main à votre bouche ?
— Une molaire. Qui me fait mal. Ce n’est rien – répondit-il en souriant.
Vidal était bien plus petit, mince, avait les cheveux qui commençaient à se clairsemer et un regard triste qui s’adoucissait quand il souriait. Le gros dur qu’il était sortit de son sac un carnet, y écrivit un nom et une adresse, arracha la feuille et la lui donna,  pendant qu’il expliquait :
— Un dentiste. Allez-y aujourd’hui même. Il va vous la remettre comme neuve.
Vidal se présenta au cabinet cet après-midi-là. En se frottant les mains, le dentiste lui expliqua qu’à un certain âge, les gencives,  comme si c’étaient de la boue,  se ramollissaient de l’intérieur,  et qu’heureusement, aujourd’hui, grâce à la science, on disposait d’une solution pratique : l’extraction de toute la dentition et son remplacement par une autre, plus appropriée. Après avoir évoqué une somme globale, l’homme procéda à la longue boucherie ; enfin,  sur une chair tuméfiée,  il installa des molaires et autres dents,  puis annonça :
— Vous pouvez fermer la bouche.
Cela s’était heurté à la douleur,  aux corps étrangers et même à la peine morale que lui avait inspirés la confrontation avec le miroir. Le jour suivant, Vidal se réveilla souffrant et fiévreux. Son fils lui conseilla de rendre visite au dentiste, mais il ne voulait déjà plus rien avoir à faire avec cet individu. Il resta couché dans son lit, malade et attristé, sans oser, les vingt premières heures, prendre le moindre maté. La faiblesse accentua sa tristesse ; la fièvre lui donnait des prétextes pour rester dans sa chambre et ne laisser personne le voir.
Le mercredi 25 juin, il se résolut à en finir avec cette situation. Il irait au café, jouer à la traditionnelle partie de cartes. Il pensa que la nuit était le meilleur moment pour rejoindre ses amis.

***

Elena nous propose sa traduction :

Lundi 23 – mercredi 25 juin

ISIDORO VIDAL, connu dans le quartier sous le nom d’Isidorito, ne sortait pas et ne pointait pas le bout de son nez en dehors de sa chambre depuis lundi dernier. Certainement, de temps à autre, quelques locataires, mais aussi et surtout les jeunes filles de l’atelier de couture d’en face, l’avaient surpris hors de son refuge. Les distances à l’intérieur de la peuplée maisonnée étaient considérables et, pour arriver aux toilettes, il fallait traverser deux cours intérieures. Confiné dans sa chambre, à côté de celle de son fils Isidorito, il fut, alors, coupé du monde. Le jeune homme, en arguant qu’il avait sommeil, car il travaillait en tant que surveillant à l’école nocturne de la rue Las Heras,  égarait souvent le journal que son père espérait avec anxiété et très souvent, il oubliait la promesse d’apporter la radio chez l’électricien. Privé de ce vétuste appareil, Vidal regrettait les quotidiennes « conversations près du feu » d’un certain Farrell, que l’opinion publique désignait chef secret des Jeunes Turcs, mouvement qui étincela telle une étoile filante sur notre longue nuit politique. Auprès des amis qui détestaient Farrell, ne serait-ce que légèrement, il le défendait ; il déplorait, certes, les arguments du caudillo, qui étaient plus d’ordre rancunier que raisonnables ; il condamnait ses calomnies et ses mensonges, mais il ne cachait pas son admiration envers ses qualités d’orateur, le ton chaleureux de sa voix, bien de chez nous et, tout en affirmant être objectif,  il lui accordait, lui et tous les démagos, le mérite d’éveiller la conscience sur leur propre dignité à des millions de parias.
Les responsables de cet isolement – trop long pour ne pas être dangereux – furent un vague mal de dents et l’habitude de porter sa main à la bouche. Un après-midi,  lorsqu’il rentrait du fond de la cours, il entendit inespérément la question suivante :
—Qu’est-ce qui vous arrive ?
Il écarta sa main et regarda perplexe son voisin Bogliolo. En effet, celui-ci venait de le saluer. Vidal répondit diligemment :
—Rien,  Monsieur.
—Comment ça, rien ? – protesta Bogliolo lequel, à regarder de près, avait quelque chose d’étrange dans son expression. Pourquoi portez-vous la main à la bouche ?
—Une molaire. Elle me fait mal. C’est rien – rétorqua-il, en souriant.
Vidal était plutôt petit, maigre, ses cheveux commençaient à se clairsemer et il avait un regard triste,  qui devenait tendre quand il souriait. Le maton sortit de sa poche un petit calepin,  y écrit un nom et une adresse, arracha la feuille et la lui donna, en lui disant :
—Un dentiste. Allez-y aujourd’hui même. Il va vous remettre sur pied.
Vidal se rendit au cabinet le soir même. En se frottant les mains, le dentiste lui expliqua qu’à un certain âge les gencives, comme si elles étaient en argile, s’effritaient à l’intérieur et que, heureusement, maintenant la science disposait d’un remède pratique : l’arrachement de toute la dentition et le remplacement par une autre plus appropriée.  Après avoir énoncé le montant global ; l’homme s’attela à la patiente boucherie ; et pour finir,  il posa sur la chair tuméfiée des molaires et des dents et déclara :
—Vous pouvez fermer la bouche.
À ceci s’opposaient la douleur, les corps étrangers et même la souffrance morale que lui produisait la confrontation avec le miroir. Le lendemain, Vidal se réveilla mal en point et avec de la fièvre. Son fils lui conseilla d’aller voir le dentiste ; or lui, il ne voulait plus rien avoir à faire avec cet individu. Il resta au lit, malade et triste, sans même se risquer, durant les premières vingt heures, à boire un maté. La faiblesse accrut son chagrin ; la fièvre lui fournissait des prétextes pour rester dans sa chambre. Le mercredi vingt-cinq juin, il décida venir à bout de cette situation. Il irait au café,  pour jouer son habituelle partie de « truco ». Il se dit que la nuit était le meilleur moment pour aborder les amis.

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Irène nous propose sa traduction :

Lundi 23 - mercredi 25 juin

Isidoro Vidal, connu dans le quartier sous le nom de don Isidoro, ne quittait pratiquement plus sa chambre et ne se montrait plus depuis le lundi précédent. Sans doute plus d’un locataire et en particulier les filles de l’atelier de couture de la pièce qui était en face, le surprenaient-ils de temps à autre à l’extérieur de son refuge. Les distances,  dans cette grande bâtisse populeuse, étaient considérables et, pour atteindre les toilettes, il fallait traverser deux cours. Confiné dans sa chambre attenante à celle de son fils Isidorito, il se retrouva alors détaché du monde. Le jeune homme, alléguant du sommeil en retard dû à son travail de surveillant dans un cours du soir de la rue Las Heras,  égarait en général le journal que son père attendait anxieusement, de même qu’il oubliait de façon persistante, sa promesse de porter la radio chez l’électricien. Privé de cet engin vétuste, Vidal regrettait les quotidiennes « conversations autour du poêle » d’un dénommé Farrell, que l’opinion publique désignait comme le chef secret des Jeunes Turcs, mouvement qui brilla comme une étoile filante dans notre longue nuit politique. Face à ses amis qui maudissaient Farrell, il prenait sa  défense, même si c’était avec tiédeur ; il est vrai qu’il déplorait les arguments du chef, car il étaient plus enflammés que raisonnables ; il condamnait ses calomnies et ses mensonges, mais n’occultait pas l’admiration qu’il avait pour ses dons d’orateur, admiration liée à la chaude tonalité de cette voix bien de chez nous et, se déclarant objectif, il lui reconnaissait comme à tous les démagogues, le mérite de conférer la conscience de leur propre dignité à des milliers de parias., Les responsables de cette retraite – trop prolongée pour ne pas être dangereuse – furent un vague mal aux dents  et l’habitude de mettre sa main devant la bouche. Un après-midi, alors qu’il  revenait du fond, il fut  surpris par la question :
— Que vous arrive t-il ?
Il ôta sa main et regarda avec perplexité son voisin Bogliolo. En effet, celui-ci l’avait salué. Vidal répondit avec empressement :
— Rien, monsieur.
— Comment-ça, rien ? protesta Bogliolo qui, tout bien considéré avait une expression un peu bizarre. Pourquoi mettez-vous votre main devant la bouche ?
— Une dent. J’ai mal. Ce n’est rien – répondit il en souriant.
Vidal était plutôt petit,  maigre, avec une chevelure qui commençait à s’éclaircir et un regard triste qui s’adoucissait lorsqu’il souriait. Le dur tira un carnet de sa poche, écrivit un nom et une adresse, arracha la feuille et la lui tendit en lui expliquant :
— Un dentiste. Allez-y de ce pas. Il va vous remettre à neuf.
Vidal se rendit au cabinet cet après-midi là. Tout en se frottant les mains, le dentiste lui expliqua qu’à un certain âge, les gencives comme si elles étaient faites de boue, ramollissent de l’intérieur et que bien heureusement, la science dispose maintenant d’un remède pratique : l’extraction de toute la dentition et son remplacement par une autre plus appropriée. Après avoir annoncé une somme globale ; l’homme procéda à la patiente opération de boucherie ; enfin, sur la chair tuméfiée, il implanta des molaires et des dents,  puis signala :
— Vous pouvez fermer la bouche.
A cela s’opposaient la douleur, les corps étrangers voire même une certaine contrariété induite par la confrontation avec le miroir. Le lendemain au réveil, Vidal ressentit un malaise et de la fièvre. Son fils lui conseilla d’aller chez le dentiste ; mais lui ne voulait plus entendre parler de cet individu. Il resta au fond du lit, malade et contrarié, sans même oser boire un maté pendant les vingt premières heures. La faiblesse amplifia la contrariété ; la fièvre lui donnait des prétextes pour rester en chambre et ne pas se montrer.
Le mercredi 25 juin il décida d’en finir avec une telle situation. Il irait au café, jouer à l’habituelle partie de cartes. Il se dit que la nuit était le meilleur moment pour affronter ses amis.

***

Nadia nous propose sa traduction :

Lundi 23 — mercredi 25 juin
ISIDORO VIDAL, connu dans le quartier sous le nom de don Isidro, ne sortait pratiquement pas de chez lui ni ne se laissait voir depuis lundi dernier. Nulle doute que plus d’un locataire et, surtout, les filles de l’atelier de couture de la salle d’en face, le surprenaient de temps en temps hors de son refuge.  Les distances, à l’intérieur du grand édifice populeux étaient considérables et, pour atteindre les sanitaires, il fallait traverser deux cours. Confiné dans sa chambre, mitoyenne de celle de son fils Isidorito, il se retrouva alors coupé du monde. Le jeune homme,  alléguant du sommeil en retard parce qu’il travaillait comme gardien à l’école nocturne de la rue Las Heras, avait l’habitude d’égarer le journal que son père attendait avec impatience et oubliait constamment sa promesse d’emmener la radio chez l’électricien. Privé de ce vétuste appareil, Vidal regrettait les quotidiennes “ discussions autour du feu” d’un certain Farrell,  que l’opinion désignait comme étant le chef secret des Jeunes-Turcs,  mouvement qui brilla telle une étoile filante dans notre longue nuit politique. Face à ses amis, qui exécraient Farrell,  il le défendait, et pas mollement ; certes, il déplorait les arguments du caudillo, plus enflammés que raisonnables ; il condamnait ses calomnies et ses mensonges mais il ne cachait pas son admiration pour ses talents d’orateur, pour la chaude tonalité de cette voix tellement nôtre et, se déclarant objectif, il reconnaissait en lui et dans tous les démagogues le mérite de conférer la conscience de sa propre dignité à des millions de parias., Etaient responsables de cette retraite — trop prolongée pour ne pas être dangereuse — une sourde douleur de molaires et l’habitude de mettre sa main devant sa bouche. Une après-midi,  alors qu’il revenait du fond du bâtiment, il entendit,  tout surpris,  la question suivante :
— Qu’est-ce qui vous arrive ?
Il ôta sa main et regarda perplexe son voisin Bogliolo. En effet,  celui-ci l’avait salué. Vidal répondit diligemment :
— Rien,  monsieur.
— Comment ça, rien ? protesta Bogliolo qui, tout bien observé, avait quelque chose d’étrange dans l’expression. Pourquoi mettez-vous votre main devant votre bouche ?
— C’est une molaire. Elle me fait mal. Ce n’est rien, répondit-il en souriant.
Vidal était plutôt petit, mince, avec des cheveux qui commençaient à s’éclaircir et un regard triste qui devenait doux quand il souriait. Le maton sortit un carnet de sa poche, il y inscrit un nom et une adresse, arracha la feuille et lui tendit en même temps qu’il l’informait :
— C’est un dentiste. Allez-y dès maintenant. Il va vous laisser comme neuf.
Vidal se rendit au cabinet l’après-midi même. En se frottant les mains, le dentiste lui expliqua qu’à un certain âge, les gencives, comme si elles étaient faites d’argile, s’amollissent à l’intérieur et qu’heureusement, aujourd’hui, la science dispose d’un remède pratique : l’extirpation de toute la denture et son remplacement par une autre plus appropriée. Après avoir mentionné le montant global de l’opération ; l’homme procéda à la patiente boucherie ; pour finir,  il fixa les molaires et les dents sur la chair tuméfiée puis il déclara :
—Vous pouvez fermer la bouche.
Mais s’y opposaient la douleur, les corps étrangers et la peine morale que lui causait sa confrontation avec le miroir. Le lendemain, Vidal se réveilla malade et fiévreux. Son fils lui conseilla de se rendre chez le dentiste ; mais lui, il ne voulait pas en entendre parler. Il resta au lit, malade et accablé, sans oser, les premières vingt heures, prendre un maté. La faiblesse accentua l’ennui ; la fièvre lui donnait un prétexte pour rester dans la chambre et ne pas se laisser voir.,
Mercredi 25 juin, il décida de mettre fin à cette situation. Il irait au café pour jouer à l’habituelle partie de truc. Il pensa que la nuit était le meilleur moment pour aborder ses amis.

***

Elise nous propose sa traduction :

Texte 2 - Journal de la guerre du cochon., Lundi 23 – mercredi 25 juin.
Depuis le lundi précédent, Isidoro vidal, plus connu dans le quartier en tant que Don Isidro,  ne sortait pratiquement pas de la pièce,  ne se laissait voir par personne. Mais naturellement,  plus d’un locataire, et surtout les filles de l’atelier de couture de la salle d’en face, le surprenaient de temps en temps hors de son refuge. Les distances, à l’intérieur de cette bâtisse grouillant de monde, étaient considérables ; rien que pour arriver aux toilettes, il fallait traverser deux patios. Confiné dans sa chambre, voisine de celle de son fils Isidorito, il resta ainsi coupé du monde. Le garçon, prétextant avoir du sommeil en retard parce qu’il travaillait comme gardien pendant les cours du soir à l’école  de la calle Las Heras, avait pris pour habitude d’égarer le journal que son père attendait avec anxiété, et oubliait continuellement sa promesse d’emmener le poste de radio chez l’électricien. Les quotidiennes « charlas de fogón» d’un certain Farell manquaient à Vidal, désormais privé de ce vétuste appareil. L’opinion publique désignait ce Farell comme chef secret des Jeunes Turcs, mouvement qui brilla tel une étoile filante au cours de notre longue nuit politique. Face à ses amis qui l’avaient en horreur, il le défendait. Avec tiédeur, certes, car, c’est vrai, il déplorait les arguments du caudillo, plus frénétiques que raisonnables. Il condamnait ses calomnies et ses mensonges, toutefois, il ne cachait pas son admiration pour ses dons d’orateur, pour la tonalité chaleureuse de cette voix si proche, et, prônant l’objectivité, il lui reconnaissait, à lui et à tous les démagogues, le mérite de faire prendre conscience à des millions de parias de leur propre dignité.
Une vague douleur de dents et la manie de porter une main à sa bouche furent les responsables de cette retraite – bien trop prolongée pour ne pas être dangereuse. Une après-midi, alors qu’il revenait de l’intérieur, il entendit,  non sans surprise, la question :
— Qu’est-ce qui vous arrive ?
— Rien, Monsieur.
— Comment ça, rien ? Protesta Bogliolo qui, en y regardant de plus près, avait un air un peu bizarre. Pourquoi portez-vous la main à la bouche?
—Une dent. Elle me fait mal. Ce n’est rien, répondit-il en souriant.
Vidal était plutôt petit, maigre, avec des cheveux qui commençaient à s’éclaircir et un regard triste, qui devenait doux dès qu’il souriait. Le voyou sortit de sa poche un carnet, y écrivit un nom et une adresse,  arracha la page et la lui donna, en expliquant :
— Un dentiste. Allez-y dès aujourd’hui. Il va vous remettre d’aplomb.
Vidal se rendit au cabinet cette même après-midi. En se frottant les mains, le dentiste lui expliqua qu’à partir d’un certain âge, les gencives, comme si elles étaient faites de boue, se ramollissaient de l’intérieur, mais qu’heureusement, grâce à la science, il existait à présent un remède bien pratique : l’ablation de toute la dentition et son remplacement par une autre, plus appropriée. Toute en mentionnant une somme globale, l’homme procéda à cette patiente boucherie ; et finalement, sur cette chair tuméfiée, il disposa des molaires et des dents, puis dit :
—Vous pouvez fermer la bouche.
Mais s’opposaient alors à lui la douleur,  les corps étrangers, et surtout la souffrance morale que lui inspirait la confrontation avec le miroir. Le lendemain, Vidal se réveilla avec douleur et fièvre. Son fils lui conseilla de rendre visite au dentiste ; sauf que lui, il ne voulait plus rien savoir de cet individu. Il demeura allongé sur le lit, malade et affligé, sans même se risquer à prendre un maté pendant les vingt premières heures. Sa faiblesse renforça sa peine ; la fièvre lui donnait des prétextes pour pouvoir rester dans sa chambre et empêcher les autres de le voir.
Le mercredi 25 juin, il décida d’en finir avec cette situation. Il irait au café, pour faire sa petite partie habituelle de truco. Il se dit que la nuit était sûrement le meilleur moment pour aborder ses amis.

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