dimanche 2 novembre 2008

Devoirs de vacances, 8

Demain c'est la rentrée !
Ce qui signifie… plus de devoirs de vacances… jusqu'au 20 décembre.

Croyez-moi, la littérature espagnole est vivante et même bien vivante… et notre pauvre littérature française, à peine survivante du traumatisme engendré par les périlleuses expériences du Nouveau Roman (on croyait pourtant que la page serait vite tournée), aurait tout à gagner à jeter un œil sur ce qui se fait au-delà des frontières, juste en dessous, pas besoin d'aller bien loin ; peut-être y trouverait-elle, par exemple, la formule magique pour se désengluer une fois pour toutes d'une stérile, creuse et fort ennuyeuse autofiction.
Parmi ces excellents auteurs d'Espagne que j'aimerais vous faire connaître, il y a Clara Sánchez – que j'ai découverte grâce à la traduction justement (entre autres vertus, notre métier a le mérite d'ouvrir sans cesse nos horizons de lecture [il y a quelques années encore, je ne jurais que par les auteurs latino-américains]). Elle a notamment écrit l'un de ces rares romans encore capables de nous convaincre de renoncer à une bonne nuit de sommeil pour arriver jusqu'au soulagement de la dernière page. Et pourtant, pas de meurtres sanglants, pas de méchant serial killer courant la hache à la main après une jeune femme blonde affublée d'une mignonne petite fille blonde et d'un labrador sable, pas de docteur Scarpetta procédant à des incisions en Y… Le miracle de la lecture est au fond des bibliothèques et il suffit d'écarter les encombrants volumes du devant, ceux qui veulent à tout prix se faire remarquer… vous le savez bien.
Alors aujourd'hui, Un millón de luces [merci à Brigitte et Olivier de gentiment continuer à ma signaler les coquilles]

Si aquel día no hubiese entrado en la Torre de cristal, probablemente nada de eso habría ocurrido. Nadie habría muerto, nadia habría perdido la cabeza y los secretos habrían permanecido bajo llave en sus cofres. Pero a veces parece necesario intervenir en la vida de los demás y otras veces, aunque no se quiera, también se interviene.
La Torre de Cristal se parece mucho a un edificio que durante dos años más o menos se ha estado contruyendo frente a mi casa. He pasado tantas horas contemplando las grúas gigantescas y las palas excavadoras, que conozco la profundidad de sus cimientos y cuántas clases de vigas tiene. Podría describir uno por uno a los operarios negros que entrelazaban laboriosamente los hierros con que cubrían el suelo antes de llenarlos de cemento. Y a los que, vestidos de caqui y con cascos blancos, daban la impresión de estar de safari. Y a las aparejadoras, tan delgadas y flexibles que, cuando el viento hacía aletear los grandes planos en sus manos, parecían elevarse unos centímetros sobre los hierros entrelazados.
No he vuelto a ver grúas como éstas. Giraban sobre los edificios y los árboles de alrededor con los brazos extendidos, hundiendo sus terminaciones en los rayos de sol, por lo que resultaban ser los brazos más largos e indestructibles que jamás se hayan abierto ante mí. Y mientras perdía miserablemente el tiempo pensando en esto y en que tendría que estar escribiendo una novela, resulta que en cierto modo ya lo estaba haciendo.
Sin embargo, la verdadera Torre de Cristal de esta historia no está frente a mi casa, sino en una zona de oficinas y grandes bancos situada en el paseo de la Castellana, entre otras fachadas también forradas de cristales, de modo que unas se reflejan en otras con el instante impreso de coches que pasan, árboles que se mueven, pájaros que vuelan y aviones que salen de las nubes, produciendo el conjunto una gran sensación de irrealidad.
Éste es el lugar donde voy a trabajar a partir de hoy, al principio por pura necesidad de dinero, y después porque esta necesidad se fundirá con otras y con los acontecimientos y con las personas que conoceré, de la misma forma que se funden el cobre y el estaño o el oxígeno y hidrógeno, y me quedaré aquí sin saber por qué. Todo comenzó cuando Raúl y yo nos separamos tras ocho años de convivencia. Durante ese tiempo me había dedicado a publicar artículos aquí y allá y a intentar escribir la novela, tan ambiciosa que nunca lograba arrancar con ella. La verdad es que jamás consideré que escribir fuera un verdadero trabajo puesto que no había sueldo fijo, ni horario, ni jefes, ni compañeros, por lo que vivía en un permanente estado de inseguridad y de desarraigo, de no pertenecer a nada ni a nadie en serio. Y ahora, por fin, iba a tener un sitio donde ir todas las mañanas y personas con las que hablar todos los días e iba a recibir dinero todos los meses.
Raúl, que no soportaba la idea de verme pasando calamidades, pero que tampoco estaba dispuesto a volverse atrás en su decisión de marcharse de casa, fue quien me dirigió hacia la Torre de Cristal y me escribió una carta de recomendación para Emilio Ríos, el presidente y dueño de la empresa Ríos, más conocida como la Torre de Cristal. Y se podría decir que es a partir de este momento cuando los infinitos brazos de la grúa comienzan a contraerse en otros más pequeños y humanos.

Clara Sánchez, Un millón de luces, Madrid, Alfaguara, 2004, p. 9-10.

Brigitte, la traductrice la plus rapide du sud-ouest, nous propose sa traduction :

Si je n’étais pas entrée ce jour-là dans la Tour de Cristal, rien de tout cela ne serait probablement arrivé. Personne ne serait mort, personne n’aurait perdu la tête, et les secrets seraient restés sous clefs dans leurs coffres. Mais il semble parfois nécessaire d’intervenir dans la vie d’autrui ; et d’autres fois, même sans le vouloir, on intervient aussi.
La Tour de Cristal ressemble beaucoup à un édifice qui, pendant plus ou moins deux ans, a été en construction en face de chez moi. J’ai passé tant d’heures à contempler les grues gigantesques et les pelleteuses, que je connais la profondeur de ses ciments et les différents types de poutrelles qu’elle renferme. Je pourrais décrire un par un les ouvriers noirs qui entrelaçaient laborieusement les armatures de fer recouvrant le sol avant d’y couler le ciment. Et ceux qui, habillés en kaki avec un casque blanc, avaient l’air d’être en safari. Et les architectes, si minces et souples quand le vent faisait voleter les grands plans entre leurs mains, semblaient s’élever de quelques centimètres au-dessus des fers entrecroisés.
Je n’ai plus revu de grues comme celles-ci. Elles tournaient au-dessus des édifices et des arbres alentour, les bras étendus, plongeant leur tête dans les rayons du soleil, et qui étaient, à ce titre, les bras les plus longs et indestructibles qui se soient jamais ouverts devant moi.
Et pendant que je perdais misérablement mon temps à penser à ça et à me dire que je devrais être en train d’écrire un roman, il se trouve que, d’une certaine façon, c’est ce que j’étais déjà en train de faire.
Pourtant, la véritable Tour de Cristal de cette histoire n’est pas en face de chez moi, mais dans un quartier de bureaux et de grandes banques situé sur le Paseo de la Castellana, parmi d’autres façades faites aussi de verre, de telle sorte que les unes se reflètent dans les autres, imprimant des instantanés de voitures qui passent, d’arbres qui bougent, d’oiseaux qui volent et d’avions qui émergent des nuages, donnant à l’ensemble une grande impression d’irréel.
C’est dans cet endroit que je vais travailler à partir d’aujourd’hui. D’abord, par simple besoin d’argent et ensuite parce que ce besoin se mêlera à d’autres et aux évènements et aux gens que je rencontrerai, de la même manière que se fondent le cuivre et l’étain ou l’oxygène et l’hydrogène, et j’y resterais sans savoir pourquoi.
Tout a commencé quand Raul et moi nous nous sommes séparés après huit ans de vie commune. Pendant cette période, je m’étais consacrée à la publication d’articles, ici et là, et à essayer d’écrire mon roman, tellement ambitieux que je n’arrivais jamais à en écrire la première ligne. Pour tout dire, c’est que je n’ai jamais considéré l’écriture comme un véritable travail puisqu’il n’y avait pas de salaire fixe, ni horaires, ni patron, ni collègues, c’est pourquoi je vivais dans un état permanent d’insécurité et de déracinement, par le simple fait de n’appartenir à rien et à personne, sérieusement. Et à présent, enfin, j’allais avoir un endroit où me rendre chaque matin et des gens avec qui parler tous les jours et j’allais recevoir de l’argent tous les mois.
C’est Raúl qui, ne supportant pas l’idée de me voir dans les ennuis jusqu’au cou, mais qui n’était pas prêt non plus à reculer devant sa décision de quitter la maison, me conduisit vers la Tour de Cristal. Il écrivit en ma faveur une lettre de recommandation pour Emilio Rios, président et patron de l’entreprise Rios, plus connue sous le nom de Tour de Cristal. Et on pourrait dire que c’est à partir de ce moment-là que les bras infinis de la grue commencent à se réduirent en d’autres, plus petits et humains.

***

Olivier nous propose sa traduction :

Si je n’étais pas entrée ce jour-là dans la Tour de Verre, probablement rien de tout ça ne serait arrivé. Personne ne serait mort, personne n’aurait perdu la tête et les secrets seraient restés sous clefs, dans leurs coffres. Mais il y a des fois où il est bon de fourrer son nez dans les affaires des autres, et d’autres aussi où on le fourre sans le vouloir.
La Tour de Verre ressemble beaucoup à un immeuble dont la construction a duré environ environ deux ans, juste en face de chez moi. À force de contempler pendant des heures le ballet des grues gigantesques et des pelleteuses, je connais la profondeur de ses fondations et jusqu’aux différents types de poutres qui le soutiennent. Je pourrais décrire, un par un, tous les ouvriers noirs qui tressaient laborieusement l’armature métallique, avec laquelle ils recouvraient le sol, avant de la noyer dans le béton. Et ceux qui donnaient l’impression de faire un safari, avec leurs vestes kaki et leurs casques blancs. Et les aides-architectes, si fines et flexibles que le vent, qui faisait ondoyer les grands plans entre leurs mains, paraissait les soulever de terre de quelques centimètres au-dessus du lacis de métal. Je n’ai jamais revu depuis des grues comme ça. Elles tournoyaient, au-dessus des édifices et des arbres qui les entouraient, les bras grand-ouverts, plongeant leurs extrémités dans les rayons du soleil, ce qui les convertissait en les plus longs et les plus indestructibles bras jamais déployés sous mes yeux. Et pendant que je perdais misérablement mon temps à penser à ça au lieu d’être en train d’écrire mon roman, il se trouve que, d’une certaine façon, j’avais déjà commencé à le faire.
Cependant, la vraie Tour de Verre de cette histoire ne se trouve pas en face de chez-moi, mais dans une zone de bureaux et de grandes banques, sur la promenade de la Castellana, au milieu d’autres façades, elles aussi recouvertes de verre, et qui se reflètent ainsi l’une dans l’autre, retenant l’instant d’une voiture qui passe, d’un arbre qui bouge, d’un oiseau qui vole où d’un avion qui sort des nuages, l’ensemble dégageant une grande sensation d’irréalité.
Et c’est là où je vais travailler à partir d’aujourd’hui, au début par besoin d’argent, et plus tard parce que ce besoin se fondra avec d’autres, et avec les événements, et avec les personnes que je rencontrerai, tout comme se fondent le cuivre et l’étain, ou l’hydrogène et l’oxygène, et où je resterai sans savoir pourquoi.Tout a commencé le jour où Raul et moi, on s’est séparés, après huit ans de vie commune. Durant tout ce temps, je m’étais limitée à publier des articles par-ci par-là, et à essayer d’écrire un roman si ambitieux que je n’arrivais pas à lui arracher ses premières lignes. La vérité, c’est que je n’ai jamais considéré qu’écrire était un vrai travail, vu qu’il n’y avait ni salaire fixe, ni horaires, ni chefs, ni collègues, et qu’à cause de ça, n’étant liée formellement à rien ni à personne, je vivais dans un état permanent d’insécurité et de déracinement. Et aujourd’hui, enfin, j’allais avoir un endroit où me rendre tous les matins, et des gens avec qui parler tous les jours, et on allait me payer tous les mois.
C’est Raùl, qui ne supportait pas de me voir dans la mouise, mais pas au point cependant de renoncer à faire ses valises, qui m’a envoyée à la Tour de Verre, avec une lettre de recommendation de sa main pour Emilio Rìos, le président et patron de la société Rìos, la fameuse Tour de Verre. Et on pourrait dire que c’est à partir de ce moment-là que les bras infinis de la grue ont commencé à rapetisser, pour se convertir en d’autres bras, plus petits et plus humains.

***

Odile nous propose sa traduction :

Si je n'étais pas entrée dans la Tour de Verre ce jour-là, probablement que rien de tout cela ne serait arrivé. Personne ne serait mort, personne n'aurait perdu la tête et les secrets seraient restés sous clef, dans leurs coffres. Mais, parfois, il semble nécessaire d'intervenir dans la vie d'autrui et d'autres fois, même sans le vouloir, on intervient aussi.
La Tour de Verre ressemble beaucoup à un immeuble dont la constuction a duré environ deux ans, en face de ma maison. J'ai passé tant d'heures à contempler les grues gigantesques et les pelles excavatrices que je connais l'épaisseur de ses ciments et toutes les sortes de poutrelles utilisées. Je pourrais décrire, un à un, tous les ouvriers noirs qui entrecroisaient laborieusement les tiges de fer dont ils recouvraient le sol avant d'y étendre le ciment. Et ceux qui, vêtus de tenues kaki et portant des casques blancs semblaient participer à un safari. Et aussi les métreuses, si minces et si souples, qui semblaient s'élever de quelques centimètres au-dessus de l'entrelacs de fers lorsque le vent faisait voleter les grands plans entre leurs mains
Je n'ai pas revu de grues comme celles-ci. Elles viraient au-dessus des immeubles et des arbres alentour, et leurs bras tendus, plongeant leur tête dans les rayons du soleil devenaient alors les bras les plus longs et les plus indestructibles que se soient jamais ouverts devant moi. Et tandis que je perdais lamentablement mon temps en pensant cela, tout en me disant que je devrais être en train d'écrire un roman, en réalité, d'une certaine manière, je le faisais déjà.
Cependant, la vraie Tour de Verre de cette histoire ne se situe pas face à ma maison, mais dans une zone de bureaux et de grandes banques située sur le paseo de la Castellana, parmi d'autre façades recouvertes de vitrages, de telle sorte qu'ils se reflétent les uns sur les autres, capturant ainsi un fugitif instant de voitures qui passent, d'arbres qui bougent, d'oiseaux qui volent et d'avions qui émergent des nuages, l'ensemble produisant un grand effet d'irréalité.
C'est là que je vais travailler à partir d'aujourd'hui, au début pour des raisons financières et ensuite parce que cette nécessité se confondra avec d' autres et avec les événements et les personnes que je vais connaître, de la même manière que se mélangent le cuivre et l'étain, ou l'oxygène et l'hydrogène et je resterai là sans savoir pourquoi.
Tout a commencé quand Raúl et moi nous nous sommes séparés, après huit ans de vie commune. Pendant toutes ces années, je m'étais consacrée à publier des articles, ici et là, et à tâcher d 'écrire le roman, roman si ambitieux que je n'arrivais même pas à le mettre en route. Pour tout dire, je n'ai jamais considéré l'écriture comme un véritable travail car il n'y avait pas de salaire fixe, ni d' horaires, ni de chefs, ni de collègues, et c'est pourquoi, n'appartenant sérieusement à rien ni à personne, je vivais dans un état permanent d'insécurité et de déracinement. Et maintenant, enfin, j'allais avoir un endroit où me rendre tous les matins, des personnes avec lesquelles parler tous les jours et j'allais recevoir de l'argent tous les mois.
Raúl qui ne supportait pas l'idée de me voir malheureuse, mais qui ne reviendrait pas sur sa décision de quitter la maison, fut celui qui me dirigea vers la Tour de Verre et qui rédigea la lettre de recommandation pour Emilio Ríos, le président et propriétaire de l'entreprise Ríos, plus connue sous le nom de Tour de Verre. Et on pourrait dire qu'à partir de ce moment-là, les immenses bras de la grue commencent à se transformer en bras plus petits et plus humains.

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