samedi 27 décembre 2008

Devoirs de vacances (Noël), 6

En photo : Cien años de soledad par pau.cc

À faire en 2h30, sans dictionnaire

Un hilo de sangre salió por debajo de la puerta, atravesó la sala, salió a la calle, siguió en un curso directo por los andenes disparejos, descendió escalinatas y subió pretiles, pasó de largo por la calle de los Turcos, dobló una esquina a la derecha y otra a la izquierda, volteó en ángulo recto frente a la casa de los Buendía, pasó por debajo de la puerta cerrada, atravesó la sala de visitas pegado a las paredes para no manchar los tapices, siguió por la otra sala, eludió en una curva amplia la mesa del comedor, avanzó por el corredor de las begonias y pasó sin ser visto por debajo de la silla de Amaranta que daba una lección de aritmética a Aureliano José, y se metió por el granero y apareció en la cocina donde Úrsula se disponía a partir treinta y seis huevos para el pan.
– ¡Ave María Purísima ! – gritó Úrsula.
Siguió el hilo de sangre en sentido contrario, y en busca de su origen atravesó el granero, pasó por el corredor de las begonias donde Aureliano José cantaba que tres y tres son seis y seis y tres son nueve, y atravesó el comedor y las salas y siguió en línea recta por la calle, y dobló luego a la derecha y después a la izquierda hasta la calle de los Turcos, sin recordar que todavía llevaba puestos el delantal de hornear y las babuchas caseras, y salió a la plaza y se metió por la puerta de una casa donde no había estado nunca, y empujó la puerta del dormitorio y casi se ahogó con el olor a pólvora quemada, y encontró a José Arcadio tirado boca abajo en el suelo sobre las polainas que se acababa de quitar, y vio el cabo original del hilo de sangre que ya había dejado de fluir de su oído derecho. No encontraron ninguna herida en su cuerpo ni pudieron localizar el arma. Tampoco fue posible quitar el penetrante olor a pólvora del cadáver. Primero lo lavaron tres veces con jabón y estropajo, después lo frotaron con sal y vinagre, luego con ceniza y limón, y por último lo metieron en un tonel de lejía y lo dejaron reposar seis horas. Tanto lo restregaron que los arabescos del tatuaje empezaban a decolorarse. Cuando concibieron el recurso desesperado de sazonarlo con pimienta y comino y hojas de laurel y hervirlo un día entero a fuego lento ya había empezado a descomponerse y tuvieron que enterrarlo a las volandas. Lo encerraron herméticamente en un ataúd especial de dos metros y treinta centímetros de largo y un metro y diez centímetros de ancho, reforzado por dentro con planchas de hierro y atornillado con pernos de acero, y aun así se percibía el olor en las calles por donde pasó el entierro. El padre Nicanor, con el hígado hinchado y tenso como un tambor, le echó la bendición desde la cama. Aunque en los meses siguientes reforzaron la tumba con muros superpuestos y echaron entre ellos ceniza apelmazada, aserrín y cal viva, el cementerio siguió oliendo a pólvora hasta muchos años después, cuando los ingenieros de la compañía bananera recubrieron la sepultura con una coraza de hormigón. Tan pronto como sacaron el cadáver, Rebeca cerró las puertas de su casa y se enterró en vida, cubierta con una gruesa costra de desdén que ninguna tentación terrenal consiguió romper.

Gabriel García Márquez, Cien años de soledad, 1967.

***

Voici la traduction "officielle" du passage proposé ; elle a été faite par Claude et Carmen Durand (édition du Seuil, « Points », p. 158-159) :

Un filet de sang passa sous la porte, traversa la salle commune, sortit dans la rue, prit le plus court chemin parmi les différents trottoirs, descendit des escaliers et remonta des parapets, longea la rue aux Turcs, prit un tournant à droite, puis un autre à gauche, tourna à angle droit devant la maison des Buendía, passa sous la porte close, traversa le salon en rasant les murs pour ne pas tacher les tapis, poursuivit sa route par l'autre salle, décrit une large courbe pour éviter la table de la salle à manger, entra sous la véranda aux bégonias et passa sans être vu sous la chaise d'Amaranta qui donnait une leçon d'arithmétique à Aureliano José, s'introduisit dans la réserve à grains et déboucha dans la cuisine où Ursula s'apprêtait à casser trois douzaines d'œufs pour le pain.
— Ave Maria Très-Pure ! s'écria Ursula.
Elle suivit le filet de sang en sens inverse et, cherchant son origine, traversa la réserve à grains, passa sous la véranda aux bégonias où Aureliano José chantait que trois et trois fint six et six et trois font neuf, traversa la salle à manger et les salons, continua en ligne droite dans la rue, puis tourna à droite, ensuite à gauche jusqu'à la rue aux Turcs, sans se rappeler qu'elle portait encore son tablier de boulangère et ses chaussons d'intérieur, déboucha sur la place et entra par la porte d'une maison où elle n'avait jamais mis les pieds, coucha la porte de la chambre à coucher et faillit être étouffée par l'odeur de poudre brûlée, trouva José Arcadio allongé face contre terre, sur ses bottes qu'il venait de quitter, et elle aperçut d'où était parti le filet de sang qui avait déjà cessé de couler de l'oreille droite. On ne découvrit aucune blessure sur le corps et on ne put davantage trouver où était l'arme. Il s'avéra également impossible de débarrasser le cadavre de sa tenace odeur de poudre. On commença par le laver à trois reprises avec une lavette et du savon, puis on le frotta au sel et au vinaigre, ensuite avec de la cendre et du citron, et pour finir on le mit dans un tonneau plein de lessive où on le laissa tremper pendant six heures. On le frictionna tant et si bien que les arabesques des tatouages commencèrent à se décolorer. Quand on en vint, en désespoir de cause, à imaginer de l'assaisonner avec du piment, du cumin et des feuilles de laurier, et de la faire bouillir toute une journée à feux doux, il avait déjà commencé à se décomposer et on dût l'enterrer précipitamment. On l'enferma hermétiquement dans un cercueil sur mesure de deux mètres trente de long sur un mètre dix de large, renforcé à l'intérieur par des plaques de fer et vissé à l'aide de boulons d'acier, et même ainsi on n'empêcha pas l'odeur de se répandre dans les rues qu'emprunta l'enterrement. Le père Nicanor, à cause de son foie enflé et tendu comme un tambour, lui donna sa bénédiction depuis son lit. On eu beau, dans les mois qui suivirent, renforcer sa sépulture par plusieurs murs superposés entre lesquels furent jetés pêle-mêle de la cendre tassée, du son et de la chaux-vive, le cimetière continua à sentir la poudre pendant nombre d'années encore, jusqu'à ce que les ingénieurs de la compagnie bananière fissent recouvrir la tombe d'une carapace de béton. Dès qu'on eut sorti le cadavre, Rebecca ferma les portes de sa maison et s'enterra vivante, entourée d'une épaisse gangue de mépris qu'aucune tentation en ce bas monde ne devait parvenir à rompre.

***

Claire (étudiante du groupe 2 de CAPES) nous propose sa traduction :

Un filet de sang passa sous la porte, traversa la pièce principale, sortit dans la rue et poursuivit son chemin dans un flux continu sur les trottoirs irréguliers, il descendit de petites marches et monta sur des murets, suivit longuement la rue des Turcs, tourna une fois à droite et une fois à gauche, fit un angle droit face à la maison des Buendía, passa sous la porte fermée, traversa la salle des visites en se collant aux murs pour ne pas tacher les tapis, continua par une autre pièce, évita par une grande courbe la table de la salle à manger, avança dans le couloir aux bégonias et passa sans être vu sous la chaise d'Amaranta qui donnait une leçon d'arithmétique à Aureliano José, se faufila dans la grange et apparut dans la cuisine où Úrsula se préparait à casser trente-six œufs pour le pain.
Sainte Marie, mère de Dieu ! » cria Úrsula.
Elle suivit le filet de sang dans le sens contraire, et, à la recherche de sa provenance, traversa la grange, passa dans le couloir aux bégonias où Aureliano José chantait que trois et trois font six et que six et trois font neuf, et traversa la salle à manger et les autres pièces et continua en ligne droite dans la rue, elle tourna ensuite à droite puis à gauche jusqu'à la rue des Turcs, sans même se rappeler qu'elle portait encore son tablier de cuisine et ses babouches d'intérieur, et atteignit la place et se retrouva devant la porte d'une maison dans laquelle elle n'avait jamais été, poussa la porte de la chambre et s'étouffa presque à cause de l'odeur de poudre brûlée, elle trouva José Arcadio étendu à plat ventre sur le sol sur les polaires qu'il venait d'enlever, et vit d'où provenait le filet de sang qui avait déjà cessé de couler de son oreille droite. On ne trouva aucune blessure sur son corps et on ne put trouver l'arme. Il ne fut pas non plus possible d'ôter l'odeur pénétrante de la poudre qui imprégnait le cadavre. D'abord on le lava trois fois avec du savon et du parfum, ensuite on le frotta avec du sel et du vinaigre puis avec de la cendre et du citron, et enfin on le mit dans un tonneau de javel et on le laissa tremper six heures. On le frotta tant que les arabesques de son tatouage commençaient à se décolorer. Quand on envisagea en dernier recours de l'assaisonner avec du piment et du concombre et des feuilles de laurier et de le faire bouillir un jour entier à feu doux, il avait déjà commencé à se décomposer et on dut l'enterrer en urgence. On l'enferma hermétiquement dans un cercueil spécial de deux mètres trente de long et d'un mètre dix de large, renforcé à l'intérieur par des planches de fer et cloué avec des morceaux d'acier, et même ainsi on pouvait encore sentir l'odeur dans les rues où passa l'enterrement. Le père Nicanor, le foie gonflé et tendu comme un tambour, lui donna la bénédiction depuis son lit. Bien qu'au cours des mois suivants on renforçât la tombe par une superposition de murs entre lesquels on jeta de la cendre agglomérée, du gravier et de la chaux vive, le cimetière continua à sentir la poudre pendant de nombreuses années, jusqu'à ce que les ingénieurs de la compagnie bananière recouvrissent la sépulture d'une couche de béton. Dès que le cadavre fut sorti, Rebeca ferma les portes de la maison et s'enterra vivante, couverte d'une épaisse couche de dédain qu'aucune tentation terrestre ne parvint à rompre.

***

Vanessa (étudiante du groupe 2 de CAPES – et dévouée déléguée de classe ! –) nous propose sa traduction :

Un filet de sang passa sous la porte, traversa la salle, sortit dans la rue, continua tout droit vers les quais inégaux, descendit des escaliers en colimaçons et remonta des parapets, parcourut toute la rue des Turcs, tourna à droite et ensuite à gauche, fit un angle droit face à la maison des Buendias, passa sous la porte close, traversa la salle de visites rasant les murs pour ne pas tâcher les tapis, continua dans l’autre salle, évita par une large courbe la table de la salle à manger, avança dans le couloir des bégonias et passa sans être vu sous la chaise Aramanta qui donnait une leçon d’arithmétique à Aureliano José, et se faufila dans le cagibi et apparut dans la cuisine où Ursula s’apprêtait à casser trente-six œufs pour le pain.
_ Sainte Marie ! cria Ursula.
Elle remonta le filet de sang dans le sens contraire, et à la recherche de son origine, traversa le cagibi, passa par le couloir des bégonias où Aureliano chantait que trois et trois font sixet que six et trois font neuf, et elle traversa la salle à manger ainsi que les autres salles et poursuivit en ligne droite dans la rue, puis elle tourna premièrement à droite et ensuite à gauche jusqu’à la rue des Turcs, oubliant qu’elle portait toujours son tablier de cuisine et ses babouches pour être à la maison, et elle déboucha sur la place, et après avoir poussé la porte entra dans la maison où elle n’avait jamais été, puis elle poussa la porte de la chambre et manqua de s’étouffer à cause de l’odeur de poudre brûlée, et trouva José Arcadio face contre terre sur les vêtements qu’il venait d’ôter, et vit le lieu d’origine du filet de sang qui, alors, avait arrêter de couler de son oreille droite. Ils ne trouvèrent aucune blessure sur le corps, et ne purent pas non plus trouver l’arme. Il fut également impossible d’enlever l’odeur de poudre du cadavre. Premièrement, ils le lavèrent trois fois avec du savon et un chiffon, ensuite ils le frottèrent avec du sel et du vinaigre, après avec des cendres et du citron, et enfin, ils le mirent dans un bac d’eau de javel et le laissèrent y reposer six heures. Ils le décapèrent à tel point que les arabesques du tatouage commençaient à se décolorer. Quand ils conçurent le remède désespéré de l’assaisonner avec du poivre, du cumin, des feuilles de lauriers et de le faire bouillir un jour entier à feu doux, il avait déjà commencé à se décomposer et durent l’enterrer à toute vitesse. Ils l’enfermèrent dans un cercueil spécial de deux mètres trente centimètres de long et un mètre dix centimètres de large, renforcé à l’intérieur par des plaques en fer et vissé avec des écrous en acier, mais même ainsi, on distinguait l’odeur dans les rues par lesquelles passa le cortège funèbre. Le père Nicanor, au foie gonflé et tendu comme un tambour, lui donna la bénédiction depuis son lit. Bien que, dans les mois qui suivirent, ils renforcèrent la tombe avec des murs superposés et jetèrent en leur intérieur des cendres compactes, de la sciure et de la chaux vive, lorsque les ingénieurs de la compagnie bananière recouvrirent la sépulture d’une couche de béton, le cimetière sentait toujours la poudre et cela durant des années encore. Dès qu’ils sortirent le cadavre, Rebecca ferma les portes de sa maison et s’y enterra vivante, couverte d’une épaisse croûte de mépris qu’aucune tentation terrestre ne parvint à rompre.

***

Brigitte, la marathonienne de la traduction, nous propose sa traduction :

Un filet de sang sortit de sous la porte, traversa le salon, coula jusque dans la rue, suivit son chemin tout droit sur les trottoirs inégaux, descendit des escaliers et monta des rampes, fila par la rue des Turcs, tourna à droite puis encore à gauche, vira à angle droit en face de chez les Buendía, passa sous la porte close, parcourut le vestibule en longeant les murs pour ne pas tacher les tapis, continua par l’autre pièce, décrivit un ample virage pour contourner la table de la salle à manger, avança à travers la galerie des bégonias, se faufila sans se faire voir sous la chaise d’Amaranta qui donnait une leçon d’arithmétique à Aureliano José et se glissa dans le hangar à grain pour faire irruption dans la cuisine où Ursula s’apprêtait à casser trente six œufs pour le pain.
- Par la Vierge Marie ! – s’écria Ursula.
Elle remonta en sens inverse le filet de sang et, en quête de son origine, traversa le hangar à grain, passa par la galerie des bégonias où Aureliano José chantonnait « trois et trois six six et trois neuf », traversa la salle à manger et les autres pièces et continua tout droit dans la rue ; elle tourna ensuite à droite et puis à gauche jusqu’à la rue des Turcs, en oubliant qu’elle portait encore son tablier de cuisine et ses pantoufles et elle arriva sur la place, s’engouffra dans une maison où elle n’avait jamais mis les pieds, et poussa la porte de la chambre ; Là, elle fut saisie par l’odeur de poudre brûlée qui l’asphyxia presque et trouva José Arcadio face contre terre, sur les guêtres qu’il venait d’enlever. Elle vit alors l’origine du filet de sang qui avait déjà cessé de couler de son oreille droite.
On ne constata pas la moindre blessure sur son corps et on ne parvint pas non plus à mettre la main sur l’arme. Il fut tout aussi impossible de débarrasser le cadavre de cette odeur tenace de poudre. D’abord, on le lava à trois reprises avec du savon et du crin, ensuite on le frictionna avec du sel et du vinaigre, puis avec de la cendre et du citron, et enfin on le mit dans un bac à lessive où on le laissa macérer six heures durant. On le frotta tellement que les arabesques de son tatouage commençaient à se décolorer. Lorsqu’en désespoir de cause, on décida en ultime recours de l’assaisonner de piment, de cumin et de feuilles de laurier et de le laisser mijoter un jour complet à feu doux, il était déjà entré en décomposition et on dut l’enterrer en quatrième vitesse.
On l’enferma hermétiquement dans un cercueil spécial de deux mètres trente de long sur un mètre dix de large, blindé à l’intérieur par des plaques de fer et vissé avec des boulons en acier, et mais malgré tout, on sentait encore cette odeur dans les rues après le passage du cortège funéraire.
Le père Nicanor, le foie gonflé et tendu comme la peau d’un tambour, lui donna la bénédiction depuis son lit.
Au cours des mois suivants, on eut beau renforcer la tombe de murs superposés entre lesquels on mit de la cendre agglomérée, de la sciure et de la chaux vive, le cimetière conserva encore l’odeur de la poudre des années après, quand les ingénieurs de la compagnie bananière recouvrirent la sépulture d’une cuirasse de béton.
A l’instant même où l’on avait sorti le cadavre, Rebecca s’était cloîtrée chez elle et s’y était enterrée vivante, cachée sous une épaisse carapace de dédain qu’aucune tentation terrestre ne parviendrait à briser.

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Laure L. nous propose sa traduction :

Un filet sang se glissa sous la porte, traversa le salon, glissa dans la rue, suivit son cours directement sur les trottoirs inégaux, descendit les perrons et passa par-dessus les garde-fous, traversa sans s’arrêter la calle de los Turco, tourna à droite au coin de la rue, puis à gauche, vira à angle droit devant la maison des Buendía, se répandit sous la porte close, traversa le salon de réception au raz des murs pour ne pas salir les tapisseries, poursuivit sa course dans la pièce suivante, évita en un large virage la table de la salle à manger, avança dans le couloir des bégonias et se faufila sans être vu sous la chaise d’Amaranta qui donnait une leçon d’arithmétique à Aureliano José, entra dans le grenier et apparu dans la cuisine où Ursula se disposait à casser trente six œufs pour le pain.
- Sainte Marie mère de Dieux, cria t’elle !
Elle suivit le filet de sang en sens inverse, et à la recherche de son origine elle traversa le grenier, passa dans le couloir des bégonias où Aureliano récitait, trois et trois, six, six et trois, neuf, traversa la salle à manger et les salons et poursuivit tout droit à travers les rues, tourna ensuite à droite puis à gauche jusqu’à la calle de los Turcos, sans se souvenir qu’elle portait toujours son tablier de cuisine et ses pantoufles, et alla sur la place et se retrouva devant la porte d’une maison où elle n’avait jamais mis les pieds, elle poussa la porte de la chambre et s’étouffa presque à cause de l’odeur de poudre brulée, et elle trouva au sol José Arcadio allongé sur le ventre sur ses bottes qu’il venait d’enlever, et vit le point d’origine du filet de sang qui avait cessé de couler de son oreille droite. Ils ne trouvèrent aucune blessure à son corps ni ne purent localiser l’arme. Il ne fut pas non plus possible de débarrasser le cadavre de son odeur de poudre persistante. Ils le lavèrent d’abord trois fois avec du savon et un tampon à récurer, ensuite ils le frottèrent avec du sel et du vinaigre, puis avec des cendres et du citron, et enfin ils le plongèrent dans un tonneau de javel et le laissèrent reposer six heures. Ils l’étrillèrent tellement que les arabesques de son tatouage commencèrent à se décolorer. Quand ils imaginèrent le recours désespéré de l’assaisonner avec du poivre, du cumin, des feuilles de laurier et de le faire bouillir pendant tout une journée, il avait déjà commencé à se décomposer et ils durent l’enterrer à la hâte. Ils l’enfermèrent hermétiquement dans un cercueil spécial de deux mètre trente de long sur un mètre dix de large, renforcé de l’intérieur par des planches en fer et scellé par des boulons d’acier, et même ainsi on sentait l’odeur dans les rues où passa le cortège funéraire. Le père Nicanor, le foie gonflé et tendu comme une peau tambour, lui donna la bénédiction depuis son lit. Les mois qui suivirent, même s’ils renforcèrent la tombe avec des murs superposés et qu’ils remplirent l’espace entre eux de cendre compactée, de sciure et de chaux vive, le cimetière continua à empester la poudre de longues années durant, jusqu’à ce que les ingénieurs de la compagnie bananière recouvrissent la sépulture d’une cuirasse de béton armé. Pas plus tôt le corps enlevé que Rebeca ferma les portes de sa maison et enterra sa vie, enveloppée par une épaisse croute de dédain qu’aucune tentation terrestre ne pu rompre.

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Olivier nous propose sa traduction :

Un ruisselet de sang se glissa sous la porte, traversa la pièce, sortit dans la rue, continua sur les trottoirs disjoints sans détourner son chemin, descendit des marches et escalada des murs, évita la rue des Turcos, tourna à droite au coin de la rue, puis à gauche, retourna encore à angle droit en face de chez les Buendìa, s’immisça sous la porte fermée, traversa le salon en courant le long des murs afin de ne pas tacher les tapis, suivit son chemin à travers l’autre pièce, décrivit une large courbe pour éviter la table de la salle à manger, parcourut le couloir des bégonias et passa sans être vu sous la chaise d’Amaranta qui donnait une leçon d’arithmétique à Aureliano José, pénétra dans le cellier pour finalement apparaître dans la cuisine où Ursula était sur le point de casser trois douzaines d’œufs pour faire son pain.
- Sainte Vierge ! – cria Ursula.
Elle suivit le ruisselet en sens inverse pour découvrir son origine, traversa le cellier, suivit le couloir des bégonias où Aureliano José chantait trois et trois font six, et six et trois font neuf, traversa la salle à manger et les autres pièces, continua tout droit une fois dans la rue, tourna ensuite à droite, puis à gauche jusqu’à la rue des Turcos, en oubliant qu’elle était en tablier de boulanger et en chaussons, déboucha sur la place, franchit le seuil d’une maison où elle n’avait jamais mis les pieds auparavant, poussa la porte de la chambre, fut à moitié étouffée par l’odeur de la poudre, trouva José Arcadio couché à plat ventre par terre sur les caleçons qu’il venait de quitter et vit la source du ruisselet de sang qui avait maintenant cessé de couler de son oreille droite. On ne releva sur son corps aucune blessure et on ne trouva aucune arme. Débarrasser le cadavre de cette pénétrante odeur de poudre s’avéra également impossible. On le savonna d’abord trois fois avec une éponge, après on le frotta avec du sel et du vinaigre, puis avec de la cendre et du citron et enfin on le fit tremper pendant six heures dans un tonneau d’eau de javel. Les arabesques de ses tatouages commençaient à se décolorer à force de le frotter. Quand ils imaginèrent, en désespoir de cause, de l’assaisonner avec du poivre, du cumin et quelques feuilles de laurier avant de le mettre à bouillir à feu lent toute une journée, il avait déjà commencé à se décomposer et ils durent l’enterrer vite fait bien fait. On l’enferma hermétiquement dans un cercueil spécial de deux mètres trente de long sur un mètre dix de large, renforcé à l’intérieur par des plaques de fer et vissé avec des boulons en acier. Malgré ça, l’odeur restait perceptible dans les rues que traversait le cortège funèbre. Le père Nicanor, tendu comme un tambour, le foie gonflé, lui donna la bénédiction depuis son lit. Et même si durant les mois qui suivirent on renforça la tombe par des murs superposés entre lesquels on coula de la cendre tassée, de la sciure et de la chaux vive, des années plus tard le cimetière sentait toujours la poudre, jusqu’à ce que les ingénieurs de la compagnie bananière recouvrirent la sépulture d’une chape de béton. Dès qu’on eut extrait le cadavre, Rebecca ferma les portes de sa maison et s’enterra vivante, recouverte par une épaisse couche de dédain qu’aucune tentation terrestre ne réussit à briser.

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Odile nous propose sa traduction :

Un filet de sang passa sous la porte, traversa la pièce, sortit vers la rue, fila en ligne droite sur les trottoirs inégaux, descendit des escaliers, escalada des murets, enfila la rue des Turcs, tourna à un angle de rue sur la droite puis sur la gauche, vira à angle droit face à la maison des Buendía, passa sous la porte fermée, traversa la pièce réservée aux visites en longeant les murs pour ne pas tacher les tapis, continua sa course vers une autre pièce, contourna d'un ample virage la table de la salle à manger, avança à travers la galerie aux bégonias et passa sans être vu sous la chaise d' Amaranta qui donnait une leçon d'arithmétique à Aureliano José puis entra dans la réserve et apparut dans la cuisine où Ursula s'apprêtait à casser trente-six oeufs pour le pain.
Sainte Mère de Dieu! -cria Ursula.
Elle suivit le cours du filet de sang en sens contraire et, à la recherche de sa source, traversa la réserve, passa par la galerie aux bégonias où Aureliano José récitait que trois et trois font six et que six et trois font neuf, puis traversa la salle à manger et les autres pièces et continua tout droit dans la rue, tourna ensuite sur la droite, puis sur la gauche jusqu'à la rue des Turcs, sans penser qu'elle portait encore son tablier de cuisine et les mules d'intérieur, arriva sur la place puis franchit la porte d'une maison où elle n'avait jamais mis les pieds, poussa la porte de la chambre où elle faillit s'étouffer à cause de l'odeur de poudre brulée et trouva José Arcadio allongé, la face contre le sol, sur les cuissardes qu'il venait d'ôter et elle vit le point d'origine du filet de sang qui maintenant avait cessé de couler de son oreille droite. Ils ne trouvèrent aucune blessure sur le corps et ne purent mettre la main sur l'arme. Il ne fut pas non plus possible de faire disparaître la puissante odeur de poudre du cadavre. D'abord, ils le lavèrent trois fois avec du savon avec une éponge bien dure, ensuite ils le frottèrent avec du sel et du vinaigre, puis avec de la cendre et du citron et enfin le plongèrent dans un tonneau d'eau de Javel et l'y laissèrent reposer durant six heures. Ils le frottèrent tant et tant que les arabesques de son tatouage commençaient à se décolorer. Lorsqu'ils eurent l'idée, par recours désespéré, de l'assaisonner avec du sel, du cumin et des feuilles de laurier et de le faire bouillir un jour durant à petit feu , il avait commencé à se décomposer et ils durent l'enterrer à toute vitesse. Ils l'enfermèrent hermétiquement dans un cercueil spécial, de deux mètres et trente centimètres de long et un mètre et dix centimètres de large, renforcé à l'intérieur par des plaques de fer et vissé par des boulons d'acier, et même ainsi, on sentait l'odeur dans les rues sur le passage de l'enterrement. Le père Nicanor, le foie gonflé et tendu comme un tambour, lui donna la bénédiction depuis son lit. Au cours des mois suivants, même s'ils renforcèrent la tombe par des murs superposés entre lesquels ils mirent de la cendre compactée, de la sciure et de la chaux vive, le cimetière continua à sentir la poudre pendant des années encore jusqu'au moment où les ingénieurs de la compagnie bananière recouvrirent la sépulture d'une cuirasse de béton. Dès que le cadavre fut emmené, Rebeca ferma les portes de sa maison et s'enterra vivante, couverte d'une épaisse carapace de dédain qu'aucune tentation terrestre ne parvint à briser.

7 commentaires:

Tradabordo a dit…

Quelques remarques en vrac (et rapidement formulées) de Brigitte à Claire :

1 pièce principale ? sala = sala de estar ? On ne sait pas comment est la maison...
2 un flux continu ?
3 suivi longuement ? pour pasar de largo ?
4 se collant au mur
5 el corredor : il semble qu'en les maisons coloniales d'Amériques il s'agisse plutôt d'une galerie qui entoure le patio ce qui pourrait expliquer la présence de bégonias...
6 chantait QUE ...et QUE
7 pas de tiret devant l'exclamation de Ursula
8 babouche ...ça fait souk, non ?!
9 les polaires ??????????????? sur + sur
10 touver / trouver et TAMPOCO ?

Anonyme a dit…

Je vais essayer de justifier ma traduction mais j'avoue ne pas avoir d'explication pour tous mes choix.
1. Sala : je pense que j'ai été influencée par ma lecture du livre et je me représente la maison comme très petite avec seulement deux pièces, une principale et une chambre.
2. Un flux continu : je n'ai pas compris que "curso directo" voulait dire "tout droit" donc j'ai traduit comme j'ai pu...
3. même explication que pour le 2.
4. J'ai traduit mot à mot : "pegado"
5. tout à fait d'accord, j'y avais pas réfléchi
6. je ne vois pas le problème avec "chantait que", est-ce que c'est incorrect ?, dans ta/votre traduction tu/vous passes/ez du style indirect au style direct, je ne sais pas si c'est autorisé pour le concours
7. J'ai mis un tiret !, ca a dû sauter dans le copier-coller
8. Sans doute, mais je voulais rester au plus près du texte
9. Pas d'explication... et je n'avais pas remarqué la répétition de "sur", mais de toute façon "face contre terre" est beaucoup mieux.
10. Je n'avais pas remarqué non plus la répétition de "trouver", je ne voulais pas laisser "localiser" qui me paraissait très technique.
Quel est le problème avec tampoco ? Je l'ai traduit par "non plus"

Tradabordo a dit…

Brigitte répond à Claire :

Mes remarques ne sont surtout pas des corrections mais simplement de simples interrogations ou des problèmes à soulever. D’autre part, je ne travaille pas dans l’optique d’un concours, je n’ai donc pas les mêmes contraintes…
J’ai eu moi-même beaucoup de fil à retordre avec texte… et j’ai encore des doutes sur le choix de certains mots d’où l’intérêt d’en débattre à plusieurs…
Notre « maître» à toutes (je veux dire Caroline) tranchera et fera la part des choses, bien sûr !
1.ok
4. « pegado » veut bien dire « collé » mais avec cet emploi du mot, on imagine davantage du sang « figé » ou « coagulé » alors que si on se représente visuellement ce filet de sang, il faut donner une impression de fluidité à ce filet de sang qui circule dans tout le village. « collé » donne l’idée contraire.
9. Pour polaínas, j’imagine plutôt une sorte de caleçon qui s’arrête sous le genou et que les hommes portaient comme sous vêtements.
10. Pardon… je voulais parler du NI « Ni l’arme »
11. Espartejo = je n’ai pas de solution. J’ai opté pour le crin car c’est végétal et naturel (par rapport au décor et au contexte) mais il s’agit peut-être davantage d’une «éponge à gratter » ou même de «paille de fer »…ils frottent tellement … !
12. Le « premièrement » est gênant dans la mesure où il n’y a pas de « deuxièmement » dans l’énumération qui suit. Ne pourrait-on pas le remplacer ?
13. Un mètre de long et un mètre dix de large. Ce n’est Peut-être pas ce que l’on dit spontanément…
14. La dernière phrase du texte m’a donné du mal et je ne suis pas sûre de l’avoir comprise…J’ai lu le roman depuis trop longtemps !

Tradabordo a dit…

Chère Claire et chère Brigitte,

Je me mêle à votre fort intéressant débat d'ici quelques jours… Je prends les textes au fur et à mesure. Pour l'heure, j'en suis au 3e.
Cela ne vous empêche évidemment pas de continuer à confronter vos regards sur le texte… en ne perdant effectivement pas de vue que vos perspectives sont de fait différentes… voire contradictoires. Justement, à vous d'établir des ponts. Une chose est sûre : celasouligne une fois de plus le décalage entre ce que l'on apprend – ponctuellement – pour passer le concours et ce que la traduction littéraire exige de nous – s'agirait-il de désapprendre ce que l'on a appris pour passer le concours ? C'est une question délicate et sans doute polémique qu'il faudra que nous nous posions un jour.
Quoi qu'il en soit, ne vous inquiétez pas… je vais bientôt suivre le filet de sang du protomacho José Arcadio Buendía avec vous. Nulle doute qu'à nous trois nous résolvions si ce n'est l'énigme narrative (l'identité du meurtrier ou de la meurtrière) du moins les sérieux problèmes de traduction qu'il pose.

Anonyme a dit…

Je continue la discussion :

4. Pour "pegado" j'aime bien la proposition de Vanessa "rasant" que personnifie plus le sang que "longeant"
11. "Espartejo" je pense que "gant de crin" est une bonne solution,alors que "paille de fer" est peut-être un peu trop violent,il ne s'agit pour l'instant que de frotter le cadavre avec du savon.
12.Je suis d'accord pour le premièrement, j'ai d'ailleurs aussi traduit par "D'abord"
13. Tout à fait d'accord pour les dimensions du cercueil, on dit 2 mètres SUR un mètre
14. Pour la dernière phrase du texte je viens de remarquer que j'avais traduit "costra" et "coraza" par le même terme, j'ai du être influencée par le parallélisme entre les deux situations : on ne cesse d'enfouir le mari en vain, tandis que pour la femme une seule "couche" de dédain suffit définitivement. Mais le terme "enterrer" suffit à établir ce parallélisme, j'aurais dû choisir deux termes différents.

Anonyme a dit…

Bonjour Claire,

En ce qui concerne la traduction, moi je pensais que " estropajo" était un chiffon ou une lavette je n'avais pas pensé au détail de la matière, mais je ne pense pas que le terme en soit désigne une matière spécifique.
Le pauvre avec une paille de fer vous accélerez la décomposition... (rires)
A la fin du texte est ce que l'on n'aurait pas pu traduire couche par enveloppe?
Je ne sais pas , cette idée que je viens tout juste d'avoir je n'y avais absolument pas pense lors de la traduction.
Bon courage a tous

Anonyme a dit…

Pour Vanessa
J'ai regardé dans le dico bilingue, effectivement "estropajo" signifie lavette, mais peut aussi signifier en Amérique latine : luffa ou éponge végétale, donc je pense qu'on aurait le choix pour le concours.
Pour la dernière phrase, ça donnerait une "enveloppe de dédain" ?, ça me paraît bizarre mais j'ai pas d'autre solution à proposer...