À faire en 2h30, sans dictionnaire
(Texte donné au CAPES en 2002)
Nunca se le ocurría nada. A pesar de la atención con que escuchaba, veía o leía las noticias, y aun por mucho que exigiera silencio a su alrededor (y a Antonia, su mujer, le tenía prohibido abrir el pico y hasta removerse, durante aquellos trances reflexivos), y por mucho que se ayudara en la concentración poniendo una mirada de lontananzas limpias, como de tenor de los Alpes, y aunque oscureciera con un capirucho la jaula del loro para no oír parodiados sus gritos y comentarios, a pesar de todo aquel ceremonial, no había manera de encontrarle el cabo a alguna reflexión airosa. A veces pensaba incluso haciendo un rombo con los índices y los pulgares, pero ni por ésas. Al rato, ya estaba otra vez con la mente emplumada de sueños y leyendas. Don Julio tenía un gato capón, de lomo servicial, Don Julio que atendía por Alejandro Magno y un loro al que llamaba sin la menor sombra de mailicia, Ortega y Gasset. Porque don Julio admiraba a Ortega y Gasset en el terreno filosófico tanto como al rey macedón en el militar. « ¡ Vaya un par de elementos ! » exclamaba a veces para sí, y enseguida resoplaba abrumado ante tanta grandeza. « ¿ Te pasa algo ? », le preguntaba Antonia. Y él : « Pero ¿ es que no se puede resoplar en esta casa ? », y daba otro resoplito de contrariedad. Además de resoplar, a don Julio le gustaba el cacao humeante, que bebía a dos manos, solemne y con babero, y las grandes anécdotas históricas. La historia era para él un retablo de chafardeos memorables. Pero, sobre todo, le gustaban las arengas, y las frases redondas y los discursos capaces de suspender y hechizar a las masas. ¡ Los líderes, los caudillos, los ideólogos, los conductores de pueblos ! A veces se imaginaba que era alcalde, y se veía en el balcón del Aynutamiento, con bastón de mando y banda al pecho, saludando con uves de victoria en ambas manos a una multitud enfervorizada, pero luego volvía a la realidad y se avergonzaba más que nunca de su triste condición de tendero. ¡ Vaya destino el suyo ! Y así, fascinado por la política y la folosofía, a menudo le ordenaba a Antonia : « Atiende a la clientela que voy un momento a revisar unos papeles. » Entonces subía por una escalera de barco al altillo de la tienda, Se podeaba de facturas y muestrarios y, a hurtadillas, se engolfaba en Ortega y Gasset, intentando imbuirse (imbuir : inculquer) de su espíritu y empaparse bien de los secretos de su método.
« ¿ Cómo se le podrían ocurrir tantísimas ideas, y tan bien dichas, a este cabroncete ! », refunfuñaba, envidioso e incrédulo.
Luis Landero, Caballeros de fortuna
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La traduction que je vous propose :
Il ne lui venait jamais la plus petite idée. Malgré l’attention avec laquelle il écoutait, voyait ou lisait les nouvelles, il avait beau exiger le silence autour de lui (il avait interdit à Antonia, sa femme, d’ouvrir le bec, et y compris de bouger pendant ces moments critiques de réflexion) ; il avait beau laisser errer son regard sur des horizons limpides, tel un ténor des Alpes, pour mieux se concentrer ; il avait beau recouvrir d’un capuchon la cage du perroquet pour ne pas entendre parodier ses propres cris et commentaires… eh bien non, en dépit de tout ce cérémonial, il n’y avait pas moyen de trouver le début du fil d’une réflexion un tant soit peu brillante. Parfois même, il pensait en formant un losange avec ses index et ses pouces, mais rien à faire, rien de rien. Très vite, il se retrouvait de nouveau avec l’esprit emplumé de rêves et de légendes.
Don Julio avait un chat castré à l’échine docile, qui répondait au nom d’Alexandre le Grand et un perroquet qu’il appelait, sans la plus petite once de malice, Ortega y Gasset. Parce que don Julio admirait autant Ortega y Gasset sur le plan philosophique que le roi de Macédoine sur le plan militaire.
« Deux drôles de zèbres, ces deux-là ! » s’exclamait-il parfois pour lui-même, et immédiatement, il se mettait à soupirer, écrasé face à tant de grandeur.
« Ça va pas ? », lui demandait Antonia.
Et lui :
« Bon sang, on n’a pas le droit de soupirer dans cette maison ou quoi ? », et il poussait un nouveau petit soupir de contrariété.
Outre soupirer, don Julio aimait le chocolat fumant, qu’il buvait à deux mains, adoptant une posture solennel et équipé avec un bavoir, ainsi que les grandes anecdotes historiques. L’histoire était pour lui un un théâtre de potins mémorables. Mais ce qui lui plaisait par-dessus tout, c’était les harangues, les phrases carrées ainsi que les discours capables de captiver et d’envoûter les masses. Les leaders, les caudillos, les iédologues, les meneurs de peuples ! Parfois il imaginait qu’il était maire, et se voyait au balcon de la Mairie, avec son bâton de commandement et son écharpe lui barrant la poitrine, saluant, chacune de ses mains faisant le V de la victoire, une foule pleine de ferveur. Mais ensuite, il revenait à la réalité et était plus que jamais honteux de sa triste condition de boutiquier.
Quel destin que le sien ! Et ainsi, fasciné par la politique et la philosophie, ordonnait-il souvent à Antonia :
« Occupe-toi des clients, moi je vais vérifier deux trois papiers. »
Alors il montait par une échelle de meunier à la soupente du magasin, il s’entourait de factures et de catalogues et, en cachette, il se plongeait dans Ortega y Gasset, essayant de se pénétrer de son esprit et de bien s’imprégner des secrets de sa méthode.
« Comment ce petit saligaud s’y prenait-il pour avoir toutes idées, et si bien tournées de surcroît », ronchonnait-il, envieux et incrédule.
Il ne lui venait jamais la plus petite idée. Malgré l’attention avec laquelle il écoutait, voyait ou lisait les nouvelles, il avait beau exiger le silence autour de lui (il avait interdit à Antonia, sa femme, d’ouvrir le bec, et y compris de bouger pendant ces moments critiques de réflexion) ; il avait beau laisser errer son regard sur des horizons limpides, tel un ténor des Alpes, pour mieux se concentrer ; il avait beau recouvrir d’un capuchon la cage du perroquet pour ne pas entendre parodier ses propres cris et commentaires… eh bien non, en dépit de tout ce cérémonial, il n’y avait pas moyen de trouver le début du fil d’une réflexion un tant soit peu brillante. Parfois même, il pensait en formant un losange avec ses index et ses pouces, mais rien à faire, rien de rien. Très vite, il se retrouvait de nouveau avec l’esprit emplumé de rêves et de légendes.
Don Julio avait un chat castré à l’échine docile, qui répondait au nom d’Alexandre le Grand et un perroquet qu’il appelait, sans la plus petite once de malice, Ortega y Gasset. Parce que don Julio admirait autant Ortega y Gasset sur le plan philosophique que le roi de Macédoine sur le plan militaire.
« Deux drôles de zèbres, ces deux-là ! » s’exclamait-il parfois pour lui-même, et immédiatement, il se mettait à soupirer, écrasé face à tant de grandeur.
« Ça va pas ? », lui demandait Antonia.
Et lui :
« Bon sang, on n’a pas le droit de soupirer dans cette maison ou quoi ? », et il poussait un nouveau petit soupir de contrariété.
Outre soupirer, don Julio aimait le chocolat fumant, qu’il buvait à deux mains, adoptant une posture solennel et équipé avec un bavoir, ainsi que les grandes anecdotes historiques. L’histoire était pour lui un un théâtre de potins mémorables. Mais ce qui lui plaisait par-dessus tout, c’était les harangues, les phrases carrées ainsi que les discours capables de captiver et d’envoûter les masses. Les leaders, les caudillos, les iédologues, les meneurs de peuples ! Parfois il imaginait qu’il était maire, et se voyait au balcon de la Mairie, avec son bâton de commandement et son écharpe lui barrant la poitrine, saluant, chacune de ses mains faisant le V de la victoire, une foule pleine de ferveur. Mais ensuite, il revenait à la réalité et était plus que jamais honteux de sa triste condition de boutiquier.
Quel destin que le sien ! Et ainsi, fasciné par la politique et la philosophie, ordonnait-il souvent à Antonia :
« Occupe-toi des clients, moi je vais vérifier deux trois papiers. »
Alors il montait par une échelle de meunier à la soupente du magasin, il s’entourait de factures et de catalogues et, en cachette, il se plongeait dans Ortega y Gasset, essayant de se pénétrer de son esprit et de bien s’imprégner des secrets de sa méthode.
« Comment ce petit saligaud s’y prenait-il pour avoir toutes idées, et si bien tournées de surcroît », ronchonnait-il, envieux et incrédule.
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Ne voyant rien venir du côté des étudiants de CAPES – c'est bien dommage ! –, je publie la traduction des apprentis traducteurs
Olivier nous propose sa traduction :
Il n’avait jamais aucune idée. Malgré toute l’attention avec laquelle il écoutait, voyait ou lisait les nouvelles; malgré encore le silence qu’il exigeait autour de lui (et sa femme Antonia n’avait pas le droit d’ouvrir la bouche, ni même de bouger une oreille pendant ces moments de réflexion); malgré le regard qu’il fixait sur la ligne limpide de l’horizon et qui l’aidait à se concentrer, tel un ténor des alpes; malgré la housse qui plongeait dans l’obscurité la cage du perroquet afin de ne pas entendre ce dernier parodier ses cris et ses commentaires; malgré tout ce cérémonial, rien n’y faisait: jamais la moindre prémisse de quelque brillante réflexion. Il lui arrivait même de penser avec les pouces et les index joints en forme de losange, mais sans plus de succès. Au bout d’un moment, il avait de nouveau la tête pleine de contes et de légendes. Don Julio avait un matou castré, à l’échine accueillante, qui répondait au nom d’Alexandre le Grand et un perroquet prénommé, sans malice aucune, Ortega y Gasset. Parce que Don Julio admirait autant Ortega y Gasset comme philosophe que le roi macédonien comme militaire. « Quels phénomènes! » s’exclamait-il parfois pour lui-même, avant de pousser un soupir, se sentant bien peu de chose face à une telle grandeur. « Qu’est-ce qui t’arrive? », lui demandait Antonia. Et lui: « On n’a plus le droit de soupirer dans cette maison, ou quoi? », et un autre petit soupir d’ennui lui échappait. À part soupirer, Don Julio aimait le cacao fumant, qu’il buvait avec les deux mains, solennel et avec bavoir, et les grandes anecdotes historiques. L’histoire était pour lui un retable de faits mémorables. Mais, ce qu’il aimait par dessus tout, c’était les harangues, les phrases définitives et les discours capables de tenir en haleine et d’envoûter les masses. Les leaders, les chefs, les idéologues, les meneurs d’hommes! Il imaginait parfois qu’il était un élu, au balcon de sa mairie, avec son bâton de commandement et son écharpe lui barrant la poitrine, faisant des deux mains le v de la victoire et saluant une foule en délire. Mais il retombait ensuite sur terre, plus honteux que jamais de sa triste condition de petit commerçant. Quel destin que le sien! À tel point fasciné par la politique et la philosophie qu’il ordonnait fréquemment à Antonia: « occupe-toi des clients, je vais mettre de l’ordre dans mes papiers. » Il grimpait alors par un escalier de bateau au dessus de la boutique, oubliait factures et échantillons, et se plongeait en cachette dans Ortega y Gasset afin de s’imprégner de son esprit, de bien s’imbiber des secrets de sa méthode.
« Comment ce petit salopard pouvait-il avoir autant d’idées, et les exprimer aussi bien? », ronchonnait-il dans sa barbe, envieux et incrédule.
Laure L. nous propose sa traduction :
Il ne lui arrivait jamais rien. Malgré l’attention avec laquelle il écoutait, regardait ou lisait les nouvelles, il avait beau même exiger le silence autour de lui, (Antonia, sa femme, avait l’interdiction d’ouvrir le bec et même de bouger pendant ces transes réflectives), et il avait beau aider sa concentration en affectant un regard lointain et pénétrant, comme un ténor des Alpes, et même s’il occultait la cage du perroquet avec une housse pour ne pas entendre ses cris et ses commentaires parodiés, malgré tout ce cérémonial, il n’ avait pas moyen de trouver le moindre début à une réflexion élégante. Parfois il pensait même en faisant un losange avec ses index et ses pouces, mais rien n’y faisait. Peu après, il avait déjà l’esprit dans un coton de songes et de légendes. Don Julio avait un chat castré, au flan serviable, que Don Julio nommait Alexandre le Grand et un perroquet qu’il appelait, sans le moindre soupçon de malice, Ortega y Gasset. Parce que Don Julio admirait Ortega y Gasset sur le plan philosophique comme il admirait le roi macédonien sur le plan militaire. « Quel numéro ces deux ! » s’exclamait il parfois par devers lui, et il soupirait ensuite accablé devant tant de grandeur. « Il t’arrive quelque chose ? » lui demandait Antonia. Et lui : « mais, on ne peut donc pas soupirer dans cette maison ? » et il poussait un nouveau soupir de contrariété. Outre soupirer, Don Julio aimait le cacao fumant, qu’il buvait bol entre ses deux mains, solennel et avec un bavoir, et les grandes anecdotes historiques. L’histoire était pour lui un retable de cancaniers mémorables. Mais, il aimait surtout les harangues, les phrases arrondies et les discours capables de suspendre et d’ensorceler les masses. Les leader, les chefs, les idéologues, les conducteurs de peuples ! Parfois il imaginait qu’il était maire, et il se voyait au balcon de la mairie, avec le bâton de commandement et l’écharpe, saluant des deux mains avec des « v » de victoire une foule en effervescence, mais ensuite il revenait à la réalité et il avait plus que jamais honte de sa triste condition de petit commerçant. « A chacun son destin ! » et fasciné ainsi par la politique et la philosophie, il ordonnait souvent à Antonia : « Occupe toi des clients, je vais examiner quelques papiers. » Alors il montait par une échelle de bateau au grenier de la boutique, il se défaisait des factures et des échantillonnages, et en cachette il se plongeait dans Ortega y Gasset, en essayant de s’imprégner de son esprit et de bien s’emparer des secrets de sa méthode.
« Comment est-ce qu’il pouvait avoir autant d’idées, et si bien énoncées, ce petit saligot ! » ronchonnait il, envieux et perplexe.
Olivier nous propose sa traduction :
Il n’avait jamais aucune idée. Malgré toute l’attention avec laquelle il écoutait, voyait ou lisait les nouvelles; malgré encore le silence qu’il exigeait autour de lui (et sa femme Antonia n’avait pas le droit d’ouvrir la bouche, ni même de bouger une oreille pendant ces moments de réflexion); malgré le regard qu’il fixait sur la ligne limpide de l’horizon et qui l’aidait à se concentrer, tel un ténor des alpes; malgré la housse qui plongeait dans l’obscurité la cage du perroquet afin de ne pas entendre ce dernier parodier ses cris et ses commentaires; malgré tout ce cérémonial, rien n’y faisait: jamais la moindre prémisse de quelque brillante réflexion. Il lui arrivait même de penser avec les pouces et les index joints en forme de losange, mais sans plus de succès. Au bout d’un moment, il avait de nouveau la tête pleine de contes et de légendes. Don Julio avait un matou castré, à l’échine accueillante, qui répondait au nom d’Alexandre le Grand et un perroquet prénommé, sans malice aucune, Ortega y Gasset. Parce que Don Julio admirait autant Ortega y Gasset comme philosophe que le roi macédonien comme militaire. « Quels phénomènes! » s’exclamait-il parfois pour lui-même, avant de pousser un soupir, se sentant bien peu de chose face à une telle grandeur. « Qu’est-ce qui t’arrive? », lui demandait Antonia. Et lui: « On n’a plus le droit de soupirer dans cette maison, ou quoi? », et un autre petit soupir d’ennui lui échappait. À part soupirer, Don Julio aimait le cacao fumant, qu’il buvait avec les deux mains, solennel et avec bavoir, et les grandes anecdotes historiques. L’histoire était pour lui un retable de faits mémorables. Mais, ce qu’il aimait par dessus tout, c’était les harangues, les phrases définitives et les discours capables de tenir en haleine et d’envoûter les masses. Les leaders, les chefs, les idéologues, les meneurs d’hommes! Il imaginait parfois qu’il était un élu, au balcon de sa mairie, avec son bâton de commandement et son écharpe lui barrant la poitrine, faisant des deux mains le v de la victoire et saluant une foule en délire. Mais il retombait ensuite sur terre, plus honteux que jamais de sa triste condition de petit commerçant. Quel destin que le sien! À tel point fasciné par la politique et la philosophie qu’il ordonnait fréquemment à Antonia: « occupe-toi des clients, je vais mettre de l’ordre dans mes papiers. » Il grimpait alors par un escalier de bateau au dessus de la boutique, oubliait factures et échantillons, et se plongeait en cachette dans Ortega y Gasset afin de s’imprégner de son esprit, de bien s’imbiber des secrets de sa méthode.
« Comment ce petit salopard pouvait-il avoir autant d’idées, et les exprimer aussi bien? », ronchonnait-il dans sa barbe, envieux et incrédule.
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Laure L. nous propose sa traduction :
Il ne lui arrivait jamais rien. Malgré l’attention avec laquelle il écoutait, regardait ou lisait les nouvelles, il avait beau même exiger le silence autour de lui, (Antonia, sa femme, avait l’interdiction d’ouvrir le bec et même de bouger pendant ces transes réflectives), et il avait beau aider sa concentration en affectant un regard lointain et pénétrant, comme un ténor des Alpes, et même s’il occultait la cage du perroquet avec une housse pour ne pas entendre ses cris et ses commentaires parodiés, malgré tout ce cérémonial, il n’ avait pas moyen de trouver le moindre début à une réflexion élégante. Parfois il pensait même en faisant un losange avec ses index et ses pouces, mais rien n’y faisait. Peu après, il avait déjà l’esprit dans un coton de songes et de légendes. Don Julio avait un chat castré, au flan serviable, que Don Julio nommait Alexandre le Grand et un perroquet qu’il appelait, sans le moindre soupçon de malice, Ortega y Gasset. Parce que Don Julio admirait Ortega y Gasset sur le plan philosophique comme il admirait le roi macédonien sur le plan militaire. « Quel numéro ces deux ! » s’exclamait il parfois par devers lui, et il soupirait ensuite accablé devant tant de grandeur. « Il t’arrive quelque chose ? » lui demandait Antonia. Et lui : « mais, on ne peut donc pas soupirer dans cette maison ? » et il poussait un nouveau soupir de contrariété. Outre soupirer, Don Julio aimait le cacao fumant, qu’il buvait bol entre ses deux mains, solennel et avec un bavoir, et les grandes anecdotes historiques. L’histoire était pour lui un retable de cancaniers mémorables. Mais, il aimait surtout les harangues, les phrases arrondies et les discours capables de suspendre et d’ensorceler les masses. Les leader, les chefs, les idéologues, les conducteurs de peuples ! Parfois il imaginait qu’il était maire, et il se voyait au balcon de la mairie, avec le bâton de commandement et l’écharpe, saluant des deux mains avec des « v » de victoire une foule en effervescence, mais ensuite il revenait à la réalité et il avait plus que jamais honte de sa triste condition de petit commerçant. « A chacun son destin ! » et fasciné ainsi par la politique et la philosophie, il ordonnait souvent à Antonia : « Occupe toi des clients, je vais examiner quelques papiers. » Alors il montait par une échelle de bateau au grenier de la boutique, il se défaisait des factures et des échantillonnages, et en cachette il se plongeait dans Ortega y Gasset, en essayant de s’imprégner de son esprit et de bien s’emparer des secrets de sa méthode.
« Comment est-ce qu’il pouvait avoir autant d’idées, et si bien énoncées, ce petit saligot ! » ronchonnait il, envieux et perplexe.
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Brigitte nous propose sa traduction :
Aucune idée ne lui venait jamais à l’esprit. Malgré l’attention avec laquelle il écoutait, regardait ou lisait les nouvelles, et même s’il avait beau exiger le silence autour de lui (et à Antonia, sa femme, il interdisait d’ouvrir le bec et même de remuer, pendant ses transes méditatives), et il avait beau s’aider à la concentration en adoptant un regard scrutateur d’horizons immaculés à la manière d’un ténor alpin, et bien qu’il recouvre d’une capuche la cage du perroquet pour ne pas entendre de parodie de ses cris et commentaires, en dépit de tout ce cérémoniel, pas moyen de trouver l’ébauche d’une quelconque réflexion intelligente. Parfois il cogitait même en joignant ses pouces et ses index pour former un losange. Mais même avec ça. Aussitôt, il avait déjà l’esprit empanaché de rêves et de légendes. Don Julio avait un chat castré, au flanc généreux qui répondait au nom d’Alexandre le Grand et un perroquet qu’il appelait Ortega y Gasset sans le moindre soupçon de malice.* Car autant don Julio admirait Ortega y Gasset sur le plan philosophique, autant il admirait le roi macédonien sur le plan militaire.
- Voilà qui est excellent ! – s’exclamait-il pour lui-même et aussitôt il poussait un soupir, abasourdi par autant de grandeur. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? » -, lui demandait Antonia. Et lui : « Mais, on n’a même pas le droit de soupirer dans cette maison ? » Et il poussait un autre petit soupir de contrariété. En plus de pousser des soupirs, Don Julio aimait aussi boire le chocolat bien fumant, qu’il prenait dans un bol tenu à pleines mains, solennellement, avec serviette autour du cou, et aussi les grandes anecdotes historiques. L’histoire était pour lui une mosaïque d’évènements** mémorables. Mais surtout, il aimait les harangues, et les phrases bien faites et les discours capables de tenir en haleine et d’ensorceler les masses. Les leaders, les caudillos, les idéologues, les meneurs de peuples Parfois il s’imaginait maire, et il se voyait au balcon de l’Hôtel de Ville, avec bâton de commandement et écharpe sur la poitrine, saluant du V de la victoire une foule pleine de ferveur, mais ensuite, il revenait à la réalité et avait plus honte que jamais de sa minable condition de petit commerçant. Tu parles d’une destinée ! Et ainsi donc, fasciné par la politique et la philosophie, il ordonnait souvent à Antonia : « Occupe-toi des clients, je vais vérifier quelques papiers». Alors, il montait par une échelle de bateau au grenier de la boutique, il s’emparait***de factures et d’échantillons et, en douce/ en catimini, il se plongeait dans Ortegat y Gasset, en essayant de s’inculquer ce même esprit et de bien s’imprégner des secrets de sa méthode.
- Mais comment diable pouvait-il lui venir autant d’idées, et aussi bien dites, à ce petit salopard ! », ronchonnait-il, envieux et incrédule.
* Cette phrase est-elle bien retranscrite ? Je ne comprends pas la répétition du Don Julio au milieu de la phrase ? C’est bien son chat qui se nomme Alexandre le Grand… ?
** le mot chafardeo n’existe pas dans le DRAE
*** le verbe podear n’est pas dans le DRAE non plus
Aucune idée ne lui venait jamais à l’esprit. Malgré l’attention avec laquelle il écoutait, regardait ou lisait les nouvelles, et même s’il avait beau exiger le silence autour de lui (et à Antonia, sa femme, il interdisait d’ouvrir le bec et même de remuer, pendant ses transes méditatives), et il avait beau s’aider à la concentration en adoptant un regard scrutateur d’horizons immaculés à la manière d’un ténor alpin, et bien qu’il recouvre d’une capuche la cage du perroquet pour ne pas entendre de parodie de ses cris et commentaires, en dépit de tout ce cérémoniel, pas moyen de trouver l’ébauche d’une quelconque réflexion intelligente. Parfois il cogitait même en joignant ses pouces et ses index pour former un losange. Mais même avec ça. Aussitôt, il avait déjà l’esprit empanaché de rêves et de légendes. Don Julio avait un chat castré, au flanc généreux qui répondait au nom d’Alexandre le Grand et un perroquet qu’il appelait Ortega y Gasset sans le moindre soupçon de malice.* Car autant don Julio admirait Ortega y Gasset sur le plan philosophique, autant il admirait le roi macédonien sur le plan militaire.
- Voilà qui est excellent ! – s’exclamait-il pour lui-même et aussitôt il poussait un soupir, abasourdi par autant de grandeur. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? » -, lui demandait Antonia. Et lui : « Mais, on n’a même pas le droit de soupirer dans cette maison ? » Et il poussait un autre petit soupir de contrariété. En plus de pousser des soupirs, Don Julio aimait aussi boire le chocolat bien fumant, qu’il prenait dans un bol tenu à pleines mains, solennellement, avec serviette autour du cou, et aussi les grandes anecdotes historiques. L’histoire était pour lui une mosaïque d’évènements** mémorables. Mais surtout, il aimait les harangues, et les phrases bien faites et les discours capables de tenir en haleine et d’ensorceler les masses. Les leaders, les caudillos, les idéologues, les meneurs de peuples Parfois il s’imaginait maire, et il se voyait au balcon de l’Hôtel de Ville, avec bâton de commandement et écharpe sur la poitrine, saluant du V de la victoire une foule pleine de ferveur, mais ensuite, il revenait à la réalité et avait plus honte que jamais de sa minable condition de petit commerçant. Tu parles d’une destinée ! Et ainsi donc, fasciné par la politique et la philosophie, il ordonnait souvent à Antonia : « Occupe-toi des clients, je vais vérifier quelques papiers». Alors, il montait par une échelle de bateau au grenier de la boutique, il s’emparait***de factures et d’échantillons et, en douce/ en catimini, il se plongeait dans Ortegat y Gasset, en essayant de s’inculquer ce même esprit et de bien s’imprégner des secrets de sa méthode.
- Mais comment diable pouvait-il lui venir autant d’idées, et aussi bien dites, à ce petit salopard ! », ronchonnait-il, envieux et incrédule.
* Cette phrase est-elle bien retranscrite ? Je ne comprends pas la répétition du Don Julio au milieu de la phrase ? C’est bien son chat qui se nomme Alexandre le Grand… ?
** le mot chafardeo n’existe pas dans le DRAE
*** le verbe podear n’est pas dans le DRAE non plus
***
Odile nous propose sa traduction :
Jamais il ne lui venait une idée. Malgré l'attention avec laquelle il écoutait, voyait ou lisait les nouvelles, malgré le silence qu'il exigeait silence autour de lui ( il interdisait à Antonia, sa femme, d'ouvrir la bouche et même de bouger pendant ces crises de réflexion) et il avait beau essayer de se concentrer en posant son regard sur le lointain, par exemple sur les Alpes, et bien qu'il recouvrit d' une toile la cage du perroquet pour ne par entendre la parodie de ses cris et de ses commentaires, malgré tout ce rituel, il n'y avait pas moyen de trouver la moindre amorce de quelque brillante pensée . Parfois, il formait un losange avec les index et les pouces mais, rien à faire, aucune idée ne lui venait. L'instant d'après, il avait de nouveau l'esprit envahi de songes et de légendes. Don Julio avait un chat castré, aimant les caresses, qui répondait au nom d'Alexandre le Grand et un perroquet qu'il appelait, sans le moindre soupçon de malice, Ortega y Gasset. Car don Julio admirait Ortega y Gasset dans le domaine philosophique tout autant que le roi macédonien sur le terrain militaire. « Quelle paire de phénomènes » s'exclamait-il parfois pour lui-même, et aussitôt il soupirait, assombri par tant de grandeur. « Que t'arrive-t-il », lui demandait Antonia. Et lui : « Mais enfin, est-ce-que l'on ne peut pas soupirer dans cette maison? », et il émettait un autre petit soupir de contrariété. Outre qu'il aimait soupirer, Don Julio aimait le cacao fumant qu'il buvait à deux mains, avec solemnité, un bavoir autour du cou, et les grandes anecdoctes historiques. Pour lui, L'histoire était un théâtre de potins mémorables. Mais il aimait par-dessus tout les harangues,les phrases bien senties et des discours capables de tenir en haleine et d'envoûter les masses. Les leaders, les caudillos, les idéologues, les meneurs de peuples! Parfois, il s'imaginait tel un maire et se voyait au balcon de l'Hôtel de ville, avec bâton de commandement, écharpe sur la poitrine, saluant des deux mains, avec le V de la victoire, une foule fervente, mais il revenait ensuite à la réalité et plus que jamais avait honte de sa triste condition de boutiquier. Quel destin que le sien! C'est pourquoi, fasciné par la politique et la philosophie, il ordonnait souvent à Antonia : « Occupe-toi de la clientèle car je vais regarder quelques papiers. » Il montait alors par une passerelle vers la soupente du magasin, s'entourait de factures et d'échantillons et, en cachette, se plongeait dans Ortega y Gasset, essayant de s'inculquer sa pensée et de bien s'imbiber des secrets de sa méthode.
« Comment pouvait-il avoir autant d'idées, et si bien exprimées, ce salopard! » grommelait-il, jaloux et incrédule.
Jamais il ne lui venait une idée. Malgré l'attention avec laquelle il écoutait, voyait ou lisait les nouvelles, malgré le silence qu'il exigeait silence autour de lui ( il interdisait à Antonia, sa femme, d'ouvrir la bouche et même de bouger pendant ces crises de réflexion) et il avait beau essayer de se concentrer en posant son regard sur le lointain, par exemple sur les Alpes, et bien qu'il recouvrit d' une toile la cage du perroquet pour ne par entendre la parodie de ses cris et de ses commentaires, malgré tout ce rituel, il n'y avait pas moyen de trouver la moindre amorce de quelque brillante pensée . Parfois, il formait un losange avec les index et les pouces mais, rien à faire, aucune idée ne lui venait. L'instant d'après, il avait de nouveau l'esprit envahi de songes et de légendes. Don Julio avait un chat castré, aimant les caresses, qui répondait au nom d'Alexandre le Grand et un perroquet qu'il appelait, sans le moindre soupçon de malice, Ortega y Gasset. Car don Julio admirait Ortega y Gasset dans le domaine philosophique tout autant que le roi macédonien sur le terrain militaire. « Quelle paire de phénomènes » s'exclamait-il parfois pour lui-même, et aussitôt il soupirait, assombri par tant de grandeur. « Que t'arrive-t-il », lui demandait Antonia. Et lui : « Mais enfin, est-ce-que l'on ne peut pas soupirer dans cette maison? », et il émettait un autre petit soupir de contrariété. Outre qu'il aimait soupirer, Don Julio aimait le cacao fumant qu'il buvait à deux mains, avec solemnité, un bavoir autour du cou, et les grandes anecdoctes historiques. Pour lui, L'histoire était un théâtre de potins mémorables. Mais il aimait par-dessus tout les harangues,les phrases bien senties et des discours capables de tenir en haleine et d'envoûter les masses. Les leaders, les caudillos, les idéologues, les meneurs de peuples! Parfois, il s'imaginait tel un maire et se voyait au balcon de l'Hôtel de ville, avec bâton de commandement, écharpe sur la poitrine, saluant des deux mains, avec le V de la victoire, une foule fervente, mais il revenait ensuite à la réalité et plus que jamais avait honte de sa triste condition de boutiquier. Quel destin que le sien! C'est pourquoi, fasciné par la politique et la philosophie, il ordonnait souvent à Antonia : « Occupe-toi de la clientèle car je vais regarder quelques papiers. » Il montait alors par une passerelle vers la soupente du magasin, s'entourait de factures et d'échantillons et, en cachette, se plongeait dans Ortega y Gasset, essayant de s'inculquer sa pensée et de bien s'imbiber des secrets de sa méthode.
« Comment pouvait-il avoir autant d'idées, et si bien exprimées, ce salopard! » grommelait-il, jaloux et incrédule.
2 commentaires:
Une coquilles ou deux se sont paraît-il glissées dans le texte… mais je ne pense pas que cela entravera le compréhension.
Je trouve la traduction de "lontananza limpias" d'Olivier vraiment enthousiasmante. J'étais frustrée par ma propre traduction et je trouve qu'Olivier a rendu le texte plus lisible tout en gardant les sons de la VO.Bravo!
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