Tentant une petite expérience, j'ai tapé ces quelques mots dans la barre de recherche de Google : "Je pense que le traducteur"… Et j'ai eu (à côté de nombreuses félicitations de lecteurs enthousiastes et même admiratifs) des dizaines de pages de critiques, de règlements de comptes, parfois très violents ; celui-là, « il mériterait de se faire… », « il n'a rien compris… », « il est complètement à côté de la plaque… ». Il va de soi que les critiques sont parfois fondées ; combien de « mauvaises » traductions a-t-on lues nous-mêmes au cours de notre vie de lecteur de littérature étrangère ? De ce point de vue, nous devenons d'ailleurs très pontilleux quand on traduit… ou alors plus tolérant, justement… Et il arrive aussi – ne l'oublions pas – que l'on perde un partie de son objectivité, simplement parce qu'on est un peu jaloux qu'un autre ait travaillé sur un texte qu'on aurait soi-même tant aimé traduire. Gardons à l'esprit que ça n'est pas raisonnable. Allons ! Que ces critiques soient ou non fondées, et quelle que soit leur brutalité ou les insultes qui les accompagnent, le traducteur ne peut pas s'enfermer dans sa tour d'ivoire en refusant de rien entendre sur sa façon de procéder… et en ne se remettant jamais en question. Il arrive effectivement qu'il se soit trompé, qu'il ait légèrement ou franchement bâclé et laissé passer des erreurs, plus ou moins graves, ou éventuellement qu'il n'ait pas senti la mécanique intérieure de l'œuvre qui lui était confiée. Il peut avoir lui aussi sa part de responsabilité dans un échec. C'est évident, mais… Certains textes exigent beaucoup du petit artisan-traducteur qui se penche sur eux et nous ne sommes pas toujours en mesure ou même d'humeur à le leur donner. Comme elle a été difficile, par exemple, cette magnifique et imposante "Reja" cubaine ! Aurons-nous su entendre toutes ses voix, tous ses sons, tous ses grincements, tous ses claquements, tous ses soupirs… ? Il n'en reste pas moins qu'à cause de tout cela, il n'est pas toujours aisé de livrer sa traduction au public, de lui rendre sa liberté en quelque sorte, d'accepter qu'elle aille de par le monde un peu avec vous certes, mais irrémédiablement indépendante. Eh oui, parce que vous l'avez couvée, peaufinée, parfois aimée… pendant des semaines, voire des mois et d'un seul coup, la voilà partie auprès des étrangers (doublement étrangers, en l'occurrence) sans protection (même pas quelques lignes que vous voudriez ajouter à la fin pour expliquer vos choix, en légitimer d'autres). Vont-ils savoir l'accueillir comme elle le mérite ? Verront-ils combien elle s'est faite belle pour eux ? Il faudra vous habituer, chers apprentis traducteurs, à toutes ces questions, comme autant de petites tortures. C'est le prix à payer pour ces longues et délicieuses heures en tête à tête avec le texte. Vous concernant, le jour viendra, pas si lointain que cela, où il faudra mettre le point final à votre traduction longue… l'imprimer (votre cœur battra fort, vous verrez), la déposer au secrétariat, attendre, et ensuite de venir la défendre devant un petit jury d'enseignants. Puis, peut-être répéterez-vous l'expérience avec un éditeur… qui, espérons-le, lui trouvera toutes les qualités. Alors vous laisserez derrière vous la chrysalide de l'apprenti et vous serez pleinement et définitivement un traducteur.
Plateforme communautaire et participative de traduction espagnol / français ; français / espagnol – Université Paris Nanterre
vendredi 5 décembre 2008
Petit traducteur…
En photo : merci à Idefix 45
Tentant une petite expérience, j'ai tapé ces quelques mots dans la barre de recherche de Google : "Je pense que le traducteur"… Et j'ai eu (à côté de nombreuses félicitations de lecteurs enthousiastes et même admiratifs) des dizaines de pages de critiques, de règlements de comptes, parfois très violents ; celui-là, « il mériterait de se faire… », « il n'a rien compris… », « il est complètement à côté de la plaque… ». Il va de soi que les critiques sont parfois fondées ; combien de « mauvaises » traductions a-t-on lues nous-mêmes au cours de notre vie de lecteur de littérature étrangère ? De ce point de vue, nous devenons d'ailleurs très pontilleux quand on traduit… ou alors plus tolérant, justement… Et il arrive aussi – ne l'oublions pas – que l'on perde un partie de son objectivité, simplement parce qu'on est un peu jaloux qu'un autre ait travaillé sur un texte qu'on aurait soi-même tant aimé traduire. Gardons à l'esprit que ça n'est pas raisonnable. Allons ! Que ces critiques soient ou non fondées, et quelle que soit leur brutalité ou les insultes qui les accompagnent, le traducteur ne peut pas s'enfermer dans sa tour d'ivoire en refusant de rien entendre sur sa façon de procéder… et en ne se remettant jamais en question. Il arrive effectivement qu'il se soit trompé, qu'il ait légèrement ou franchement bâclé et laissé passer des erreurs, plus ou moins graves, ou éventuellement qu'il n'ait pas senti la mécanique intérieure de l'œuvre qui lui était confiée. Il peut avoir lui aussi sa part de responsabilité dans un échec. C'est évident, mais… Certains textes exigent beaucoup du petit artisan-traducteur qui se penche sur eux et nous ne sommes pas toujours en mesure ou même d'humeur à le leur donner. Comme elle a été difficile, par exemple, cette magnifique et imposante "Reja" cubaine ! Aurons-nous su entendre toutes ses voix, tous ses sons, tous ses grincements, tous ses claquements, tous ses soupirs… ? Il n'en reste pas moins qu'à cause de tout cela, il n'est pas toujours aisé de livrer sa traduction au public, de lui rendre sa liberté en quelque sorte, d'accepter qu'elle aille de par le monde un peu avec vous certes, mais irrémédiablement indépendante. Eh oui, parce que vous l'avez couvée, peaufinée, parfois aimée… pendant des semaines, voire des mois et d'un seul coup, la voilà partie auprès des étrangers (doublement étrangers, en l'occurrence) sans protection (même pas quelques lignes que vous voudriez ajouter à la fin pour expliquer vos choix, en légitimer d'autres). Vont-ils savoir l'accueillir comme elle le mérite ? Verront-ils combien elle s'est faite belle pour eux ? Il faudra vous habituer, chers apprentis traducteurs, à toutes ces questions, comme autant de petites tortures. C'est le prix à payer pour ces longues et délicieuses heures en tête à tête avec le texte. Vous concernant, le jour viendra, pas si lointain que cela, où il faudra mettre le point final à votre traduction longue… l'imprimer (votre cœur battra fort, vous verrez), la déposer au secrétariat, attendre, et ensuite de venir la défendre devant un petit jury d'enseignants. Puis, peut-être répéterez-vous l'expérience avec un éditeur… qui, espérons-le, lui trouvera toutes les qualités. Alors vous laisserez derrière vous la chrysalide de l'apprenti et vous serez pleinement et définitivement un traducteur.
Tentant une petite expérience, j'ai tapé ces quelques mots dans la barre de recherche de Google : "Je pense que le traducteur"… Et j'ai eu (à côté de nombreuses félicitations de lecteurs enthousiastes et même admiratifs) des dizaines de pages de critiques, de règlements de comptes, parfois très violents ; celui-là, « il mériterait de se faire… », « il n'a rien compris… », « il est complètement à côté de la plaque… ». Il va de soi que les critiques sont parfois fondées ; combien de « mauvaises » traductions a-t-on lues nous-mêmes au cours de notre vie de lecteur de littérature étrangère ? De ce point de vue, nous devenons d'ailleurs très pontilleux quand on traduit… ou alors plus tolérant, justement… Et il arrive aussi – ne l'oublions pas – que l'on perde un partie de son objectivité, simplement parce qu'on est un peu jaloux qu'un autre ait travaillé sur un texte qu'on aurait soi-même tant aimé traduire. Gardons à l'esprit que ça n'est pas raisonnable. Allons ! Que ces critiques soient ou non fondées, et quelle que soit leur brutalité ou les insultes qui les accompagnent, le traducteur ne peut pas s'enfermer dans sa tour d'ivoire en refusant de rien entendre sur sa façon de procéder… et en ne se remettant jamais en question. Il arrive effectivement qu'il se soit trompé, qu'il ait légèrement ou franchement bâclé et laissé passer des erreurs, plus ou moins graves, ou éventuellement qu'il n'ait pas senti la mécanique intérieure de l'œuvre qui lui était confiée. Il peut avoir lui aussi sa part de responsabilité dans un échec. C'est évident, mais… Certains textes exigent beaucoup du petit artisan-traducteur qui se penche sur eux et nous ne sommes pas toujours en mesure ou même d'humeur à le leur donner. Comme elle a été difficile, par exemple, cette magnifique et imposante "Reja" cubaine ! Aurons-nous su entendre toutes ses voix, tous ses sons, tous ses grincements, tous ses claquements, tous ses soupirs… ? Il n'en reste pas moins qu'à cause de tout cela, il n'est pas toujours aisé de livrer sa traduction au public, de lui rendre sa liberté en quelque sorte, d'accepter qu'elle aille de par le monde un peu avec vous certes, mais irrémédiablement indépendante. Eh oui, parce que vous l'avez couvée, peaufinée, parfois aimée… pendant des semaines, voire des mois et d'un seul coup, la voilà partie auprès des étrangers (doublement étrangers, en l'occurrence) sans protection (même pas quelques lignes que vous voudriez ajouter à la fin pour expliquer vos choix, en légitimer d'autres). Vont-ils savoir l'accueillir comme elle le mérite ? Verront-ils combien elle s'est faite belle pour eux ? Il faudra vous habituer, chers apprentis traducteurs, à toutes ces questions, comme autant de petites tortures. C'est le prix à payer pour ces longues et délicieuses heures en tête à tête avec le texte. Vous concernant, le jour viendra, pas si lointain que cela, où il faudra mettre le point final à votre traduction longue… l'imprimer (votre cœur battra fort, vous verrez), la déposer au secrétariat, attendre, et ensuite de venir la défendre devant un petit jury d'enseignants. Puis, peut-être répéterez-vous l'expérience avec un éditeur… qui, espérons-le, lui trouvera toutes les qualités. Alors vous laisserez derrière vous la chrysalide de l'apprenti et vous serez pleinement et définitivement un traducteur.
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