vendredi 5 décembre 2008

Un billet de Nathalie sur une traductrice du Nouveau Monde

En photo : La Malinche, par Lourdes Place


La MALINCHE
(1496-1531?)

Parce que j’ai récemment été amenée à replonger dans l’histoire des Mayas et des Aztèques, Caroline m’a suggéré de parler de la Malinche, la compagne indienne du conquistador Hernán CORTES, considérée comme la première interprète du continent américain. Je n’en ferai pas l’emblème de notre promotion, compte tenu des valeurs négatives que véhiculent encore son nom, mais je trouve que son histoire - et surtout, sa postérité - sont riches d’enseignement.

Origine du nom : Malinalli ou Malintzin (le suffixe –tzin indiquant la noblesse), nom aztèque de la future Marina, déformé en Malinche par les Espagnols.

Histoire : à la mort de son père, membre de la noblesse aztèque, sa mère se remarie et la vend à des marchands de passage ; Malintzin, qui n’est qu’une enfant, perd son statut de princesse et devient esclave dans une tribu maya du nord du Mexique.

La rencontre : elle a lieu à Tabasco, en mars 1519 ; Hernán CORTÉS reçoit des mains de cette même tribu maya quelques cadeaux de bienvenue : des objets d’or, des étoffes et 20 femmes, parmi lesquelles Malintzin. Aussitôt baptisées, elles sont offertes aux capitaines espagnols qui accompagnent le Conquistador : Malintzin, devenue Marina, échoit à Alonso HERNÁNDEZ PUERTOCARRERO, ami et confident de CORTÉS.

Comme le souligne Bernal DÍAZ del CASTILLO, soldat et chroniqueur espagnol, Marina est tout de suite appelée doña Marina, car elle « était bien réellement une grande dame, fille de grands caciques ayant possédé des vassaux, et certes, on s’en apercevait bien à sa belle prestance » (Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, XXXVI, Paris, 1987).

Celle qui traduit : quelques semaines plus tôt, sur l’île de Cozumel au nord-est de la péninsule du Yucatán, CORTÉS a recueilli un religieux, Jerónimo de AGUILAR, prisonnier des Mayas depuis plus de 8 ans ; il en fait son interprète (maya-castillan) auprès des populations indigènes. Mais en avançant vers l’ouest, l’expédition espagnole abandonne le territoire maya et pénètre sur les terres de l’empereur aztèque, MOCTEZUMA ; or AGUILAR ne parle pas le nahuatl, la langue des Aztèques ; mais, doña Marina, si. Tandis qu’elle traduit le nahuatl en maya, AGUILAR assure le passage du maya au castillan ; puis, lorsqu’elle connaît suffisamment bien le castillan, elle devient « l’interprète officielle » de CORTÉS qui, dans une lettre adressée à Charles QUINT (1526), l’appelle « mi lengua ». Et DÍAZ del CASTILLO de surenchérir : « [CORTÉS] ne pouvait traiter sans elle aucune affaire avec les Indiens » (CX), soulignant, par là, le rôle majeur de doña Marina-la Malinche, intermédiaire privilégié entre son peuple et les nouveaux venus.
La Malinche suivait CORTÉS dans tous ses déplacements ; tant et si bien que les Indiens finirent par désigner le Conquistador par son nom à elle (DÍAZ del CASTILLO, LXXIV) : l’interprète se fait porte-parole voire héraut (« faraute », Francisco LÓPEZ de GOMARA, Historia de la conquista de México, Porrúa, México, 1988, p.41) ; elle est entièrement au service de l’émetteur dont elle doit restituer le message le plus fidèlement possible, comme s’il parlait de sa propre bouche.

Celle qui trahit : si CORTÉS l’a choisie comme interprète, ce n’est pas uniquement pour ses qualités (on la disait vive, alerte, intelligente et… très jolie) ; il pense que son origine noble va lui attirer le respect des peuples indiens et une certaine légitimité. Quant à la Malinche, femme et esclave, elle s’attache d’autant plus au Conquistador que sa nouvelle position lui permet de retrouver honneur et autorité après des années d’humiliation. Car, désormais, elle sert fidèlement les Espagnols et n’hésite pas à trahir les siens, notamment, en révélant à CORTÉS que MOCTEZUMA a prévu de tendre une embuscade aux étrangers, à Cholula, qui se trouve à quelques kilomètres au sud de la capitale, Tenochtitlán. Grâce à cette trahison et à la victoire espagnole, la route vers la capitale de l’empire aztèque est ouverte, ce qui fera dire à CORTÉS, des années plus tard : « après Dieu […], nous devons cette conquête de la Nouvelle-Espagne à doña Marina » (« Following CORTÉS » in National Geographic Magazine, J. L. WILKERSON, vol.166, Washington, octobre 1984).

Postérité : figure emblématique des auxiliaires indigènes qui ont participé à la conquête espagnole, la Malinche apparaît d’abord comme une femme au destin exceptionnel. Si elle a su tirer profit de son don des langues pour servir de médiatrice entre deux cultures, elle est souvent considérée comme une traîtresse (même s’il est difficile de « poser » une identité aztèque dans un empire constitué de peuples divers, soumis par les armes et toujours prêts à se rebeller). Son nom a d’ailleurs donné naissance à un substantif : « el malinchismo », « actitud de quien muestra apego a lo extranjero con menosprecio de lo propio » (Real Academia Española).
La Malinche représente, dans l’imaginaire mexicain, un être duel : elle est, à la fois, la Mère (celle qui a donné naissance au premier Mexicain, Martín, le fils qu’elle a eu de CORTÉS) et « la Chingada », la femme violée ; une manipulatrice et une victime (on la surnomme « la Llorona » parce qu’elle a perdu tous ses enfants)…

En ce sens, le portrait réalisé par Rosario MARQUARDT et Roberto BEHAR (1992) illustre parfaitement cette dualité (tapez « Malinche » dans Google Images ; le portrait se trouve sur la 1° page qui s’affiche : c’est le dernier sur la 3° ligne). Vous remarquerez également le petit animal que la Malinche tient dans ses mains : c’est un caméléon, symbole de la principale qualité du traducteur : l’adaptabilité à son environnement textuel. Je vous renvoie, à ce propos, au billet publié sur le blog le vendredi 28 novembre.

2 commentaires:

Tradabordo a dit…

Merci à Nathalie pour ce mini-exposé riche et bien mené. Ça donne envie de se pencher sur d'autres figures de la Découverte et ensuite de la Conquête liées, de près ou de loin, à la traduction…, non ?
Une question à Nathalie : peux-tu, s'il te plaît, nous rappeler l'enjeu que représentait la traduction au moment de la lecture du fameux Requerimiento ?

Tradabordo a dit…

Brigitte, qui ne parvient pas à laisser des commentaires sur le blog, m'a fait parvenir celui-ci par mail, que je retranscris :

Quel style cette Nathalie !!!
Très bien son petit billet sur la Malinche !