vendredi 30 janvier 2009

La version de l'agrégation interne

En photo : Carmen Martin Gaite par Cazafantasmas

Comme vous le savez sans doute, l'agrégation interne avait lieu hier et aujourd'hui. Voici le sujet qui est tombé en version cet après-midi (il était déjà passé par le CAPES il y a de cela quelques années…). Je remercie Elisabeth de me l'avoir envoyé presque à la sortie de l'épreuve. Cela prouve une fois de plus que notre petit réseau d'amis de la traduction ne cesse de s'élargir. Je ne peux que m'en réjouir.
Ce texte-là n'était pas au programme des versions d'entraînement pré-CAPES… mais si le cœur vous en dit… n'hésitez pas.

• Ella era muy suya, ¿ que por qué lo digo ?, pues mira, Sole, por todo, desde cómo entraba a los sitios mirando al vacío a cómo rechazaba las invitaciones sin dar las gracias siquiera, que ya acabó por no invitarla nadie a ningún sitio, fíjate, lo hacíamos sobre todo por Olimpia, que la ponía por los cuernos de la luna, con ella sí se juntaba pero amigas intimas tampoco, no era de hacerle confidencias a nadie, un ser Superior, eso es lo qie se creía, total porque tenía cuatro idiomas…
• Cuatro, guapa, cuatro idiomas, y todo a base de becas y de hinchar los codos un mes detrás de otro en aquel chiscón con ventanucos de reja que parecía una carcel, mientras la madré le daba sin tregua a la máquina de coser, yo le veo mucho mérito a estudiar con ese ruido y nunca quejarse.
• ¿Quejarse ? Todo lo contrario. Si es lo que te digo, que se las daba de princesa, ¡unas ínfulas !...
• Y fuerza de voluntad también, como la madré, ¿o no llegó la señora Ramona a vestir a mucha gente principal y a entrar en las mejoras casas, viniendo como venía de un pueblo, sin marido y con la niña chica, que no las conocía nadie ? Las dos lo mismo, pumba, catapumba, plas, hasta que se situaron.
• Porque eran tacañisímas, y no iban más que a lo suyo, a ahorrar para lagarse, y la madré más despegada todavía, lista, eso sí, como un rayo, no daba puntada sin hilo…
• Yo eso en una modista, si quieres que te diga la verdad, lo veo bien. Podían aprender las boutiques de ahora, que todas las costuras se deshilachan y no hay botón que se sujette firme ni dos días. Además, no sé vosotras, pero yo de coser me he aburrido, ni un jaretón soy capza de sacar ni de poner una cremallera…
• Es que poner cremalleras es dificilísimo, hija.
• Pues por eso, tengo toda la ropa hecha un desastre, ya hasta la arrugo y la pisoteo en el suelo Cuando me entra la histeria, por eso, porque no tienes quien te ayude, a nuestras hijas no les hemos enseñado y las asistentas para qué te cuento, la que no está haciendo el bachillerato a distancia es porque se ha matriculado en una academia de inglés.
• ¿Y qué pasa ? Son otros tiempos. Yo veo logico que la gente quiera medrar Amparo y su madré se adelantaron a su tiempo. Eso es lo que nos escuece. Bueno, a mí no. Yo casi no las conocía, de oíros a vosotras.

Carmen Martín Gaite, Irse de casa, 1998

***

La traduction « officielle », par Claude Bleton, Claquer la porte, pour Flammarion, 2000, pp.41-42 :

- Elle avait son caractère ! Et d’où je sors cette nouveauté ? Mais voyons, Sole, de partout, de sa façon d’entrer quelque part en regardant dans le vide jusqu’à sa façon de repousser les invités sans même un merci, au bout du compte plus personne ne l’invitait, tu comprends, nous le faisions surtout pour Olimpia, qui la portait aux nues, elle acceptait de l’accompagner, mais elles n’étaient pas non plus de grandes amies, pas le genre à s’épancher, un être supérieur, c’est ce que l’on croyait, tout cela parce qu’elle possédait des langues…

- Quatre, ma belle, quatre langues, à force de bourses, en se prenant la tête entre les mains, mois après mois, dans ce réduit aux lucarnes grillagées qui avait tout d’une prison, tandis que la mère s’escrimait sans relâche sur la machine à coudre, je trouve qu’elle a beaucoup de mérite d’avoir étudié dans ce bruit sans jamais se plaindre.

- Se plaindre , Au contraire. C’est justement ce que je te disais, elle jouait les princesses, et d’une prétention… !

- Mais quelle volonté ! Tout le portrait de sa mère… Madame Ramona n’a-t-elle pas fini par habiller beaucoup de gens bien placés et par entrer dans les meilleures maisons, alors qu’elle venait d’un village, sans mari, avec sa fille toute petite et que personne ne les connaissait ? Toutes les deux sur le même moule, bing, bang, paf ! pour gagner une place au soleil.

- Il faut dire qu’elles étaient incroyablement avares, et qu’elles ne s’occupaient que de leurs affaires : économiser pour partir. La mère était encore plus désagréable, une futée, ça oui, elle avait pigé au quart de tour, elle ne plaignait pas le fil, mais il fallait y mettre le prix…

- Ça, franchement, pour une modiste, je trouve que c’est plutôt une qualité. Les boutiques de mode pourraient en prendre de la graine, car toutes les coutures lâchent et il n’y a pas un bouton qui tienne plus de deux jours. De plus, vous, je ne sais pas, mais moi j’en ai assez de coudre, je ne suis même plus fichue de faire un ourlet ou de poser une fermeture éclair…

- Mais c’est très difficile de poser une fermeture éclair, ma chère.

- Justement, voilà pourquoi mes vêtements sont dans un état catastrophique, quand je pique une crise, je vais jusqu’à les chiffonner et à les piétiner, tout simplement parce qu’il n’y a personne pour m’aider : nous n’avons rien appris à nos filles, quant aux bonnes n’en parlons pas, ou bien elles préparent le bac par correspondance, ou bien elles s’inscrivent à des cours d’anglais.

- Et alors ? Les temps ont changé. Je trouve logique que les gens veuillent élever leur niveau. Amparo et sa mère ont gravi les échelons à leur rythme. C’est ce qui nous ronge. Enfin, pas moi. Moi je les connaissais à peine, mais c’est à force de vous entendre.


***

La traduction du jury du CAPES externe (figurant dans le rapport de l'année où le texte est tombé à ce concours) :

– Elle avait une manière d'être bien à elle, pourquoi je dis ça, eh bien écoute, Sole, pour tout, depuis sa façon d'entrer quelque part les yeux dans le vide jusqu'à sa manière de refuser les invitations sans même dire merci, à tel point que personne finalement ne l'a plus invitée nulle part, tu imagines, on le faisait surtout pour Olimpia, qui la portait aux nues, elles se voyaient, ça oui, mais elles n'étaient pas non plus des amies intimes, ce n'était pas son genre de faire des confidences à qui que ce soit, un être supérieur, voilà pour qui elle se prenait, tout ça parce qu'elle parlait plusieurs langues…
– Quatre, ma belle, et tout ça grâce à des bourses et à force de bûcher, mois après mois, dans cette espèce de réduit qui ressemblait à une prison avec ses petites fenêtres à barreaux, pendant que sa mère faisait marcher continuellement la machine à coudre, moi je trouve qu'il faut bien du mérite pour étudier dans ce bruit sans jamais se plaindre.
– Se plaindre ? Au contraire. C'est bien ce que je te dis, elle se donnait des airs de princesse, quelle prétention !…
– Et quelle force de caractère aussi, comme sa mère, est-ce que madame Ramona n'a pas réussi à habiller beaucoup de gens importants et à avoir ses entrées dans les meilleures maisons, alors qu'elle venait d'un village, sans mari et avec sa fille encore petite, et que personne ne les connaissait ?
– toutes les deux pareil, pan et vlan, et en avant, jusqu'à ce qu'elles se soient fait une situation.
– Parce qu'elles étaient très radines et ne s'occupaient que de leur intérêt, que d'économiser pour ficher le camp, et la mère plus froide encore, vive, ça oui, comme l'éclair, elle ne faisait jamais un point pour rien.
– Moi, chez une couturière, si tu veux que je te dise ce que je pense, je trouve ça bien. Les boutiques d'aujourd'hui pourraient en prendre de la graine, parce que toutes les coutures s'effilochent et il n'y a pas un bouton qui tienne deux jours durant. En plus, vous, je ne sais pas, mais moi, la couture, j'en ai assez, je ne suis même pas capable de faire un ourlet ni de poser une fermeture éclair.

***

Olivier nous propose sa traduction :

. Il n’y avait que sa petite personne qui l’intéressait. Pourquoi je dis ça? Et bien tu vois, Sole, pour tout, depuis sa façon d’entrer quelque part en regardant ailleurs jusqu’à sa manière de refuser les invitations, sans même un merci ; tant et si bien que plus personne ne l’invitait nulle part, tu te rends compte ; et quand on l’invitait, on le faisait surtout pour Olimpia, qui bavait d’admiration devant elle, et qu’elles elles étaient bonnes copines, même sans être intimes ; c’était pas le genre à faire des confidences, à personne ; un être Supérieur, c’est pour ça qu’elle se prenait, et tout ça parce qu’elle baragouinait quatre langues.
. Quatre, ma chérie, quatre langues, et tout ça à coups de bourses et d’huile de coude, mois après mois, dans ce bouge avec des barreaux aux fenêtres, une vraie prison, pendant que sa mère s’acharnait sur sa machine à coudre ; je lui tire mon chapeau pour avoir étudier, avec tout ce bruit, sans jamais se plaindre.
. Une geignarde? Tout le contraire. Comme je te le dis, elle se prenait pour une princesse. D’une prétention !.
. Et volontaire avec ça, comme la mère. N’avait-elle pas réussi, madame Ramona, à habiller les gens de la haute et à avoir ses entrées dans le grand monde, elle, une fille de la campagne, sans mari et avec sa gamine sous le bras, qui ne connaissait personne? Les deux, pareil, et vas-y gaiement, jouant des coudes! Jusqu’à se faire une place au soleil.
. Parce qu’elles étaient radines comme pas deux, et une seule chose les intéressait, économiser et fiche le camp, et la mère encore plus, maligne comme un singe, ça c’est vrai, qui ne prêtait même pas un sourire…
. Mais bon, ça, quand on est couturière, qu’est-ce que tu veux que je te dise, moi je trouve ça plutôt bien. Les boutiques d’aujourd’hui pourraient en prendre de la graine, avec toutes ces coutures qui se défont et ces boutons qui ne tiennent pas deux jours. En plus, vous je sais pas, mais moi la couture, j’en ai eu mon compte, alors un ourlet ou une fermeture éclair, c’est même pas la peine d’en parler.
.C’est que c’est très difficile de coudre une fermeture éclair, tu sais.
.Et bien c’est justement pour ça que tous mes vêtements sont dans un état lamentable, j’en suis à les rouler en boule et à la piétiner quand je deviens hystérique, et tout ça parce qu’il y a jamais personne pour t’aider, vu qu’à nos filles on leur a rien appris et que les employés de maison, vaut mieux pas en parler, quand elles ne préparent pas le bac par correspondance, elles prennent des cours d’anglais !
. Et qu’est-ce qui se passe? Autres temps, autres moeurs. Pour moi, c’est logique que les gens aient envie de progresser dans la vie. Amparo et sa mère ont été en avance sur leur temps. Et c’est ça qui nous irrite. Bon, moi non. Moi, je les connaissais à peine, c’est vous qui m’en avez parlé.

***

Brigitte nous propose sa traduction :
(voici son mail d'accompagnement :
« J'ai essayé de la faire non stop et "vite" comme dans les conditions de l'examen… sans dictionnaire donc des doutes sur pas mal de choses :
Je n'ai pas su traduire sacar un jareton, donc j'ai "inventé" faire une boutonnière bien que je sache que ça ne se dit pas comme ça...
Pas su traduire non plus no daba puntada sin hilo... Je pense que c'est une expression toute faite du style "elle n'y allait pas pas quatre chemins" ou "on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs"... mais avec la reprise dans la réplique suivante du dialogue "pour une modiste c'est logique..." j'ai pensé qu'il fallait forcément trouver une expression avec quelque chose en lien avec la couture ...
À reprendre sans aucun doute plus a fond… j'espère qu'on fera une correction ! »)

- Elle était très « moi je », pourquoi je dis ça ? Eh bien, tu vois, Sole, pour tout, pour la façon qu’elle avait d’entrer quelque part en regardant dans le vide, pour toutes les invitations qu’elle refusait sans même dire merci, à tel point que finalement plus personne ne l’invitait nulle part, figure-toi, on le faisait surtout pour Olimpia, qui la portait aux nues, elles, oui c’est sûr, elles se fréquentaient, mais c’était pas non plus des amies intimes, elle n’était pas du genre à faire des confidences à qui que ce soit, un être Supérieur, voilà pour qui elle se prenait, tout ça parce qu’elle parlait quatre langues…
- Quatre, ma chère, quatre langues, et tout ça grâce à des bourses et la sueur de son front, mois après mois, dans ce taudis aux fenêtres à barreaux qui ressemblait à une prison, pendant que la mère s’usait sans relâche sur sa machine à coudre, moi je trouve que c’est beaucoup de mérite d’étudier dans ce bruit sans jamais se plaindre.
- Sans jamais se plaindre ? Mais c’est tout le contraire. C’est moi qui te le dis, elle se prenait pour une Princesse, avec ses grands airs !...
- Et à force de volonté aussi, comme sa mère, parce que, Madame Ramona, hein ? elle n’est pas arrivée à habiller beaucoup de personnalités et à rentrer dans les plus grandes maisons, en venant d’un village comme elle venait, sans mari et avec sa fille toute petite, alors que personne ne la connaissait ? Toutes les deux, pareil, boum badaboum et hop, jusqu’à ce qu’elles se trouvent une bonne situation.
- Parce qu’elles étaient très radines, et avec une seule idée en tête, mettre de l’argent de côté pour pouvoir mettre les voiles, et la mère encore plus détachée, maligne, pour sûr, comme un singe, elle ne faisait pas dans la dentelle …
- Moi, tu vois, pour une modiste, tu veux que te dise, je trouve ça plutôt bien. Les boutiques de vêtements d’aujourd’hui feraient bien d’en prendre de la graine, parce que toutes les coutures s’effilochent et il n’y a pas un bouton qui tienne correctement ne serait-ce que deux jours. En plus, vous, je ne sais pas, mais moi, faire de la couture ça m’ennuie, je ne suis pas fichue de faire une boutonnière ni de poser une fermeture Eclair…
- Mais c’est hyper difficile de mettre une fermeture Eclair, ma pauvre.
- Oui, c’est bien pour ça, tous mes vêtements sont dans un état lamentable, j’en arrive même à les chiffonner et à les piétiner quand la folie me prend, c’est pour ça, parce que quand tu n’as personne pour t’aider, on ne leur a pas appris à nos filles, quant aux aide-ménagères, je ne t’en parle pas, quand c’est pas l’une qui prépare son bac par correspondance, c’est l’autre qui est inscrite dans un cours privé d’anglais.
- Et où est le problème ? Les temps ont changé. Moi, je trouve logique que les gens veuillent évoluer. Amparo et sa mère ont été en avance sur leur époque. C’est ça qui nous dérange. Enfin, moi non. Je ne les connaissais presque pas, juste par ce que vous me disiez d’elles.

***

Odile nous propose sa traduction :

- Elle, elle était très personnelle. Pourquoi je le dis? Eh bien, écoute Sole, pour tout, depuis la manière qu'elle avait de rentrer quelque part en regardant ailleurs, jusqu'à sa façon de repousser les invitations sans même remercier, ce qui fait qu'à la fin personne ne l'invitait plus nulle part, rends-toi compte, nous on le faisait surtout pour Olimpia qui l'admirait, avec elle oui, elle était amie, mais elles n'étaient pas amies intimes non plus, elle n'était pas du genre à faire des confidences, à personne, un être Supérieur, c'est ça qu'elle se croyait, tout ça parce qu'elle parlait quatre langues....
- Quatre, ma belle, quatre langues, et tout ça seulement avec des bourses et à force de bûcher, mois après mois, dans ce cagibi aux petites fenêtres grillagées qui ressemblait à une prison, tandis que sa mère travaillait sans cesse sur sa machine à coudre, moi j'y vois beaucoup de mérite à étudier dans tout ce bruit et à ne jamais se plaindre.
- Se plaindre? Tout le contraire. C'est comme je te le dis, elle se prennait pour une princesse, avec de ces airs !
- Et une force de volonté aussi, comme sa mère, ce n'est pas vrai peut-être, que Madame Ramona a fini par coudre des vêtements pour beaucoup de gens importants et par se faire une place dans les meilleures maisons, alors qu'elle arrivait d'un village, sans mari et avec sa fille toute petite, et que personne ne les connaissait? Toutes les deux, c'est pareil, vas-y, vas-y encore, et paf, jusqu'à ce qu'elles soient fait une situation.
- C'est parce qu'elles étaient radines et ne pensaient qu'à elles, à économiser pour partir,
et la mère était plus dure encore, vive, ça oui, comme l'éclair, et elle travaillait drôlement bien....
⁃ - Moi, ça, chez une modiste, pour te dire la vérité, je trouve ça bien; les boutiques de maintenant pourraient en prendre de la graine car toutes leurs coutures s'effilochent et pas un bouton ne tient plus de deux jours . En plus, je ne sais pas vous autres, mais moi, de coudre, je m'en suis dégoûtée, je ne suis pas capable de faire un ourlet ni de poser une fermeture Éclair...
⁃ - C'est que poser des fermetures c'est très difficile, ma petite.
- Eh bien, c'est pour ça que tout mon linge est dans un de ces états, et même je le froisse et le piétine quand je me mets en colère, à cause de ça, parce que que tu n'as personne qui t'aide, nous n'avons rien appris à nos filles et les femmes de ménage, ce n'est même pas la peine d'en parler, celle qui ne passe pas son bac par correspondance c'est qu'elle s'est inscrite dans une école d'anglais.
- Et alors? Les temps ont changé. Moi je trouve normal que les gens veuillent progresser, Amparo et sa mère étaient en avance sur leur époque. C'est ça qui nous dérange. Bon, à moi, non. Je ne les connaissais presque pas, seulement par ce que vous en dites.

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Eva – étudiante du groupe 2 de CAPES et à l'humour désopilant – nous propose sa traduction :

Elle avait une personnalité bien à elle, comment pourquoi je dis ça?, eh bien, écoute, Sole, c'est un tout, depuis la façon dont elle pénétrait dans les lieux le regard dans le vide jusqu'à sa manière de refuser les invitations sans même dire merci, et au final tout ce qu'elle a fini par gagner c'est que plus personne ne l'invite nulle part, tu vois, on le faisait surtout pour Olimpia, car elle en faisait toute une montagne, d'accord elles se voyaient toutes les deux mais d'ici à être amies intimes pas non plus, elle n'était pas du genre à faire des confidences à qui que ce soit, un être Supérieur, voilà pour quoi elle se prenait, et tout ça parce qu'elle connaissait quatre langues...
- Quatre, ma belle, quatre langues, et tout cela grâce aux bourses et à l'huile de coude employée mois après mois dans cette espèce de réduit aux fenêtres à barreaux qui ressemblait à une prison, pendant que sa mère s'affairait inlassablement à la machine à coudre, moi je reconnais qu'elle a beaucoup de mérite à étudier avec ce bruit sans jamais se plaindre.
- Se plaindre? Bien au contraire. C'est bien ce que je te dis, elle se prenait pour une princesse, d'une prétention!
- Et aussi d'une volonté de fer, comme sa mère... à ce que je sache, madame Ramona n'a-t-elle pas réussi à habiller tous ces gens importants et à rentrer dans les plus belles résidences, alors qu'elle venait d'un village, sans mari et avec sa petite, et que personne ne les connaissait? Toutes les deux pareilles, abracadabra et hop, jusqu'à ce qu'elles aient trouvé de quoi s'établir.
- Parce qu’elles étaient plus que radines, et qu’elles ne voyaient que leur propre intérêt, à économiser pour mettre les voiles, et la mère encore plus sur le qui-vive, maline, ça oui, comme un singe, elle ne faisait rien à la légère...
- Moi, pour tout te dire, je trouve ça bien pour une couturière. Les boutiques de maintenant feraient bien d'en prendre de la graine, parce que toutes les coutures sautent et il n'y a plus un bouton qui tienne deux jours. En plus, je ne sais pas pour vous, mais moi j'ai laissé tomber la couture, je ne suis même pas fichue/capable de faire un point ni de poser une fermeture éclair...
- C'est que, les fermetures éclair, c'est ce qu'il y a de plus dur, ma fille.
- Justement, c'est bien pour ça que mon linge est un désastre, et il m'arrive même de le chiffonner et de le piétiner par terre quand la crise de nerfs me prend, c'est pour ça, car on a personne pour nous aider; à nos filles on ne leur a pas appris, et les aides-ménagères je ne te raconte même pas, celle qui ne prépare pas le Bac à distance c'est qu'elle est inscrite dans une académie d'anglais.
- Et alors? C'est une autre époque. Moi je trouve ça logique que les gens veuillent prospérer. Amparo et sa mère ont été en avance sur leur temps. C'est ça qui nous agace. Enfin, pas moi. C'est à peine si je les connaissais, je sais juste ce que je vous ai entendu en dire.

***

Nathalie nous propose sa traduction :

- Elle avait son caractère. Pourquoi je dis ça ? Eh bien, tu vois, Sole, pour tout : depuis la façon qu'elle avait d'entrer quelque part en regardant dans le vide, jusqu'à sa façon de refuser les invitations sans même dire merci, total, à la fin, plus personne ne l'invitait nulle part; tu comprends, on faisait ça surtout pour Olimpia, qui la portait aux nues; elles, oui, elles se voyaient, mais on ne peut pas dire non plus qu'elles étaient amies intimes; elle n'était pas du genre à faire des confidences à qui que ce soit, un être supérieur, voilà comment elle se voyait, tout ça parce qu'elle parlait quatre langues...
- Quatre langues, ma belle, quatre, et le tout grâce à des bourses et à une sacrée dose d'énergie, mois après mois, dans ce réduit aux grandes fenêtres grillagées qui ressemblait à une prison, tandis que sa mère restait vissée à sa machine à coudre; je trouve qu'elle a du mérite d'avoir étudié dans ce bruit et sans jamais se plaindre.
- Elle, se plaindre ? Bien au contraire. C'est précisément ce que je dis, qu'elle se donnait des airs de princesse, et quelle prétention !
- Et quelle force de caractère aussi, comme la mère; d'ailleurs, madame Ramona, elle n'a pas réussi à habiller beaucoup de gens importants et à entrer dans les meilleures maisons, peut-être, alors qu'elle arrivait tout droit d'un petit village, sans mari, la gamine sous le bras, et que personne ne les connaissait ? Telle mère, telle fille, pim, pam, poum, jusqu'à ce qu'elles aient une situation.
- Parce qu'elles étaient très près de leurs sous, et elles ne pensaient qu'à elles, qu'à économiser pour ficher le camp, et la mère, plus dédaigneuse encore, et puis maligne, c'est sûr, comme un singe, elle ne faisait jamais rien pour rien.
- Ça, pour moi, chez une modiste, si tu veux que je te dise la vérité, c'est plutôt une qualité. Elles en auraient des leçons à recevoir les boutiques d'aujourd'hui, car toutes leurs coutures lâchent et il n'y a pas un seul bouton qui tienne plus de deux jours. En plus, je ne sais pas vous, mais, moi, coudre, j'ai eu ma dose, je ne suis même plus capable de faire un ourlet, ni de poser une fermeture Eclair.
- Poser des fermetures Eclair, c'est très difficile, ma fille.
- Voilà pourquoi tous mes vêtements sont dans un état lamentable, je vais même jusqu'à les froisser et les piétiner chaque fois que je pique une crise, justement parce que tu n'as personne pour te venir en aide ; nous n'avons rien appris à nos filles dans ce domaine, je ne te parle même pas des femmes de ménage... Celle qui ne prépare pas le bac à distance, c'est parce qu'elle s'est inscrite à des cours d'anglais.
- Et alors ? C'est une autre époque. Ça me semble logique que tout le monde veuille s'élever socialement, Amparo et sa mère ont été en avance sur leur temps. C'est ça qui nous dérange. Eh bien moi, non. Je les connaissais à peine, si je ne vous avais pas entendu parler d’elles.

15 commentaires:

Isabelleh a dit…

Bonjour,
je viens de passer l'épreuve aujourd'hui, je cherchais le texte parce que je ne peux pas le scanner pour pouvoir me faire une fiche dans mon PC. En cherchant l'extrait, je suis tombée sur votre blog fort intéressant. Enseignante en lycée, je passe l'agrégation interne et serais ravie d'échanger avec quelqu'un concernant ce texte. Si je peux j'essaie de vous faire parvenir le texte de Pascal Bruckner (Le divin enfant 1992) tombé en thème aujourd'hui même.
bien cordialement
Isabelle

Tradabordo a dit…

Bonjour Isabelle,

Outre que je vous souhaite bonne chance pour le concours…, je vous laisse ce petit message pour vous rassurer : ne doutez pas que les apprentis traducteurs bordelais et les capésiens auront leur mot à dire sur votre sujet. Le débat est ouvert. Vous pouvez déjà commencer par nous dire comment vous avez trouvé le texte, difficile ? Très difficile ? Avez-vous repéré des difficultés particulières ? Avez-vous fait des choix précis pour les traiter… ?

fernando a dit…

Salut Isabelle, j'ai moi-même passé l'agrég hier, et si tu veux on peut discuter des difficultés de traduction, je te préviens, je ne suis pas un "as" de la traduction, mais j'espère encore progresser.
Amicalement , Fernando.

Tradabordo a dit…

Bienvenu à toi aussi, Fernando…
Je me réjouis que la version de l'agrégation vous donne l'occasion de découvrir Tradabordo et d'échanger vos réflexions avec nous. Vous avez évidemment tout le loisir de parler du texte de Martín Gaite… dès lors qu'on s'en tient à des considérations sur la traduction en tant que telle… et que personne n'oublie l'essentiel : tout ce que nous pourrons dire ici ne préjuge en rien de ce que sera la grille de correction et donc la notation du jury.

Tradabordo a dit…

Pour Brigitte de la part de Caroline :

Ne t'inquiète pas… vous aurez une correction ! Les autres, je les fais au fur et à mesure (pour les devoirs de vacances de Noël, je suis presque au bout), mais celui-là, je le laisse en suspens juste le temps que la discussion s'ouvre, qu'on échange des idées, etc… en particulier avec les agrégatifs qui se joignent à nous… et après, ce sera la grande révélation…

Tradabordo a dit…

Pour Olivier et Brigitte de la part de Caroline :

« Ella era muy suya »
Olivier : « Il n’y avait que sa petite personne qui l’intéressait ».

Brigitte : « Elle était très « moi je »

L'un et l'autre vous êtes un peu à côté du sens… Il ne s'agit pas tant dire qu'elle était égocentrique que son attitude était plutôt bizarre.
Avez-vous autre chose à me proposer ?

Anonyme a dit…

Dans mon "premier jet", j'avais traduit par "Elle était très spéciale"

Tradabordo a dit…

Réponse de Caroline à la proposition de correction de Brigitte pour les premiers mots du texte : « Ella era muy suya ».
Voilà, là il me semble que tu as le sens. Peut-être peux-tu être davantage littérale et plus dans le ton du texte.

Anonyme a dit…

Pourrai-t-on traduire alors, pour être plus dans le "littéral" avec l'idéee qu'elle était particulière, spéciale :
"Elle avait sa personnalité bien à elle" ou "Elle avait son petit caractère", sens plus négatif mais qui correspondrait peut-être davantage aux reproches qui suivent sur sa façon d'être ?

Tradabordo a dit…

Réponse de Caroline à Brigitte :

Ta première proposition ("Elle avait sa personnalité bien à elle") me semble bonne. Quant à la deuxième ("Elle avait son petit caractère") n'est pas dans le ton, à mon avis.

fernando a dit…

Je vous propose ma traduction avec, je le sais ,des incorrections...je vous laisse le loisir de trouver celles que je ne connais pas encore.

"Elle était très fière, tu sais pourquoi je le dis? en fait pour tout : déjà sa façon d'entrer chez les gens, le regard hautain, et même sa façon de refuser les invitations sans même dire merci; c'est que les gens ont fini par ne plus l'inviter où que ce soit, tu imagines, nous on le faisait pour Olimpia qui la mettait sur un piédestal; évidemment elles se retrouvaient, mais elles n'étaient pas des amies intimes pour autant. Elle, elle était du genre à se confier à personne, se prenant pour un être supérieur, du moins c'est ce qu'elle croyait, et tout ça parce qu'elle parlait plusieurs langues...
- Quatre langues, ma jolie, quatre, et tout ça grâce aux bourses et à force de se serrer la ceinture, mois après mois, dans ce cagibi aux fenêtres à barreaux qui resemblait plutôt à une prison pendant que sa mère était pied au plancher sur sa machine à coudre. Moi je trouve qu'elle a du mérite d'étudier avec tout ce bruit sans jamais se plaindre.
- Sans jamais se plaindre ? C'est tout le contraire. C'est ce que je me tue à te dire, elle se donnait des airs de princesse, quel orgueil !
Et d'ailleurs, une volonté tenace, comme la mère. Madame Ramona n'est-elle pas parvenue à habiller des gens importants et à entrer dans les meilleures demeures, elle qui venait de la campagne sans mari et une petite encore bien jeune, et que personne ne connaissait? Le même parcours pour les deux,et voilà que je te trimballe à droite, à gauche, jusqu'à ce qu'elles trouvent un endroit.
- C'est parce qu'elles sont très radines et ne voyaient que leur propre intérêt, celui de'économiser pour pouvoir partir; la mère, elle, quelqu'un de plus dégourdie encore, rusée comme un renard, pour sûr, elle ne travaillait pas pour rien...
- En toute franchise, moi, pour une syliste je trouve ça bien. Les boutiques de nos jours pourraient en prendre de la graine, car toutes les coutures sautent et on ne trouve aucun bouton qui ne reste accroché plus de deux jours. En plus, je ne sais pas si c'est votre cas, mais moi, j'en ai marre de la couture, je ne suis même pas capable de défaire un bouton ni de fixer une fermeture éclair...
- Mais ma jolie, c'est que c'est très difficile de fixer une fermeture éclair..
- C'est pour ça que moi, j'ai tous mes vêtements dans un état lamentable, j'en arrive à les froisser et à les piétiner dès que je fais une crise d'hystérie; c'est comme ça quand tu n'as personne pour t'aider. A nos filles on ne leur a pas appris, et les bonnes je ne te reaconte même pas; celle qui ne passe pas le baccalauréat à distance c'est parce qu'elle s'est inscrite à une école de cours d'anglais.
- Et alors? Les temps changent. Moi, je trouve normal que les gens veuillent avoir une meilleure situation. Amparo et sa mère se sont adaptées à leur époque. Et c'et ce qui nous fait bouillir. En fait, ce n'est pas mon cas. Moi, je ne les connaissais presque pas, si ce n'est de vous avoir entendues parler."

fernando a dit…

Je vous envoie le thème de l'agrégation interne pour ceux qui le souhaitent :

"Des philosophes majeurs de notre temps s'étaient suicidés après quelques heures de discussion avec le bébé. Louis ne les pleurait pas.

Il les pleurait d'autant moins qu'il constatait avec une surprise croissante l'influence de son verbe sur le public. Chaque fois qu'il s'exprimait, il provoquait des séismes de l'âme, des flambées de chimères. Agitateur spirituel, il plongeait d'une phrase des auditoires entiers dans la déraison. Une série de troubles, consécutifs à ses interventions, éclata que Louis aurait pu tout de suite désavouer. Il s'en garda bien, se divertit au contraire à les amplifier si bien que la villa des Kremer fut vite surnommée la Centrale du Chahut.
Le Loupiot Fulgurant était donc devenu le héros des mécontents et des insoumis. Mais il comptait deux catégories très distinctes d'adorateurs; les uns ne retenaient de lui que l'éloge de la connaissance, les autres le chérissaient pour son refus de la vie. Les premiers en majorité de très jeunes enfants, furent, à son exemple, gagnés d'une véritable boulimie de culture. Dès la maternelle, des petits noyaux de bûcheurs qui entraînaient leurs camarades s'attaquaient à l'algèbre, aux langues mortes, à la biologie moléculaire avec une énergie, un recueillement qui effrayaient leurs éducateurs. Ils n'aimaient pas l'école, non le terme était faible, ils l'idolâtraient. Les plus assidus quittaient leurs familles pour s'installer dans les salles de classe avec sacs de couchage et affaires de toilette. De nombreux collèges et lycées furent bientôt occupés, vingt-quatre heures qur vingt-quatre, vacances comprises. Maîtres et maîtresses se voyaient détrônaient, chassés pour incompétence par les meilleurs élèves, et la police dut procéder à l'expulsion de cracks et de surdoués qui s'étaient carrément enchaînés à leurs tables ou à leurs bancs."

Pascal Burckner, Le divin enfant, 1992 (ed . du Seuil, p p 105-106)

Anonyme a dit…

Bonjour,

je me suis un peu réposée, et je viens de voir que vous êtes bien lancés. Je souhaitais répondre à Fernando ainsi qu'à ceux ou celles qui ont répondu à mon message, mais je ne sais pas encore bien utiliser votre blog. J'ai lu la proposition d'Odile, à part quelques différences nous sommes sur la même longueur d'onde. Concernant la première phrase "ella era muy suya", j'ai proposé "très imbue d'elle -même", je ne connaissais pas la tournure,avec la suite ça me paraissait logique. En lisant Odile je pense que l'on va peut-être me compter une inexactitude. Même chose pour "bûcher" avec le stress je ne trouvais pas l'équivalent exact, j'ai mis "se retrousser les manches" en essayant de respecter le sens et l'image, mais avec le recul il me semble qu'il y a une nuance dans la notion d'effort (physique ou intellectuel. Quant au interjections : je les ai laissées telles que : "boum, badaboum, paf", je crois que la solution d'Odile est bien plus efficace.
Enfin... je pourrais continuer comme ça sur tout le texte. je crois que le mieux c'est de répondre aux interventions qui abordent les différents points. En tout cas il m'a semblé que pour des hispanophones d'origine la remise en français ne devait pas être commode.
Je jette donc un oeil sur les messages.
Fernando : ne crois pas que je sois un as! Je tourne à 11-12 et je sèche sur de petites choses pourtant faciles à améliorer
Isabelle

Anonyme a dit…

Bonjour à tous,

J'ai passé également l'épreuve, et je voudrais faire quelques commentaires sur vos propositions et sur les difficultés que j'ai rencontrées... Tout d'abord, "Ella era muy suya" : "Elle était très spéciale" me paraît convenir, c'est dans le ton, et c'est le sens. En revanche, je ne connaissais pas "la ponía por los cuernos de la luna", et j'ai mis " ça la mettait dans tous ses états " (le fait qu'on ne l'invitait plus nulle part). Honte à moi !
"Pumba, catapumba, plas" : j'ai mis "pim pam poum", et quand j'ai raconté ça chez moi, tout le monde a ri ! Sur le coup j'étais très content de ma trouvaille, car je ne connaissais pas la B.D. du même nom... Je croyais avoir rendu l'idée d'un travail qui a rapidement porté ses fruits.
Je voudrais savoir également pourquoi vous êtes plusieurs à écrire "être Supérieur" avec une majuscule. Serait-ce par analogie avec l'Être Suprême" ?
Pour la métaphore couturière, je n'ai pas trouvé mieux que "elle ne perdait pas le fil", qui avait l'avantage de permettre la réplique "Moi, ça, chez une couturière..."
Par contre, "elle ne faisait pas dans la dentelle" s'accorde mal avec le sens de la réplique car, logiquement, une couturière "doit" faire dans la dentelle...
Bien sûr, je n'ai pas su traduire "jaretón", et dans mon ignorance j'ai opté pour "ourlet", mais le verbe "sacar" m'a longuement perturbé.
Pour "¿Y qué pasa?", le simple " Et alors? " rend l'idée et le ton, n'est-il pas ?
D'une manière générale, il fallait respecter le ton "parlé" de deux dames pas très cultivées, et donc éviter des tournures telles que " tant et si bien ", " autres temps, autres moeurs "...
Cordialement,
Guillermo

Anonyme a dit…

Bonjour à tous!

En cherchant les sujets de l'agreg interne 2009, je suis tombée sur votre blog très intéressant!
Je vois que certain(e)s ont passé le concours. Je suis pressée de voir le sujet de thème!
Enfin, pourriez-vous me communiquer le sujet de dissertation?

Merci et bonne traduction à tous! Moi, je retourne à me version classique!

Julie