Monsieur Toussaint Louverture :
une « entreprise éditoriale effrontée (et non effondrée) »
C’est sur ce trait d’humour aux accents d’autodérision que je vous invite à entrer dans l’univers « désopilant », « inventif », « fantaisiste » et « décalé » de Monsieur Toussaint Louverture. Un petit voyage réjouissant au cœur d’une maison d’édition malicieuse…
Je laisserai pour commencer la parole à l’éditeur. En effet, pourquoi reformuler moi-même moins bien, ou lui faire répéter inutilement ce qu’il a déjà fort bien exprimé par ailleurs ? Et puis, vous en conviendrez sûrement après cette lecture, personne ne peut mieux que lui évoquer sa maison d’édition. Il possède vraiment une verve et un allant incroyables ! C’est pourquoi, j’ai repris ici des propos qu’il a tenus lors de différents entretiens dans la presse. Il s’agit en fait d’un montage à partir de la compilation de plusieurs articles (les références précises apparaissent à la fin de cette partie ainsi qu’en annexes). Bonne interview virtuelle !
Commençons donc… par le commencement ! Quand sont nées les éditions Monsieur Toussaint Louverture et dans quelles circonstances ?
« Monsieur Toussaint Louverture a vu le jour fin 2004, après une année de maturation et sur les cendres d’un projet mort-né de magazine littéraire, satirique et potache (dans la lignée de Bizarre, Le Rire et de Punch, mais en plus pop). La structure fonctionne grâce à un nuage de participants de bonne volonté et à la collaboration d’une assistante polyvalente. Pour ma part, je lui consacre bénévolement mon temps libre… »
Quant au nom « Monsieur Toussaint Louverture »… il intrigue en général beaucoup son auditeur au premier abord. Comment est-il apparu ?
« Le nom de la maison d’édition n’est pas venu par hasard, mais a été plus ou moins pensé, élaboré, à l’issue d’un diabolique processus marketing : bien avant que le projet ne démarre, que je sache exactement ce que je voulais publier, j’étais à la recherche d’un nom de structure fort, poétique et évocateur. Les contraintes étant qu’il devait s’agir d’un nom et d’un nom commun à la fois, qu’il y ait un titre au début (Madame, Sir, Monseigneur, etc.), qu’il ne devait absolument pas s’agir de mon nom, mais d’un nom de personne (imaginaire ou réelle) et pas d’un concept, quelque chose qui puisse servir d’étendard à toutes sortes d’envies. Quand j’ai exposé tout ceci avec ma clarté habituelle aux personnes qui m’entouraient, elles m’ont demandé : "Mais de quoi tu parles ?" Alors, je reprenais mes laborieuses et fiévreuses explications, pour finir par m’entendre dire : "Mais donne-nous un exemple !" Et le seul exemple qui me venait était : Monsieur Toussaint Louverture. Jamais je n’ai trouvé mieux. J’ai bien penché pour un "Monsieur Félicité Tonnerre", mais je ne suis pas très félicité, comme garçon. »
Quel genre de livres vous intéresse et partant, comment définiriez-vous votre ligne éditoriale ?
« La maison d’édition est simplement littéraire, mais s’efforce de ne pas se confiner à un genre particulier ; qu’elles soient d’auteurs vivants ou morts, française ou américaine, fantastique ou drôle, toutes les littératures nous intéressent. Notre ligne éditoriale est notre pire ennemie, difficile à créer et à contrôler, impossible à expliquer : nous avons tellement d’envies de publication (de la littérature merveilleuse, étrangère, des livres drôles, de la littérature française) qu’il est compliqué de les résumer en une ligne. Monsieur Toussaint Louverture est la solution à ce problème : héberger des livres totalement différents les uns des autres. »
Vous fonctionnez en auto-diffusion. Pourquoi avoir choisi ce mode de diffusion et au final, qu’en pensez-vous ?
« Nous nous diffusons nous-mêmes, car au départ du projet, il n’y a pas de business plan et de compte de résultat ; il y a des idées, des avis et surtout l’envie de créer un outil qui permettrait à son tour de produire des livres qui ne verraient pas forcément le jour ailleurs… la contrepartie de cette liberté est que l’on se ferme les portes d’une diffusion professionnelle. Partant de ce constat, nous avons décidé de faire preuve d’un sérieux exemplaire dans cette démarche autonome. Notre manière de nous diffuser repose depuis le départ sur la croyance en l’aspect problématique et dégradant du système de l’office1 pour l’économie et la vie du livre. »
Une chose est sûre : l’auto-diffusion est le moyen idéal pour tisser et entretenir des liens privilégiés avec les libraires. Justement, comment percevez-vous ce lien entre libraire et éditeur ?
« Il n’y a rien de plus complexe et fragile que le lien d’un éditeur à un libraire, et il nous est toujours apparu illogique de déléguer une relation aussi délicate, mixte de partage et de retenue, de commerce et de dialogue, de souplesse et de dureté, de passion et de frustration, à quelqu’un d’autre. »
En somme, quels sont les avantages et les inconvénients de l’auto-diffusion ?
« S’auto-diffuser est d’une infinie difficulté et possède des limites incontestables (qui induisent un modèle économique spécifique). Cependant, ce n’est pas le côté laborieux de la tâche qui pose problème, mais plutôt la connotation négative qui est attachée à ce mode de diffusion. Pourtant cela offre énormément d’avantages, dont le contrôle de la remise faite aux libraires, ainsi que des conditions de paiement que nous pouvons facilement augmenter et assouplir. »
Passons maintenant de l’autre côté du miroir… Et vos lecteurs dans tout ça ?
« Nous évoquons très souvent nos intentions dans nos livres, sous forme d’adresses aux lecteurs. Nous ne sommes pas les seuls à faire ça : on trouvait déjà toutes sortes d’informations dans les ouvrages du Club des livres, que nous aimons beaucoup. Nous avons juste poussé le procédé, car d’une part, nous sommes très bavards, et, d’autre part, nous sommes comme tous les éditeurs, nous avons toujours souhaité créer une relation particulière avec les lecteurs, une relation de confiance entre eux et nous (autre que la relation auteurs-lecteurs). Quelque chose qui permettrait éventuellement de dépasser l’éclectisme de notre catalogue. Pour ce faire, nous utilisons toutes sortes de procédés : nous avons fait des préfaces, même pour les livres qui n’en nécessitaient pas ; des errata qui n’en sont pas ; nous insérons des messages dans les livres ; ou encore, nous donnons des informations techniques aux lecteurs pour leur montrer que derrière les livres, il y a une recherche poussée, une passion du détail et de l’édition qui nécessitent des mois de travail et qui ne sauraient s’affranchir d’un éditeur. En partageant ces informations avec les lecteurs, nous essayons de leur donner une position un peu différente vis-à-vis du livre qu’ils ont entre les mains, et de valoriser le plus possible le texte lui-même. »
Attardons-nous un peu sur le texte, le nerf de la guerre ! Comment s’opèrent vos choix de publication ?
« Tous les choix de publication sont les fruits de la réflexion menée au départ et des idées insufflées à l’origine. Monsieur Toussaint Louverture n’avait pas encore les livres, mais nous savions ce que nous voulions publier (par exemple, des ouvrages collectifs, des ouvrages amples n’ayant pu voir le jour ailleurs, de beaux livres), ce qui explique une part de notre relative lenteur, et également, pourquoi nous passons un temps fou à choisir quel livre publier. Les livres se succèdent, tous très différents les uns des autres, mais finalement s’inscrivant avec beauté dans nos intentions. »
Quel type de littérature ressort principalement de ce minutieux travail de sélection ?
« Comme beaucoup d’autres éditeurs, je me concentre sur les littératures un peu en dehors du spectre du visible, soit les auteurs encore invisibles, soit les auteurs dont la lumière ne nous parvient plus. Ce qui recouvre donc les auteurs contemporains français ou étrangers pas encore connus, en devenir, les auteurs étrangers ou français passés à la trappe ou tout simplement ignorés. Nous fouillons donc au-delà du spectre habituel de l’édition, peut-être allons-nous encore un peu plus loin que d’habitude. Personnellement, j’ai un vrai penchant pour toute histoire touchante qui en plus travaille sur la forme elle-même de l’écriture et des livres. Les livres et les textes qui s’interrogent aussi, en plus de leur caractère narratif. »
Encore faut-il dénicher ces pépites… Existe-t-il une méthode infaillible pour ce faire ? Êtes-vous aidé dans cette tâche et, si oui, par qui ?
Je pars du principe qu’on ne peut pas avoir toujours les bonnes idées et comme l’édition se nourrit essentiellement de bonnes idées, je tends souvent les bras vers des gens qui me semblent bien plus compétents que moi, et j’essaye de leur proposer de travailler sur une publication pour laquelle je sens que ça va coller. Il m’est ainsi arrivé de partager le rôle d’éditeur avec d’autres éditeurs de passage (des auteurs ou des éditeurs en devenir), de leur laisser les commandes en tant qu’éditeur invité ; j’aime faire ça aussi avec des artistes et illustrateurs qui apportent une véritable fraîcheur dans la manière de voir les livres. Mais les collaborateurs centraux, les plus importants, sont les auteurs eux-mêmes, qui sont d’une énergie créative folle, et pas seulement sur leurs propres projets. Les auteurs sont à la fois source de bonheur et de problèmes, ils ouvrent des pistes, mais on ne peut que rarement aller jusqu’au bout de leurs idées éditoriales et Dieu sait si j’essaye d’aller loin… Mais je m’égare… »
Les propos reproduits ci-dessus figurent, pour la plupart, dans l’article « Monsieur Toussaint Louverture : des défis à relever et à partager » (Tire-lignes, la revue du Centre Régional des Lettres de Midi-Pyrénées, n° 4, novembre 2009, pp. 24-25) et, dans une moindre mesure, dans « Monsieur Toussaint Louverture… éditeur » (Le Littéraire.com, portail de l’actualité éditoriale en ligne, 1er juillet 2010 : série d’entretiens réalisés par François Xavier, rédacteur en chef et responsable « Art & Littérature »).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire