mercredi 6 octobre 2010

Entretien avec Paola Appelius (traductrice littéraire de l’anglais au français), réalisé par Auréba Sadouni

Entretien avec Paola Appelius (traductrice littéraire de l’anglais au français), réalisé par Auréba Sadouni

1) Comment avez-vous eu votre première traduction pour une maison d’édition ?
Je n’ai jamais eu de difficultés à trouver du travail. Le plus dur, c’est de rentrer. Mon mari travaillait chez Lagardère et son voisin de bureau était le mari d’une éditrice chez Albin Michel qui cherchait justement quelqu’un pour traduire les novellisations de Men in Black et Stuart Little. C’est comme ça que j’ai obtenu mon premier contrat. Comme ça s’est bien passé, j’en ai eu d’autres ensuite. Une fois qu’une de vos traductions a été publiée, vous pouvez aller prospecter ailleurs. J’ai donc ensuite couru les salons. Comme je voulais traduire de la science-fiction et de la fantasy, je suis allée aux Utopiales à Nantes, où un éditeur m’a présentée à sa nouvelle responsable des traductions. Je lui ai donné mes coordonnées. Elle ne m’a pas contactée tout de suite, ça a pris un an, mais j’ai finalement obtenu la traduction de la série Farsala. C’est comme ça que j’ai mis un pied dans la fantasy, avec les trois tomes de la série Farsala de Hilari Bell.

2) Combien de temps avez-vous mis pour traduire un tome de Farsala, par exemple ?
Ça dépend du nombre de pages. Maintenant, je vais plus vite qu’au début. Le premier, j’ai dû mettre trois mois. Comme c’étaient mes premiers pas dans la fantasy, pour moi, il y avait un enjeu. Je voulais que ça soit parfait et que ça leur plaise.

3) Vous donne-t-on des délais précis ?
Oui, les éditeurs nous donnent des délais précis. J’avoue que j’accepte des délais assez courts en ce moment, par exemple.

4) Comment vous organisez-vous pour vos traductions ?
Quand je suis lancée dans un bouquin, je travaille au moins sept heures par jour. Je compte 1500 mots par jour, relecture comprise, pour un texte propre. Quand on me donne un bouquin à traduire, je regarde le nombre de signes dans les statistiques de Word, et je les ramène au nombre de feuillets. Il y a 1500 signes, espaces compris, dans un feuillet informatique. Ensuite, je compte entre 250 et 300 mots dans un feuillet pour évaluer le nombre de mots que fait le livre, et je divise par mes 1500 mots/jour pour estimer le temps dont je vais avoir besoin pour le traduire. Jusqu’à maintenant, c’est une méthode qui a fonctionné pour moi. Mais c’est serré, quand même.
En général, les éditeurs calibrent leur texte, c'est-à-dire qu’ils estiment le nombre de signes : soit ils disposent du texte original en PDF, qu’ils convertissent en Word pour obtenir les statistiques, soit ils procèdent à un calibrage à vue en comptant le nombre de mots par ligne, le nombre de lignes par page, qu’ils multiplient par le nombre total de pages. Ça leur permet de prévoir un budget pour la traduction, puisque les traducteurs sont payés au feuillet. Ils nous proposent ensuite tel volume pour telle date.
Moi, je travaille chapitre par chapitre, au propre. Je ne fais pas un premier jet de tout le livre pour le reprendre ensuite.
Je fais un premier jet, et si je m’arrête au milieu d’un chapitre, je relis depuis le début quand je le reprends. Donc je corrige. Chaque fois qu’on relit, on corrige. Je relis ainsi chaque chapitre au moins six ou sept fois. À la septième relecture, je considère que c’est propre ; il faut bien s’arrêter, sinon, on ne finirait jamais. Je passe ensuite le correcteur. J’en utilise deux, le correcteur de Word et Antidote. Ce dernier offre davantage de fonctions qu’un simple correcteur, comme un dictionnaire analogique, ce qui est très utile dans la traduction littéraire. J’utilise beaucoup de dictionnaires de synonymes et de dictionnaires analogiques pour trouver le mot juste. Pour une traduction, il faut déjà trouver le style, et ensuite, en fonction du style adopté, il faut trouver les mots qui conviennent pour traduire tel ou tel terme.
Le style, il faut le trouver dès le début, dès le premier chapitre, car c’est plus délicat de changer de style en cours de route. Mais en général, j’envoie mon premier chapitre à l’éditeur pour validation du style. J’ai eu une fois un problème de style avec les novellisations de la série télévisée H2O pour Albin Michel. Ils n’avaient pas lu le premier texte que je leur avais envoyé. Ils se sont aperçus après que le style ne leur convenait pas. Ils l’ont fait réécrire. Le même texte traduit par dix traducteurs différents donnera dix textes différents en français. Il faut adapter le style au lectorat. Pour H2O, ils ont estimé que le style que j’avais adopté était trop « littéraire », alors qu’ils souhaitaient un style plus parlé.
J’établis également un glossaire des termes récurrents au fur et à mesure de ma traduction pour la continuité et la cohérence.

5) Quels sont vos outils de travail ? Allez-vous beaucoup sur internet ?
Oui, sans arrêt. Je suis tout le temps sur Internet. J’ai aussi le Robert & Collins super senior et Le Grand Robert en CD-ROM, que je consulte directement sur mon ordinateur. Ce sont mes outils de travail principaux. Si ça ne suffit pas, je cherche sur Internet.

6) Est-ce qu’il vous arrive de chercher dans Google image ?
Ah oui, très souvent. Internet regorge d’outils très utiles. Urban Dictionary pour les termes d’argot, les expressions les plus branchées. Il y a aussi le Free Dictionary online, des sites répertoriant les expressions lexicalisées, Wordreference où l’on trouve plein d’informations sur les expressions idiomatiques. Et il y a des listes de traducteurs. Avec les listes de traducteurs, on trouve toujours la solution. On peut poser ses questions sur un forum de traducteurs.
Dans les listes que j’utilise, il y a des traducteurs installés aux Etats-Unis, d’autres en Australie. Ce sont des anglophones qui peuvent me dire dans quel contexte tel terme ou telle expression s’utilise, etc. Pour ma part, j’utilise la liste de l’ATLF, l’association des traducteurs littéraires de France, et aussi un forum de traducteurs techniques parce que même dans la traduction littéraire, il y a des termes techniques. Dans Farsala, par exemple, il y avait des passages sur la métallurgie, sur la fabrication des épées, de l’acier, etc.
Je traduis en ce moment une série où mon héroïne est un loup-garou qui anime une émission de radio (Kitty Norville de Carrie Vaughn). Il faut donc que je me renseigne sur la radio : comment ça fonctionne, comment se fait une émission… Dans le premier tome, il y avait une histoire de meurtre, un loup-garou qui était un tueur en série. Il y avait une enquête policière, et j’ai dû me renseigner sur le fonctionnement de la police, de la police scientifique. Dans le deuxième tome (celui que je suis en train de traduire), mon héroïne est à Washington, où elle doit comparaitre devant le Sénat. Je dois savoir comment se passent les commissions d’enquête, les auditions publiques, etc. Il faut donc que je me renseigne sur le fonctionnement des institutions américaines. J’ai acheté le Que-sais-je sur les institutions américaines.
Je pose aussi des questions sur les listes de traducteurs, certains sont des juristes. On y trouve toute sorte de gens très différents. Les forums, c’est quand même ce qu’il y a de mieux pour trouver des informations. On est en contact. C’est comme si on était dans un bureau avec des collègues.
Dans chaque traduction, il y a toujours beaucoup de recherches à faire. C’est ce qui est amusant, dans ce métier. On apprend tout un tas de choses sur tout, tout le temps.

7) Quand vous avez une difficulté, que vous butez, que faites-vous ?
Je pose la question sur un forum de traducteurs. C’est exactement à ça que ça sert. Je fais partie de ceux qui posent beaucoup de questions, mais j’essaie aussi de répondre le plus possible aux questions des autres.

8) Vous ne traduisez pas les noms des personnages, ou est-ce que ça vous arrive de les traduire ?
Ça dépend. Ça dépend du livre, ou parfois un nom ne passe pas en français. Dans Farsala, il y avait un petit enfant qui s’appelait Merdas. En français, ça ne passe pas (rires). J’ai donc changé son nom en Mirdas.
Je me souviens d’être allée à l’avant-première du film Donjons et Dragons, il y a quelques années. Le méchant s’appelait Profion et ils avaient gardé le nom dans la version française. J’y étais allée avec un copain fan de jeux de rôle comme moi, et chaque fois qu’on entendait prononcer son nom, on était morts de rire, et dans la salle, tout le monde rigolait.
Profion, en français, ce n’est pas possible.
Dernièrement, j’ai traduit une parodie où l’un des personnages s’appelait Edwart (en parodie d’Edward avec une t à la fin), et « wart », ça veut dire verrue en anglais. C’est un nom ridicule. En français, il s’est finalement appelé Ebouart (qui fait penser à éboueur). J’avais proposé plusieurs noms à l’éditeur, qui a tranché. Il fallait un nom ridicule qui ressemble à un vrai prénom.
En général, je garde les noms originaux des personnages, mais ça dépend du type de livre. Dans un roman parodique, les noms sont faits pour rire, et il faut alors transposer pour que ça fonctionne aussi en français.
J’ai adopté le principe suivant pour mes traductions : le texte que je lis en anglais me donne une impression, et la traduction doit donner la même impression en français. Ce ne sont pas les mots qui doivent être traduits, mais l’impression qui se dégage à la lecture. À partir de là, il y a différents cas de figure.

9) Lorsque vous avez un même mot qui apparait plusieurs fois dans le texte, est-ce que vous utilisez le même mot à chaque fois en français ?
Les termes récurrents comme le nom d’une personne, d’une ville, un concept précis dans l’histoire, ça, oui. Sinon, si vous avez « thing », vous n’allez pas le traduire par le même mot à chaque fois. Tout dépend du contexte.

10) Est-ce que vous êtes pudique avec votre texte ? Est-ce que vous attendez que ça soit fini pour le montrer ?
Oui, sauf à ma fille, à qui je demande conseil quand je traduis un livre pour adolescents. Cet été, je travaillais sur une parodie de Twilight, j’ai demandé des conseils à ma fille et à mon neveu de quinze ans, car le livre en français est destiné à un public de leur âge.
Par exemple, pour la rédaction d’un texto.

11) Qu’est-ce qui détermine le choix de vos traductions ? Par exemple, vous avez traduit des livres de la série H2O. C’est la maison d’édition qui vous propose ?
Ce sont les éditeurs qui me proposent des traductions. Je n’ai jamais proposé de livres par moi-même. Je sais que d’autres traducteurs travaillent ainsi : ils proposent des textes et des auteurs à des maisons d’édition, mais je ne l’ai jamais fait.

12) La maison d’édition, elle connait un peu vos goûts ?
Disons que je prospecte des éditeurs qui publient des livres qui me conviennent. Par exemple, chez Albin Michel, je travaille pour le département Licence, qui publie des dérivés de films ou de séries télévisées. C’est un secteur qui me plaît
J’ai des goûts très populaires, en fait. J’aime les séries télé. J’aime la science-fiction. J’aime le fantastique. Je ne traduis pas de la grande littérature. Je ne rechigne pas à faire les loups-garous, les vampires… Je sais qu’il y a beaucoup de traducteurs que ça n’intéresse pas.
Moi, j’aime bien la littérature populaire. Et il y a du boulot dans ce type de littérature, qui publie beaucoup de titres par an. Même les Harlequins, ce genre de choses, ça ne me déplairait pas. Je n’en ai jamais traduit, mais pourquoi pas. La traduction, c’est un métier. On propose un service. Ce n’est pas moi qui ai écrit le livre que je traduis, et je n’ai pas à avoir honte de traduire quelque chose sur les sirènes, sur les vampires ou sur les loups-garous.

13) Comment ça se passe avec les maisons d’édition ?
En ce moment, je travaille surtout pour Bragelonne et J’ai Lu. Je suis inscrite dans des annuaires professionnels, et les éditeurs viennent vers moi pour me proposer des livres à traduire (j’ai un nom qui commence par A, ça aide.) Les éditeurs proposent un livre à traduire, et je fais un test. Souvent, on fait des tests, oui. C’est comme ça que je suis entrée chez J’ai Lu. Les éditeurs cherchent un traducteur, ils en contactent plusieurs et ils nous font traduire le premier chapitre.
Chez Bragelonne, systématiquement, il faut leur envoyer le premier chapitre de ce qu’on a traduit. Le premier gros bouquin que j’avais traduit, c’était Le Syndrome du toast brûlé de Teri Hatcher. C’est le premier gros livre que j’ai traduit.
Je travaillais déjà pour le service Licence d’Albin Michel, et je traduisais des albums pour enfants et des novellisations. Je fais aussi des notes de lecture pour eux. Ils me donnent des livres à lire en anglais et je leur fais un petit résumé pour leur dire de quoi ça parle pour qu’ils puissent décider d’acheter ou non les droits pour la traduction. J’avais donc fait une note de lecture sur le livre de Teri Hatcher. Ils m’ont ensuite rappelée pour me demander si je connaissais des traducteurs que ça intéresserait. Ils n’avaient pas pensé à moi spontanément pour cette traduction. Je leur ai dit que ça m’intéressait bien, alors ils m’ont fait faire le test avec d’autres traducteurs et ils m’ont finalement choisie. J’étais très contente. Les tests sont lus à l’aveugle et c’était vraiment mon travail qui leur avait plu. Pour ce premier livre, ils m’ont demandé les chapitres au fur et à mesure. C’est sans doute pour cette raison que je travaille comme ça maintenant. Avant, je faisais un premier jet général avant de retravailler mon texte. Mais là, l’éditrice avait besoin des chapitres au fur et à mesure. Elle les relisait et me demandait de les retravailler ou faisait des corrections. Une fois que j’ai terminé ma traduction, je fais quand même une dernière relecture finale pour lisser et harmoniser le texte.

14) Comment vous tenez-vous au courant de l’actualité littéraire ? Est-ce que vous cherchez ?
Non, moi, je lis la presse People. Je lis Voici, Public, Grazzia, Be et Marianne. Et j’écoute la radio, principalement Europe 1. Je regarde aussi la télévision.

15) Mais de toute façon, ça n’influe pas sur votre travail ?
La presse people me sert beaucoup dans mon travail. C’est très utile, parce que je traduis assez souvent des livres pour des ados et des jeunes adultes, dans des secteurs où la culture pop et people est très présente. En ce moment, par exemple, j’ai une note de lecture à faire sur la biographie d’Angelina Jolie par Andrew Norton. C’est une actrice dont ce genre de journaux parle beaucoup. Ces lectures me sont utiles parce qu’elles parlent de choses que je retrouve dans les livres que je traduis. Quand j’ai traduit le livre de Teri Hatcher, franchement, du people, il n’y avait que ça. Je sais que beaucoup de traducteurs ne s’intéressent pas à ce genre de choses et n’y connaissent rien. Je considère que la culture pop et la culture people sont des cultures comme les autres.

16) Est-ce que vous avez l’impression d’avoir une grande responsabilité vis-à-vis de la réception des livres que vous traduisez ?
Ah oui ! Il faut s’adapter au lecteur, c’est certain. Je demande toujours à l’éditeur qui est le public visé d’un livre qu’on me donne à traduire : si c’est pour les enfants, pour les adultes, pour les ados…Le style et les références ne sont pas les mêmes.

17) Qu’est-ce que vous aimez le plus, dans votre métier de traductrice ?
L’indépendance.

18) Le livre que vous avez préféré traduire, c’est quoi ?
Je crois que c’est la série Farsala, qui correspondait à mes goûts personnels, et aussi Un Golem dans le potage, un inédit de la série des Xanth d’Anthony Piers.

19) Quel est votre meilleur souvenir en tant que traductrice ?
Tout ! J’adore ce métier. Je ne regrette pas une seconde de l’avoir choisi. Je ne rechigne jamais à me mettre au travail. C’est amusant. Il faut dire que les livres que je traduis sont plutôt marrants. Ça amuse mes enfants. Ils sont tout contents, après, quand je leur montre le livre.

20) Vous n’êtes pas dans votre bulle, en tant que traductrice ?
Non, on n’est pas dans notre bulle. Il y a les forums de traducteurs, et je déjeune régulièrement avec des copines traductrices rencontrées sur ces forums, et puis des anciens de l’ESIT, de mon école. Je suis adhérente à l’association des anciens de l’ESIT, qui publie régulièrement des offres d’emploi. Et je suis inscrite sur la liste de l’ATLF, une liste de traducteurs techniques et un forum de traducteurs dans le secteur du fantastique ; nous sommes tout le temps en contact sur Internet. On échange toute la journée. Si on a un problème, on pose des questions. Les autres nous répondent. On se raconte aussi des blagues. On n’est pas tout seul dans son coin.

21) Auriez-vous un conseil à donner aux apprentis traducteurs ?
Je crois qu’il faut faire ce que vous avez envie de faire, surtout, et ne pas se laisser influencer. Si vous posez la même question à dix traducteurs, vous aurez dix réponses différentes, sur le métier, sur les tarifs, sur leur façon de travailler. Je crois qu’il faut écouter tous les témoignages et se faire son propre avis. Je leur conseillerais aussi d’adhérer à des associations de traducteurs, à des forums ou à des listes de traducteurs. Vous y trouverez beaucoup de choses utiles et intéressantes, diverses et variées et sur tous les sujets.

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