vendredi 1 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Le facteur a sonné », par Benoît Laffiter (Master 1 parcours traduction)

En photo : la sonnette du serpent
par jjhbyek

Je me souviens très bien d'une période de mon enfance ou je commandais quantités de choses inutiles dans les magazines, des caprices d'enfant gâté, auxquels ma mère cédait sans que j'eusse besoin d'user de stratagèmes trop rusés.
Je gaspillais donc tout mon argent de poche en voitures télécommandées ou jeux de construction, ces jeux que jamais personne n'arrive à compléter car la dernière pièce manquante, « la » piece, le bout de ferraille ridicule qui fait tenir tout l'ensemble, coûte à lui seul le prix total de la structure en grande surface.
Mais, cette fois, c'était la bonne, le chèque était parti, en même temps que mon père pour une mission de maintien de l'ordre en Nouvelle Calédonie, il serait de retour dans six mois et là, je pourrais l'épater avec ma super grue d'un mètre cinquante.
À partir de ce jour, je n'eus plus qu'une seule idée en tête, une seule pensée obsédante, mon jouet. Plus rien d'autre ne comptait. Comment installerais-je la pièce, ou mettrais-je ma grue si peu encombrante, juste l'équivalent d'un enfant de quatorze ans, le bras tendu, a rangé dans le coin d'une chambre de neuf mètres carrés. J'étais confronté à des soucis de ce genre toute la sainte journée.
Je comptais les jours, la tension était palpable, ma mère quant à elle se réjouissait car je filais assez rapidement au lit, histoire de réduire encore un peu plus le temps d'attente. Comportement d'un stupide gamin égocentrique.
Ce matin-là, je ne sais pas pourquoi, je m'étais levé serein, comme si j'avais senti que quelque chose allait arriver. C'était mercredi, journée de repos et d'amusement des jeunes écoliers du primaire.
Dix heures du matin, on sonne à la porte. Le ding dong résonne dans ma tête telle une douce mélodie.
Je me précipite vers l'entrée. Un tour de clé dans la serrure. J'ouvre.
Un homme en uniforme se tient devant moi, il s'agenouille en me tapotant sur la tête.
Il demande à voir ma mère.
Je sens la déception m'envahir. Du haut de mes huit ans, je viens d'avoir droit au plus grand ascenseur émotionnel de ma si courte et insignifiante vie. Je m'enfuis dans le salon et me mets à bouder dans mon coin, sans me soucier du reste.
J'entends la porte se refermer et je vois ma mère, les larmes aux yeux, qui s'approche et qui me prend dans ses bras. Elle me sanglote à l'oreille : « ton papa ne reviendra pas ».
Après d'interminables minutes d'explications, j'ai enfin fini par comprendre ce qu'il se passait.
Le silence régnait désormais dans la maison. Un calme trompeur et une souffrance commune peuplaient l'atmosphère.
La sonnerie de la porte se fit entendre une dernière fois.
C'était le facteur qui m'apportait ma pièce. Moi, je restais de marbre.
Le sale gosse capricieux que j'étais est mort ce jour-là. Je n'ai jamais fini la construction de mon jouet, mais je garde toujours ce morceau de fer qui me rappelle à chaque instant de vivre au jour le jour.

1 commentaire:

Tradabordo a dit…

Merci, Benoît, pour ce texte…