1) Nadia Salif. Comment êtes-vous venu à la traduction ?
Wenceslao-Carlos Lozano. Comme je suis espagnol, né au Maroc où j’ai vécu pendant vingt ans, élevé dans une école française, et que mes amis étaient de diverses nationalités, l’idée de la traduction m’est venue naturellement depuis tout jeune. De plus, en 1985, j’ai obtenu un diplôme (trois années d’études) en traduction par l’Université de Grenade et je suis professeur à la Faculté de Traduction de cette même université depuis 1989.
2) N. S. Quelle a été votre première traduction ? Qu'en pensez-vous aujourd'hui ?
W.-C. L. En 1984, j’ai traduit mon premier roman (Adolphe, de Benjamin Constant) pour une importante maison d’éditions espagnole (Éditorial Cátedra, coll. Letras Universales). D’après la critique, la traduction était bonne, mais en traduction, on n’a jamais fini d’apprendre et d’améliorer ses compétences. Évidemment, si je devais retraduire ce texte aujourd’hui, il y aurait probablement des différences assez prononcées. Le fait est que j’ai réalisé postérieurement une thèse de doctorat (traductologique) sur cet auteur, dont j’ai d’ailleurs traduit et publié d’autres textes.
3) N. S. Choisissez-vous les textes que vous traduisez ?
W.-C. L. Cela m’est parfois arrivé, notamment pour Le serment des barbares, de l’algérien Boualem Sansal, un long roman très difficile que j’ai cherché à traduire parce que je tenais à me mettre à l’épreuve, et je suis finalement arrivé à convaincre un éditeur aussi important qu’Alianza Editorial. Je dois vous avouer que je me sens fier du résultat. Je suis quand même « le traducteur espagnol » d’auteurs comme Yasmina Khadra, dont j’ai traduit une dizaine de livres depuis 2000. Ou de Max Gallo (neuf romans).
4) N. S. Exercez-vous ce métier à plein temps ?
W.-C. L. Non, je suis professeur d’université, critique littéraire et traducteur. J’ai quand même traduit une quarantaine de romans.
5) N. S. Comment voyez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
W.-C. L. C’est une activité beaucoup mieux rémunérée en France qu’en Espagne, parce que les tirages sont beaucoup plus limités ici. Pour vivre exclusivement de la traduction littéraire, il faut en traduire une bonne flopée par an. Il m’est arrivé d’en traduire cinq en un an et je peux vous assurer que je n’ai pas eu une semaine de répit. Trop c’est trop, mais insuffisant pour nourrir son homme, à moins que l’on bâcle son travail, et c’est quelque chose qui ne m’intéresse pas du tout.
6) N. S. Lorsque vous rencontrez une difficulté, voire que vous êtes bloqué (inquiétude majeure des apprentis traducteurs), comment procédez-vous ?
W.-C. L. Il m’est arrivé de m’embourber dans un paragraphe pendant presque une journée, mais ce n’est pas habituel. Il faut se relaxer, se fier à son instinct littéraire, peut-être laisser de côté, poursuivre son travail et attendre que l’inspiration se présente. Il faut dire que je suis traducteur de prose ; la poésie ou le théâtre présentent plus de problèmes en ce sens.
7) N. S. Quels sont les principaux outils que vous utilisez ?
W.-C. L. Les dictionnaires, et puis internet, Saint-Google (comme je l’appelle) : il faut savoir chercher, et ce n’est pas toujours facile, surtout si on travaille avec des écrivains maghrébins et africains en général, qui incorporent souvent des termes autochtones sans en donner la traduction.
8) N. S. Quels rapports entretenez-vous avec les auteurs que vous traduisez ? Et avec les éditeurs ?
W.-C. L. Je consulte les auteurs vivants quand c’est nécessaire (Boualem Sansal, Rachid Boudjedra, Yasmina Khadra, Boubacar Boris Diop). Évidemment, avec Balzac ou Benjamin Constant ce n’est pas possible. Quant aux éditeurs, le secret d’une bonne entente est de respecter le contrat, de faire bien son travail, de remettre en temps voulu, etc. Il n’est pas nécessaire de se connaître personnellement, c’est même parfois contre-productif.
9) N. S. Quel est votre meilleur souvenir, en tant que traducteur ?
W.-C. L. Les mille et un moments où le traducteur se sent auteur à la fois que passeur. Le plaisir de la bonne écriture, savoir le plaisir que prendra le lecteur à lire quelque chose que personne d’autre n’aurait su exprimer aussi bien que soi. Des choses comme ça…
10) N. S. Y a-t-il un texte en particulier que vous aimeriez traduire ou que vous auriez aimé traduire ?
W.-C. L. Je m’en remets à la question nº 3. Évidemment, il y a des auteurs que l’on rêve de traduire. En ce qui me concerne, l’un d’entre eux est Amin Maalouf.
11) N. S. Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
W.-C. L. Il est avant tout un passeur, bien sûr. Il n’empêche qu’il existe des états de grâce et d’empathie où il va plus loin. Le texte porte sa griffe, son label, ce qui n’empêche pas la transparence de sa traduction.
12) N. S. Partagez-vous l'avis de ces traducteurs qui se décrivent avant tout comme des petits artisans ?
W.-C. L. Et pourquoi pas ? Il n’y a aucune honte à se sentir artisan, petit ou pas. Chacun se reconnaît à sa façon, et dans ses propres termes, dans son travail.
13) N. S. Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Et si oui, quel lecteur ?
W.-C. L. Le traducteur est sans doute un lecteur privilégié, il est aussi bien à table qu’à la cuisine. Mais c’est aussi un écrivain différent. La traduction améliore beaucoup son propre style, quoique certains peuvent penser le contraire.
14) N. S. Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
W.-C. L. Je ne suis pas un bon donneur de conseils. Il faut qu’il aime ce qu’il fait, qu’il aime l’expression littéraire, la créativité, qu’il respecte son auteur quant à la fidélité, et qu’il se respecte lui-même quant à sa propre capacité de s’exprimer.
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