« Parle-moi d’hier »
Ils veulent que je leur raconte… « Parle-moi d’hier », qu’ils disent. Mais qu’est-ce que je peux bien leur baratiner, moi ? Avant, c’était comme maintenant. C’est pas parce qu’on a tous ces machins qui font du bruit et de la lumière en plus que c’est différent. On a juste accéléré, c’est tout. Avant, on avait le temps, oui, mais à la fin, c’est pareil, on meurt tous. Alors, qu’on ait pu voir passer les minutes ou pas, qu’est-ce que ça change ? C’est juste pas la même routine. Quoique, j’ai vu des jeunes qui s’remettent à faire comme nous on faisait. Pourtant, faut me croire, si j’avais pu éviter les odeurs de bouse et de crottin qui s’incrustaient partout jusque dans la cuisine, je l’aurais fait. Moi, ça m’aurait bien plu de m’installer au chaud derrière une vitre, comme ils font de nos jours. Avec des trucs tout prêts à manger, qu’on s’embête pas à préparer tout le dimanche. Quoique, ça oui, on savait c’qu’on avait dans l’assiette. À présent, vaut mieux pas lire l’étiquette, ça c’est sûr qu’on trouve du cancer à toutes les sauces ! Y’en a même dans l’savon, y paraît. Des saloperies, quoi.
Pour le reste, je peux pas parler d’hier, parce que j’ai pas changé mon programme. Pour moi, ça a pas bougé. Y’en a qui se sont mis à la mode, aux appareils de la haute performance, ils copient les jeunes : moi, ça me dépasse, puis j’aime bien mes habitudes. Quand on me les perturbe, ça m’plaît pas. Je veux pas de tous leurs machins, et je peux bien vieillir tout seul, qu’est-ce qu’ils croient. Même les docteurs, ils veulent que ça change. Mais moi, j’veux pas avaler toute leur drogue, y’en a que ça ramollit comme des légumes bouillis. Et moi, j’aime pas l’odeur du chou cuit, j’préfère encore sentir le sapin.
Alors que je leur parle d’hier… J’comprends pas comment ça peut les intéresser tant que ça. On dirait que ça les fascine, la guerre. Ben moi, je me serais bien passé de ça aussi. Compter les morts et consoler ceux qui restent, on a vu mieux. Mais faut pas croire qu’on était tous des résistants, on en voyait qu’étaient bien copains avec les S.S. ou qui fermaient juste leur gueule parce qu’ils avaient la trouille. Après, on a pu parler, oui.
Enfin, tout ça, c’était même pas hier, c’était plutôt avant-hier ! Après, y’a eu la paix et la gloire ! M’enfin, y’en a toujours eu des plus riches et des plus pauvres, comme aujourd’hui, pareil. Et puis moi, c’que j’pense, c’est qu’y vaut mieux parler de demain que d’hier, parce que sinon, tous ces trucs-là, ça va leur revenir en pleine gueule, aux jeunes, et y’en aura à consoler.
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