vendredi 8 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Lettre à mon avocat », par Stéphanie Maze

En photo : 20101019-031-Musée_du_Barreau_de_Pa...
par Edhral

Je ne pouvais me résoudre à écrire cette lettre. Les mots se bousculaient dans ma tête mais les coucher sur le papier était au-dessus de mes forces. Je refusais de les voir alignés, de constater le sens qu'ils prendraient une fois mis bout à bout. Pourtant, je me devais de le faire. Je n'aurais su tolérer plus longtemps cette mascarade, la personnalité irréprochable que je m'étais créé lorsque j'avais franchi le seuil de son bureau pour la première fois. Dès qu'elle avait ouvert la bouche, j'avais compris son petit jeu, sa tentative vaine pour me mettre en confiance : le regard doucereux, le hochement de tête approbateur, le sourire condescendant. J'avais de suite abhorré le personnage qu'elle incarnait. Mais, je ne pouvais fuir, j'avais besoin d'elle, plus qu'elle de moi. Alors, lorsqu'elle m'avait posé des questions relatives à ma vie, à mon alibi, à notre couple, j'avais délibérément gommé les passages compromettants, nos disputes violentes, les coups qui fusaient parfois, d'un côté comme de l'autre. Rien à voir avec de la maltraitance, non, nous nous laissions dominer, submerger par des pulsions incontrôlables. La haine s'immisçait entre nous. Nous glissions d'un sentiment à l'autre sans même nous en rendre compte. Un mot de travers au cours d'une banale discussion et tout foutait le camp. Tout ça, je ne lui avais pas dit à la blondasse, je savais qu'elle était là pour me défendre, je crois même que j'avais réussi à la convaincre, autant que je m'étais convaincu moi-même. J'avais joué le rôle du petit couple parfait, bien sous tout rapport. Je savais qu'elle comme moi, étions mortifiés par la honte de ces scènes, que notre pudeur nous avaient empêchés de nous confesser à qui que ce soit. J'avais donc pu embellir le tableau, feindre le couple lisse, sans histoire et m'éviter du même coup d'affronter la réalité.
Alors quand elle m'avait demandé dans quelles circonstances j'avais retrouvé le corps de ma femme, j'avais répondu que j'étais rentré à 19h45, après ma journée de travail et que j'avais aperçu son corps inerte, tuméfié. Cette vision m'assaillait encore régulièrement, me pétrifiait. Peu importe, elle n'avait que faire de ce que je ressentais, ça dépassait le cadre professionnel. « Le seul indice de poids qui vous place sur le banc des accusés sont vos empreintes. Nous invoquerons l'abattement, le désespoir au moment de la découverte macabre, le besoin de la toucher une dernière fois et ça passera comme une lettre à la poste », avait-elle affirmé sur un ton empreint de légèreté. Comment pouvait-elle parler de la sorte, comme s'il s'agissait d'un fait futile, sans importance. Il ne manquait plus que le clin d'œil pour sceller notre connivence. Pour elle, ce n'était qu'une affaire de plus. Pour moi, c'en était trop.
Alors, sur la feuille vierge, je décidai de n'écrire qu'un mot, il était temps d'endosser mes responsabilités, de payer le prix fort :
COUPABLE

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