samedi 4 décembre 2010

Entretien (téléphonique) avec François Collet, éditeur (éditions Rouge Inside)", réalisé par Auréba Sadouni

1) Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir éditeur ? Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre métier ?
Je viens de la fac de lettres, je suis en thèse, c’est donc d’abord un intérêt pour la littérature. Je voulais trouver un métier dans ce milieu-là. Ce qui est intéressant dans le métier d’éditeur, c’est que c’est à mi-chemin entre la partie artistique et ce qui est de l’ordre de l’entreprise. J’aime ce travail d’intermédiaire, de médiateur, de passeur. La partie la plus importante de mon métier, celle que je préfère en tout cas, c’est la relecture de traduction, les échanges avec le traducteur, le travail sur la langue. J’aime aussi l’idée de construire des projets éditoriaux.

2) Pourriez-vous nous présenter votre maison d’édition ?
C’est une jeune maison d’édition, une toute petite structure située en province, en Rhône-Alpes. Nous n’avons d’ailleurs pas vocation de devenir une grande entreprise. Ça permet de faire des projets qui sortent plus de l’ordinaire. On s’intéresse d’abord à la littérature étrangère, car on a une passion pour la traduction. On choisit souvent des textes qui posent des problèmes de traduction. On a beaucoup de choses du bassin méditerranéen, un peu par affinité personnelle. Les trois prochains livres se passent autour de Tanger, par exemple. À priori, je ne ferais pas de la littérature de l’Europe de l’Est, par exemple, car c’est un univers que je ne connais pas, culturellement, et dont presque toutes les langues me sont inaccessibles, mais on aura probablement de la littérature anglo-saxonne. En ce qui concerne le style d’écriture, on travaille sur des livres qui sont très différents, à la fois un texte égyptien très lyrique et par ailleurs un texte d’un auteur guatémaltèque dont l’écriture est plus d’avant-garde. On aime qu’il y ait une écriture singulière, que les textes se trouvent une langue propre.

3) Quel a été le premier roman que vous avez publié ?
La chienne de vie de Juanita Narboni de Ángel Vázquez. On a volontairement mis celui-ci en premier. C’est presque un manifeste : une structure romanesque, une histoire, mais en même temps une expérience formelle, avec une langue très singulière, hybride, très riche, et donc de nombreux enjeux de traduction. C’est sur ce type de textes très singuliers que nous pouvons nous démarquer.

4) Est-ce le traducteur qui vous a proposé ce texte ?
C’est moi qui suis allé vers le traducteur. Je suis assez familier de la ville de Tanger, et c’est un texte mythique, là-bas, et un peu légendaire en même temps parce que peu de gens le lisaient encore, en fait. Je me suis renseigné, j’ai cherché ce texte. Via une libraire historique, Rachel Mouyal, de la Librairie des Colonnes, qui est une librairie mythique du Tanger international, où l’on croisait Genet, Becket, Bowles ou la Beat Generation, j’ai été aiguillé vers Selim Cherief. Il avait commencé à le traduire, mais s’était arrêté en chemin parce qu’il n’avait pas de contacts dans le milieu éditorial. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a connu Vázquez. Ce qu’il m’a envoyé, en premier, c’est une dédicace où Vázquez lui disait à peu près ceci (il parlait quatre ou cinq langues) : « En espérant qu’un jour, tu me le feras lire en français. Il n’y a que de vieux tangérois comme nous qui pouvons y arriver» Pour traduire ce livre, il fallait connaître le contexte très particulier du Tanger international de l’époque. La langue parlée dans ce roman est un espagnol populaire, très imagé et surtout, c’est une sorte de méli-mélo, un mélange de castillan populaire, de français et d’arabe. Il y a de la darija, un arabe dialectal marocain et la « yaketía », une variante du « ladino », qui était parlé par les séfarades expulsés d’Espagne vers le XVème siècle. C’est très exotique. Il fallait trouver quelqu’un qui puisse comprendre ça.

5) Recevez-vous souvent des propositions de traductions de romans écrits en espagnol ?
Pas beaucoup. Pas assez. Malheureusement, on est inondé de textes français. Plus de 90% de choses qu’aucun éditeur n’envisagerait de publier. Les gens ne font pas l’effort de voir ce qu’on publie sur le site, la ligne éditorial, le catalogue ; on ne peut pas leur en vouloir, mais des fois, c’est un peu énervant, je ne comprends pas qu’on nous envoie de l’héroïc fantasy ou des livres de jardinage, par exemple, et j’exagère à peine... J’aimerais recevoir plus de traductions de l’espagnol, je suis très preneur. On aimerait bien aussi recevoir des projets un peu construits. Au lieu du mail « Bonjour, ci-joint le texte », au moins une petite présentation du livre, du contexte, c’est mieux pour tout le monde, parce que sinon, on ne peut pas faire des recherches sur tout, à chaque fois. On reçoit beaucoup de C.V de traducteurs. Ça, ça ne m’intéresse pas, parce qu’on est intéressé par des projets, pas par des traducteurs en soi, le côté un peu « mercenaire » ; je crois qu’un traducteur de l’espagnol, par exemple, doit pouvoir se tenir au courant un minimum de l’actualité littéraire en Espagne ou en Amérique latine, et proposer des choses. Ça change un peu, avec les masters de traduction littéraire, ça donne des gens un peu plus professionnels. On a travaillé sur une publication avec une jeune fille qui vient de sortir d’un master professionnel. Elle avait construit un dossier, simple mais bien documenté, et ça nous a séduits ; en tout cas c’est toujours bon signe quand le propos est un peu argumenté. Ils ont plus conscience des réalités techniques comme par exemple, du fait qu’il est plus compliqué, plus cher, de publier un livre de 2000 pages, ou que la question des droits peut être un problème etc.

6) Comment sont vos relations avec les traducteurs ?
On a des relations très fortes. On est très proches, évidemment.

7) Vous arrive-t-il d’apporter ou de suggérer des corrections aux manuscrits que l’on vous propose ? Comment cela se passe-t-il ?
J’ai été formé à l’école « interventionniste ». J’apporte beaucoup de corrections. Comme on est une petite structure, on a plus le temps de relire ; on essaie de ne rien laisser passer. J’essaie toujours d’expliquer ça quand on a des stagiaires venant de la traduction : il faut qu’ils aient conscience que l’éditeur et le traducteur ont des intérêts parfois divergents. Le traducteur est du côté du respect du texte originel, et l’éditeur se soucie d’abord de la qualité et de l’intérêt du texte d’arrivée, en l’occurrence le français, et de cette confrontation, on doit essayer de tirer le meilleur. Si ça impose de retoucher, on le fait. Il n’y a pratiquement pas une phrase où je n’interviens pas. Mais on peut beaucoup retoucher sans rien enlever d’essentiel, et même, souvent, plus on retravaille une phrase, un paragraphe, moins l’intervention est sensible. Ça peut être reponctuer un peu, pour les langues comme l’arabe où l’on est souvent face à des phrases extrêmement longues, déplacer des virgules, inverser le sens de deux propositions, trouver un adjectif plus précis etc etc Par contre, on ne coupe quasiment jamais, sauf cas vraiment exceptionnel, avec l’arabe encore une fois, où l’on peut trouver plus facilement des répétitions, de l’emphase, mais toujours en accord avec le traducteur et si possible avec l’auteur. Il y a toujours des choses qui « passent » mieux dans une langue que dans une autre, et ça suppose donc que nous soyons assez souples.

8) Comment avez-vous travaillé avec Selim Cherief ?
Il m’envoie une première traduction (son premier jet). Je lui donne quelques indications de base : « Tel chapitre, ça ne marche pas bien, question de rythme. Dans tel chapitre, il y a trois pages de passé simple…». Il renvoie une deuxième version. Je fais mon travail en laissant apparaître ce que j’ai fait. Puis on travaille ensemble jusqu’à ce qu’on arrive à un texte final, en tranchant les incertitudes en commun, puis il y a une dernière phase « lissage », qui est plus le travail d’un correcteur que d’un éditeur, d’ailleurs, pour les fautes, les incorrections, quelques points grammaticaux problématiques et les dernières lourdeurs.
La traductrice de l’italien, Lucie Moreno, avec qui on va publier en novembre un nouveau Piumini, a vu qu’on intervenait énormément et elle est très contente de l’arrivée. Un deuxième regard est intéressant, parce qu’on « s’aveugle » au texte avec le temps, et il peut arriver que j’aie immédiatement une idée pour un problème sur lequel elle séchait depuis longtemps, parce que j’apporte un œil neuf. Généralement, ça se passe plutôt bien. Un traducteur de l’arménien avec qui j’ai travaillé il y a longtemps, avant rouge inside, avait l’impression qu’on intervenait trop, qu’on remettait en cause tous ses choix, mais je crois que ce n’est vraiment pas comme ça qu’il faut le voir. Et à la fin, il était content. Sa traduction a même eu un prix.

9) Combien de personnes travaillent dans votre maison d’édition ? Quels sont les rôles de chacun ? Quelles sont les différentes étapes pour produire un livre prêt à être diffusé en librairie ?
Je ne suis pas tout seul mais je suis le pivot. J’ai deux associés, dont mon frère. Il travaille dans le conseil et peut donc m’aider à monter des projets. Il y a des graphistes et des correcteurs. C’est quand même un travail d’équipe. On est trois ou quatre : moi à plein temps, les autres, de façon plus ponctuelle. Moi, mon rôle, c’est un rôle décisionnel. Je m’occupe du « management » d’équipe, mais j’ai le dernier mot, notamment sur les choix littéraires ou commerciaux.
Les étapes :
D’abord, la recherche, le choix. Il s’agit de trouver un projet, qui va le traduire. Ensuite, il faut voir si c’est faisable techniquement (combien ça coûte en termes de fabrication, mais aussi savoir si les droits sont accessibles). Puis c’est la traduction, puis la relecture. En même temps, on commence à réfléchir à la diffusion. La diffusion, c’est la partie proprement commerciale : la rencontres avec les libraires, susciter l’achat, ainsi que la promotion dans la presse. On a commencé en s’auto-diffusant, mais on vient de signer avec un diffuseur-distributeur (Pollen). C’est une nouvelle étape, parce que l’autodiffusion, qui a des avantages au départ, a vite des limites, et puis la tournée des libraires me prenait trop de temps, même si nous avions un distributeur (pour la partie technique).

10) Êtes-vous souvent en déplacement pour votre travail ?
Énormément. Parce que j’avais aussi la partie commerciale. Maintenant, ça va être différent, j’imagine. Sinon, il y a les salons du livre, les rencontres, les colloques…

11) Comment voyez-vous l’avenir de votre maison d’édition ? Quels sont vos projets ?
J’aimerais bien le savoir. Le marché du livre n’est pas florissant, en ce moment, du moins pour la littérature proprement dite, mais je reste confiant. On a des livres intéressants, on fait un travail spécifique, de niche pour ainsi dire, il y aura toujours une place pour nous. Et comme tout le monde, je m’interroge sur les évolutions liées au numérique, aux tablettes, par exemple, mais aussi à la diffusion par internet, savoir à quelle point cela nous affectera. En soi, je n’ai rien contre, de fait, je lis beaucoup plus sur écran qu’autre chose, d’ailleurs, mais pour le loisir, je pense que le livre garde des qualités en terme de médium (sans parler des amoureux du papier, de l’odeur etc. ce qui m’intéresse moins personnellement...)
En ce qui concerne les projets pour l’année 2011 : on aura deux publications en mars dont le prochain d’Ángel Vázquez, une en mai et deux en novembre. Et déjà de nombreux projets à plus long terme.

http://www.rouge-inside.com/index2.html

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