« Plantureuse »
Brice, depuis sa cachette, observe la scène qui se déroule autour de lui. Une dizaine d’hommes engoncés dans des costumes sombres siègent autour de la table. Il ne voit que le bas du tableau : des pantalons relevés qui laissent entrevoir leurs chaussettes, certaines unies, d’autres à rayures ou à poids, formant un feu d’artifice de couleurs, toutes plus criardes les unes que les autres. Il tente de remettre un visage sur chaque paire de souliers, mais le contraste des chaussettes est tel qu’il finit par abandonner, incapable de pouvoir relier la moindre de ces couleurs au sérieux de ces personnages austères.
Il est question de politique, comme à chaque fois que tous ces messieurs se donnent rendez-vous chez le père de Brice. Les mêmes mots reviennent sans cesse : sécurité, négociations et enjeux sont ceux qu’il a finis par retenir, mais pour le petit garçon, leur définition reste extrêmement floue. Qu’importe, même s’il ne se l’explique pas, il sait que ces sujets sont toujours l’occasion de réceptions en grande pompe, dans lesquelles on dresse une table digne des plus grands banquets, un peu comme celle qui clôture l’album d’Astérix qu’il a lu il y a peu de temps. La gouvernante passe alors sa journée en cuisine et Brice a alors l’interdiction de s’aventurer dans cette partie de la maison, car les rares fois où il s’y était risqué, il en est ressorti à coup de pied dans le derrière.
Aujourd’hui, en entrant dans la salle à manger, l’un des invités s’est écrié : « c’est ce que j’appelle une table plantureuse ! » Brice a trouvé cette remarque étrange, étant donné que le menu est essentiellement composé de viandes et poissons. Les seuls végétaux qu’il puisse y avoir servent d’accompagnement, de décoration. Son incompréhension grandit quand il entend la réaction d’un deuxième invité qui parle avec un accent marqué : « aussi plantureuses que les femmes de mon pays ». Un éclat de rire général envahit la pièce. Jamais Brice ne les a entendus rire de la sorte, en se demandant le rapport qu’ont ces femmes aux plantes, il se demande de quel pays peut bien venir ce diplomate.
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