lundi 17 mars 2014

Exercice d'écriture 18 – par Marie

« Sur le bout de la langue »

Trois amis dans une voiture : nous avions la permission de trois heures seulement, nous étions trop jeunes pour pouvoir rester nous amuser plus tard dans la nuit, mais encore dans l’ambiance festive de la soirée, nous poursuivions nos conversations, écoutions de la musique et rions tous ensemble, nous serions chez nous dans un quart d’heure. Notre voiture filait sur l’asphalte, les fars fendant la nuit et laissant apercevoir la ligne médiane d’une route déserte… enfin presque. Après un tournant très serré, vous savez, ceux que l’on a toujours peur de prendre trop large, ceux qui nous surprennent toujours de notre vitesse, ceux qui nous font envisager la mort un bref instant, se trouvaient alors une, deux, trois, quatre, cinq, six voitures arrêtées sur le bas-côté, des gens partout, des lumières froides et agressives qui perçaient et réveillaient soudain une nuit paisible et gaie. Nous avons donc fait comme les autres, nous nous sommes garés sur le bas-côté et sommes sortis de la voiture. Là, un homme en sueur, au teint livide et au corps mou vint à notre rencontre, les autres éparpillés ou en petit groupe effectuaient des mouvements complètement énigmatiques ; ils allaient, venaient, s’étreignaient, pleuraient, criaient ou restaient simplement plantés là à attendre… attendre quoi ? Qui ? Pourquoi ? L’homme au visage livide et au corps mou étaient à présent devant nous, il sembla vouloir prendre la parole, puis au moment où il ouvrit la bouche, un râle grave et puissant émergea du fond de sa gorge et il se retourna brutalement, le corps prit de convulsions et se mit alors à expulser un long liquide visqueux et épais dont l’odeur infecte invitait à reproduire son action, trop forte, trop violente et trop inattendue. Quand il se retourna à nouveau vers nous, la bouche gluante, pâteuse et dégoulinante, le teint blafard, transparent, quasiment inexistant, il ne prit pas la peine de s’excuser ni de refaire une nouvelle tentative d’explication, il nous fit simplement un signe de la main : le bras apathique, il indiqua de son index la direction que notre regard devait suivre. Juste derrière nous : une voiture renversée, le pare-choc d’un côté, la portière arrière droite de l’autre et près d’elle, une forme longiligne, lisse et immobile recouverte par une bâche en plastique transparente qui ne nous laissait apercevoir qu’une paire de basket. Cette nuit chaude et divertissante devint tout à coup froide et douloureuse sauf pour un homme qui vivait alors quelque chose de plus assombrissant encore. Assombrissant n’est pas le mot juste : sinistre, affreux, accablant, dramatique, misérable, déchirant, torturant, sépulcral… Il n’y a pas de mots, pas de mots pour décrire ce que vivait cet homme. La seule chose dont je sois sûre, c’est que dans ses yeux, ce soir-là, j’ai vu le néant.

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