vendredi 8 mai 2009

Votre version de la semaine, García Márquez

En photo : Pots (de chambre) par ferlosio

Je sais que j'ai donné un fragment de Cien años de soledad la semaine dernière, mais d'une part il était destiné à Brigitte exclusivement… et d'autre part, là, vous comprendrez que je ne peux pas résister : en préparant mon cours pour les agrégatifs, je suis retombée sur le passage que je vous propose aujourd'hui. Je l'avais oublié, or il est vraiment très amusant. J'espère qu'il vous plaira aussi.
[Brigitte, n'hésite pas à me dire si la ration est insuffisante…]

El primer signo de esa herencia calamitosa se reveló en las terceras vacaciones, cuando Meme apareció en la casa con cuatro monjas y sesenta y ocho compañeras de clase, a quienes invitó apasar una semana en familia, por propia iniciativa y sin ningún anuncio.
-¡Qué desgracia! -se lamentó Fernanda. ¡Esta criatura es tan bárbara como su padre!
Fue preciso pedir camas y hamacas a los vecinos, establecer nueve turnos en la mesa, fijar horarios para el baño y conseguir cuarenta taburetes prestados para que las niñas de uniformes azules y botines de hombre no anduvieran todo el día revoloteando de un lado a otro. La invitación fue un fracaso, porque las ruidosas colegialas apenas acababan de desayunar cuando ya tenían que empezar los turnos para el almuerzo, y luego para la cena, y en toda la semana sólo pudieron hacer un paseo a las plantaciones. Al anochecer, las monjas estaban agotadas, incapacitadas para moverse, para impartir una orden más, y todavía el tropel de adolescentes incansables estaba en el patio cantando desabridos himnos escolares. Un día estuvieron a punto de atropellar a Úrsula, que se empeñaba en ser útil precisamente donde más estorbaba. Otro día, las monjas armaron un alboroto porque el coronel Aureliano Buendía orinó bajo el castaño sin preocuparse de que las colegialas estuvieran en el patio. Amaranta estuvo a punto de sembrar el pánico, porque una de las monjas entró a la cocina cuando ella estaba salando la sopa, y lo único que se le ocurrió fue preguntar qué eran aquellos puñados de polvo blanco.
-Arsénico -dijo Amaranta.
La noche de su llegada, las estudiantes se embrollaron de tal modo tratando de ir al excusado antes de acostarse, que a la una de la madrugada todavía estaban entrando las últimas. Fernanda compró entonces setenta y dos bacinillas, pero sólo consiguió convertir en un problema matinal el problema nocturno, porque desde el amanecer había frente al excusado una larga fila de muchachas, cada una con su bacinilla en la mano, esperando turno para lavarla. Aunque algunas sufrieron calenturas y a varias se les infectaron las picaduras de los mosquitos, la mayoría demostró una resistencia inquebrantable frente a las dificultades más penosas, y aun a la hora de más calor correteaban en el jardín. Cuando por fin se fueron, las flores estaban destrozadas, los muebles partidos y las paredes cubiertas de dibujos y letreros, pero Fernanda les perdonó los estragos en el alivio de la partida. Devolvió las camas y taburetes prestados y guardó las setenta y dos bacinillas en el cuarto de Melquíades. La clausurada habitación, en torno a la cual giró en otro tiempo la vida espiritual de la casa, fue conocida desde entonces como el cuarto de las bacinillas. Para el coronel Aureliano Buendía, ese era el nombre más apropiado, porque mientras el resto de la familia seguía asombrándose de que la pieza de Melquíades fuera inmune al polvo y la destrucción, él la veía convertida en un muladar. De todos modos, no parecía importarle quién tenía la razón, y si se enteró del destino del cuarto fue porque Fernanda estuvo pasando y perturbando su trabajo una tarde entera para guardar las bacinillas.

***

La traduction « officielle » Cent ans de solitude, réalisée par Carmen et Claude Durand, pour les éditions du SEUIL, « Points », p. 294-296.

Le premier signe de cet héritage malheureux apparut lors des troisièmes grandes vacances, le jour où Meme débarqua à la maison en compagnie de quatre religieuses et de soixante-huit camarades de classe qu’elle avait invitées à venir passer une semaine dans sa famille de sa propre initiative et sans prévenir personne.
-Quel désastre !, gémit Fernanda. Cette enfant est aussi barbare que son père !
Il fallut emprunter des lits et des hamacs aux voisins, faire neuf services pour les repas, fixer les horaires pour l’occupation des bains et réussir à se faire prêter une quarantaine de tabourets pour que les fillettes en uniformes bleus et bottillons d’homme ne passassent toute la journée à papillonner en tous sens. Cette invitation fut un fiasco car les turbulentes collégiennes avaient à peine fini de prendre leur petit déjeuner qu’il fallait déjà entamer le premier service du déjeuner, et ainsi de suite jusqu’au dîner, si bien que dans la semaine elles ne purent faire qu’une seule promenade jusqu’aux plantations. A la tombée de la nuit, les religieuses étaient épuisées, incapables de se mouvoir, de donner un ordre de plus, alors que le troupeau d’adolescentes infatigables était encore dans le patio à chanter d’insipides couplets scolaires. Un jour, elles faillirent renverser Ursula qui s’obstinait à vouloir se rendre utile là où elle gênait précisément le plus. Un autre jour, ce furent les religieuses qui firent un esclandre parce que le colonel Aureliano Buendia s’en vint pisser sous le châtaignier sans se préoccuper que les pensionnaires étaient dans le patio. Amaranta faillit semer la panique quand une des sœurs fit irruption dans la cuisine au moment où elle salait la soupe et ne trouva rien d’autre à lui demander que la nature de cette poudre blanche qu’elle mettait par poignées.
-De l’arsenic, répondit Amaranta.
Le soir de leur arrivée, voulant se rendre aux lieux d’aisances avant de se coucher, les jeunes étudiantes créèrent un tel embouteillage qu’à une heure du matin les toutes dernières étaient encore en train de rentrer. Fernanda fit alors l’acquisition de soixante-deux pots de chambre, mais ne réussit qu’à transformer le problème nocturne en problème matinal car on put voir à l’aube, devant les lieux, une longue file de jeunes filles, chacune tenant son pot à la main et attendant son tour pour le vider. Hormis quelques unes qui eurent des poussées de fièvre et plusieurs dont les piqûres de moustiques s’infectèrent, la plupart d’entre elles, face aux difficultés les plus pénibles, firent montre d’une résistance à toute épreuve, et on les vit même à l’heure la plus chaude flâner dans le jardin. Quand elles finirent par s’en aller, les fleurs étaient saccagées, les meubles brisés et les murs tout couverts de dessins et d’inscriptions, mais Fernanda fut si soulagée de les savoir parties qu’elle leur pardonna leurs ravages. Elle rendit les lits et les tabourets prêtés et conserva les soixante-deux pots de chambre dans le cabinet de Melquiades. Cette pièce qu’on tenait fermée, autour de laquelle tournait autrefois la vie spirituelle de la maison, fut connue dès lors sous le nom de « la chambre aux pots ». Pour le colonel Aureliano Buendia, c’était d’ailleurs l’appellation qui lui convenait le mieux, car, tandis que le reste de la famille continuait à s’émerveiller de ce que la pièce de Melquiades restât préservée de la poussière et de la destruction, lui-même la voyait transformée en une véritable poubelle. De toute manière, il lui importait peu de savoir qui avait raison, et il n’apprit le nouveau destin de cette chambre qu’incidemment, parce que Fernanda le dérangea dans son travail tout un après-midi en passant et repassant pour aller ranger ses pots.

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Brigitte nous propose sa traduction :

Le premier signe de cet héritage désastreux apparut au cours des troisièmes vacances, quand Meme débarqua à la maison avec quatre religieuses et soixante-huit camarades de classe qu’elle invita à passer une semaine en famille avec elle, de sa propre initiative et sans avis préalable.
- Quel malheur ! – se lamenta Fernanda. Cette gosse est aussi terrible que son père !
Il fallut emprunter des lits et des hamacs aux voisins, organiser trois services pour chaque repas, fixer des horaires de passage à la salle de bain et se faire prêter quarante tabourets pour que les filles en uniforme bleu et bottines d’homme ne passent pas toute la journée à virevolter ici et là. L’invitation fut un échec retentissant car les collégiennes turbulentes/agitées avaient à peine terminé leur petit déjeuner qu’elles prenaient leur tour pour le déjeuner, puis pour le dîner, si bien que dans la semaine, elles ne purent faire qu’une seule promenade dans les plantations.
Le soir venu, les bonnes sœurs étaient épuisées, incapables de faire un mouvement ou de donner un ordre de plus, et la troupe d’adolescentes infatigables était toujours dans la cour à chanter des chants scolaires insipides. Un jour, elles faillirent renverser Ursula qui s’efforçait de se rendre utile précisément là où elle gênait le plus. Un autre jour, les religieuses firent un scandale car le colonel Aureliano Buendía pissa sous le marronnier devant les collégiennes qui se trouvaient dans le patio.
Amaranta faillit semer la panique parce que l’une des religieuses fit irruption dans la cuisine au moment où elle salait la soupe et eut la bonne idée de la questionner sur la nature de cette poudre blanche qu’elle mettait par poignées.
- De l’arsenic – dit Amaranta.
Le soir de leur arrivée, ce fut une telle pagaille quand les étudiantes tentèrent de passer aux toilettes avant de se coucher, qu’à une heure du matin les dernières y entraient encore.
Fernanda acheta alors soixante-douze pots de chambre, mais elle ne réussit qu’à transformer en problème matinal le problème nocturne car, dès l’aube, il y avait devant les toilettes une longue file d’attente de filles, chacune avec son pot à la main, attendant son tour pour le vider. Quelques unes eurent de la fièvre et plusieurs virent leurs piqûres de moustiques s’infecter, mais la plupart affichèrent une résistance à toute épreuve face aux difficultés les plus pénibles et, même à l’heure où il faisait le plus chaud, elles galopaient dans le jardin. Quand enfin elles s’en allèrent, les fleurs étaient saccagées, les meubles en morceaux et les murs couverts de dessins et de graffiti, mais Fernanda pardonna leurs dégâts, trop soulagée de les voir partir.
Elle rendit les lits et les tabourets prêtés et rangea les soixante-douze pots dans la chambre de Melquíades. La pièce fermée, autour de laquelle la vie spirituelle de la maison avait tourné en d’autres temps, fut connue, à partir de ce jour, sous le nom de « chambre aux pots ». Pour le colonel Aureliano Buendía, c’était le nom le plus approprié, parce que, quand le reste de la famille continuait à s’étonner que la chambre de Melquíades ne soit ni poussiéreuse ni détériorée, lui la disait devenue un dépotoir. De toute façon, peu semblait lui importer qui avait raison et, s’il apprit le destin de cette chambre, ce fut uniquement parce que Fernanda le dérangea dans son travail toute une après-midi en faisant des allées et venues pour y ranger les pots.

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Odile nous propose sa traduction :

Le premier signe de cette funeste hérédité apparut lors des troisièmes vacances, quand Meme arriva à la maison avec quatre religieuses et soixante-huit camarades de classe qu’elle avait invitées à venir passer une semaine en famille, de sa propre initiative et sans l'annoncer au préalable.
- Quel malheur ! – se lamenta Fernanda. Cette enfant est aussi barbare que son père !
Il fallut emprunter des lits et des hamacs aux voisins, organiser neuf services pour les repas, fixer des horaires pour la salle de bain et réussir à se faire prêter quarante tabourets afin que les filles en uniforme bleu et bottines d’homme ne passent pas toute la journée à virevolter d'un côté et de l'autre.
L’invitation fut un fiasco car les bruyantes collégiennes avaient à peine fini de prendre leur petit déjeuner que commençaient déjà les services du déjeuner, puis venaient ceux du dîner, si bien qu'au cours de la semaine, elles ne purent faire qu'une seule promenade dans les plantations.
Le soir venu, les sœurs étaient épuisées, incapables de se mouvoir ou de donner un ordre de plus, et la troupe d’adolescentes infatigables était encore dans la cour à chanter d' insipides hymnes scolaires.
Un jour, elles faillirent renverser Ursula qui s’efforçait de se rendre utile là elle gênait précisément le plus.
Un autre jour, les religieuses firent un esclandre parce que le colonel Aureliano Buendía avait uriné sous le marronnier sans se préoccuper des collégiennes qui se trouvaient alors dans la cour.
Amaranta faillit semer la panique parce qu' une des religieuses était entrée dans la cuisine au moment où elle salait la soupe et n'avait rien trouvé de mieux que de lui demander ce qu’étaient ces poignées de poudre blanche.
- De l’arsenic – avait dit Amaranta.
La nuit de leur arrivée, les étudiantes s'organisèrent si mal pour essayer d' entrer aux toilettes avant le coucher que les toutes dernières ne purent y accéder qu'à une heure du matin.
Fernanda acheta alors soixante-douze pots de chambre, mais elle ne parvint qu’à transformer le problème du soir en problème du matin car, dès l'aube, il y avait devant les toilettes une longue file de jeunes filles, chacune avec son pot de chambre à la main, attendant son tour pour le vider.
Hormis quelques unes qui eurent de la fièvre et d'autres dont les piqûres de moustiques s’infectèrent, la plupart d'entre elles firent montre d’une résistance à tout épreuve face aux difficultés les plus pénibles et, même à l'heure la plus chaude, elles galopaient dans le jardin.
Quand elles quittèrent enfin les lieux, les fleurs étaient saccagées, les meubles cassés et les murs couverts de dessins et d' inscriptions, mais Fernanda, soulagée de leur départ, leur pardonna les dégâts.
Elle rendit les lits et les tabourets prêtés et remisa les soixante-douze pots dans la chambre de Melquíades. À partir de ce jour-là, la pièce condamnée, et autour de laquelle tournait autrefois la vie spirituelle de la maison, fut connue comme la pièce aux pots de chambre.
Pour le colonel Aureliano Buendía, c’était le nom le plus approprié, car, tandis que le reste de la famille continuait à s'émerveiller de ce que la chambre de Melquíades restât préservée de la poussière et de la destruction, lui-même la voyait transformée en véritable dépotoir.
De toutes les façons, savoir qui avait raison semblait lui importer peu et s’il avait appris le destin de cette pièce, c’était parce que Fernanda l’avait dérangé dans son travail pendant toute une après-midi avec ses allées et venues pour ranger les pots de chambre.

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Laure L. nous propose sa traduction :

Le premier signe de cet héritage calamiteux se révéla au cours des troisièmes vacances, quand Meme apparut à la maison avec quatre religieuses et soixante huit camarades de classe qu’elle avait invitées à passer une semaine en famille, de sa propre initiative et sans prévenir personne le moins du monde.
– Quel malheur ! Se plaignit Fernanda. Cette enfant est aussi inconséquente que son père !
On dut demander des lits et des hamacs aux voisins, établir neuf services pour les repas, fixer des horaires pour la toilette et emprunter quarante tabourets pour que les fillettes en uniformes bleus et bottines d’homme ne passent pas toute leur journée à papillonner en tout sens. L’invitation fut un désastre parce qu’à peine les bruyantes collégiennes avaient-elles fini de prendre leur petit-déjeuner qu’il fallait déjà attaquer le premier service du déjeuner, puis celui du dîner, de telle sorte qu’au cours de la semaine elles ne purent faire qu’une seule promenade dans les plantations. Á la tombée du jour, les religieuses étaient épuisées, incapables de bouger, de donner des ordres, et la foule d’adolescentes infatigables étaient encore dans le patio en train de chanter de pâles hymnes scolaires. Un jour, elles écrasèrent presque Ursula, qui essayait de se rendre utile précisément là où elle gênait le plus. Un autre, les religieuses firent un scandale parce que le colonel Aureliano Buendía urina sous le châtaignier sans s’inquiéter de la présence des collégiennes dans le patio. Amaranta fut sur le point de semer la panique parce qu’une des religieuses entra dans sa cuisine au moment où elle salait la soupe, et la seule chose qui lui vint à l’esprit fut de demander ce qu’étaient ces poignées de poudre blanche.
– De l’arsenic –dit Amaranta.
La nuit de leur arrivée, les étudiantes s’embrouillèrent d’une telle façon en essayant d’aller aux WC avant de se coucher, qu’à une heure du matin les dernières étaient encore en train de rentrer. Fernanda acheta alors soixante douze pots de chambres, mais elle ne réussit qu’à convertir en problème matinal le problème nocturne, car depuis le lever du jour il y avait devant les WC une longue file de filles, chacune son pot de chambre à la main, attendant son tour pour le nettoyer. Même si quelques unes souffrirent de coups de chaleur et que les piqures de moustiques de plusieurs d’entre elles s’infectèrent, la majorité fit preuve d’une résistance inébranlable face aux difficultés les plus pénibles, et même aux heures les plus chaudes elles s’ébattaient dans le jardin. Quand elles partirent enfin, les fleurs étaient ravagées, les meubles cassés et les murs couverts de dessins et d’inscriptions, mais Fernanda leur pardonna les dégradations dans le soulagement du départ. Elle rendit les lits et les tabourets empruntés et rangea les soixante douze pots de chambre dans la chambre de Melquíades. La chambre fermée, autours de laquelle en d’autres temps tourna la vie spirituelle de la maison, fut connue dès lors comme la chambre des pots de chambre. Pour le colonel Aureliano Buendía, ceci était le nom le plus approprié, parce que pendant que le reste de la famille continuait à s’étonner que la pièce de Melquíades soit épargnée par la poussière et par la destruction, lui la voyait convertie en dépotoir. De toute façon, qui avait raison semblait lui être égal, et s’il eut vent du destin de la chambre c’est parce que Fernanda dans ses va-et-vient perturba son travail une après-midi entière pour ranger les pots de chambre.

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Blandine nous propose sa traduction :

Le premier signe de cette calamiteuse hérédité se révéla aux troisièmes vacances, quand Meme apparut à la maison avec quatre religieuses et soixante-huit compagnes de classe, qu’elle avait invitées à passer une semaine en famille, de sa propre initiative et sans aviser personne.
- Quel malheur ! se lamenta Fernanda. Cette créature est aussi barbare que son père !
Il fallut demander des lits et des hamacs aux voisins, établir neuf tours à table, fixer des horaires pour la douche et récupérer quarante tabourets pour que les jeunes filles en uniformes bleus et à bottines d’homme ne passent pas toute la journée à voltiger d’un côté à un autre. L’invitation fut un désastre, car à peine les bruyantes écolières finissaient-elles de déjeuner que venait l’heure du repas, et ensuite celle du dîner, et elles ne purent faire qu’une promenade dans les plantations de toute la semaine. À la nuit tombante, les religieuses étaient épuisées, incapables de bouger, pour donner ne serait-ce qu’un ordre, et encore la cohue des infatigables adolescentes se trouvait dans le patio à chanter de fades hymnes scolaires. Un jour, elles furent sur le point de renverser Úrsula, qui essayait de se rendre utile précisément là où elle gênait le plus. Un autre jour, les religieuses firent un scandale parce que le colonel Aureliano Buendía urinait sous la châtaigner sans se préoccuper des écolières qui étaient elles aussi dans le patio. Amaranta fut sur le point de semer la panique, parce que l’une des religieuses entra dans la cuisine au moment où elle salait la soupe, et la seule chose qui lui vint à l’esprit fut de demander ce qu’étaient ces poignées de poudre blanche.
- De l’arsenic - répondit Amaranta.
La nuit de leur arrivée, les étudiantes s’embrouillèrent de telle façon en voulant aller aux toilettes avant de se coucher, qu’à une heure du matin les dernières étaient en train de passer. Fernanda acheta alors soixante-douze bassins, mais elle ne réussit qu’à convertir en problème matinal ce qui était le problème nocturne, parce qu’à l’aube il y avait en face des toilettes une longue file de jeunes filles, chacune avec son bassin à la main, attendant son tour pour le laver.
Même si certaines souffrirent de fièvre et plusieurs eurent des infections dues aux piqûres de moustiques, la plupart a su démontrer une résistance inébranlable face aux difficultés les plus pénibles, elles trouvèrent encore le moyen de courir dans le jardin à l’heure la plus chaude. Quand enfin elles s’en allèrent, les fleurs étaient détruites, les meubles cassés et les murs couverts de dessins et d’écriteaux, mais Fernanda leur pardonna ces dégâts dans le soulagement du départ. Elle ramena les lits et les tabourets qui lui avaient été prêtés et garda les soixante-douze bassins dans la chambre de Melquíades. La pièce fermée, autour de laquelle tourna en un autre temps la vie spirituelle de la maison, fut connue depuis comme la chambre aux bassins. Pour le colonel Aureliano Buendía, c’était le nom le plus approprié, parce que tandis que le reste de la famille s’étonner que la pièce de Melquíades fût exempte de poussière et à la destruction, lui, la voyait transformée en un dépotoir. De toute façon, il lui importait peu de savoir qui avait raison, et il ne s’intéressa à l’avenir de la chambre que parce que Fernanda passa et perturba son travail un après-midi entier à ranger les bassins.

1 commentaire:

Brigitte a dit…

Pour un jour férié, oui, oui, ma ration sera amplement suffisante. Merci pour tant de délicatesse ! Une vraie "mère poule" aux petits soins pour ses apprenties !