vendredi 15 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Dans la salle d'attente », par Perrine Huet

En photo : Baleine à bosse
par Henry [6*3=?]

Dans la salle d’attente

Une fois encore, j’étais arrivée en avance. Depuis ma plus tendre enfance, quel que fût le lieu de destination, je me présentais toujours avant l’heure prévue, manie qui se transmettait de génération en génération dans notre famille. En effet, les retards étaient bannis de la lignée Déranpy, et mon père s’était toujours appliqué à me l’enseigner, ce qui agaçait souvent ma mère, adepte de l’expression « Avant l’heure ce n’est pas l’heure, et après l’heure ce n’est plus l’heure ! ».
J’étais assise en face d’une vieille femme aux cheveux grisonnants, lunettes en forme de demi-lunes et rouge à lèvres carmin appliqué soigneusement sur ses lèvres bien dessinées. Elle était plongée dans la lecture d’une de ces revues féminines dont l’unique vue de la couverture m’exaspérait. A ma droite, siégeait un jeune homme d’une vingtaine d’années, rivé sur son portable dernier cri, pianotant à une vitesse impressionnante. Mis à part ces deux personnages quelque peu ordinaires, la salle était vide. Je sortis alors mon livre de chevet du moment, un roman de science-fiction se déroulant au XXIIIe siècle, et m’immergeai dans une ambiance apocalyptique. Soudain, la sonnette retentit, et je pus entendre, à travers le mur, des cris d’enfant. La porte s’ouvrit avec fracas, et je vis défiler sous mes yeux trois joyeux bambins identiques, suivis de leur mère toute essoufflée. Elle parvint à peine à murmurer un « Bonsoir », et s’affala sur une chaise. Ses triplés, de magnifiques chérubins roux, aux yeux bleus presque translucides, se disputaient la place la plus proche de leur maman. La transition du calme plat qui régnait avant leur apparition au vacarme actuel était violente. Je tentai de me concentrer, mais cela m’était impossible, étant donné l’agitation dans cette pièce. Je décidai ainsi d’abandonner mon chapitre et de me pencher sur ces trois petits monstres.
Ils étaient à présent chacun installés sur des sièges, prenant leur goûter, tout en se racontant des devinettes et riant aux éclats. La mère essayait de les calmer, mais il apparaissait clairement qu’elle était totalement dépassée par la situation. Elle portait un vieux jean délavé, une chemise à carreaux usée, ses cheveux étaient attachés nonchalamment à l’aide d’une barrette bon marché, et ses yeux étaient fortement marqués par des cernes très creusées. Je sentais qu’il fallait que j’intervienne, tout en évitant d’être indiscrète et déplacée. Mes yeux se portèrent alors sur la table basse, et j’aperçus un magazine enfantin sur les cétacés. Je tenais ma solution.
« Dites-moi les enfants, savez-vous ce qu’est un cétacé ? », criai-je afin d’être écoutée. Ils m’observèrent avec des yeux ronds, surpris par le son de ma voix, réalisant qu’ils n’étaient pas seuls dans cette salle d’attente. L’un d’entre eux me répondit : « Non Madame, c’est quoi ? ». Je me lançai alors dans une explication abracadabrantesque sur le mode de vie de ces mammifères, leur situation géographique, leur description physique etc., tout ce que j’avais pu apprendre au cours de mes recherches lors de la préparation de mon cours de biologie. Ils semblaient captivés par mon récit, et ne me quittaient pas du regard. La maman m’étudiait avec curiosité et reconnaissance, visiblement soulagée par ma prise de parole. Au bout d’un quart d’heure, le dentiste pénétra dans la pièce et prononça mon nom. Je rassemblai mes affaires et saluai l’assemblée. Je vis la mère murmurer un « merci », et les enfants reprendre leur goûter, tout en commentant bruyamment les images des baleines à bosse.

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