[Question de Caroline à Perrine : il y a un fameux dialogue dans ton texte… Crois-tu qu'il passera l'épreuve du "gueuloir" ?]
Ma grand-mère Suzanne, que nous appelions tous mamie Suzette, était une femme extraordinaire. Elle vivait seule depuis plusieurs années, car elle n’avait jamais voulu se remarier après le décès dramatique de son époux. Elle avait appris à se débrouiller par ses propres moyens, sans réclamer l’aide de personne, et ne s’en était jamais plaint. En revanche, ses filles se faisaient du mouron, surtout depuis sa dernière chute dans les escaliers, qui lui avaient coûté une fracture de la hanche et un bras dans le plâtre. Mais mamie Suzette n’en faisait qu’à sa tête, et continuait de sortir chaque jour son chien.
—Voyons, maman ! C’est pas prudent de descendre dans ton état ! – lui reprochait ma tante Lola.
— Et je fais comment moi quand Fifi doit faire ses besoins ? Je vais pas le laisser faire sur ma belle moquette, quand même !
— Si au moins tu prenais l’ascenseur, tu t’éviterais bien des soucis…
— Ah non hein ! – la coupa mamie Suzette –. Tu vas pas recommencer ! Je mettrai plus jamais un pied dans cette fichue machine, tu m’entends, JAMAIS !
Et son refus catégorique était bien plus que compréhensible : son feu mari avait péri à l’intérieur dudit ascenseur, dans des circonstances plus que douteuses, selon elle. Pourtant, le technicien qui était venu faire une révision la veille de l’accident n’avait rien remarqué d’anormal. Pas plus que la police, qui n’avait relevé aucune trace de sang ou emprunte suspecte. Quant au rapport d’autopsie, il avait conclu à un classique arrêt cardiaque, causé certainement par l’âge avancé du vieil homme. « Foutaises ! – disait mamie Suzette –, je sais très bien que mon Jeannot n’est pas mort d’une crise cardiaque, il avait le cœur solide comme un roc. C’est une conspiration ! »
Alors elle grimpait difficilement les sept étages qui la séparaient du rez-de-chaussée à son appartement. En règle générale, cela lui prenait une demi-heure, mais avec son nouvel handicap, elle mettait presque le double. Peu lui importait, au moins, elle pouvait promener son Fifi et voir des gens.
L’endroit où elle rencontrait le plus de monde, c’était dans la cage d’escalier. C’est fou ce qu’il peut y avoir comme trafic la journée dans un immeuble ! Et des potins, n’en parlons pas ! Vous étiez au courant que la dame du troisième jette ses ordures ménagères directement depuis la fenêtre, en prenant bien soin de viser la poubelle d’en bas ? Si, si, je vous assure, je l’ai vue de mes propres yeux, l’autre jour, quand je rentrai du marché, et je peux vous dire qu’elle n’a pas le compas dans l’œil…Et le père Futrignant, v’là t’y pas qu’il roucoule avec une petite jeune de vingt ans à peine, c’est une honte ! Et madame Jossoux, vous saviez que ses nichons, c’étaient des faux ? Voilà à quoi se résumait l’heure pendant laquelle mamie Suzette montait tant bien que mal jusqu’à chez elle. Mais une chose l’intriguait : depuis la mort de son époux, elle n’avait jamais croisé son voisin de pallier, monsieur Chevalier, qui vivait encore là puisqu’elle pouvait l’entendre ronfler à travers la cloison et que son nom figurait toujours sur la porte. Et ce détail confortait l’idée qui avait eu le temps de mûrir pendant ces huit longues années : il était responsable de la disparition de papi Jeannot, maintenant, elle en était certaine. Ces deux hommes s’étaient toujours détestés, et elle savait pertinemment que monsieur Chevalier en avait toujours voulu à son mari de lui avoir fermé la porte de l’ascenseur au nez une fois. Elle voyait l’assassinat de papi Jeannot comme une cruelle vengeance de la part du voisin, et un beau jour, elle apporterait des preuves tangibles pour enfin inculper ce salaud ! Cela faisait huit ans qu’elle trépignait d’impatience de voir monsieur Chevalier derrière des barreaux, mais elle ignorait comment le coincer. Aussi fou que cela puisse paraître, elle ne l’entendait jamais sortir de chez lui. Elle en était arrivée à la conclusion suivante : il s’arrangeait pour descendre juste après elle et rentrer le premier.
Un soir, après avoir perçu le bruit de la chasse d’eau du voisin, elle se décida à aller frapper chez lui pour lui dire ses quatre vérités en face. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’un beau jeune homme lui ouvrit :
— Bonjour ma p’tite dame, que puis-je pour vous ?
— Euh… Est-ce que monsieur Chevalier est là ?
— Eh bien oui, juste devant vous…
— Non, le vieux monsieur Chevalier…enfin…je veux dire…votre père, je présume ?
— Ben mon père il vit à l’autre bout de la France, alors va falloir patienter un peu…
— Mais il est où le monsieur Chevalier qui vit là d’habitude ?
— Ben, c’est moi…
— Je comprends pas… Ҫa fait combien de temps que vous vivez là ?
— Environ huit ans… Qu’est-ce qui se passe, madame ? – lui demanda-t-il en voyant son teint blêmir.
— Et vous vous appelez Chevalier… Comme l’autre monsieur Chevalier…
— L’autre monsieur Chevalier ?… Ah, ça y est, ça me revient ! L’homme qui habitait ici avant s’appelait comme moi, du coup j’ai pas pris la peine de changer la plaque, j’allais pas me faire des frais pour rien, n’est-ce pas ?
— Et il est où maintenant monsieur Chevalier ?
— Alors ça, je peux pas vous dire, moi !
— Et pourquoi je vous croise jamais dans les couloirs ? C’est vrai ça, en huit ans, je vous ai jamais vu !
— Ben c’est parce que je suis infirmier de nuit, alors moi, le jour, je dors…
— Mais je vous entends ronfler ! – l’interrompit mamie Suzette.
— Ah non, ça, c’est mon chien Phillibert, une vraie trompette celui-là ! Bon, ma p’tite dame, c’est pas tout, mais je dois aller travailler. Je vous souhaite une bonne soirée, et à bientôt !
Il claqua la porte. Mamie Suzette était complètement abasourdie. Qu’était donc devenu ce monsieur Chevalier qui avait mystérieusement disparu en même temps que papi Jeannot ? Avait-il été pris de remords suite à son meurtre et avait-il décidé de mettre fin à ses jours, ne supportant plus le poids de la culpabilité ? Elle allait poursuivre son enquête, avec autant d’efficacité que jusqu’à présent, et trouver le fin mot de l’histoire. Mais pas tout de suite, car elle avait une autre priorité : Julien Lepers allait bientôt apparaître sur son téléviseur, et elle ne pouvait le rater pour rien au monde…
Ma grand-mère Suzanne, que nous appelions tous mamie Suzette, était une femme extraordinaire. Elle vivait seule depuis plusieurs années, car elle n’avait jamais voulu se remarier après le décès dramatique de son époux. Elle avait appris à se débrouiller par ses propres moyens, sans réclamer l’aide de personne, et ne s’en était jamais plaint. En revanche, ses filles se faisaient du mouron, surtout depuis sa dernière chute dans les escaliers, qui lui avaient coûté une fracture de la hanche et un bras dans le plâtre. Mais mamie Suzette n’en faisait qu’à sa tête, et continuait de sortir chaque jour son chien.
—Voyons, maman ! C’est pas prudent de descendre dans ton état ! – lui reprochait ma tante Lola.
— Et je fais comment moi quand Fifi doit faire ses besoins ? Je vais pas le laisser faire sur ma belle moquette, quand même !
— Si au moins tu prenais l’ascenseur, tu t’éviterais bien des soucis…
— Ah non hein ! – la coupa mamie Suzette –. Tu vas pas recommencer ! Je mettrai plus jamais un pied dans cette fichue machine, tu m’entends, JAMAIS !
Et son refus catégorique était bien plus que compréhensible : son feu mari avait péri à l’intérieur dudit ascenseur, dans des circonstances plus que douteuses, selon elle. Pourtant, le technicien qui était venu faire une révision la veille de l’accident n’avait rien remarqué d’anormal. Pas plus que la police, qui n’avait relevé aucune trace de sang ou emprunte suspecte. Quant au rapport d’autopsie, il avait conclu à un classique arrêt cardiaque, causé certainement par l’âge avancé du vieil homme. « Foutaises ! – disait mamie Suzette –, je sais très bien que mon Jeannot n’est pas mort d’une crise cardiaque, il avait le cœur solide comme un roc. C’est une conspiration ! »
Alors elle grimpait difficilement les sept étages qui la séparaient du rez-de-chaussée à son appartement. En règle générale, cela lui prenait une demi-heure, mais avec son nouvel handicap, elle mettait presque le double. Peu lui importait, au moins, elle pouvait promener son Fifi et voir des gens.
L’endroit où elle rencontrait le plus de monde, c’était dans la cage d’escalier. C’est fou ce qu’il peut y avoir comme trafic la journée dans un immeuble ! Et des potins, n’en parlons pas ! Vous étiez au courant que la dame du troisième jette ses ordures ménagères directement depuis la fenêtre, en prenant bien soin de viser la poubelle d’en bas ? Si, si, je vous assure, je l’ai vue de mes propres yeux, l’autre jour, quand je rentrai du marché, et je peux vous dire qu’elle n’a pas le compas dans l’œil…Et le père Futrignant, v’là t’y pas qu’il roucoule avec une petite jeune de vingt ans à peine, c’est une honte ! Et madame Jossoux, vous saviez que ses nichons, c’étaient des faux ? Voilà à quoi se résumait l’heure pendant laquelle mamie Suzette montait tant bien que mal jusqu’à chez elle. Mais une chose l’intriguait : depuis la mort de son époux, elle n’avait jamais croisé son voisin de pallier, monsieur Chevalier, qui vivait encore là puisqu’elle pouvait l’entendre ronfler à travers la cloison et que son nom figurait toujours sur la porte. Et ce détail confortait l’idée qui avait eu le temps de mûrir pendant ces huit longues années : il était responsable de la disparition de papi Jeannot, maintenant, elle en était certaine. Ces deux hommes s’étaient toujours détestés, et elle savait pertinemment que monsieur Chevalier en avait toujours voulu à son mari de lui avoir fermé la porte de l’ascenseur au nez une fois. Elle voyait l’assassinat de papi Jeannot comme une cruelle vengeance de la part du voisin, et un beau jour, elle apporterait des preuves tangibles pour enfin inculper ce salaud ! Cela faisait huit ans qu’elle trépignait d’impatience de voir monsieur Chevalier derrière des barreaux, mais elle ignorait comment le coincer. Aussi fou que cela puisse paraître, elle ne l’entendait jamais sortir de chez lui. Elle en était arrivée à la conclusion suivante : il s’arrangeait pour descendre juste après elle et rentrer le premier.
Un soir, après avoir perçu le bruit de la chasse d’eau du voisin, elle se décida à aller frapper chez lui pour lui dire ses quatre vérités en face. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’un beau jeune homme lui ouvrit :
— Bonjour ma p’tite dame, que puis-je pour vous ?
— Euh… Est-ce que monsieur Chevalier est là ?
— Eh bien oui, juste devant vous…
— Non, le vieux monsieur Chevalier…enfin…je veux dire…votre père, je présume ?
— Ben mon père il vit à l’autre bout de la France, alors va falloir patienter un peu…
— Mais il est où le monsieur Chevalier qui vit là d’habitude ?
— Ben, c’est moi…
— Je comprends pas… Ҫa fait combien de temps que vous vivez là ?
— Environ huit ans… Qu’est-ce qui se passe, madame ? – lui demanda-t-il en voyant son teint blêmir.
— Et vous vous appelez Chevalier… Comme l’autre monsieur Chevalier…
— L’autre monsieur Chevalier ?… Ah, ça y est, ça me revient ! L’homme qui habitait ici avant s’appelait comme moi, du coup j’ai pas pris la peine de changer la plaque, j’allais pas me faire des frais pour rien, n’est-ce pas ?
— Et il est où maintenant monsieur Chevalier ?
— Alors ça, je peux pas vous dire, moi !
— Et pourquoi je vous croise jamais dans les couloirs ? C’est vrai ça, en huit ans, je vous ai jamais vu !
— Ben c’est parce que je suis infirmier de nuit, alors moi, le jour, je dors…
— Mais je vous entends ronfler ! – l’interrompit mamie Suzette.
— Ah non, ça, c’est mon chien Phillibert, une vraie trompette celui-là ! Bon, ma p’tite dame, c’est pas tout, mais je dois aller travailler. Je vous souhaite une bonne soirée, et à bientôt !
Il claqua la porte. Mamie Suzette était complètement abasourdie. Qu’était donc devenu ce monsieur Chevalier qui avait mystérieusement disparu en même temps que papi Jeannot ? Avait-il été pris de remords suite à son meurtre et avait-il décidé de mettre fin à ses jours, ne supportant plus le poids de la culpabilité ? Elle allait poursuivre son enquête, avec autant d’efficacité que jusqu’à présent, et trouver le fin mot de l’histoire. Mais pas tout de suite, car elle avait une autre priorité : Julien Lepers allait bientôt apparaître sur son téléviseur, et elle ne pouvait le rater pour rien au monde…
1 commentaire:
Je pense qu'il pourra passer l'épreuve du gueuloir, oui, mais pas filmé... Ce sera une exclusivité "atelier".
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