Je laisse à Vanessa le soin de présenter son texte :
Il y a beaucoup plus que cinq lignes... Le thème, je l'ai tourné à ma manière ; on avait parlé de la "schizophrénie" du traducteur, du fait qu'il se met à parler avec des morceaux de traduction... Voilà le résultat.
On savait :
Que le traducteur aime ce qui est étranger ; qu'il raffole des plats latino-américains sans même y avoir goûter un jour – ou presque ; qu'il passe ses journées, balin-balan, à badauder dans les ruelles sordides des bas-fonds cubains, qu'il flâne, muse, musarde au cœur de paysages extrêmes, désolants, cocasses, paradisiaques.
Le traducteur voyage, cliché nº1.
Que le traducteur est un antiquaire, un collectionneur, et un commerçant acharné ; qu'il chine, brocante, brade, revend, refile et refourgue, tous les mots qui lui tombent sous la main, toutes les locutions qui croisent sa route, quitte à en piquer une au voisin, parce qu'elle brille et qu'elle a du cachet.
Le traducteur est jaloux, de tous les mots qui existent, et de ceux qui n'existent pas encore, truisme nº2.
Que le traducteur aime l'étrange : combien de posts faut-il encore pour le démontrer ? La moindre bizarrerie langagière ou culturelle est déchiquetée à la tronçonneuse, disséquée sur la table d'opération, entre le parapluie et la machine à coudre.
La culture est partout, banalité nº3, à garder précieusement avec soi tout de même.
Outre cela, on savait que le traducteur s'incarne parfois dans un corps, qu'il a mal au dos sur sa chaise Nüük suédoise, qu'il a mal aux yeux face à l'écran de son portable, qu'il grossit pendant les ateliers de traduction, parce qu'il les célèbre à chaque fois comme une fête... Le traducteur a la gastronomie et la traduction chevillées au corps. Et la maladie de la cheville.
Pêle-mêle, on savait aussi :
Que le traducteur traduit avec sa biographie, qu'il s'entraîne à faire et défaire, à grand renfort de formules savantes, le nombre de signes total de sa traduction, qu'il en veut au correcteur de gommer ses trouvailles, qu'il rêve de travailler avec les plus grands, qu'il est pauvre, qu'il est bon.
MAIS, ce qu'on ne savait pas :
– et c'est pourquoi il est aujourd'hui urgent de le révéler au grand jour – c'est que le traducteur n'est qu'un fou à lier en puissance, qui touche de la plume ce que seuls les fous à lier en acte connaissent mais ne rapportent jamais : la clé du langage, ou la quasi-réponse à la pseudo-question qu'il se pose en permanence.
Explication :
Jour du concours. Ça se bouscule au portillon. Peu m'importe, piaille la voix cristalline du futur-apprenti traducteur en son for intérieur, je vais gagner ma place. Premier cours de traduction. Encore sain de corps et d'esprit, le traducteur a pourtant la voix fluette et timide. Mais, déjà, il ose parler tout haut. Cinquantième cours de traduction. Le traducteur pense – comme avant –, il s'exprime – toujours à bon escient – mais ce qu'il dit s'est quelque peu transformé. Pourquoi, soudain, se met-il à débiter des morceaux entiers de version ? Pourquoi son cerveau martèle-il cet enchaînement de mots en particulier ? Si encore il n'avait à gérer que le télescopage de personnages, de voix, de caractères qui se crée dans son cerveau... Mais non, le traducteur n'est pas schizophrène ; il est plutôt dangereusement habité par des entités que le quidam ne peut identifier : ce n'est rien d'autre que de la musique, en définitive, des mélodies que le traducteur a assimilées et qu'il se plaît à partager. Le problème survient lorsque c'est la traduction qui parle, voire qui pense, à la place du traducteur.
« Ils ont tous changé, remarque, peut-être que moi aussi, et c'est juste que je m'en rends pas compte. »
Il y a beaucoup plus que cinq lignes... Le thème, je l'ai tourné à ma manière ; on avait parlé de la "schizophrénie" du traducteur, du fait qu'il se met à parler avec des morceaux de traduction... Voilà le résultat.
On savait :
Que le traducteur aime ce qui est étranger ; qu'il raffole des plats latino-américains sans même y avoir goûter un jour – ou presque ; qu'il passe ses journées, balin-balan, à badauder dans les ruelles sordides des bas-fonds cubains, qu'il flâne, muse, musarde au cœur de paysages extrêmes, désolants, cocasses, paradisiaques.
Le traducteur voyage, cliché nº1.
Que le traducteur est un antiquaire, un collectionneur, et un commerçant acharné ; qu'il chine, brocante, brade, revend, refile et refourgue, tous les mots qui lui tombent sous la main, toutes les locutions qui croisent sa route, quitte à en piquer une au voisin, parce qu'elle brille et qu'elle a du cachet.
Le traducteur est jaloux, de tous les mots qui existent, et de ceux qui n'existent pas encore, truisme nº2.
Que le traducteur aime l'étrange : combien de posts faut-il encore pour le démontrer ? La moindre bizarrerie langagière ou culturelle est déchiquetée à la tronçonneuse, disséquée sur la table d'opération, entre le parapluie et la machine à coudre.
La culture est partout, banalité nº3, à garder précieusement avec soi tout de même.
Outre cela, on savait que le traducteur s'incarne parfois dans un corps, qu'il a mal au dos sur sa chaise Nüük suédoise, qu'il a mal aux yeux face à l'écran de son portable, qu'il grossit pendant les ateliers de traduction, parce qu'il les célèbre à chaque fois comme une fête... Le traducteur a la gastronomie et la traduction chevillées au corps. Et la maladie de la cheville.
Pêle-mêle, on savait aussi :
Que le traducteur traduit avec sa biographie, qu'il s'entraîne à faire et défaire, à grand renfort de formules savantes, le nombre de signes total de sa traduction, qu'il en veut au correcteur de gommer ses trouvailles, qu'il rêve de travailler avec les plus grands, qu'il est pauvre, qu'il est bon.
MAIS, ce qu'on ne savait pas :
– et c'est pourquoi il est aujourd'hui urgent de le révéler au grand jour – c'est que le traducteur n'est qu'un fou à lier en puissance, qui touche de la plume ce que seuls les fous à lier en acte connaissent mais ne rapportent jamais : la clé du langage, ou la quasi-réponse à la pseudo-question qu'il se pose en permanence.
Explication :
Jour du concours. Ça se bouscule au portillon. Peu m'importe, piaille la voix cristalline du futur-apprenti traducteur en son for intérieur, je vais gagner ma place. Premier cours de traduction. Encore sain de corps et d'esprit, le traducteur a pourtant la voix fluette et timide. Mais, déjà, il ose parler tout haut. Cinquantième cours de traduction. Le traducteur pense – comme avant –, il s'exprime – toujours à bon escient – mais ce qu'il dit s'est quelque peu transformé. Pourquoi, soudain, se met-il à débiter des morceaux entiers de version ? Pourquoi son cerveau martèle-il cet enchaînement de mots en particulier ? Si encore il n'avait à gérer que le télescopage de personnages, de voix, de caractères qui se crée dans son cerveau... Mais non, le traducteur n'est pas schizophrène ; il est plutôt dangereusement habité par des entités que le quidam ne peut identifier : ce n'est rien d'autre que de la musique, en définitive, des mélodies que le traducteur a assimilées et qu'il se plaît à partager. Le problème survient lorsque c'est la traduction qui parle, voire qui pense, à la place du traducteur.
« Ils ont tous changé, remarque, peut-être que moi aussi, et c'est juste que je m'en rends pas compte. »
3 commentaires:
@ Vanessa : je te félicite… Ton texte est somptueux et délicieux ! Merci.
Que dire alors d'un homme qui est traducteur dès sa naissance, qu'il pense dans un langage et parle dans un autre, qu'il rêve dans une langue et lit dans une autre et, malgré une certaine ouverture sur le monde, ne comprends pas celui dans lequel il vit ?
Moi, je dis que c'est compliqué, qu'il y a des fortes raisons de devenir fous et autant pour devenir sages.
Merquin.
Ah oui... la question de savoir dans quelle langue rêvent les gens absolument bilingues m'a toujours énormément intéressée.
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